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La production littéraire tchadienne écrite d'expression française : essai d'analyse sociologique.

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par Robert MAMADI
Université de Ngaoundéré - Master ès Letrres 2010
  

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Chapitre 1 : Le contexte politique

Le dictionnaire du littéraire définissant la politique comme « art de gouverner la cité » (Aron et al., 2002 : 454), ajoute que « les relations entre politique et littérature forment la matière de nombreuses études aux différentes phases de leur histoire [...] En soi, aucune forme littéraire n'est étrangère à la fonction politique » (Aron et al, 2002 : 454). Moursal postule également que :

Les phénomènes sociaux, ethniques, historiques inspirent les auteurs et sous-entendent leurs préoccupations littéraires et idéologiques. Ceux-ci pénètrent au tréfonds de l'imaginaire sociopolitique afin de donner un nouvel éclairage de la société. Hormis les autres disciplines, certains aspects de la réalité sociale circulant dans les discours, véhiculés dans les messages et cristallisés dans les conduites des individus, sont pris en compte par les travaux littéraires (Moursal, 2009 : 82).

Nous cherchons à démontrer cette corrélation en conviant à une lecture de l'histoire politique du Tchad.

Des réalités politiques qui ont influencé la production littéraire tchadienne, nous avons retenu la période des royaumes qui ont résisté à la pénétration coloniale comme point de départ. Les français ont dirigé le territoire tchadien depuis 1920. Cette colonisation a eu des conséquences positives parmi lesquelles l'école et la langue française qui nous permettent aujourd'hui d'exprimer nos pensées et de produire des textes littéraires. La langue au départ était un obstacle pour la production. Mais, après le 11 août 1960, l'indépendance a permis aux Tchadiens de penser au développement, à la scolarisation de masse. Ce défi est d'actualité.

Après l'administration coloniale, des mouvements politiques se sont créés avec comme défaut commun l'impossibilité de s'arracher à l'ethnie pour tenir un discours nationaliste. De la stabilité politique de 1960 à la démocratie débyienne en passant par la période des coups d'État et des chefs militaires, l'histoire du Tchad ne sera faite que des dérives qui vont servir de sources d'inspiration aux écrivains tchadiens, si elles ne poussent pas ceux-ci au silence ou à l'exil.

À l'époque postcoloniale, les personnages sont généralement pris dans le tourbillon de la politique avant d'être sévèrement punis par ceux dont ils présentent un bilan extrêmement négatif. Vu le réalisme et la vérité dans la prise de position des écrivains, le moment était, comme nous le démontrerons, propice à l'autobiographie. Dans le cas d'espèce, c'est

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d'ailleurs elle qui a animé la littérature tchadienne à ses débuts. Le critique français Marcel Bourdette-Donon qualifie l'autobiographie d'une « forme vivante » qui permet aux victimes de témoigner de la période de crise sociopolitique et économique. Pour lui, « les cinq textes qui dominent la production littéraire tchadienne à ses débuts présentent tous des caractéristiques autobiographiques communes» (Bourdette-Donon, 2002 : 7-8).

Ce débat politique oppose écrivains et politiciens au moment de la lutte pour l'authenticité tchadienne (MNRCS). M. N'Gangbet Kosnaye, Toura Gaba et bien d'autres intellectuels ont fait mention de ce comportement dit moyenâgeux dans leurs textes. N'Gangbet pense qu' « une révolution visant aux retours aux sources, aux traditions du passé est un non-sens [...] et implique dans les termes mêmes où elle se formule, une évidence contradictoire» (Kosnaye, 1993 : 162), ceci contrairement au « père de la nation » de l'époque qui trouve que « Le retour aux traditions, aux sources, préconisé par la Révolution Culturelle Tchadienne, est une invitation aux Tchadiens à chercher à redécouvrir, et à puiser dans la matrice même de leur pays» (Kosnaye, 1993 : 163). Toura Gaba tourne en dérision cette politique d'authenticité de Tombalbaye. Il estime que c'est « un prétexte pour camoufler les incommensurables carences politiques, économiques, sociales et culturelles» (Toura, 1998 : 20)

Nous ferons en premier lieu une analyse allant de la période coloniale à la stabilité politique, traitant des réalités historiques de la littérature tchadienne, de la première république et de ses dérives. En deuxième lieu nous traiterons des coups d'État et de l'instabilité politique de 1975 à 1979 (Malloum Félix Ngakoutou), de 1979 à 1982 (Goukouni Weddeye) et de 1982 à 1990 (H. Habré) : la troisième république. La prise du pouvoir, la critique des moeurs politiques et le chemin vers la liberté d'écriture sous la quatrième république (l'ère de la démocratisation) nous intéresseront en dernier lieu.

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1. De la période coloniale à la stabilité politique

Le territoire de l'actuel Tchad était un vieux carrefour entre le Sahara et l'Afrique tropicale. Il servait de lieu d'échanges commerciaux entre l'Afrique du Nord blanche et celle du Sud noire. Les historiens témoignent de la vie des populations nombreuses depuis le néolithique jusqu'à nos jours dans cette partie de l'Afrique. Les débris de la civilisation Sao, du crâne du plus ancien homme de la planète « Toumaï » et plusieurs autres découvertes faites par les archéologues en font foi.

Avant la colonisation, le Tchad a été divisé en royaumes qui se battaient entre eux jusqu'à l'arrivée des Européens qui ont combattu pour la stabilité du pays. Ainsi, le remplacement ou l'élévation d'un Tchadien à la place du Blanc-colonisateur ne peut pas se faire sans difficultés. Les premiers dirigeants se sont confrontés à des oppositions sérieuses des milices ethniques armées. Cela fait que :

Plusieurs régimes se succèdent durant une période d'instabilité qui débouche sur une série de crises violentes, sanglantes, symptomatiques des déchirements d'une époque qui, en dépit de toutes les difficultés rencontrées, demeurent un moment de l'histoire du Tchad (Bourdette-Donon, 2002 : 7).

Nous assistons à des changements qui sont la source d'inspiration de plusieurs textes littéraires. Ce contexte, bien que défavorable à la situation sociale des écrivains et des élites intellectuelles du pays, favorise paradoxalement l'épanouissement de la littérature écrite. Il est surtout le moment idoine pour la publication de témoignages et d'autobiographies. Dans lesdits textes les écrivains ne manquent de développer les crises sociales dont les populations ont été victimes. Quand le narrateur de Le Souffle de l'harmattan se demande : « il y a-t-il seulement une place pour l'amour et l'amitié dans ce pays ? » (Moustapha, 2000 : 331), c'est une manière de mettre en exergue les troubles qui ont ébranlé la conscience du peuple tchadien à un moment précis de son histoire.

Dans cette partie, nous traiterons de la période coloniale et des différents régimes (hégémoniques, claniques ou à tendance démocratique) qui ont dirigé le Tchad. Du 11 août 1960 au 13 avril 1973, le premier président Tombalbaye a instauré un gouvernement autoritaire. Un conseil supérieur militaire dirigé par Félix Malloum gère le pouvoir après le coup d'État du 13 avril 1973.

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En 1979, la guerre civile déstabilise les FAN au profit de Goukouni Oueddei qui renvoie Malloum et H. Habré et s'empare du pouvoir. En 1982, H. Habré revient renvoyer Goukouni avec force. Le 7 juin 1982 est vu par les Tchadiens comme le jour de la fin des instabilités politico-militaires. Le 1er décembre 1990, Idriss Déby prend le pouvoir à la faveur d'un coup d'État et impose son parti : le MPS.

Ces différents régimes sont la source et l'objet d'écriture des élites tchadiennes, dans la mesure où les tenants du pouvoir et leurs acolytes commettent des actes qui ont des conséquences sociales sérieuses ne laissant personne indifférent. Les textes que nous allons exploiter sont des sortes de réquisitoires contre ces régimes. À l'image de la société et de la politique tchadienne qui sont en mutation, les écrits tchadiens sont divers et en mutation.

A. Bangui affirme à cet effet: « Je ne pouvais pas rester inactif, sans élever la voix contre ce que j'observais en ce qui concerne les violations des droits de l'homme» (Bangui, cité par Bourdette-Donon, 2002 : 11). Nous démontrerons le lien qu'a la littérature émergente du Tchad avec ce long vécu politique.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams