2. Les coups d'État ou l'instabilité
politique
Après le coup d'État militaire du 13 Avril 1975,
le Tchad sera dirigé par un conseil militaire avec à sa
tête le général Félix Malloum : c'est la
deuxième république. Mais avant ce conseil, les officiers de
l'armée tchadienne ont d'abord mis sur pied un organe de pouvoir
provisoire, le GROFAT. Ce renversement de régime a donné lieu
à beaucoup d'exactions et autres abus. V. Kovana estime que les soldats
vainqueurs ont pillé des édifices publics pour emporter les
mobiliers et les étagères. Il ne perd pas de vue le
règlement de compte et la rétrogradation des officiers des
groupements des CTS au rang de simples soldats. C'est le début de
l'instabilité, des coups d'État au Tchad.
L'espoir et le changement à ce niveau deviennent
sombres et hypothétiques pour la population Tchadienne. Les militaires
au pouvoir sont discrets et méfiants. Les médias sont
contrôlés. Le torchon va brûler : « les rapports
entre le militaires et fonctionnaires s'enveniment car les militaires faisant
fi des lois et règlements constitutionnelles se heurtent au
légalisme des fonctionnaires» (Varsia, 1994 : 32).
2.1 De 1975 à 1979 : La « deuxième
république » (Malloum Félix Ngakoutou)
Le GROFAT, lors d'un conseil accorde le fauteuil
présidentiel à Malloum. Le conseil en choisissant Malloum a
estimé qu'il est compétent et honnête et c'est cela qui le
fait passer pour rebelle aux yeux de Tombalbaye. Il est, pour eux, la personne
la mieux indiquée pour ce pays qui a de nombreux projets. Dans le
tâtonnement, les militaires au pouvoir n'ont pas vite su qu'entre la
politique et la carrière militaire l'écart est grand. La
population est restée frustrée mais docile par peur de la
répression. Béral Le grand estime que la raison de ce silence est
le manque de lucidité de celle-ci quant à la citoyenneté
et au patriotisme. La conséquence certaine est le départ en
rébellion. Malloum tend la main aux groupes ennemis avec pour devise :
la recherche de l'unité du Tchad dans le respect de sa diversité.
Ainsi il entre en négociation avec les responsables du FROLINAT à
travers les pays voisins. C'est ainsi qu'est signée le 17 septembre 1977
à El-Geneina, en Libye une charte dite « fondamentale » entre
les FAN et CSM. Un GUNT voit le jour et favorise le retour de H. Habré
à la primature. Habré dans un discours prononcé
après un voyage officiel du président en Chine avoue que son
union avec le président est de courte durée13.
13 Varsia Kovana, Précis des guerres et
conflits au Tchad, Paris, L'Harmattan, 1994, p.36.
31
Un incident qui va être référentiel dans
l'histoire de la nation tchadienne survient le 12 février 1979. Il
s'agit d'une bagarre entre lycéens et professeurs au lycée
Félix Eboué. En ce moment, les FAN qui n'ont pas
été intégrées dans les forces nationales,
situées juste à Sabangali, en face dudit lycée,
interviennent pour gérer le conflit. Une autre force, celle qui n'a pas
été de moindre inutilité lors du coup d'État du 13
Avril 1975 intervient et la bagarre civile se transforme en combat armée
qui dure toute la journée. Les FAP de Goukouni Weddeye et les autres
groupes armés du FROLINAT font front aux côtés des FAN de
Habré contre l'armée gouvernementale de Malloum. Les populations
civiles quittent la capitale. Le règlement de compte entre les clivages
s'installe. Habré a constitué une machine pour la prise du
pouvoir. Ce temps est trop court pour que les officiers du CSM ne puissent s'en
rendre compte. La guerre civile va être à l'actif du projet de
Habré. Malloum ne pouvant supporter la crise, a choisi faire le saint en
s'envolant vers le Nigeria voisin, laissant le Tchad à la guerre.
Au moment où Malloum et Habré participent
à des séries de médiations et de réconciliations au
Nigeria, Lol Mahamat Choua est nommé président provisoire. Il
dirige le pays jusqu'à « L'accord de Lagos » signé par
les chefs des onze tendances politico-militaires du Tchad, le 18 Août
1979.
Les deux premiers règnes ont été
considérés par la majorité des leaders nordistes comme une
sorte d'impérialisme qu'il fallait à tout prix détruire.
Ceux-ci reconnaissent en outre que le originaires du Sud disposaient à
cette époque d'un important capital intellectuel. Le Nord est
orienté beaucoup plus vers l'école coranique en arabe, or
l'administration a été dirigée en français. Si
quelques Sudistes (appellation péjorative désignant les
originaires du Sud) ont vu en leurs frères Nordistes des barbares, le
comportement des deux premiers présidents et leurs actions en faveur de
l'Unité nationale démontrent cependant une forte
altérité.
Quand H. Habré est arrivé avec une idée
de vengeance et de restauration d'un pouvoir Nordiste, Wadal Abdelkader, un
Sudiste, complice de Malloum forme en 1979, une sorte de forces armées
pour sécuriser sa région d'origine. Car la guerre détruit
les infrastructures du pays : « école, dispensaire, et magasins
passèrent sous la main pédiatre d'un peuple qui écrasait,
tuait, massacrait et brisait aveuglement, un peuple qui venait ainsi de se
mettre au pâturage d'une détresse profonde » (Masra et
Béral, 2008 : 44.)
2.2 De 1979 à 1982 : La deuxième
république (Goukouni Weddeye)
Les négociations de Lagos, le 18 août 1979,
prévoient la formation d'un GUNT. Ce gouvernement composé de tous
les groupes signataires, après dix-huit mois doit laisser la place
à un autre, représentatif des communautés nationales. Le
11 novembre 1979, le GUNT est mis en place et présidé par
Goukouni Weddeye, le chef des FAP. Habré est en ce temps Ministre de la
défense du GUNT. Le pouvoir est enfin entre les mains des Nordistes. Ce
qui est prévisible, c'est une éventuelle agitation politique, vu
que le chef rebelle Habré, au ministère de la défense est
à un pas de son rêve, celui de diriger le pays.
En ce temps, le Colonel Khadafi, malgré sa signature
pour la non-ingérence dans le conflit Tchadien lors de l'accord de
Lagos, arme des forces rebelles contre Habré qu'il trouve persona
non grata. Ayant constaté ces troubles, Joël Rim-Assbé
Oulatar estime que :
Le Gouvernement d'Union nationale de Transition fut la
juxtaposition des incapacités individuelles au niveau de chacune des
tendances. Chacune d'entre elles a reçu sur son territoire la sanction
de son échec. Il restait à l'étaler sur la scène
nationale et internationale par le biais de ce gouvernement.
(Rim-Assbé Oulatar, 2002 :42)
R. Oulatar est parvenu à ce résultat au vu de ce
qui a suivi la mise sur pied du GUNT. Chacune de ces tendances n'avait pour
ambition que de gérer le Tchad à seule. L'accord de Lagos I
était un bluff. Il sera blackboulé par les chefs des groupes
armés et N'Djaména divisé en « Zones ». La
guerre s'installe à la capitale pendant près de quatre ans entre
les différentes forces armées. Le 20 mars 1980, les forces
pro-libyennes s'unissent. La Libye leur envoie de renfort. Les affrontements
dureront et obligeront les populations civiles à quitter une fois de
plus la capitale tchadienne. Le 12 décembre 1980, les FAN
décident de quitter N'Djaména. Deux jours après,
Aramkolé héberge les FAN. Le GUNT proclame une loi martiale
poussant les jeunes à un départ massif vers les bases du
FAN.14
C'est ainsi que Varsia Kovana traite le GUNT de «
gouvernement d'un état fantôme, dont la mission se ramène
à entretenir les armées du Frolinat et à combattre Hissein
Habré » (Varsia, 1994 : 46). Le mois de juin 1982 reste
inoubliable dans la vie de l'ex-président Weddeye. Après moult
troubles, Habré « arrache » son pouvoir. Ce moment est le
plus
32
14Un Tchadien à l'aventure, Paris,
l'Harmattan, 1992 de Mahamat Hassan Abakar en fait mention.
33
mouvementé de l'histoire du Tchad. Ces militaires qui
« défilent » au pouvoir n'ont pas nécessairement des
programmes politiques dignes de ce nom, mais sont guidés par la
volonté de gouverner. Pour sûr, le clientélisme, le
népotisme, le clanisme et le régionalisme ne sont pas absents
dans les valises politiques de ceux-ci.
C'est de cette histoire mouvementée du Tchad que
prennent source les travaux de plusieurs auteurs tchadiens. Prise de pouvoir,
rébellion, guerre, fuite de la population civile, etc. sont des
thèmes qui vont proliférer dans les oeuvres littéraires
tchadiennes.
2.3 De 1982 à 1990 : la troisième
république (H. Habré)
Les FAN de Habré, après leur retrait à
Aramkolé, ont lutté contre les forces libyennes et celles du GUNT
à Abéché. Le GUNT signe un acte de fusion, le 06 Janvier
1980, avec la Libye. Les jeunes tchadiens découragés se tournent
vers la rébellion salvatrice de Habré. Celui-ci déploie
ses forces pour prendre le pouvoir.
Habré a résisté aux forces libyennes,
à l'occupation, l'annexion, puis la dissolution du Tchad au profit de la
Libye. Habré est un intellectuel, un politique et un militaire de renom.
Il semble disposer d'atouts pour réussir la mission de
réconciliation nationale. Cependant, la population est restée
sceptique, malgré ce qu'il appelle « Libération du Tchad
» d'entre les mains des Libyens. En 1972 et 1980, elle a vu les
dégâts, les charniers, la chasse aux chrétiens, les combats
dans la capitale.
Pour connaître les ambitions réelles de H.
Habré, il suffit de réfléchir sur la dénomination
de son mouvement : FAN qui paraît vindicative et régionaliste.
Masra et Béral affirment à propos que : « la simple
dénomination des forces armées du nord affirme clairement que la
région septentrionale du Tchad était une région
opprimée, une région à libérer de la
supposé, hégémonie sudiste» (Masra et
Béral, 2008 : 49). Ils avouent qu'il n'est pas question de
libérer un Nord opprimé. Si c'est le cas, Habré aurait
proposé une scission lors de son entrée triomphale. Il aurait
profité de la guerre civile de 1979 pour se déclarer chef du
Nord. Pour eux, son seul projet était d'anéantir le pouvoir
sudiste afin d'ériger une domination nordiste.
La population sera déçue plus tard par les
réponses arbitraires aux problèmes ethniques. Habré prend
conscience de son impossibilité de rallier les populations du Tchad dans
leur diversité ethnique, religieuse et politique, à son
mouvement, le FAN sur lequel pèse
34
l'histoire négative de la rébellion. C'est ainsi
qu'il propose l'UNIR. C'est dans ce cadre que prônant l'unité
nationale, Habré, place " la personne qu'il faut à la place
qu'il faut" créant des frustrations dans le champ des
illettrés et incompétents qui dirigeaient le pays parce
qu'anciens membres du FAN.
Le nouveau parti va avoir son temps de dérive quand il
devient résolument parti unique et dictatorial avec des groupes d'hommes
qui prêchent son idéologie. Le parti unique a une police politique
: la DDS. Mahamat Hassan Abakar (nommé président de « la
commission d'enquête sur les crimes et détournement commis par
l'ex-Président Hissène Habré, ses coauteurs et complices
» en date du 29 novembre 1990) publie trois ans pus tard, chez
L'Harmattan, un ouvrage éponyme. Ce texte démontre qu'il y a eu
des bavures, des exactions et des exécutions sous le règne de H.
Habré. Il démontre comment l'ethnie du président a
bénéficié des privilèges. Les membres de celle-ci
ont occupé des édifices publics ou privés de force. Ils
avaient la facilité de s'installer partout sur l'étendue du
territoire sans titre. M. H. Abakar atteste qu'ils avaient eu des
privilèges juridiques : gagner des procès et exiger des sommes
exorbitantes par exemple.
Le régime de Habré a été
répressif. La DDS entretient une section de tortionnaires qui disposent
des techniques de torture comme les châtiments électriques.
Tous les Zaghawa « sans distinctions sont
soupçonnés, emprisonnés et beaucoup d'entre eux
exécutés» (Taboye, 2003 : 163). C'est dans ce cadre que
Zakaria Fadoul a été arrêté en 1989. Il eut une
source d'inspiration pour dénoncer la dictature « habreiste»
dans Les Moments difficiles. Z F Khidir est arrêté
à cause des soupçons sur son entourage professionnel. Dans ces
prisons, les cadavres sont laissés jusqu'à putréfaction.
En prison, pendant la torture et l'interrogatoire, il étudie la
personnalité des tortionnaires. Une analyse psychanalytique de l'oeuvre
nous fait penser aux personnages bibliques d'Abel et de Joseph. Il est question
d'un complexe de Caïn, dans la mesure où les Goranes et les Zaghawa
sont des frères proches.
Plusieurs écrivains ont montré que Habré
a quelquefois foulé aux pieds des règles de droits humains.
L'application de la justice sous ce régime dépasse l'entendement.
On accuse et arrête quelqu'un simplement parce qu'on ne l'apprécie
pas. Masra et Béral mettent l'accent sur les tueries. Ils reconnaissent
que des garçonnets de tous âges se sont vus, au mépris de
leur innocence, fusiller comme des lapins sans état d'âme aucun.
Pour ceux, cette tuerie est
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orientée. Des femmes sudistes furent violées
sans autre forme de procès, sans doute pour la raison que leur anatomie
est attrayante ; mais aussi pour souiller la dignité de leurs maris et
occuper leurs maisons. Des Goranes, au nom d'Habré, organisent des
arrestations massives pour s'emparer des biens des personnes
arrêtées.
Varsia Kovana fait une comparaison entre Habré et
Tombalbaye et trouve que, malgré leurs formations intellectuelles et
morales différentes, les deux présidents ont géré
des dictatures qui se ressemblent par le renouvellement de leurs partis, par la
création des polices politiques et par les faveurs accordées
à leurs ethnies. Tout ceci justifie la prise de position radicale de
certains auteurs qui prônent, au bas de l'échelle sociologique,
une égalité devant le service public et à une jouissance
équitable des biens communs. Seule la gestion démocratique de
l'État peut répondre à des telles aspirations.
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