Chapitre 3 : L'atteinte au monopole du
crédit
C'est véritablement le tournant du règlement CRR
et l'adaptation du droit français, en réaction, qui signe la plus
forte atteinte européenne au monopole bancaire français puisque
ce qui demeurait le « bastion » de la liste des opérations de
banques, le crédit, laissé intact dans l'article L311-1 CMF,
vient désormais de basculer dans le champ concurrentiel avec la
création des « sociétés de financement » par
l'ordonnance du 27 juin 2013118 (Section 1). Nous verrons que son
régime, cependant, tente de se rapprocher du régime bancaire
(Section 2).
Section 1 : La création des
sociétés de financement par l'ordonnance du 27 juin 2013
En réponse au Règlement CRR I, la
législateur a habilité par une loi de 2012 119le
gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance afin de
prendre « les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires
à la réforme du régime des établissement de
crédit eu égard à la législation bancaire de
l'Union européenne et à la définition d'un nouveau
régime applicable aux entités qui exercent une activité de
crédit sans collecte de fonds remboursables du public, ainsi que les
mesures nécessaires d'adaptation de la législation applicable aux
établissements de crédit et notamment leurs conditions
d'agrément qui sont liées à la définition de ce
nouveau régime ».
L'adoption d'un règlement d'harmonisation totale force
en effet le législateur français d'une part à calquer sa
définition de l'établissement de crédit sur celle de
l'Union (voir infra), et d'autre part à prévoir un
statut ad-hoc pour les entités qui, naguère
rattachées aux établissements de crédit, exercent des
activités de crédit sans collecter des fonds du public et qui,
désormais, ne pourront plus être rattachées aux EC. Ainsi
naissent les sociétés de financement. Les sociétés
de financement ne sont pas des établissements de crédit, alors
même qu'elles sont autorisées à distribuer des
crédits. Selon l'article L511-1 II du code monétaire et financier
issu de l'ordonnance du 27 juin 2013, les sociétés de
financement
118 Ordonnance n° 2013-544 du 27 juin 2013 relative aux
établissements de crédit et aux sociétés de
financement
119 Loi n°2012-1559 du 31 décembre 2012 relative
à la création de la Banque publique d'investissement et
autorisant le gouvernement à légiférer par voie
d'ordonnance
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« sont des personnes morales - autres que des
établissements de crédit - qui effectuent à titre de
profession habituelle et pour leur propre compte des opérations de
crédit dans les conditions et limites définies par leur
agrément ». A lire les travaux préparatoires à
l'adoption de ce nouveau statut, on comprend que le but premier de
l'instauration d'une telle structure répond avant tout à un
objectif de mise en conformité avec le droit de l'UE : en effet, cette
nouvelle catégorie de prestataires est destinée à
regrouper les entreprises qui étaient agréées en
qualité de société financière à une
époque où la définition des EC ne lisait pas la
réception de fonds du public à la distribution de crédit
et qui ne peuvent être maintenues dans la catégorie des EC en
raison du lien établi entre ces activités par la nouvelle
définition telle qu'elle résulte de l'ordonnance du 27 juin 2013.
Pour autant, par delà cette vision de simple « mise en
conformité », il nous semble que l'instauration du statut de
société de financement est conceptuellement susceptible d'offrir
de nouvelles potentialités économiques qui vont au delà
d'une simple mise en conformité, et ce, en raison de leur statut vis
à vis du monopole bancaire. En effet, l'article L511-5 du code
monétaire et financier, bastion du monopole bancaire, dispose
désormais que : « Il est interdit à toute personne autre
qu'un établissement de crédit ou une société de
financement d'effectuer des opérations de crédit à titre
habituel ». Ainsi, on déduit des termes de la loi que les
sociétés de financement sont protégées au regard du
monopole bancaire, en ce sens que, bien que n'étant pas formellement des
banques, elles bénéficient de la possibilité de
réaliser, à titre habituel, des opérations de
crédit, et ce alors même qu'elles ne reçoivent pas de
dépôts du public. Dès lors, et comme on le verra par la
suite, l'introduction d'un tel statut Ð qui plus est protégé
au regard du monopole bancaire Ð permet à des entités jusque
ici privées de la possibilité de réaliser des
opérations de crédit car elles ne désiraient pas devenir
des EC d'adopter ce nouveau statut afin de pouvoir mener une activité de
prêt, sans recevoir de dépôts, et sans contrevenir au
monopole bancaire ; pourvu que le statut et les conditions d'agrément
soient toujours moins contraignante que celles d'EC afin de rendre ce statut
attractif, notamment pour les entités du shadow banking qui,
comme on l'a vu en partie 1, désirent faire des prêts pour
répondre à des besoins en risquant de se mettre en contravention
avec la loi. Ce statut offre désormais une porte de sortie, du moins en
théorie, dont la véracité devra être
examinée.
En tout état de cause, la nouvelle mouture de l'article
L511-5 CMF a de quoi étonner le juriste. Il est, en effet, pour le moins
curieux de faire entrer dans le champ du monopole bancaire une entité
comme la société de financement dont la principale
caractéristique est de n'être pas une banque. On est ici dans
l'hypothèse d'un rattachement artificiel, par pure commodité, des
sociétés de financement au monopole bancaire. Il aurait
été plus cohérent et
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plus lisible d'exclure les sociétés de
financement du champ du monopole bancaire en disposant, dans le code
monétaire et financier, que « les sociétés de
financement peuvent exercer des activités de crédit sans
préjudice des dispositions de l'article L511-5 ». Cependant,
cela revenait à admettre implicitement que le monopole bancaire devenait
une notion « fantôme », vidée de sa substance, de telle
sorte que le législateur a préféré maintenir une
notion désormais artificielle et d'inclure dans son champ une
catégorie de prestataire non bancaire. On ne peut que regretter ce choix
dans la mesure où il introduit une confusion dans l'esprit du
justiciable : le législateur assortit à un même
régime (celui du monopole bancaire) deux catégories de nature
différentes (l'une bancaire, l'une non-bancaire) en rompant le principe
selon lequel « une notion = un régime ». On
créée un lien artificiel entre une notion et un régime (le
monopole bancaire et les sociétés de financement).
Section 2 : Le régime juridique de la
société de financement
Si les sociétés de financement font l'objet de
quelques dispositions propres (L515-1 et suivants CMF), elles sont soumises au
statut bancaire de droit commun par renvoi aux dispositions applicables en
matière d'EC, ce qui rend poreuse la distinction entre des
entités qui, pourtant, sont d'une nature différente (bancaire et
non-bancaire). La réforme peut paraître décevante en ce
qu'un véritable régime complet des sociétés de
financement n'a pas été érigé, preuve du
désintérêt du législateur pour cette
catégorie de prestataire, qui augure une portée pratique
limitée alors même qu'elle aurait pu être porteuse de
potentialités. Pour autant, certaines dispositions leurs sont propres et
diffèrent de façon assez nette de celles applicables aux EC. Les
activités permises aux sociétés de financement sont ainsi
moins étendues que les EC : les sociétés de financement ne
peuvent recevoir des fonds du public (au sens de l'article L312-2 nouveau CMF).
Pour autant, les activités qui leur sont autorisées se
rapprochent de celles des banques ; ainsi elles peuvent mener les
opérations de banque de l'article L511-1 et d'autres activités
telles que la fourniture de services de paiement, l'émission de monnaie
électronique, ou la fourniture de service d'investissement
120(après obtention de l'agrément). Ainsi, la seule
différence notable concerne les dépôts.
En outre, l'article L511-10 précise de manière
importante que les sociétés de financement sont agrées par
l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et sont
soumises à des règles
120 Article L515-1 du code monétaire et financier
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comptables et prudentielles. Nous examinerons ces conditions
plus tard, mais il faut bien garder en tête qu'il y ici un enjeu pour la
portée même de la société de financement. Non
seulement la loi va imposer des conditions à la fois prudentielles et de
toute autre nature, mais, également, l'ACPR aura un droit de regard pour
délivrer l'agrément ; de telle sorte que pour constituer une
véritable avancée du droit et permettre une réelle
libéralisation du crédit, il est nécessaire que, d'une
part, l'ACPR ne soit pas défavorable à l'octroi d'agrément
à des entités dites de « shadow banking » et
que d'autre part le statut prudentiel et les conditions d'agrément de la
société de financement soient au moins plus attractives que
celles d'établissement de crédit, de sorte que les entités
qui, jadis, étaient rétives à solliciter un tel
agrément car trop lourd puissent désormais profiter des
potentialités de ce nouveau statut. Néanmoins, comme nous le
verrons, ce pari est loin d'être gagné, tant la liberté
interprétative de l'ACPR sera amenée à jouer un
rôle, combinée aux conditions de l'octroi d'agrément.
Il demeure que, à ce stade, l'introduction de la
société de financement pose plus de questions qu'elle n'en
résout. Nous avons peu de recul. Toutefois, il est certain que la
réforme impulsée par l'UE était propice à une
véritable redéfinition du monopole bancaire. La réforme
française laisse les contours de ce dernier inchangé alors que
les entorses se multiplient (non sans sacrifier une certaine cohérence
du droit et maintenir une vieille notion de notre droit bancaire en état
de « survie » artificielle), que le crowfunding commence
à inquiéter, et que l'AMF est obligée de rappeler les
règles applicables121. De même, l'opération de
crédit, pourtant un concept central, n'a pas été
(re)définie, ce qui laisse planer la confusion sur ce qu'il est possible
d'entendre par « opération de crédit » et qui,
dès lors, rend non sécurisées les opérations
juridiques pouvant être effectuées par les nouvelles
sociétés de financement. Définir précisément
ce que l'on entend par opération de crédit aurait permis de
créer un « safe harbour » à
l'américaine pour les sociétés de financement, permettant
de leur conférer une réelle portée économique, au
delà de la simple mise en conformité juridique.
Reste, maintenant, à voir, en pratique (tant en droit
que dans la pratique des affaires) les conséquences de l'introduction de
ce nouveau statut en droit français.
121 LEGEAIS D., « Etablissements de crédits
», Chronique in RTD Com 2013 p559, Dalloz.
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