Chapitre 1 : Le contexte politique
Le dictionnaire du littéraire
définissant la politique comme « art de gouverner la
cité » (Aron et al., 2002 : 454), ajoute que « les
relations entre politique et littérature forment la matière de
nombreuses études aux différentes phases de leur histoire [...]
En soi, aucune forme littéraire n'est étrangère à
la fonction politique » (Aron et al, 2002 : 454). Moursal postule
également que :
Les phénomènes sociaux, ethniques,
historiques inspirent les auteurs et sous-entendent leurs préoccupations
littéraires et idéologiques. Ceux-ci pénètrent au
tréfonds de l'imaginaire sociopolitique afin de donner un nouvel
éclairage de la société. Hormis les autres disciplines,
certains aspects de la réalité sociale circulant dans les
discours, véhiculés dans les messages et cristallisés dans
les conduites des individus, sont pris en compte par les travaux
littéraires (Moursal, 2009 : 82).
Nous cherchons à démontrer cette
corrélation en conviant à une lecture de l'histoire politique du
Tchad.
Des réalités politiques qui ont influencé
la production littéraire tchadienne, nous avons retenu la période
des royaumes qui ont résisté à la
pénétration coloniale comme point de départ. Les
français ont dirigé le territoire tchadien depuis 1920. Cette
colonisation a eu des conséquences positives parmi lesquelles
l'école et la langue française qui nous permettent aujourd'hui
d'exprimer nos pensées et de produire des textes littéraires. La
langue au départ était un obstacle pour la production. Mais,
après le 11 août 1960, l'indépendance a permis aux
Tchadiens de penser au développement, à la scolarisation de
masse. Ce défi est d'actualité.
Après l'administration coloniale, des mouvements
politiques se sont créés avec comme défaut commun
l'impossibilité de s'arracher à l'ethnie pour tenir un discours
nationaliste. De la stabilité politique de 1960 à la
démocratie débyienne en passant par la période des coups
d'État et des chefs militaires, l'histoire du Tchad ne sera faite que
des dérives qui vont servir de sources d'inspiration aux
écrivains tchadiens, si elles ne poussent pas ceux-ci au silence ou
à l'exil.
À l'époque postcoloniale, les personnages sont
généralement pris dans le tourbillon de la politique avant
d'être sévèrement punis par ceux dont ils présentent
un bilan extrêmement négatif. Vu le réalisme et la
vérité dans la prise de position des écrivains, le moment
était, comme nous le démontrerons, propice à
l'autobiographie. Dans le cas d'espèce, c'est
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d'ailleurs elle qui a animé la littérature
tchadienne à ses débuts. Le critique français Marcel
Bourdette-Donon qualifie l'autobiographie d'une « forme vivante »
qui permet aux victimes de témoigner de la période de crise
sociopolitique et économique. Pour lui, « les cinq textes qui
dominent la production littéraire tchadienne à ses débuts
présentent tous des caractéristiques autobiographiques
communes» (Bourdette-Donon, 2002 : 7-8).
Ce débat politique oppose écrivains et
politiciens au moment de la lutte pour l'authenticité tchadienne
(MNRCS). M. N'Gangbet Kosnaye, Toura Gaba et bien d'autres intellectuels ont
fait mention de ce comportement dit moyenâgeux dans leurs textes.
N'Gangbet pense qu' « une révolution visant aux retours aux
sources, aux traditions du passé est un non-sens [...] et implique dans
les termes mêmes où elle se formule, une évidence
contradictoire» (Kosnaye, 1993 : 162), ceci contrairement au «
père de la nation » de l'époque qui trouve que « Le
retour aux traditions, aux sources, préconisé par la
Révolution Culturelle Tchadienne, est une invitation aux Tchadiens
à chercher à redécouvrir, et à puiser dans la
matrice même de leur pays» (Kosnaye, 1993 : 163). Toura Gaba
tourne en dérision cette politique d'authenticité de Tombalbaye.
Il estime que c'est « un prétexte pour camoufler les
incommensurables carences politiques, économiques, sociales et
culturelles» (Toura, 1998 : 20)
Nous ferons en premier lieu une analyse allant de la
période coloniale à la stabilité politique, traitant des
réalités historiques de la littérature tchadienne, de la
première république et de ses dérives. En deuxième
lieu nous traiterons des coups d'État et de l'instabilité
politique de 1975 à 1979 (Malloum Félix Ngakoutou), de 1979
à 1982 (Goukouni Weddeye) et de 1982 à 1990 (H. Habré) :
la troisième république. La prise du pouvoir, la critique des
moeurs politiques et le chemin vers la liberté d'écriture sous la
quatrième république (l'ère de la démocratisation)
nous intéresseront en dernier lieu.
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1. De la période coloniale à la
stabilité politique
Le territoire de l'actuel Tchad était un vieux
carrefour entre le Sahara et l'Afrique tropicale. Il servait de lieu
d'échanges commerciaux entre l'Afrique du Nord blanche et celle du Sud
noire. Les historiens témoignent de la vie des populations nombreuses
depuis le néolithique jusqu'à nos jours dans cette partie de
l'Afrique. Les débris de la civilisation Sao, du crâne du plus
ancien homme de la planète « Toumaï » et
plusieurs autres découvertes faites par les archéologues en font
foi.
Avant la colonisation, le Tchad a été
divisé en royaumes qui se battaient entre eux jusqu'à
l'arrivée des Européens qui ont combattu pour la stabilité
du pays. Ainsi, le remplacement ou l'élévation d'un Tchadien
à la place du Blanc-colonisateur ne peut pas se faire sans
difficultés. Les premiers dirigeants se sont confrontés à
des oppositions sérieuses des milices ethniques armées. Cela fait
que :
Plusieurs régimes se succèdent durant une
période d'instabilité qui débouche sur une série de
crises violentes, sanglantes, symptomatiques des déchirements d'une
époque qui, en dépit de toutes les difficultés
rencontrées, demeurent un moment de l'histoire du Tchad
(Bourdette-Donon, 2002 : 7).
Nous assistons à des changements qui sont la source
d'inspiration de plusieurs textes littéraires. Ce contexte, bien que
défavorable à la situation sociale des écrivains et des
élites intellectuelles du pays, favorise paradoxalement
l'épanouissement de la littérature écrite. Il est surtout
le moment idoine pour la publication de témoignages et
d'autobiographies. Dans lesdits textes les écrivains ne manquent de
développer les crises sociales dont les populations ont
été victimes. Quand le narrateur de Le Souffle de l'harmattan
se demande : « il y a-t-il seulement une place pour l'amour et
l'amitié dans ce pays ? » (Moustapha, 2000 : 331), c'est une
manière de mettre en exergue les troubles qui ont ébranlé
la conscience du peuple tchadien à un moment précis de son
histoire.
Dans cette partie, nous traiterons de la période
coloniale et des différents régimes (hégémoniques,
claniques ou à tendance démocratique) qui ont dirigé le
Tchad. Du 11 août 1960 au 13 avril 1973, le premier président
Tombalbaye a instauré un gouvernement autoritaire. Un conseil
supérieur militaire dirigé par Félix Malloum gère
le pouvoir après le coup d'État du 13 avril 1973.
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En 1979, la guerre civile déstabilise les FAN au profit
de Goukouni Oueddei qui renvoie Malloum et H. Habré et s'empare du
pouvoir. En 1982, H. Habré revient renvoyer Goukouni avec force. Le 7
juin 1982 est vu par les Tchadiens comme le jour de la fin des
instabilités politico-militaires. Le 1er décembre
1990, Idriss Déby prend le pouvoir à la faveur d'un coup
d'État et impose son parti : le MPS.
Ces différents régimes sont la source et l'objet
d'écriture des élites tchadiennes, dans la mesure où les
tenants du pouvoir et leurs acolytes commettent des actes qui ont des
conséquences sociales sérieuses ne laissant personne
indifférent. Les textes que nous allons exploiter sont des sortes de
réquisitoires contre ces régimes. À l'image de la
société et de la politique tchadienne qui sont en mutation, les
écrits tchadiens sont divers et en mutation.
A. Bangui affirme à cet effet: « Je ne pouvais
pas rester inactif, sans élever la voix contre ce que j'observais en ce
qui concerne les violations des droits de l'homme» (Bangui,
cité par Bourdette-Donon, 2002 : 11). Nous démontrerons le lien
qu'a la littérature émergente du Tchad avec ce long vécu
politique.
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