Les pratiques frauduleuses dans la phase d'attribution des marchés publics, regard sur la loi 10/010 du 27 avril 2010 relative aux marché publics en république démocratique du congo( Télécharger le fichier original )par Joseph DIZAKANA MOBONGOBI Université de Liège - Institut Superieur de Commerce de Kinshasa - Master en gestion et droit de l'entreprise 2014 |
3.2 TYPOLOGIE DES PRATIQUES FRAUDULEUSESSelon Kabeya MuanaKalala (2012), le terme corruption, dans le cadre des marchés publics, est pris dans le sens didactique car il s'agit simplement de tous les cas de fraude, de violation manifeste et surtout intéressée de la procédure de passation et d'exécution des marchés publics. Certaines de ces pratiques correspondent à des infractions selon le code pénal. A titre indicatif, les manquements évoqués peuvent concerner des cas de concussion, de faux et usage des faux en écritures, de détournement des mains-d'oeuvre, de rémunérations illicites, de trafic d'influence, d'abstentions coupables. Dans le cadre de ce travail, nous allons présenter, la typologie proposée par Kabeya MuanaKalala, tout en nous référant aux similitudes des pratiques frauduleuses constatées sous d'autres cieux. 3.2.1 Pratiques frauduleuses dans le chef des PRM1. Au niveau de la planification des marchés Pour une gestion efficace et efficiente des deniers publics, la passation des marchés publics doit être planifiée et programmée. Elle doit s'intégrer dans le cadre de l'exécution du programme du Gouvernement. Dans son rapport analytique du système de passation des marchés publics en RDC, la Banque Mondialefait le constat selon lequel :«la planification et donc la programmation des marchés publics est actuellement inexistante en RDC en dehors des marchés financés sur fonds extérieurs11(*)». En effet, selon ce rapport les marchés sont généralement initiés pour consommer les crédits prévus dans la loi budgétaire au profit d'un ministère ou d'une entité donnée. Aucun plan de passation des marchés n'est disponible. Une des conséquences de ce manque de planification est le recours presque systématique au gré à gré. En outre, bien souvent les marchés publics sont utilisés à des fins politiciennes ou électoralistes ou même à des fins purement privées (Kabeya MuanaKalala, 2010). En ce qui concerne les marchés publics à financements internationaux, généralement, ces marchés font l'objet de planification, car ils permettent de mettre en oeuvre des projets dont les activités sont bien définies. Malheureusement, certaines pratiques frauduleuses se préparent justement à cette étape. Certains experts des bailleurs chargés de monter les projets ont tendance à orienter les attributions des marchés à venir. Certaines études sont imposées avec l'arrière-idée de les faire confier à un consultant précis, souvent international. Ce type des marchés est souvent confié à un expert international car bien des fois, ils représentent la part du lion sous financement international et dont la consultance est internationale est souvent imposée. 2. De la violation des règles de publicité et de transparence La publicité est une caractéristique très importante dans la passation des marchés publics. Bien souvent, elle constitue une des pratiques des fraudes la plus courante qui peuvent prendre certaines formes non cumulatives : - Une fausse publicité faite dans un journal. Le journal étant payé pour procéder à l'insertion dans une de ses éditions mais l'organisateur de l'adjudication rachète tous les exemplaires de ladite édition. En conséquence une copie du journal existe bien dans le dossier du marché, mais la publicité n'a pas été faite. - La publicité étant effective, mais le dossier d'appel d'offres ou le cahier des charges n'est pas mis à la disposition de candidats soumissionnaires. Le service auquel l'avis d'appel d'offre est renvoyé pour l'achat du document ne fonctionne pas ou les agents y sont toujours absents. - La publicité peut être effective et le document vendu, mais le jour du dépôt des offres, le service concerné ne fonctionne pas délibérément. Le soumissionnaire qui n'est pas dans le montage ne pourra jamais déposer son offre. - Les soumissions sont ouvertes frauduleusement avant la séance officielle d'ouverture des plis en vue de permettre la modification des offres des soumissionnaires que la commission veut favoriser. Il s'agit en fait des cas grossiers de faux en écritures. Aussi, selon R.B. ; (Kaolack, 2001), il arrive que le délai de limite de réception des offres soit inférieur au nombre des jours réglementaires pour qu'aucune entreprise ne puisse préparer convenablement son offre. - La publicité de pure forme. Bien souvent pour favoriser certains clients, on insert volontairement l'avis d'offre dans les journaux ou les revues qui ne sont généralement lues. Bien des fois selon D.S. (Parakou, 2000), pour certaines offres au Bénin, il arrive souvent que l'on crée certaines rubriques pour l'obtention de certains documents qui prendrait plusieurs mois alors que l'offre ne peut dépasser 20 jours. 3. Le cas de conflit d'intérêt Il arrive souvent que le soumissionnaire des marchés publics (entrepreneurs, fournisseurs ou prestataire de services de l'Administration) soit en même temps fonctionnaire, soit par le biais d'une société écran, soit par le biais d'un membre de famille ou d'amis. Une autre variante est la création par les agents des autorités contractantes des entreprises de sous-traitance ou des fournisseurs des titulaires des marchés. Cette pratique se rencontre dans les entreprises publiques. En fait, il s'agit d'une sous-traitante forcée. 4. L'usurpation de qualité Bien des cas des fraudes se manifestent par l'usurpation de qualité où certains emprunts se font au nom d'autres entreprises ou à l'usurpation de la dénomination d'autres entreprises ou d'autres sociétés. Les administrateurs de la société dont la dénomination a été usurpée s'en rendent compte à l'occasion d'une convocation en justice pour justifier l'avance reçue. Cette pratique se fait généralement en connivence avec certains cadres ou agents de l'entreprise considérée. 5. La violation des règles de l'égalité La pratique de favoriser un soumissionnaire peut découler de la volonté de l'acheteur de préférer une marque déterminée. Souvent il arrive que les autorités ou les responsables d'une entreprise donnent leur intention sur la marque à acheter. Bien que cette exigence puisse parfois découler d'une saine intention, c'est-à-dire, disposé d'une marchandise performante et dont les qualités ont été éprouvées par l'expérience (l'exemple des Kits électoraux), elle constitue une voie vers la fraude. Elle pousse à la connivence. En conséquence, la concurrence sensée permettre de choisir parmi les meilleurs, de pousser au gain qualitatif et au gain de compétitive est biaisée. 6. Cas de marchés à consultation restreinte biaisée La PRM constitue une liste restreinte avec des candidatures fantômes ou jugés non conformes. Soit les candidats se retrouvant sur la liste n'existent pas, soit encore qu'ils existent mais sont choisis parce qu'ils ne peuvent justement pas faire le poids. Cette pratique est courante en matière de recrutement des consultants individuels ou des cabinets et des acquisitions des fournitures. Dans le cadre de la passation des marchés des consultants, la PRM peut constituer une liste restreinte déséquilibrée en défaveur de meilleurs candidats. Le cas où l'on doit recruter un cabinet de consultance, il peut arriver que le responsable de la passation des marchés place la barre de la qualification technique assez bas pour permettre au cabinet de moindre envergure d'être qualifié pour l'analyse financière, sachant que ce cabinet a beaucoup de chance de présenter un moindre coût compte tenu de la différence de la qualité, des charges supportées et de l'habituel niveau de facturation des cabinets internationaux. Aussi, l'insertion des cabinets de réputation internationale à des fins crédibilasatrices du processus de passation est un biais de manière subtile. Lorsque le responsable de marché propose un candidat à qui il donne des indications au concerné sur les documents constitutifs du dossier, le format exigé et la manière d'établir le C.V. Kabeya M K, selon les témoignages reçus, affirme qu'en RDC deux pratiques sont souvent mises en oeuvre : (i) cas où les factures pro forma sont carrément monnayées par les autres entreprises ou données en reconnaissance des services rendus ou à rendre et (ii) au cas où les autres factures ou offres proviennent des sociétés inexistantes : celui qui exécute le montage du marché établit des offres sur entête différentes. 7. La fausse correction d'erreur ou de redressement Pendant le dépouillement et les analyses des offres, il est permis au comité d'évaluation des offres de corriger les erreurs arithmétiques contenues dans les offres (bordereau des prix) ou de procéder aux ajustements des prix desdites offres. Par ce biais, certains membres desdits comités d'analyse modifient à la hausse les propositions financières de soumissionnaires en vue de dégager le montant de leur commission. Certains accords illicites entre entrepreneurs et décideurs engendrent le versement d'un pot de vin. Il est généralement admis que les commissions soit de l'ordre de 10% du montant global et sont versées par les soumissionnaires des marchés lorsqu' »ils retirent l'avance de démarrage. Au vu du caractère strictement oral du contrat, la confiance joue un rôle déterminant et oblige les parties à s'y conformer rigoureusement12(*). 8. Le trafic d'influence Certains marchés ont été attribués sur base des injonctions des autorités politiques ou sur base des accointances entre les titulaires et les autorités politiques. Ils prétextent la nécessité de favoriser les entreprises locales ou nationales. Dès par leur rang, les gestionnaires des crédits ont souvent une influence certaine sur les membres du Conseil des Adjudications qui sont des Secrétaires Généraux. Pour montrer la non traçabilité de la procédure, un coup de téléphone passé sans trace règle l'opération. 9. La faiblesse au niveau de la transparence de certaines procédures Dans les cas des marchés passés par les agences conformément aux procédures de la Banque mondiale, la mention souvent inscrite dans les dossiers de consultation selon laquelle le client n'est pas obligé de prendre l'offre la moins-disante et qu'il peut attribuer les marchés au regard d'autre critère de qualité, introduit un flou qui permet aux membres des commissions d'analyse de justifier l'exclusion d'un soumissionnaire sur une base presque discrétionnaire et donc sujette à caution. Les procédures FED et de l'UNOPS permettent de procéder à l'ouverture des plis en l'absence des soumissionnaires. Ceci peut être à la base des modifications d'offre à la demande des membres des comités d'évaluation et ce, en complicité avec les fournisseurs et les entrepreneurs. 10. Recours abusif à la procédure de régularisation Les enquêtes antérieure réalisées ont montré que la passation des marchés réalisées sont passés suivant le mode dit de régularisation. Cette procédure qui consiste en la demande du sous-gestionnaire des crédits faite au Conseil des Adjudications d'autoriser la signature d'un marché déjà effectué par lui et même déjà exécuté par le titulaire. Cette pratique est illégale. Cette pratique illégale se remarque surtout après un remaniement ministériel. Les nouveaux arrivants ont souvent tendance à faire réhabiliter et équiper leurs cabinets sans passer par la procédure d'adjudication. Le Ministère des Infrastructures est souvent saisi de ces cas de régularisation. La pratique veut que les services de ce ministère puisse contrôler à postériori la réalité des travaux effectué au regard du devis en vue de certifier après coup. La cause de cette pratique peut être l'ignorance, mais, à ce niveau de responsabilité et au regard de la configuration administrative, elle ne devrait pas être une excuse. Les chefs des ministères qui sont des gestionnaires des crédits, ont auprès d'eux des sous-gestionnaires qui sont des fonctionnaires avisés en la matière13(*). 11. Certains cas de connivence Il arrive souvent que l'on mette à la disposition des soumissionnaires des informations secrètes ou confidentielles susceptibles d'influencer la décision d'attribution du marché. Cette pratique, selon certains experts avertis, contrevient à l'obligation de publier ou de mettre à la disposition de tous les soumissionnaires potentiels les informations sur les critères d'évaluation des offres. Bien souvent, certains membres des commissions d'analyse ou d'attribution du marché préparent à l'avance les offres de certains soumissionnaires, d'autres donnent des conseils informels aux candidats sans passer par la procédure officielle de demande d'éclaircissements. Alors qu'il y'a obligation de respecter l'égalité entre candidats en obligeant la PRM de notifier les réponses aux questions posées par un candidat à tous les autres candidats intéressés (figurant sur la liste restreinte ou ayant acheté le cahier des charges). Dans ce contexte, personne ne s'hasarde à soumissionner sans connaitre à l'avance les données techniques et financières du projet d'où l'insignifiance en général, des différences entre plusieurs offres. Un entrepreneur interviewé précise qu'il arrive souvent que lors de la préparation d'un marché, les dossiers d'une offre donnée circulent bien avant la publicité. A ce moment, on se rend compte que les vraies informations passent par les démarcheurs, les fonctionnaires qui gravitent autour des PRM ou des structures chargées des marchés des différents ministères, entreprises... Ainsi, la diffusion discrète des informations fait que certains soumissionnaires puissent avoir une longueur d'avance sur les autres et gagnent en temps et en procédure. 12. La substitution ou même modification d'offre entre la séance d'ouverture et l'analyse ou en cours d'analyse Il arrive qu'il ait une complicité entre le soumissionnaire et le Responsable de marchés ou les agents du service, dans le but de rendre l'offre plus compétitive ou de permettre d'intégrer la part de la commission ou pot-de-vin sans toucher au prix proposé par le soumissionnaire. Ce cas se rencontre en matière de recrutement des consultants individuels, à qui on demande de modifier son CV pour être classé en ordre utile. En effet, cette pratique permet de favoriser les bons candidats qui parfois ne savent pas « se vendre » par une bonne rédaction du CV. Ceci viole ainsi le principe d'égalité des soumissionnaires, qui veut que tous soient traités de la même manière. Bien des fois, après la phase d'ouverture des plis contenant les offres, et avant la commission, on peut corriger les calculs de l'entrepreneur ; salir le dossier d'un concurrent, sur la base de motivations techniques parfois discutables, en profitant des cahiers de charge flous ou imprécis, et attribuer de mauvaises notes techniques à de bons dossiers.14(*) * 11 Affirmation de la Banque Mondiale, cité par KABEYA MUANA KALALA « Etude sur la corruption lors de la passation et de l'exécution des marchés publics en République Démocratique du Congo », EISA- RDC, 2010, p 13 * 12 Témoignage d'un entrepreneur Sénégalais habitant la ville de Kaolack qui a souhaité l'anonymat, voire Blundo, 2007 * 13 Idem * 14 En Afrique de l'Ouest spécialement au Sénégal, cette carence peut être attribuée à la privation des services des travaux Publics et au démantèlement de leurs bureaux d'études et dont la conséquence , en l'absence des règles claires, une certaine imprécision des critères d'évaluation des offres par les commissions techniques (K.S, 2000). |
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