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La production littéraire tchadienne écrite d'expression française : essai d'analyse sociologique.

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par Robert MAMADI
Université de Ngaoundéré - Master ès Letrres 2010
  

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2. Les coups d'État ou l'instabilité politique

Après le coup d'État militaire du 13 Avril 1975, le Tchad sera dirigé par un conseil militaire avec à sa tête le général Félix Malloum : c'est la deuxième république. Mais avant ce conseil, les officiers de l'armée tchadienne ont d'abord mis sur pied un organe de pouvoir provisoire, le GROFAT. Ce renversement de régime a donné lieu à beaucoup d'exactions et autres abus. V. Kovana estime que les soldats vainqueurs ont pillé des édifices publics pour emporter les mobiliers et les étagères. Il ne perd pas de vue le règlement de compte et la rétrogradation des officiers des groupements des CTS au rang de simples soldats. C'est le début de l'instabilité, des coups d'État au Tchad.

L'espoir et le changement à ce niveau deviennent sombres et hypothétiques pour la population Tchadienne. Les militaires au pouvoir sont discrets et méfiants. Les médias sont contrôlés. Le torchon va brûler : « les rapports entre le militaires et fonctionnaires s'enveniment car les militaires faisant fi des lois et règlements constitutionnelles se heurtent au légalisme des fonctionnaires» (Varsia, 1994 : 32).

2.1 De 1975 à 1979 : La « deuxième république » (Malloum Félix Ngakoutou)

Le GROFAT, lors d'un conseil accorde le fauteuil présidentiel à Malloum. Le conseil en choisissant Malloum a estimé qu'il est compétent et honnête et c'est cela qui le fait passer pour rebelle aux yeux de Tombalbaye. Il est, pour eux, la personne la mieux indiquée pour ce pays qui a de nombreux projets. Dans le tâtonnement, les militaires au pouvoir n'ont pas vite su qu'entre la politique et la carrière militaire l'écart est grand. La population est restée frustrée mais docile par peur de la répression. Béral Le grand estime que la raison de ce silence est le manque de lucidité de celle-ci quant à la citoyenneté et au patriotisme. La conséquence certaine est le départ en rébellion. Malloum tend la main aux groupes ennemis avec pour devise : la recherche de l'unité du Tchad dans le respect de sa diversité. Ainsi il entre en négociation avec les responsables du FROLINAT à travers les pays voisins. C'est ainsi qu'est signée le 17 septembre 1977 à El-Geneina, en Libye une charte dite « fondamentale » entre les FAN et CSM. Un GUNT voit le jour et favorise le retour de H. Habré à la primature. Habré dans un discours prononcé après un voyage officiel du président en Chine avoue que son union avec le président est de courte durée13.

13 Varsia Kovana, Précis des guerres et conflits au Tchad, Paris, L'Harmattan, 1994, p.36.

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Un incident qui va être référentiel dans l'histoire de la nation tchadienne survient le 12 février 1979. Il s'agit d'une bagarre entre lycéens et professeurs au lycée Félix Eboué. En ce moment, les FAN qui n'ont pas été intégrées dans les forces nationales, situées juste à Sabangali, en face dudit lycée, interviennent pour gérer le conflit. Une autre force, celle qui n'a pas été de moindre inutilité lors du coup d'État du 13 Avril 1975 intervient et la bagarre civile se transforme en combat armée qui dure toute la journée. Les FAP de Goukouni Weddeye et les autres groupes armés du FROLINAT font front aux côtés des FAN de Habré contre l'armée gouvernementale de Malloum. Les populations civiles quittent la capitale. Le règlement de compte entre les clivages s'installe. Habré a constitué une machine pour la prise du pouvoir. Ce temps est trop court pour que les officiers du CSM ne puissent s'en rendre compte. La guerre civile va être à l'actif du projet de Habré. Malloum ne pouvant supporter la crise, a choisi faire le saint en s'envolant vers le Nigeria voisin, laissant le Tchad à la guerre.

Au moment où Malloum et Habré participent à des séries de médiations et de réconciliations au Nigeria, Lol Mahamat Choua est nommé président provisoire. Il dirige le pays jusqu'à « L'accord de Lagos » signé par les chefs des onze tendances politico-militaires du Tchad, le 18 Août 1979.

Les deux premiers règnes ont été considérés par la majorité des leaders nordistes comme une sorte d'impérialisme qu'il fallait à tout prix détruire. Ceux-ci reconnaissent en outre que le originaires du Sud disposaient à cette époque d'un important capital intellectuel. Le Nord est orienté beaucoup plus vers l'école coranique en arabe, or l'administration a été dirigée en français. Si quelques Sudistes (appellation péjorative désignant les originaires du Sud) ont vu en leurs frères Nordistes des barbares, le comportement des deux premiers présidents et leurs actions en faveur de l'Unité nationale démontrent cependant une forte altérité.

Quand H. Habré est arrivé avec une idée de vengeance et de restauration d'un pouvoir Nordiste, Wadal Abdelkader, un Sudiste, complice de Malloum forme en 1979, une sorte de forces armées pour sécuriser sa région d'origine. Car la guerre détruit les infrastructures du pays : « école, dispensaire, et magasins passèrent sous la main pédiatre d'un peuple qui écrasait, tuait, massacrait et brisait aveuglement, un peuple qui venait ainsi de se mettre au pâturage d'une détresse profonde » (Masra et Béral, 2008 : 44.)

2.2 De 1979 à 1982 : La deuxième république (Goukouni Weddeye)

Les négociations de Lagos, le 18 août 1979, prévoient la formation d'un GUNT. Ce gouvernement composé de tous les groupes signataires, après dix-huit mois doit laisser la place à un autre, représentatif des communautés nationales. Le 11 novembre 1979, le GUNT est mis en place et présidé par Goukouni Weddeye, le chef des FAP. Habré est en ce temps Ministre de la défense du GUNT. Le pouvoir est enfin entre les mains des Nordistes. Ce qui est prévisible, c'est une éventuelle agitation politique, vu que le chef rebelle Habré, au ministère de la défense est à un pas de son rêve, celui de diriger le pays.

En ce temps, le Colonel Khadafi, malgré sa signature pour la non-ingérence dans le conflit Tchadien lors de l'accord de Lagos, arme des forces rebelles contre Habré qu'il trouve persona non grata. Ayant constaté ces troubles, Joël Rim-Assbé Oulatar estime que :

Le Gouvernement d'Union nationale de Transition fut la juxtaposition des incapacités individuelles au niveau de chacune des tendances. Chacune d'entre elles a reçu sur son territoire la sanction de son échec. Il restait à l'étaler sur la scène nationale et internationale par le biais de ce gouvernement. (Rim-Assbé Oulatar, 2002 :42)

R. Oulatar est parvenu à ce résultat au vu de ce qui a suivi la mise sur pied du GUNT. Chacune de ces tendances n'avait pour ambition que de gérer le Tchad à seule. L'accord de Lagos I était un bluff. Il sera blackboulé par les chefs des groupes armés et N'Djaména divisé en « Zones ». La guerre s'installe à la capitale pendant près de quatre ans entre les différentes forces armées. Le 20 mars 1980, les forces pro-libyennes s'unissent. La Libye leur envoie de renfort. Les affrontements dureront et obligeront les populations civiles à quitter une fois de plus la capitale tchadienne. Le 12 décembre 1980, les FAN décident de quitter N'Djaména. Deux jours après, Aramkolé héberge les FAN. Le GUNT proclame une loi martiale poussant les jeunes à un départ massif vers les bases du FAN.14

C'est ainsi que Varsia Kovana traite le GUNT de « gouvernement d'un état fantôme, dont la mission se ramène à entretenir les armées du Frolinat et à combattre Hissein Habré » (Varsia, 1994 : 46). Le mois de juin 1982 reste inoubliable dans la vie de l'ex-président Weddeye. Après moult troubles, Habré « arrache » son pouvoir. Ce moment est le plus

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14Un Tchadien à l'aventure, Paris, l'Harmattan, 1992 de Mahamat Hassan Abakar en fait mention.

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mouvementé de l'histoire du Tchad. Ces militaires qui « défilent » au pouvoir n'ont pas nécessairement des programmes politiques dignes de ce nom, mais sont guidés par la volonté de gouverner. Pour sûr, le clientélisme, le népotisme, le clanisme et le régionalisme ne sont pas absents dans les valises politiques de ceux-ci.

C'est de cette histoire mouvementée du Tchad que prennent source les travaux de plusieurs auteurs tchadiens. Prise de pouvoir, rébellion, guerre, fuite de la population civile, etc. sont des thèmes qui vont proliférer dans les oeuvres littéraires tchadiennes.

2.3 De 1982 à 1990 : la troisième république (H. Habré)

Les FAN de Habré, après leur retrait à Aramkolé, ont lutté contre les forces libyennes et celles du GUNT à Abéché. Le GUNT signe un acte de fusion, le 06 Janvier 1980, avec la Libye. Les jeunes tchadiens découragés se tournent vers la rébellion salvatrice de Habré. Celui-ci déploie ses forces pour prendre le pouvoir.

Habré a résisté aux forces libyennes, à l'occupation, l'annexion, puis la dissolution du Tchad au profit de la Libye. Habré est un intellectuel, un politique et un militaire de renom. Il semble disposer d'atouts pour réussir la mission de réconciliation nationale. Cependant, la population est restée sceptique, malgré ce qu'il appelle « Libération du Tchad » d'entre les mains des Libyens. En 1972 et 1980, elle a vu les dégâts, les charniers, la chasse aux chrétiens, les combats dans la capitale.

Pour connaître les ambitions réelles de H. Habré, il suffit de réfléchir sur la dénomination de son mouvement : FAN qui paraît vindicative et régionaliste. Masra et Béral affirment à propos que : « la simple dénomination des forces armées du nord affirme clairement que la région septentrionale du Tchad était une région opprimée, une région à libérer de la supposé, hégémonie sudiste» (Masra et Béral, 2008 : 49). Ils avouent qu'il n'est pas question de libérer un Nord opprimé. Si c'est le cas, Habré aurait proposé une scission lors de son entrée triomphale. Il aurait profité de la guerre civile de 1979 pour se déclarer chef du Nord. Pour eux, son seul projet était d'anéantir le pouvoir sudiste afin d'ériger une domination nordiste.

La population sera déçue plus tard par les réponses arbitraires aux problèmes ethniques. Habré prend conscience de son impossibilité de rallier les populations du Tchad dans leur diversité ethnique, religieuse et politique, à son mouvement, le FAN sur lequel pèse

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l'histoire négative de la rébellion. C'est ainsi qu'il propose l'UNIR. C'est dans ce cadre que prônant l'unité nationale, Habré, place " la personne qu'il faut à la place qu'il faut" créant des frustrations dans le champ des illettrés et incompétents qui dirigeaient le pays parce qu'anciens membres du FAN.

Le nouveau parti va avoir son temps de dérive quand il devient résolument parti unique et dictatorial avec des groupes d'hommes qui prêchent son idéologie. Le parti unique a une police politique : la DDS. Mahamat Hassan Abakar (nommé président de « la commission d'enquête sur les crimes et détournement commis par l'ex-Président Hissène Habré, ses coauteurs et complices » en date du 29 novembre 1990) publie trois ans pus tard, chez L'Harmattan, un ouvrage éponyme. Ce texte démontre qu'il y a eu des bavures, des exactions et des exécutions sous le règne de H. Habré. Il démontre comment l'ethnie du président a bénéficié des privilèges. Les membres de celle-ci ont occupé des édifices publics ou privés de force. Ils avaient la facilité de s'installer partout sur l'étendue du territoire sans titre. M. H. Abakar atteste qu'ils avaient eu des privilèges juridiques : gagner des procès et exiger des sommes exorbitantes par exemple.

Le régime de Habré a été répressif. La DDS entretient une section de tortionnaires qui disposent des techniques de torture comme les châtiments électriques.

Tous les Zaghawa « sans distinctions sont soupçonnés, emprisonnés et beaucoup d'entre eux exécutés» (Taboye, 2003 : 163). C'est dans ce cadre que Zakaria Fadoul a été arrêté en 1989. Il eut une source d'inspiration pour dénoncer la dictature « habreiste» dans Les Moments difficiles. Z F Khidir est arrêté à cause des soupçons sur son entourage professionnel. Dans ces prisons, les cadavres sont laissés jusqu'à putréfaction. En prison, pendant la torture et l'interrogatoire, il étudie la personnalité des tortionnaires. Une analyse psychanalytique de l'oeuvre nous fait penser aux personnages bibliques d'Abel et de Joseph. Il est question d'un complexe de Caïn, dans la mesure où les Goranes et les Zaghawa sont des frères proches.

Plusieurs écrivains ont montré que Habré a quelquefois foulé aux pieds des règles de droits humains. L'application de la justice sous ce régime dépasse l'entendement. On accuse et arrête quelqu'un simplement parce qu'on ne l'apprécie pas. Masra et Béral mettent l'accent sur les tueries. Ils reconnaissent que des garçonnets de tous âges se sont vus, au mépris de leur innocence, fusiller comme des lapins sans état d'âme aucun. Pour ceux, cette tuerie est

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orientée. Des femmes sudistes furent violées sans autre forme de procès, sans doute pour la raison que leur anatomie est attrayante ; mais aussi pour souiller la dignité de leurs maris et occuper leurs maisons. Des Goranes, au nom d'Habré, organisent des arrestations massives pour s'emparer des biens des personnes arrêtées.

Varsia Kovana fait une comparaison entre Habré et Tombalbaye et trouve que, malgré leurs formations intellectuelles et morales différentes, les deux présidents ont géré des dictatures qui se ressemblent par le renouvellement de leurs partis, par la création des polices politiques et par les faveurs accordées à leurs ethnies. Tout ceci justifie la prise de position radicale de certains auteurs qui prônent, au bas de l'échelle sociologique, une égalité devant le service public et à une jouissance équitable des biens communs. Seule la gestion démocratique de l'État peut répondre à des telles aspirations.

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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite