Les critères du procès administratif equitable en droit positif camerounais( Télécharger le fichier original )par Jean Duclos Ngon a moulong Universités de Yaoundé 2 soa - Master 2 2012 |
PARAGRAPHE 1: LE CONTRADICTOIRE ET LA PUBLICITE DES AUDIENCESLe contradictoire et la publicité des audiences se situent au centre même du déroulement de la procédure administrative contentieuse. Il s'agit de deux garanties de procédure fondamentales à la réalisation du procès équitable et partant d'une bonne administration de la justice. Consacrées dans les textes internationaux et régionaux de protection des droits de l'homme397(*) , Ces garanties entretiennent un lien étroit qui découle du fait qu'elles appartiennent à une grande famille reconnue sous l'expression « droits de la défense » participant eux-mêmes des garanties du procès équitable. Toutefois, elles doivent être démêlées. En effet, selon l'expression de O. Gohin, le contradictoire est « de l'essence même de la juridiction »398(*). C'est la « la première condition d'une justice véritable »399(*)qui« tend à assurer l'égalité des parties devant le juge» perturbée par les moyens dont dispose l'administration en contentieux administratif400(*).En revanche, la publicité des audiences est « une exigence qui permet le contrôle de l'activité des juges et fournit, en ce sens, une garantie au justiciable contre l'arbitraire du juge »401(*). Au Cameroun, les textes qui organisent la procédure administrative contentieuse et la pratique du juge administratif permettent de relever une application tempérée de ces garanties procédurales. Plus précisément, l'on constate non seulement une application fluctuante du contradictoire (A) mais également une application à géométrie variable de la publicité des audiences (B). A- Une application fluctuante du contradictoireLe contradictoire « est consubstantiel avec l'essence même de la justice »402(*).Il s'agit d' « une exigence primordiale et même élémentaire du procès administratif aussi bien que de tout procès »403(*)au service d'une justice « efficace » et « équitable »404(*). À ce propos, le Conseil d 'Etat français la qualifie de « formalité essentielle »405(*).Ceci découle du fait qu' « il permet de parvenir à la vérité judiciaire en ouvrant aux parties la possibilité de discuter les motifs de fait et de droit sur lesquels le juge va fonder sa décision, après avoir reçu une information à la fois complète et précise »406(*).C'est ce qu'écrivait le président Odent quand il rapportait le point de vue du juge en ces termes : « l'expérience prouve qu'il est très difficile de se rendre compte, sans une instruction préparatoire, de tous les répercutions que peut avoir une solution ». À juste titre, il en concluait que : « de toutes les règles de procédure, celles qui imposent le caractère contradictoire de la discussion préalable est la plus vénérable et la plus générale (...) en dehors de cette règle, il ne peut être de bonne justice »407(*). Il s'agit d'un principe qui « tend à assurer l'égalité des parties devant le juge »408(*). Le professeur GOHIN explique quele contradictoire « est le droit pour toute personne directement intéressée de se voir assurer une information utile dans l'instance, par la communication des différents éléments du dossier produits dans un délai suffisant, en vue de leur discussion devant le juge ».409(*) Il connaît une double implication : D'abord, il garantit aux parties le droit d'être informées. Comme l'écrit B. Pacteau, il s'agit de leur « droit au savoir»410(*) qui suppose « le droit à l `information de chaque partie sur les éléments constitutifs du dossier d'instruction »411(*). Ensuite, il implique pour les parties le droit d'informer : c'est leur droit à « faire savoir »412(*) ; c'est-à-dire « à répondre aux observations de leur adversaire, avec la garantie de disposer à cet effet d'un délai "suffisant" pour cette réplique »413(*). Sur cette base, il doit être distingué des droits de la défense qui ne visent que le défendeur en occultant le demandeur414(*). En effet, les droits de la défense visent à compenser une situation avantagée du demandeur en privilégiant en contre partie celle du défendeur, c'est-à-dire en donnant à ce dernier le droit et la possibilité de faire valoir ses arguments dans une instance dont la solution peut préjudicier à ses intérêts. De ce fait, elles revêtent une importance fondamentale en droit pénal415(*). En revanche, le contradictoire ne cherche pas à compenser une situation privilégiée du demandeur mais « place les parties dans une stricte égalité »416(*). Il doit également être distingué du principe de l'égalité des armes que le professeur Frédéric Sudre entend comme étant un principe qui impose seulement de traiter les parties de façon égalitaire, aucune ne pouvant bénéficier d'un droit dont l'autre n'a pu bénéficier417(*). Au Cameroun, en droit interne, le principe du contradictoire n'est pas proclamé mais traduit, à travers son contenu, par la jurisprudence et les textes418(*) qui organisent la procédure administrative contentieuse. De même, il n'est pas expressément affirmé dans les instruments internationaux et régionaux419(*) de protection des droits de l'homme, mais se déduit de leurs dispositions relatives au droit à un procès équitable donc la substance se décline ainsi qu'il suit : « toute personne à droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ». La règle de la contradiction reçoit en droit positif Camerounais une application dans la phase d'instruction à titre principal pour s'étendre ensuite dans la phase de jugement(1). Toutefois, il faut relever qu'elle connaît des limites dans les deux cas c'est-à dire aussi bien dans l'instruction que dans le jugement(2). 1- L'application du contradictoire dans l'instruction et dans la phase de jugementLe principe du contradictoire n'est pas en droit positif camerounais expressément affirmé ni son champ d'application formellement déterminé par les textes qui organisent la procédure administrative contentieuse. Cependant, l'on peut relever que sa pratique reçoit une application dans la phase d'instruction à titre principal (a) pour s'étendre au jugement (b). * 397 En effet, la substance de ces textes énonce que, « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement». * 398 GOHIN (O), Contentieux administratif, 2e éd., Paris, Litec, 1999, p.220. * 399CHAPUS (R), Droit administratif général, op. cit. , p. 776. * 400CE, 29 juillet, Mme Esclatine. * 401CADIET (L), NORMAND (J) et AMRANI MEKKI(S), Théorie générale du procès, op. cit., p. 660. * 402ROLAND (B), procédure civile, Levallois-Perret, Studyrama, 3ème éd., 2013, p. 104. * 403Ibid. * 404GOHIN (O), La contradiction dans la procédure administrative contentieuse, thèse, Paris, LGDJ, 1988, p. 60. * 405 CE, Section., 25janvier 1957, Raberanto, Rec., p. 66.
* 407ODENT (R), Contentieux administratif, Institut d'Etudes Politiques, 1970-1971, Paris, p. 721. * 408CE, 29 juillet, Mme Esclatine. * 409GOHIN (O), La contradiction dans la procédure administrative contentieuse, op. cit., p. 52.
* 411 Ibid. * 412 Ibid. * 413 Ibid. * 414 En ce sens, voir DEBBASCH (C), Contentieux administratif, Coll. Précis Dalloz, 3ème éd., 1981, n°443, p.459. * 415 Cette importance découle du fait de la force du demandeur principal, qui exerce l'action publique en vue de la défense des intérêts généraux de la société, et le risque éventuel pour le défendeur d'être condamné à une peine privative de liberté, dès lors que la loi l'a prévue et qu'elle est effectivement encourue.
* 417 Voir SUDRE (F), La convention européenne des droits de l'homme, Paris, PUF, «Que sais-je ? », 2010, p.81. ; Les grands arrêts de la cour européenne des droits de l'homme, Paris, PUF, 2007, p.245. * 418 Il s'agit essentiellement de la loi n°2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l'organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême et de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l'organisation des tribunaux administratifs. * 419 Il s'agit de la Déclaration universelle des droits de l'homme, article 10, et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 14 alinéas 1.La contradiction ne figure en tant que telle dans aucun de ces textes. En réalité, la cause comme nous le disent la Déclaration universelle des droits de l'homme et le pacte international relatif aux droits civils et politiques, doit être « entendue équitablement », et nul ne peut sérieusement imaginer un procès équitable sans contradiction entre les parties. En revanche, la Charte Africaine des droits de l'homme et des peuples ne comporte pas une telle expression.De plus, si ce texte contient des exigences du procès équitable(droit de recours, impartialité de la juridiction, présomption d'innocence, délai raisonnable de jugement etc.), celle relative à la contradiction n'y figure ni expressément ni implicitement, sauf à l'assimiler aux droits de la défense prévu à l'article 7, alinéa 1 (c). Pourtant, l'article 27 alinéa 2, du règlement intérieur intérimaire fait obligation à la Cour Africaine des droits de l'homme et des peuples de procéder contradictoirement, et les arrêts de cette Cour ou ses membres expriment la préoccupation de respecter le principe du contradictoire, «qui doit s'appliquer à tout moment de la procédure »(CADH 26 juin 2012, Baghdadi ali mahmoudi c/ République de Tunisie, requête n°007/2012-SO. Opinion individuelle du juge Fatsah Ouguergouz. http://caselaw.ihrda.org/fr/doc/007.12_so/view/).Ainsi, on imagine mal que la Cour ne sanctionne pas le non-respect du contradictoire par les Etats membres. Sur le sujet d'une manière générale, voir NGUELE ABADA (M), « La réception des règles du procès équitable dans le contentieux de droit public », juridis périodique, 2005, n°63, pp. 19-33. |
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