1.2 La première république
À la fin de la deuxième guerre mondiale, le
Tchad devient « Territoire d'outre-mer » de la
république française. Il n'est plus divisé en royaumes
comme au début du siècle. La région du
Borkou-Ennedi-Tibesti par exemple n'a presque jamais été sous
contrôle tchadien. L'armée française laissera cette zone en
1965. Les forces politico-militaires en dissidence se feront aider par le
Soudan et la Libye pour déstabiliser le pouvoir en place.
En effet, l'espoir renait le 11 août 1960. Le Tchad
devenait indépendant avec comme premier président François
Tombalbaye. Ce dernier a un passé politique qui témoigne de son
intérêt pour l'émancipation sociale et économique du
Tchad. Cependant, le nouveau chef de l'État hérite un pays
divisé par des crises claniques et politiques. Il ne parviendra pas
à unifier ou à rassembler le peuple tchadien autour de lui.
Dès le départ de l'administration coloniale, des mouvements
politiques se sont constitués contre sa volonté. Mais ceux-ci
avaient en commun « l'incapacité de s'arracher à
l'esprit de clan, pour atteindre une vision nationale des
problèmes» (Varsia, 1994 : 17).
Autour des années 60-70, des manifestations ont
commencé à surgir, très prématurément, tant
à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Tout
méfiant, Tombalbaye crée un
groupement de Compagnies Tchadiennes de Sécurité
en 1967. Ce bouclier militaire est une force qui fera passer aux contestations
individuelles et collectives. Nous assistons à un climat de frustration
et de contestation que Varsia démontre en ces termes :
Au sein de l'armée régulière
s'installe un climat de frustration ; des incidents de quelque portée se
produisent parmi diverses unités qui, sans avoir un effet politique,
inquiètent toute la société. Le mécontentement des
militaires est estimé assez dangereux pour que le Parti Progressiste
Tchadien, dont le secrétaire général est, rappelons-le,
François Tombalbaye, adopte lors de son congrès tenu à
Doyaba, en 19971, une résolution surprenante : faire entrer des
militaires au bureau politique du parti afin qu'ils puissent tenir compte des
doléances de l'armée (Varsia, 1994 : 19).
Ceci est une erreur politique qui donnera plus de
liberté aux militaires qui commenceront à vouloir diriger le
Tchad. Cet état de chose est renforcé par « les
grèves des élèves des lycées
Félix-Eboué et technique Commerciale » (Varsia, 1994 :
19) qui brandirent, semble-t-il, des pancartes portant des slogans «
L'armée au pouvoir !»
Les populations du BET se sont vues troublées par les
exactions des forces militaires françaises puis tchadiennes
installées dans leur région. Ayant une idée clanique de la
gestion du pouvoir public à leur défaveur et n'étant pas
d'accord avec les impôts obligatoires, elles deviennent favorables
à la mutinerie. En octobre 1965, au marché de Mangalmé,
300 paysans moubis12 attaquent les collecteurs d'impôts au
couteau et à la sagaie tuant deux fonctionnaires et six gendarmes. La
répression est féroce. Les populations dites « Goranes
» se soulèvent. C'est dans ce contexte de crise sociopolitique
qu'Ibrahim Abatcha, originaire de Mangalmé va fonder le FROLINAT.
Plusieurs sources historiques montrent que la Libye a ouvert ses
frontières aux rebelles du FROLINAT et leur a apporté une aide
matérielle et logistique pour la déstabilisation du régime
de François Tombalbaye. Celui-ci était en incidence diplomatique
avec la Libye.
Tombalbaye a toujours été accusé d'avoir
choisi de gérer le pouvoir avec les ressortissants de sa région
natale et de constituer une police spécialisée pour emprisonner
ceux qu'il qualifie d'opposants politiques. Parmi les victimes, un bon nombre
est composé des
25
12 Groupe ethnique de la localité
26
ressortissants des régions du Nord, musulmans.
Bourdette-Donon affirme que les tendances hégémoniques du
Président Tombalbaye sont visibles :
Celles-ci se manifestent à travers sa
volonté d'écarter systématiquement le Nord, musulman, de
la gestion du pays, l'arrestation, en septembre 1963 de nombreuses
personnalités musulmanes ainsi que par l'instauration d'un gouvernement
autoritaire fondé sur le système du parti unique qui va miner le
pays et conduire peu à peu aux guerres civiles (Bourdette-Donon,
2002 : 8-9).
La méfiance exclut dans ce cas la critique, le point de
vue opposé. Les ministres et hauts fonctionnaires, désireux de
conserver leurs sièges sont condamnés à une soumission
totale. Ceux tenant à l'honneur et à la dignité vont
démissionner. Masra Succès et Béral M. Le grand estiment
que l'impasse sociopolitique et culturelle du Tchad trouve sa source dans cette
ivresse patriotique de ceux qui ont dirigé le pays à l'aube des
indépendances. Ces « premiers cadres » du pays ont
péché d'avoir pris leurs premières réussites
culturelles pour de la maturité intellectuelle et politique. On peut
bien être patriote et amoureux de sa terre mère, mais il faut une
clairvoyance et une certaine lucidité dans la gestion du pouvoir pour ne
pas se voir emprisonné dans une gouvernance charismatique et
intransigeante :
Cette intelligentsia embryonnaire composée
d'Instituteurs, d'Infirmiers vétérinaires, de Moniteurs
agricoles, d'Interprètes et autres Soldats ou Gardiens de la Paix et qui
constituent la crème intellectuelle du pays, a dû obéir
mécaniquement au mouvement protestataire d'ensemble qui traversent
l'Afrique noire au nom du « Soleil des Indépendances ». Les
premiers [...] ont fait naître dans leurs esprits, l'agitante illusion de
la compétence politique... (Masra et Béral, 2008 : 12).
Le président Tombalbaye, instituteur comptait parmi ces
intellectuels.
|