Section 1 : Que reste-il du monopole bancaire
français ?
Par « monopole bancaire », nous entendons le
monopole des établissements de crédits établi par la loi
bancaire de 1984. Dès lors, même si les sociétés de
financement ont été rattachées aux dispositions relatives
au monopole bancaire afin de bénéficier de son régime
protecteur pour les activités de crédit, ce qui revient à
les faire entrer « dans le champ » du monopole bancaire, il
n'en demeure pas moins que, au sens strict, le monopole des EC est
réduit par l'entrée même de la société de
financement dans le paysage juridique français. En
réalité, si le législateur n'avait pas
procédé par rattachement de la société de
financement (qui n'est pas un EC) au régime du monopole bancaire, cette
notion aurait eu du mal à trouver encore sa place au sein du code
monétaire et financier. Pour autant, même si elle est
artificiellement maintenue dans la loi, nous verrons que, dans la pratique, le
monopole bancaire est fortement réduit, à tel point qu'on se
demande si on peut encore employer cette expression. Comme le souligne un
auteur123, la définition des établissements de
crédit à partir des crédits et des dépôts
traduit un recul du concept d'opérations de banque, puisque celui ci
disparaît de l'article L511-1 CMF. Il en va de même pour le
monopole bancaire (ce qui n'est pas anodin, car il existe un lien entre la
liste des opérations de banque et le monopole bancaire) l'article L511-5
CMF dispose désormais qu'il est interdit à toute personne autre
qu'un établissement de crédit ou une société de
financement d'effectuer des opérations de crédit à titre
habituel. Ainsi, le monopole bancaire n'existe plus en matière de
crédits puisque les EC partagent ce « monopole » avec
d'autres entités non-bancaires (les sociétés de
financement).
Pour les services de paiement, nous avons montré dans
les développements précédents que suite à la
directive SEPA et à la création des établissements de
paiement, les banques ont perdu le monopole des services de paiement ;
activité qu'elles partagent avec les EP. Elles ne conservent que les
services bancaires de paiement, seuls mentionnés à l'art L311-1
CMF.
122 GAVALDA C., STOUFFLET J., « La loi bancaire du 24
janvier 1984 » in JCP G 1985, 3176
123 BONNEAU T., « La réforme des
établissements de crédit - commentaire de l'ordonnance du 27 juin
2013 », in JCP E n°29, 18 juillet 2013, 1429
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Ainsi, il semble que le seul domaine qui demeure uniquement du
ressort des établissements de crédit est l'activité de
collecte des dépôts et les services bancaires de paiement. Cela se
déduit des termes de l'article L511-5 du code monétaire et
financier qui précise que « Il est, en outre, interdit à
toute personne autre qu'un établissement de crédit de recevoir
à titre habituel des fonds remboursables du public ou de fournir des
services bancaires de paiement ». D'ailleurs, comme pour faire porter
l'emphase sur la collecte des dépôts, le législateur a
modifié, avec l'ordonnance du 27 juin 2013, la définition des
dépôts figurant à l'article L312-2 CMF : « Sont
considérés comme fonds remboursables du public les fonds qu'une
personne recueille d'un tiers, notamment sous la forme de dépôts,
avec le droit d'en disposer pour son propre compte mais à charge pour
elle de les restituer. Un décret en Conseil d'Etat précise les
conditions et limites dans lesquelles les émissions de titres de
créance sont assimilables au recueil de fonds remboursables du public,
au regard notamment des caractéristiques de l'offre ou du montant
nominal des titres ». Cette formulation, en se référant
plus aux « fonds remboursables » qu'aux dépôts, se
rapproche de la définition européenne.
De ces constatations, que conclure quant à l'existence
du monopole bancaire français ?
A priori, il semble d'ores et déjà que
l'expression « monopole bancaire français » soit
désormais obsolète voire galvaudée, au point même
qu'il serait fortement ambigu de continuer à l'employer, en ce sens
qu'elle est de nature à introduire une confusion dans l'esprit du
justiciable (c'est à dire des praticiens). En effet, il découle
de notre analyse qu'il n'existe plus à proprement parler de «
monopole bancaire », terme générique qui se
justifiait en 1984 lorsque les établissements de crédit se
voyaient réserver l'exécution des opérations de banque ;
mais il existe un monopole des établissements de crédit
pour certaines activités : à savoir la collecte de fonds
remboursables du public et les services bancaires de paiement. C'est pourquoi
un changement de terminologie s'impose de prime abord : il vaudrait,
désormais, mieux parler de « monopole de la collecte de fonds
remboursables du publics » et de « monopole des services
bancaires de paiement » (ce qui serait un pléonasme). Sur le
fond, il aurait été opportun de préciser clairement (et
dans un même article) quels sont les domaines réservés des
établissements de crédit, et les opérations pouvant
éventuellement (mais pas exclusivement) être exercées par
un établissement de crédit (les opérations de
crédit et de paiement).
Au lieu de cela, demeure une réglementation peu lisible
où, en liant la société de financement au monopole
bancaire, le législateur introduit une confusion en laissant croire
qu'il existe encore un monopole des EC pour le crédit, alors même
que les sociétés de financement, bien
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qu'artificiellement rattachées au monopole, ne sont pas
des EC. Le justiciable, ainsi, peut, par erreur, considérer que la
société de financement est en fait un avatar des anciennes
sociétés financières (la terminologie est d'ailleurs
très proche) qui, elles, étaient des établissements de
crédit, alors même que les sociétés de financement
n'en sont pas. Nul doute que ce rattachement a permis à la notion de
monopole bancaire de « subsister » au sein de la loi, alors
même qu'elle est vidée de sa substance et qu'elle ne trouve plus
aucune justification.
Ces ambiguïtés sont, en réalité,
révélatrices de l'esprit du législateur : donner à
la société de financement nouvelle la portée la plus
restreinte possible, alors qu'elle semblait porteuse de potentialités
économiques.
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