2.4.2.4 Les
ressources et les forces mobilisées.
Parmi les stratégies déployées pour faire
face à la maladie, la mobilisation des ressources, définies comme
étant des capacités externes, et la mobilisation des forces ou
capacités internes de la personne, sont les plus souvent
mentionnées dans les écrits. Par ailleurs la motivation est
présentée comme un facteur déclenchant cette
mobilisation.
a) Ressources.
Le soutien social est évoqué comme ressource
externe principale, selon la perspective individuelle de la personne atteinte.
Le soutien social constitue une ressource pour « faire face »
à la situation (Schreurs & de Ridder, 1997). Ainsi, la
présence et les réactions des membres du réseau social
à la maladie sont considérées comme des ressources. En
revanche, la mobilisation de ces ressources par la personne pour «
faire-face » est considérée comme une stratégie. La
nature du soutien social dépend du statut social de la personne, de la
structure du réseau familial et communautaire ainsi que de l'effet des
relations et de leur potentiel de promotion de la santé (Luttik,
Jaarsma, Moser, Sanderman, & Veldhuisen, 2005).
Plusieurs études se sont intéressées au
soutien social dans le cadre de l'expérience de la maladie
épileptique. La nature du soutien, son mode de mobilisation, son impact
sur le rétablissement et l'implication des différents
protagonistes du réseau social, sont mieux compris.
D'après Jensen et Petersson (2002) le conjoint est
considéré comme la ressource la plus importante. Viennent ensuite
les enfants, les belles-filles et les gendres, les amis et les voisins. Leur
présence, lorsqu'elle encourage la personne et lui permet de tenir un
dialogue intime ou, au besoin, de faire une confidence, apporte ainsi un bon
soutien émotif. De même, ce réseau social qualifié
de « profane » assure généralement un soutien
instrumental ou tangible en assumant la responsabilité de tâches
telles que le ménage, le jardinage, les réparations, les courses
et le transport. En revanche, le soutien attendu du réseau professionnel
est surtout de nature informationnelle. Les informations requises concernent la
cause de l'épilepsie, la conduite à tenir en cas de crise
épileptique, les effets des médicaments épileptiques et
leurs effets secondaires, la durée du traitement, la possibilité
d'un traitement alternatif, et surtout les conduites à tenir pour
éviter des accidents liés à la cause (Jensen &
Petersson, 2002).
Toutefois, le fait de percevoir les professionnels de la
santé comme étant compétents et possédant des
connaissances approfondies, tout en demeurant humains, procure aussi un soutien
émotionnel. De même, les récits d'expériences de
personnes qui ont vécu la même maladie peuvent parfois
représenter une source d'information (Bergman & Berterô,
2003). De plus, ces récits apportent un réconfort par le fait de
reconnaître ses propres symptômes, les examens subis, les
traitements reçus ainsi que des réactions psychologiques
vécues (Bergman & Berterô, 2003). Les résultats de
cette étude mentionnent aussi que la perception d'une sensibilité
de la part de l'employeur constitue une ressource importante. En effet, cette
sensibilité procure le sentiment d'être accepté d'une part,
par son employeur mais, d'autre part surtout par ses collègues de
travail, malgré la diminution de son énergie physique et a
fortiori de sa productivité.
Cependant, les ressources du réseau social
mobilisées pour faire face à l'épilepsie diffèrent,
selon le sexe. En effet, l'étude qualitative de Johnson et Morse (1990)
auprès de sept femmes et de sept hommes qui ont vécu la maladie
épileptique, démontre que les femmes ont tendance à ne pas
accepter, voire à décourager, toute l'attention accrue de la
famille. Ces femmes évitent même d'engager les membres de la
famille dans les changements de leur mode de vie requis par leur condition,
tout en reprenant rapidement les responsabilités
ménagères. De leur côté, les hommes se
réservent des périodes de repos, encouragent l'attention et
l'engagement de la part de la famille, surtout de celle de leur épouse,
tout en s'inquiétant de leur faiblesse physique et de
l'éventuelle reprise du travail.
D'après Kristofferzon, Lôfmark et Carlsson
(2003), le fait que les femmes puissent s'acquitter des activités
d'entretien de la maison maintient leur estime de soi, en faisant
référence à une forte identification à leur
rôle de femme au foyer. Les auteurs de l'étude expliquent ce fait
par l'importance de la sécurité apportée par
l'adhérence aux rôles habituels. Autrement dit, quand le malade se
rend compte qu'il est capable de maîtriser ses tâches quotidiennes,
il se sent plus en confiance pour faire face à la maladie.
Cette explication est cohérente avec les
résultats de l'étude qualitative de Helpard et Meagher-Stewart
(1998). Les entrevues semi-structurées de huit femmes vivant avec
l'épilepsie, démontrent que la reprise des activités
ménagères maintient leur identité et leur estime de soi.
Ainsi ces femmes ont tendance à minimiser leurs symptômes et
à jauger leurs limites. Cependant, ces mêmes femmes sont sensibles
au soutien de nature émotionnelle qui influe sur leur estime de soi et
leur croissance personnelle.
Par ailleurs, Emery et al. (2004) ont mené une
étude corrélationnelle comparative entre les femmes et les
hommes, pour évaluer la qualité de vie et l'association de cette
dernière au soutien social, et ce, au cours de la première
année après une crise épileptique. Les participants, au
nombre de 536, dont 35 % de femmes, vivant en Ohio aux États-Unis, ont
rempli les questionnaires « Inter personal Support Evaluation List
» et « Médical Out comes Study» où
étaient évaluées les dimensions du soutien social et
celles du fonctionnement physique et mental. Les résultats indiquent une
corrélation positive entre le soutien social et la qualité de vie
(Emery et al, 2004; Wingate, 1995). Plus spécifiquement, chez les
femmes, le sentiment d'appartenance ou de compagnonnage, assuré par le
soutien des pairs, est associé significativement avec la qualité
de vie surtout émotionnelle (Emery et al, 2004).
En général, un réseau social permettant
la participation active du malade à la prise de décision est
considéré par ce dernier comme une ressource favorable à
son rétablissement (Bergman & Berterô, 2003).
b) Forces
Les forces sont présentées dans les
études principalement comme des qualités propres à
l'individu. Dans ce cadre, l'étude qualitative de Jensen et Petersson
(2002) visait à comprendre le processus de rétablissement de 30
personnes à deux moments: trois jours après le diagnostic de
l'épilepsie et par la suite, dix-sept semaines après leur mise
sous traitement au Danemark. Les entrevues semi-structurées ont
orienté la recherche sur les causes perçues de la maladie et le
sens qui lui est attribué, la qualité de la vie de tous les jours
et la possibilité de reprendre le travail ainsi que les ressources de
santé perçues comme étant positives. Les résultats
ont démontré que la force, l'énergie et le courage
mobilisés pour le rétablissement découlent d'une
philosophie de vie positive et optimiste.
En effet, la reprise d'une activité professionnelle six
mois après la première crise est à 90,9 % chez les
épileptiques qui ont des attentes positives, alors qu'elle est seulement
à 35,3 % chez ceux qui ont des attentes négatives (Havik &
Maeland, 1987). De même, l'utilisation des forces internes et la mise en
valeur de certains traits de personnalité comme la propension au
bonheur, la paix de l'esprit, le sentiment de bien-être, la
capacité de se concentrer sur autre chose, la capacité de
pleurer, la régularité et la persévérance, l'humour
et la capacité de résoudre les problèmes favorisent le
rétablissement (Jensen & Petersson, 2002).
Par ailleurs, l'étude de Walton (1999), menée
auprès de 13 participants et qui visait la compréhension de la
signification et de l'influence de la spiritualité sur le
rétablissement, après une crise épileptique,
démontre que la spiritualité fournit force, espoir,
pensées positives, confort, paix, bien-être et
intégrité favorables au « faire face ».
c) Motivation
Bergman et Berterô (2003) expliquent « le pouvoir
motivateur » comme étant un élan pour la vie « zest
for life », une façon de penser et de pouvoir jouir de la vie
en dépit de la maladie épileptique. La personne puise ce pouvoir
motivateur dans sa spiritualité, dans la religion, le divin ou dans un
amour profond pour quelqu'un. La motivation émerge de la volonté
de regagner le sens du contrôle et d'être autonome (Bergman &
Berterô, 2003).
L'étude corrélationnelle menée par deux
chercheuses américaines, Moser et Dracup (1995), auprès de 76
patients démontre qu'après l'événement
épileptique, la perception d'un sens élevé de
contrôle des événements est un facteur prédictif du
rétablissement psychosocial (Moser & Dracup, 1995). Par ailleurs, la
croyance en son efficacité personnelle détermine la somme des
efforts que la personne est prête à fournir pour maintenir un
comportement favorable à la santé malgré, les
difficultés qu'elle éprouve inévitablement (Gasse&
Guay, 1997). En effet, selon une étude sur la réduction du risque
des crises épileptiques, l'approche des soins de santé qui
renforce la confiance des personnes dans leurs capacités est pertinente
pour l'adoption de nouveaux comportements de santé (Houston, Miller,
& Taylor, 1995), surtout pour les comportements qui concernent
l'alimentation, les exercices physiques des personnes épileptiques et
leur consommation de tabac (Rees, 1995).
Ces résultats correspondent à la
définition de la motivation qui est basée sur la croyance en sa
propre capacité d'influencer sa santé (F.Allen & Warner,
2002; Ford-Gilboe, 2002a; Gottlieb & Rowat, 1987).
d) Les apprentissages
développés
Les stratégies et les efforts fournis pour faire face
aux défis soulevés par expérience de la crise
épileptique amènent la personne atteinte à acquérir
de nouvelles compétences relatives aux apprentissages qu'elle a faits.
D'après l'étude de Bergman et Berterô (2003), les
participants mentionnent avoir acquis de nouvelles compétences
découlant de l'apprentissage selon lequel il est important de prendre le
temps et de profiter de ce temps, surtout après avoir pris conscience du
caractère éphémère de la vie. Ils acquièrent
la volonté et l'intention de prendre les choses en main et de ne plus se
précipiter. Les pensées et les projets d'avenir sont
définis dans le court terme et ils valorisent les petites choses de la
vie. La patience nécessaire pour effectuer les changements et pour les
maintenir prendra toute son importance. Les participants expriment surtout
avoir pris conscience du fait qu'ils sont les mieux placés pour assumer
la responsabilité de leur propre vie, pour avoir la capacité et
l'autonomie en vue de décider de la qualité de cette vie et
peut-être même d'en prolonger la durée.
Walton (1999) évoque le développement de la foi,
le don de soi et la découverte spirituelle de sens et de but à la
suite d'une crise épileptique. Il décrit cinq phases de cette
découverte, qui ne sont pas nécessairement en ordre: 1) faire
face à la mort et sentir la peur et le trouble ou l'agitation, 2) se
débarrasser de ces sentiments par un travail d'introspection tout en se
faisant confiance, et en faisant confiance aux traitements, aux soins de
santé fournis et surtout à Dieu, 3) changer de style de vie,
physiquement et psychologiquement, à la recherche d'un équilibre
par exemple en suivant une diète, en arrêtant de fumer, en
pratiquant des exercices, en devenant plus généreux,
tolérant et attentionné, 4) chercher un but divin à
travers l'introspection, la réflexion et la prière et 5)trouver
une signification à la vie quotidienne.
D'après Jensen et Petersson (2002), la personne se dit
plus compétente à reconnaître les symptômes des
crises épileptiques, à les interpréter et à prendre
la décision de consulter. Cette compétence concerne aussi la
conjointe ou le conjoint.
Au-delà des apprentissages développés,
les écrits démontrent que les personnes atteintes de
l'épilepsie évoquent des changements positifs au sein de la
famille. Ces changements sont le rapprochement, l'amélioration de la
communication entre les différents membres, la concentration sur le
moment présent et des attentes positives pour le futur. Selon la
réaction familiale, elles peuvent percevoir un sentiment chaleureux de
solidarité, de force et d'amour (Jensen & Petersson, 2002; Tapp,
1995). Même un comportement de surprotection, peut parfois augmenter
l'estime de soi de la personne (Riegel & Dracup, 1992).
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