1.1 Les réalités historiques de la
littérature tchadienne
Le territoire qui constitue aujourd'hui Tchad a
été occupé par des populations nomades à
l'époque néolithique. On peut encore lire des gravures rupestres
au Tibesti vers le nord du pays. Dans la vallée du Chari, divers textes
retracent l'histoire de la civilisation Sao au XVIe siècle.
À la période précoloniale, il est créé des
royaumes dynamiques qui vont, non seulement s'affronter mais, attaquer le
colonisateur plus tard. Il est question du royaume de Kanem, le sultanat de
Baguirmi, l'empire du Ouaddaï, etc. La rivalité entre les
Ouaddéens et les Baguirmiens à l'époque a favorisé
la pénétration coloniale.
Les troupes coloniales françaises ont livré
bataille à Rabah et à Mbang Gaourang, conquérant et roi
résistants qu'ils ont trouvé au Tchad autour des années
1900. Les auteurs tchadiens en font mention dans leurs oeuvres, quand ils
veulent comparer la dictature des années 60 et 70 à cette
période. Dans Le Commandant Chaka, (Paris, Hatier, 1983), Baba
Moustapha fait la représentation des maîtres du pouvoir. Il fait
allusion aux révolutions progressistes qui ont suivi, selon A. Taboye,
les indépendances africaines. Celles-ci, pour réussir adoptent le
modèle de lutte anticoloniale :
Cette pièce rappelle l'époque des
libérations nationales, celles des révolutionnaires
progressistes. Une période où se cachent comme dans toutes
les
révolutions des personnages incultes, opportunistes
surtout simplement mal intentionnés (Taboye, 2003 : 34).
L'histoire de Mbang Gaourang, le roi du Baguirmi, est
réécrite par Palou Bebnoné dans la pièce
éponyme. La pièce paraît en 1974. Bebnoné
représente « un roi juste, humain, réaliste
tolérant et proche de son peuple» (Taboye, 2003: 39). On y
fait allusion à l'invasion du royaume baguirmien par Rabah à la
fin du XIXe siècle. Dans l'oeuvre, Rabah se serait
suicidé sous la pression de Padja qui dirige le combat, victorieux. Or
l'histoire réelle du Tchad montre que Rabah fut tué le 22 avril
1900, à Kousseri par les troupes françaises.
L'histoire de Chaka et Mbang Gaourang est reprise pour exciter
à la lutte révolutionnaire d'une part et moraliser les dirigeants
intransigeants d'autre part. En 1920, les conquérants combattus, le
Tchad devient une colonie française. Le christianisme a
été à cette époque favorable à
l'assimilation. Fort-Lamy11 fut donné comme nom à la
capitale du Tchad, l'actuel N'Djamena. Le 16 août 1960, le Tchad devient
à l'initiative du gouverneur Félix Éboué, un des
territoires d'Afrique Noire, à se rallier à la cause de la France
libre.
En effet, ce qui nous intéresse dans cette occupation
coloniale, c'est l'imposition de la langue, et donc de l'écriture par
l'école française. Avant la colonisation, chaque peuple avait sa
forme d'école traditionnelle orale. La première école
nouvelle au Tchad est implantée à Mao, par l'administration
coloniale. La forme d'école traditionnelle est basée sur les
pratiques religieuses et initiatiques qui varient d'un peuple à un
autre. Une étude en littérature orale ou en histoire peut faire
ressortir toutes ces diversités. Ayant appris à lire,
écrire et à compter, les écoliers vont écrire pour
sauvegarder les richesses intarissables de l'oralité. C'est dans ce
contexte qu'est née la littérature tchadienne. Les
diversités culturelles, linguistiques et religieuses vont permettre aux
auteurs et chercheurs de doter le Tchad d'une littérature orale riche et
variée, mais non publiée, donc inaccessible à tous. C'est
en 1962 que Joseph Brahim Seid publie Au Tchad sous les étoiles
et Palou Bedonne, La Dot.
L'école française et l'écriture, à
cette époque n'ont pas arraché l'unanimité de la
population. Leur acceptation a été une lutte sérieuse. La
conséquence directe du refus de l'école est
l'analphabétisme. Le taux d'analphabétisme au Tchad, depuis le
règne de Tombalbaye est resté supérieur à 80%. Pour
produire une oeuvre de qualité acceptable, il faut
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11 Nom du chef de la troupe française qui a
tué Rabah
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bénéficier d'une éducation
conséquente. Cela n'a pas été le cas pour le Tchad au
début de son indépendance.
En dépit de la situation linguistique compliquée
adjointe au niveau d'instruction, la littérature tchadienne va se
développer en français. Il faut se dire que le recours au
français est un choix réaliste. On écrit pour participer
aux concours, pour être édité pour être lu. Quelques
auteurs, malgré leur qualification dans d'autres domaines du savoir ont
produit des textes littéraires pour rendre compte de la souffrance, de
la violence et de la misère dans lesquelles est placé le peuple.
Baba Moustapha résume leur préoccupation en ces termes :
En ce moment de notre histoire, si artiste, je devais
produire des oeuvres qui ne seraient que belles ; je ne le ferais pas. Mais
faire quelque chose qui rende compte de la souffrance de tout un peuple aux
prises avec un destin cruel, un immense cri inexprimé. Notre art doit
faire peser sur chacun le poids d'une responsabilité (Moustapha,
1979 : 66).
L'auteur veut dire qu'en ce temps de trouble,
l'écrivain est semeur de liberté. L'esthétique
littéraire n'est pas toujours sa préoccupation première.
L'écrit est ici antidote au désespoir du peuple et non
évasion.
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