Les critères du procès administratif equitable en droit positif camerounais( Télécharger le fichier original )par Jean Duclos Ngon a moulong Universités de Yaoundé 2 soa - Master 2 2012 |
a- Le contradictoire à titre principal dans la phase d'instructionParce que la mission du juge est de juger et non de préjuger, les règles de procédure doivent s'imposer à lui. Ainsi, après le dépôt de la demande, l'instruction va permettre de préparer la décision du juge, « en l'éclairant sur l'ensemble des données, de fait et de droit, des litiges »420(*). Elle constitue « la phase d'investigation au cours de laquelle le juge use de tous les moyens de droit en son pouvoir pour rechercher tous les éléments susceptibles de l'aider à faire la lumière dans l'affaire »421(*).C'est en effet la phase de l'instance contentieuse destinée à mettre le procès en l'état d'être jugé422(*). Il s'agit, non pas d'une faculté, mais d'une obligation423(*) qui est, d'après le Conseil d 'Etat français, une « formalité essentielle »424(*) s'imposant à toute juridiction. Elle revêt trois caractères : elle est inquisitoriale en ce sens « qu'elle est sous la maîtrise, non des parties, mais du juge »425(*). De fait, elle est « dirigée par le juge »426(*). Au terme del'article 37 alinéa 1 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006, cette tâche incombe auprésident de la juridiction saisie et au rapporteur chargé de l'affaire. Par ailleurs, elle estprincipalement écrite. En effet, le juge administratif statue « uniquement sur des documents écrits » ; c'est ainsi que « les mémoires des parties doivent être entièrement rédigés, les avocats pouvant seulement à l'audience faire quelques observations orales portant exclusivement sur les moyens invoqués par écrit dans les mémoires »427(*). Enfin, elle est contradictoire « conformément à un principe général de droit applicable à toute procédure juridictionnelle »428(*). Ainsi, « toute partie doit non seulement être avisée d'une instance, mais être mise à même de connaître tous les éléments »429(*) et donner son point de vue. Cela se traduit non seulement par la communication et la discussion des pièces de l'affaire(i) mais aussi par la communication et la discussion des mesures d'instruction (ii). i- La communication et la discussion des pièces de l'affaireLa requête introductive d'instance sert de déclanchement à la discussion contradictoire, laquelle est ensuite alimentée par la communication et la discussion des pièces de l'affaire c'est-à-dire les documents produits par les parties pour éclairer le juge dans sa quête de la vérité. Il s'agit des mémoires en défense, à savoir celui établi par le défendeur, voire en réplique c'est-à-dire celui que dépose le demandeur à la suite du mémoire en défense déposé par le défendeur ; et en duplique, à savoir celui que dépose le défendeur contre les allégations du mémoire en réplique du demandeur. Ceux-ci sont rédigés sur papier timbré et déposé au greffe et sont notifiés par le greffier au demandeur et les dispositions concernant la requête introductive d'instance leurs sont applicables.430(*) La production de ces documents peut être libre ou forcée. Libre parce qu'il revient exclusivement aux parties d'apprécier si tel ou tel document présente un intérêt suffisant pour appuyer leur argumentation en demande ou en défense, ce qui est d'ailleurs l'une des conditions de respect du principe du contradictoire ; forcée parce que d'après l'article 42 «Le rapporteur peut, par simple lettre, notifiée aux parties, les mettre en demeure de fournir dans un délai de quinze (15) jours à compter du lendemain de la notification, toutes explications écrites ou tous documents dont la production lui paraît nécessaire pour la solution du litige. Ces documents sont notifiés aux autres parties, qui ont le même délai pour les discuter ». Dans tous les cas à savoir libre ou forcée, cette production doit être faite en nombre suffisant afin de procéder à leur communication à toutes les parties. Dans ce sens, la loi n°2006/022 exige un nombre de copies des documents produits égal à celui des défendeurs plus deux, sous peine d'un rejet pour irrecevabilité431(*).Toutefois, le président du tribunal peut dispenser le requérant de produire les copies des documents volumineux (article 36 alinéa 3).À ce propos, le législateur ne fait pas de précision sur l'information ou la communication à la partie adverse des pièces jugées volumineuses dont les copies sont dispensées de production432(*).De ce fait, il convient de préciser que, afin que le contradictoire se passe effectivement, ces documents trop volumineux pour être reproduits, doivent par le soin du rapporteur être avisésde leur existence aux parties qui peuvent en prendre connaissance au greffe.433(*) Autrement dit, ces documents seraient déposés au greffe et consultables après notifications adressées par le rapporteur aux parties ; ce que les textes ne précisent pas expressément. Au-delà du respect de l'obligation d'échange des pièces du dossier, une autre obligation fondamentale du principe du contradictoire est quechaque partie puisse disposer d'un temps nécessaire pour répondre aux éléments produits par les autres parties. Il s'agit, en effet, dans ce cas de mettre les parties à même de contredire effectivement l'autre. Ainsi, l'article 38 alinéa 1, de la loi n°2006/022 indique que le défendeur a trente jours pour déposer son mémoire en défense434(*). Ce délai, poursuit l'alinéa 2, fixé par le rapporteur dans l'ordonnance de soit-communiqué, court du lendemain de la notification de celle-ciau défendeur. Lorsqu'il y a plusieurs défendeurs en cause et qu'ils n'ont pas tous présentés de défense, le rapporteur met les défaillants en demeure d'avoir à s'exécuter dans un délai supplémentaire de trente jours en les informant que faute de le faire, la décision à intervenir sera réputée contradictoire (alinéa 3). Dans les quinze jours de la notification du mémoire en défense, le demandeur dépose un mémoire en réplique auquel le défendeur peut répondre dans les mêmes délais (article 40, alinéa 1). Toutefois,il convient de préciser que, dans certains cas, ces délais tels que déterminés dans les textes peuvent être prolongés par le rapporteur sur la demande justifiée d'une partie435(*) ; sous réserve que cet allongement ne soit pas de nature à porter atteinte à l'exigence de respect du principe du délai raisonnable de jugement. Dans d'autres qui requièrent la célérité, ces délais peuvent être réduits de moitié ou de deux tiers436(*). Le rapporteur dispose alors en la matière, d'un pouvoir discrétionnaire d'appréciation437(*). Toutefois, il doit veiller à ce que les parties disposent d'un « délai suffisant »438(*)pour répondre au mémoire produit par la partie adverse, afin que la contradiction soit effectivement respectée. La notion de délai suffisant « tend justement à permettre à la partie à laquelle une pièce nouvelle est communiquée de présenter utilement sa défense, c'est-à-dire disposer d'un temps nécessaire pour prendre connaissance de la de la pièce communiquée et produire des observations en réponse. Elle emporte la faculté de répliquer utilement à la communication d'un mémoire en défense ou d'une pièce nouvelle »439(*). La communication des pièces sus-évoquées s'effectue par le biais des notifications faites par les soins du greffe qui en la matière est une plaque tournante qui fait circuler les éléments du dossier. Selon l'article 25 alinéa 1, de la loi n°2006/022, ces notifications sont assurées par le greffier en chef soit dans la forme administrative soit par lettre recommandée avec accusé de réception soit par exploit d'huissier soit par tout autre moyen laissant trace écrite. Cette variété de procédés de transmission des pièces manifeste le souci de sécurité, permettant de vérifier que la notification a bien été faite. Elle concerne toutes les pièces produites par les parties sans aucune exception. La législation camerounaise établit le principe de la communication générale et absolue440(*) .Ainsi, le greffier et le rapporteur n'apprécient pas l'opportunité pas plus que le bien-fondé de la communication d'une pièce ; c'est aux seules parties qu'il appartient de juger si un document produit appelle des commentaires ou non. Cette communication totale des pièces de l'affaire vise à permettre une pleine expression au principe du contradictoire. En effet, comme s'interrogeait M Joseph Pierre EFFA que vaudrait une procédure contradictoire dans laquelle des documents déterminants ne pourraient pas être transmis afin d'être discutés par les parties ? En France, c'est la conception restrictive de la communication des pièces qui est appliquée. Elle se fonde sur l'idée que le contradictoire n'est pas une fin en soi. Elle n'existe que pour permettre au juge d'instruire afin de juger en connaissance de cause. À ce propos, les professeurs Bertrand Seiller et Mattias Guyomar affirment que l'exigence de transmettre les pièces aux parties ne vaut que pour autant qu'elle est utile au débat judiciaire441(*) * 420CHAPUS (R), Droit administratif général, T1, 13e éd., Paris, Montchrestien, 1999, p. 775. * 421KAMTO (M), « La fonction administrative contentieuse de la Cour Suprême du Cameroun », op. cit., p. 46. * 422 V.DEBBASCH (C) et RICCI (J-C), op. cit., p.386. Et LOMBARD (M), Droit administratif, 4e éd, Paris, Dalloz, 2001, p. 391. * 423LOMBARD (M), ibid. ; CHAPUS (R), Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 517. * 424 CE, Section., 25janvier 1957, Raberanto, Rec., p. 66. * 425 Ibid., p. 520. * 426JACQUOT (H), op. cit., p. 119. * 427BENOIT (P-F), Le droit administratif Français, Paris, Dalloz, 1968, p. 384. * 428VEDEL (G)et DELVOLVE,Droit administratif, T2, 12è éd., Paris, PUF, 1992, p. 119. * 429Ibid. * 430 Article 39 (1), loi 2006/022 op.cit. * 431Article 36 alinéa 2 et article 37 alinéa 2. Devant la Chambre administrative statuant en appel, les mémoires et les pièces annexés sont déposés en quatre exemplaires et accompagnés de trois copies de déclaration de recours (article 76 alinéa 1 de la loi n°2006/016 du 29 décembre 2006). Le procédé est le même quand elle statue en cassation (article 92 alinéa 2). * 432Tel est aussi le cas dans la loi n°2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l'organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême (voir articles 78 al 2, et 95 alinéa 2). * 433Le Conseil d'Etat juge ainsi que lorsque les productions sont trop volumineuses pour être communiquées, le tribunal ne commet aucune irrégularité en avisant la partie concernée qu'elle peut en prendre connaissance au greffe (CE 26 février 1990, req n°41140, RFJ 1990, n°392, Dr.Fisc. 1990, n°27, comm. 1294. * 434 En appel, il est déposé dans les 15 jours de la notification de l'ordonnance du président de la chambre administrative. Le délai pour le dépôt des mémoires en réponse ou en réplique est aussi de 15 jours à compter du lendemain du jour de la notification des mémoires en défense ou en réplique. En cassation, le délai accordé au défendeur pour déposer son mémoire est de 30 jours à compter du lendemain du jour de la communication du dossier de l'affaire. Le délai pour le dépôt des mémoires en réponse ou en réplique est de 15 jours à compter du lendemain du jour de la notification des mémoires en défense ou en réplique. * 435 Article 42 alinéa 2 loi n°2006/022 op.cit. * 436 Article 41 ibid. * 437 Devant les tribunaux administratifs, l'article 38 alinéa 2 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 dispose que le délai pour déposer le mémoire en défense est prorogé en cas de demande d'assistance judiciaire. De même, conformément à l''article 40 alinéa 2 de ladite loi, le rapporteur peut, sur demande justifiée, accorder aux parties un délai supplémentaire pour le dépôt de leurs mémoires. Selon l'article 82 alinéa 2, de la loi n°2006/016 du 29 décembre 2006, en appel, le président de la chambre administrative peut, par ordonnance, accorder aux parties des délais supplémentaire pour le dépôt des divers mémoires. Toutefois, conformément à l'alinéa 3 du même texte, dans les affaires qui requièrent une célérité particulière, il peut, après avis du procureur Général, réduire ces délais de moitié ou de deux tiers. Ces dispositions sont reprises dans des termes proches par l'article 99 alinéas 3, s'agissant du recours en cassation. * 438 Expression utilisée par le Conseil d'Etat, qui peut toutefois lui préférer celle de « temps utile »ou bien toute autre expression équivalente, telle que « possibilité d'en prendre utilement connaissance », « délai nécessaire pour présenter utilement ses observations »ou encore « possibilité de répliquer utilement ».
* 440Cette conception est développée par la CEDH, Qui considère que le droit à une procédure contradictoire implique en principe celui pour les parties de se voir communiquer et de discuter tout pièces ou observation présentée au juge en vue d'influencer sa décision, peu importe l'effet réel de la dite pièce ou observation sur la décision du tribunal (CEDH 24 octobre 2007, Baumet c. France, aff. 56802/00) :18 octobre 2007, Asnar c/ France req. n° 12316/04. AJDA, 2007, p.2009 ; 20 février 1996, Lobo Machado c/ Portugal et l'ermeulen c. Belgique, D. 1997. p. 208. Obs. Fricero). Note EFFA (J-P).
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