II. Tableaux
Tableau I : Les dramaturges de renom suivis de leurs
pièces représentatives 122
Tableau II : Les romanciers de renom suivis de leurs oeuvres
représentatives 130
Tableau III : Les autobiographes de renom suivis de leurs
oeuvres représentatives 132
Tableau IV : Les nouvellistes de renom suivis de leurs oeuvres
représentatives 135
Tableau V : Les poètes de renom suivis de leurs recueils
représentatifs 140
Tableau VI : Les grands centres d?édition au Tchad
(Annexe 1, question 23) 159
Tableau VII : Les grandes imprimeries au Tchad (Annexe 1,
question 23) 163
VIII
Sommaire
Dédicace i
Remerciements ii
Résumé iii
Sigles iv
Table des illustrations vii
Sommaire viii
INTRODUCTION GÉNÉRALE 1
PREMIÈRE PARTIE : CONTEXTE DE PRODUCTION DE LA
LITTÉRATURE
TCHADIENNE ÉCRITE D'EXPRESSION FRANÇAISE
17
Chapitre 1 : Le contexte politique 19
1. De la période coloniale à la stabilité
politique 21
1.1 Les réalités historiques de la
littérature tchadienne 22
1.2 La première république 24
1.3 Les dérives et critiques 26
2. Les coups d'État ou l'instabilité politique
30
2.1 De 1975 à 1979 : La « deuxième
république » (Malloum Félix Ngakoutou) 30
2.2 De 1979 à 1982 : La deuxième république
(Goukouni Weddeye) 32
2.3 De 1982 à 1990 : la troisième république
(H. Habré) 33
3. L'ère de la démocratisation : La
quatrième République 36
3.1 Déby et la prise du pouvoir en 1990 36
3.2 La critique des moeurs politiques débyiennes 36
3.3 Le chemin vers la liberté d'écriture 38
Chapitre 2 : Le contexte socio-économique et culturel
41
1. Les crises sociales 41
1.1 La guerre et ses conséquences 41
1.2 L'analphabétisme et l'illettrisme 44
1.3 La corruption 45
2. La situation économique 48
2.1 Le contexte économique et la production
littéraire 48
2.2 La crise économique et l'ajustement structurel 50
2.3 Le boom pétrolier et le flux de production
littéraire 53
3. Les réalités culturelles 58
3.1 La diversité ethnique 58
3.2 La culture de l'oralité 60
3.3 La démocratie et l'éducation à la
citoyenneté 63
ix
DEUXIÈME PARTIE : CONDITIONS DE PRODUCTION DE LA
LITTÉRATURE
TCHADIENNE ÉCRITE D'EXPRESSION FRANÇAISE
66
Chapitre 3 : Les facteurs littéraires et historiques
68
1. Les écrits du colonisateur sur le Tchad. 68
1.1 Les écrits à caractère
pédagogique et spirituel 69
1.2 Les écrits à caractère militaire 71
1.3 Les écrits à caractère exotique 73
2. Les événements littéraires à
caractère historique 75
2.1 Les activités des associations littéraires
75
2.2 Les concours littéraires, représentations et
prix 77
2.3 Les sources d'inspiration 82
3. Le niveau intellectuel et distinctions des écrivains
85
3.1 Les dramaturges : niveau intellectuel, distinctions diverses
et enjeu littéraire 85 3.2 Les autobiographes et nouvellistes :
niveau intellectuel et distinctions diverses :
enjeu littéraire 88
3.3 Les poètes : niveau intellectuel, distinctions
diverses et enjeu littéraire 90
Chapitre 4 : Les facteurs linguistiques, religieux et
culturels 93
1. Les contraintes linguistiques 94
1.1 La diversité linguistique : enjeux et perspectives
94
1.2 Le bilinguisme du Tchad 97
1.3 L'arabe : une tentative d'écriture élitiste
99
2. Regard sur les religions 102
2.1 Les religions révélées : le
Christianisme et l'Islam 103
2.2 La pratique religieuse : le conflit 105
2.3 Les religions : prises de position en littérature
107
3. De l'hétérogénéité
culturelle à la culture nationale 110
3.1 L'identité culturelle 110
3.2 La notion de culture nationale 112
3.3 La littérature au service de la nation 114
X
TROISIÈME PARTIE : ACTEURS ET INSTANCES DE
PRODUCTION DE LA
LITTÉRATURE TCHADIENNE ÉCRITE D'EXPRESSION
FRANÇAISE 117
Chapitre 5 : Les écrivains et les formes d'expression
119
1. Les dramaturges : statut, grandes figures et pièces
représentatives 120
1.1 Les dramaturges de renommée internationale 120
1.2 Les dramaturges au niveau local 123
1.3 La situation professionnelle et le lieu de résidence
: effet littéraire 125
2. Les romanciers, autobiographes et nouvellistes : statut,
grandes figures et oeuvres
représentatives. 128
2.1 Les romanciers 128
2.2 Les autobiographes 130
2.3 Les nouvellistes 134
3. Les poètes, statut, grandes figures et textes
représentatifs 137
3.1 Les poètes de renommée internationale 137
3.2 Les poètes au niveau national 141
3.3 Les poètes : situation professionnelle et lieu de
résidence, effet littéraire 141
Chapitre 6 : Les instances techniques de réalisation
d'ouvrage 144
1. Étude historique et fonctionnelle de l'édition
et de l'impression 144
1.1 L'impression 144
1.2 L'édition 147
1.3 L'internet et autres acteurs de production 149
2. Les structures d'édition à l'étranger
152
2.1 Les structures africaines d'édition 152
2.2 Les structures européennes : en France 154
2.3 Les éditeurs français et les oeuvres
tchadiennes 156
3. Les structures d'édition et d'impression au Tchad
158
3.1 Les structures d'édition au Tchad 158
3.2 Les structures d'impression au Tchad 162
3.3 Le financement des écrivains et des éditeurs
166
CONCLUSION GÉNÉRALE 170
GLOSSAIRE 180
BIBLIOGRAPHIE 183
ANNEXES 193
Annexe 1: Exploitation du questionnaire I
Annexe 2 : Protocole d'entretien (aux responsables des
maisons d'édition) IV
Annexe 3 : Protocole d'entretien (aux responsables
d'imprimeries) V
Annexe 4 : Liste des personnes ressources
enquêtées VI
2
Le Tchad a connu des crises sociopolitiques et
économiques qui ont eu des conséquences très
fâcheuses sur le développement de sa littérature. Dans ce
pays souverain depuis le 11 août 1960, plus d'un quart de siècle
est passé sans qu'on n'assiste à un véritable essor de la
littérature. Cependant, plusieurs textes littéraires produits par
des Tchadiens ont arraché l'admiration des instances de
consécration littéraire1.
Autour des années 2000, une volonté de
reconstitution de cette littérature va se faire sentir tant chez les
« hommes de lettres » que chez les politiciens. Au niveau de la
création, de la production des oeuvres et des instances de publication,
un progrès est visible. Au moment où Ahmed Taboye2 et
Marcel Bourdette-Donon3 mènent des recherches sur la
littérature tchadienne respectivement dans Panorama critique de la
littérature tchadienne (N'Djaména, Al-Mouna, 2003) et
Anthologie de la littérature et des arts tchadiens (Paris,
L'Harmattan, 2003), celle- ci a plus de 40 auteurs, soixante ouvrages de
fiction et 40 années d'existence, si nous considérons La Dot
de Palou Bebnoné et Au Tchad sous les étoiles de
Joseph Brahim Seid (Paris Présence Africaine, 1962) comme les
premières publications. Sept ans après la publication des textes
critiques ci-haut cités, les chiffres pourraient être revus
à la hausse selon le directeur des éditions Sao qui estime que la
littérature tchadienne était au départ l'oeuvre d'un
nombre limité d'écrivains qui, par la force des choses se sont
retrouvés en Europe où les conditions de production sont
favorables pour la production, la diffusion et la consommation de la
littérature. Pour ce dernier, tout va crescendo.
1 Il faut citer à titre d'exemple les
oeuvres de Baba Moustapha : Makarie aux épines
(théâtre, Grand prix du 6e CTI de 1972, Paris, RFI/ACCT,
1972, réédité en 1979 par NÉA/CLÉ,
Sortilèges dans les ténèbres (Nouvelle, Premier
prix de Jeux Floraux de Touraine), La Couture de Paris (Nouvelle,
2e prix du 5e concours de la meilleure nouvelle de la
langue française, 1979, RFI/ACCT, Paris,1980, Hatier,1986) et Le
Commandant Chaka (théâtre, Prix spécial du Jury au
11e CTI, Hatier collection « Monde noir poche » Paris,
1983 ; et de Maoundoé Naindouba : La Double détresse
(Nouvelle, 6e Prix de la meilleure nouvelle de langue
française de 1973 ; Nota Bene : Tous les sigles sont à consulter
à une liste au début du présent travail entre le
Résumé et la table des illustrations.
2 Enseignant-chercheur tchadien à
l'Université de N'Djaména, au département de Lettres
Modernes, actuel Ministre de l'Enseignement Supérieur.
3 Enseignant et critique français ayant
enseigné à l'Université de N'Djaména dans le cadre
de la Coopération française et produit plusieurs ouvrages sur la
littérature Tchadienne.
Ce point de vue optimiste est confirmé par le
responsable des éditions du Centre Al-Mouna qui estime que la
volonté d'écrire commence à animer les Tchadiens. Il
suffit que des efforts soient conjugués en vue de la promotion de la
littérature tchadienne :
Depuis 1996, nous avons publié au moins un livre
par an et cela pour la promotion de la culture tchadienne. Au niveau
national nous recevons des manuscrits des plumistes moins nantis qui ont le
plaisir de lire un jour leur propre oeuvre littéraire, mais nous sommes
limités par les moyens et notre orientation éditoriale pour
répondre à toutes ces sollicitations (Entretien du 29 -04-
2010, au Centre Al-Mouna à N'Djaména).
Le Directeur des éditions L'Harmattan, lors de son
passage à N'Djaména, dans le cadre de la fête du livre, a
été clair sur le flux d'auteurs tchadiens qui publient ces
derniers temps chez L'Harmattan. Il en est arrivé à envisager
très prochainement une représentation de cette maison
d'édition à N'Djaména.4
Eu égard à ces propos optimistes des
éditeurs qui entendent braver le « désert littéraire
» tchadien, il est nécessaire de mener une analyse sociologique,
analyse qui prend en compte les éléments externes aux textes pour
voir ce qui est à l'origine de l'émergence de la
littérature dans ce pays. En dehors des exigences temporelles et
académiques du moment, des travaux approfondis dans ce domaine peuvent
être utiles pour la connaissance de l'institution littéraire au
Tchad. C'est ainsi que nous formulons notre sujet : La production
littéraire tchadienne écrite d'expression française :
essai d'analyse sociologique.
Robert Escarpit définit la production littéraire
comme : « le fait d'une population d'écrivains qui, à
travers les siècles, est soumise à des fluctuations analogues
à celles de tous les groupes démographiques : vieillissement,
rajeunissement, surpopulation, dépeuplement, etc.» (Escarpit,
1968 : 29). Le mot production n'est pas seulement pris comme une
finalité ou un produit (ensemble des oeuvres ou des ouvrages produits
par un groupe), mais aussi comme le processus de réalisation dynamique
et mécanique, dans la mesure où il se limite dans le temps et
dans l'espace et suit un schéma régulier presque connu de tous :
un créateur appelé auteur propose un texte, fruit de son
imagination ou de son expérience sociale à un éditeur qui
en juge la qualité en fonction des attentes d'un public consommateur
appelé lecteur et le met sur le marché pour le
bénéfice et le plaisir de celui-ci. Cette chaîne engage des
acteurs pour la
3
4 Entretien réalisé par nous le 23 -11-
2009 au CCF (N'Djaména)
4
production et la diffusion du livre. Les acteurs de la
production avec les outils et les instances institutionnalisées qui les
accueillent font l'ossature de ce travail. L'appellation du texte qu'ils
produisent varie selon son genre et la discipline dans laquelle il est issu. La
page de couverture porte la marque de ces éléments. Nous
traiterons des oeuvres littéraires. Si la littérature est
l'expression des préoccupations humaines, ces préoccupations ne
peuvent être que d'ordre social, économique, politique et
culturel. Cela veut dire que chaque peuple, chaque pays aura sa
littérature. Il est donc illusoire de vouloir connaître le
processus de production sans opérer de choix.
Par « analyse sociologique », nous faisons allusion
à une étude du fait littéraire par une démarche
sociologique. Les sociologues Raymond Quivy et Luc Van Campenhoudt
témoignent que la démarche de recherche en sciences sociales est
rigoureuse : « Il importe que le chercheur soit avant tout capable de
concevoir et de mettre en oeuvre un dispositif d'élucidation du
réel c'est-à-dire, dans son sens le plus large, une
démarche de travail» (Quivy et Campenhoudt, 1995 : 3). Nous
nous sommes outillé, pour mener à bien cette analyse, d'une
démarche de travail qui se veut efficiente. Nous n'avons pas l'ambition
d'épuiser le traitement du fait littéraire dans sa
généralité. Un seul aspect, la production
littéraire, a constitué notre réflexion.
Nous étudions les rapports que la littérature
d'un pays africain (le Tchad) entretient avec les instances de production et de
légitimation extérieures ( françaises par exemple) avant
de nous appesantir sur le cadre institutionnel local et ses acteurs, parce que
cette littérature est née à l'extérieur. À
cet effet, l'analyse sociologique s'avère incontournable. Cette
étude traite du contexte sociopolitique dans lequel évolue la
littérature et fait une lumière sur les différentes
instances qui participent à sa vie. Il ne s'agit pas de réaliser
une étude immanente et systématique de ces oeuvres, mais de
centrer plutôt l'intérêt sur leurs processus de
création, de publication et les facteurs d'émergence. Car pour
que le livre existe, il faut la collaboration entre l'auteur et
l'éditeur comme l'affirme Christian Kingué Épanya :
La réussite d'un livre est très souvent -
mais pas seulement ! - le fruit d'une rencontre entre un créateur et un
éditeur, deux partenaires qui ne partagent pas toujours la même
façon de voir : l'un est tout en affectivité et
subjectivité (on touche à son oeuvre et, par-delà,
à sa personnalité) et l'autre a des contraintes
financières. Pourtant, ils travaillent tous les
deux pour un seul et même objectif : le succès d'une publication
(Notre Librairie n° 149, 2003 : 83).
5
Dans le champ littéraire négro-africain, la
présente recherche est orientée sous l'angle de « la
problématique des littératures nationales »
réservé à la production. Pierre Bourdieu définit le
champ littéraire comme : « Un réseau ou une
configuration de relations objectives entre des positions» (Bourdieu
étarquant, 1992 : 72). Ainsi défini, il est un espace de
compétition entre producteurs. Le choix de ce thème est le
résultat d'un constat sur l'intérêt et la portée de
la notion de champ littéraire en Afrique, cet espace dans lequel
s'opèrent des rapports entre le monde réel et le monde des
idées. Bernard Mouralis essaye de situer l'importance du contexte de
production dans l'étude du fait littéraire en ces termes :
La critique et la recherche ont [...]
développé une démarche de globalisation qui visait
à souligner le caractère homogène de la culture
négro-africaine et de l'expérience historique vécue par
les peuples noirs à travers la colonisation. La littérature
étant perçue comme une réponse globale à cette
expérience, on tendait ainsi à sous-estimer le contexte
d'énonciation et à mettre l'accent sur la fonction expressive et
la fonction référentielle de cette littérature. Cette
attitude [...] conduisait à accorder peu d'attention aux situations
individuelles des écrivains (Mouralis et al, 2001 : 47-48).
Il est vrai qu'à travers les oeuvres
négro-africaines peuvent se lire les éléments culturels et
linguistiques du continent. Mais dans ce grand groupe, il y a des
particularités qui sont non négligeables pour l'analyse des
textes littéraires. Nous voulons accorder plus de crédits
à ces éléments que sont les contextes, les acteurs et les
instances de production propres à un seul pays. Si les textes d'un pays
ne sont produits que dans un contexte de guerre, leurs auteurs vivent à
l'extérieur à cause de l'insécurité et que quelques
centres servent de lieu de publication, nous ne pouvons pas avoir la même
finalité esthétique ou thématique que ceux d'un pays
doté d'une institution dynamique de production, de diffusion et de
légitimation. La formation des auteurs, leur conception de la
littérature et leur situation sociale peuvent déjà
influencer la quantité et la qualité des textes mis sur le
marché.
Ayant opté pour la production littéraire d'un
seul pays pour étudier sa spécificité, nous participons
à la diversification et à l'enrichissement du champ
littéraire africain. Ambroise Kom déclare à cet effet :
« Spécificité n'est pas cloisonnement [...] Il va de soi
que [des] comparaisons et [des] rapprochement divers doivent (sic) être
recherchés entre les créations littéraires»
(Kom, 1993 : 10). C'est dans ce contexte qu'on parle de l'existence en
Afrique
des littératures nationales, définissables par
des critères externes ou internes aux textes. Ce champ s'élargit
par la recherche philologique, thématique, linguistique, culturelle,
postcoloniale, intertextuelle, etc. Mais la question de littérature
nationale est restée complexe malgré le nombre pléthorique
des ouvrages qui lui sont consacrés. Ce concept provient du vocable
nation qui désigne, en géographie, une communauté
d'hommes appartenant à un même pays, ayant la même
organisation sociale, les mêmes lois et étant nés
généralement sur le même territoire5.
Dans le domaine littéraire, la notion de
nationalité prime sur les diversités observables
à l'intérieur d'un territoire. C'est pour cela que moult
documents critiques et anthologiques s'intéressent à la
littérature nationale, une littérature propre à une nation
ou produite par des auteurs d'une nationalité commune. Cette appellation
suppose un nombre d'écrivains et d'oeuvres publiées, une
continuité dans le traitement thématique et l'existence des
traits communs entre ces oeuvres qui partagent la même histoire. En
effet, cette approche nationale de l'émergence d'une littérature
tend à faire l'unanimité dans le monde littéraire.
Beaucoup d'écrivains estiment qu'ils produisent des textes pour affirmer
leur identité : cet « ensemble des composantes grâce
auxquelles il est établi qu'une personne est bien celle qui se dit ou
que l'on présume comme tel» (Guillien et Vincent, 1990 : 261).
En lisant donc les textes des auteurs tchadiens, on constate que ceux-ci
invitent à une prise de conscience et à un sentiment de
cohésion sociale. Nous suivons ici un vieux débat de quelques
trois décennies légitimé par la publication des
anthologies nationales. La production littéraire tchadienne peut,
à cet effet, faire l'objet d'une question de recherche.
Nous constatons que la littérature entretient des
relations socio-idéologiques avec des institutions. Le champ conceptuel
approprié pour cette étude est « l'institution
littéraire ». Étudier les rapports que la littérature
entretient avec les instances de production et de légitimation est une
ancienne préoccupation de la sociologie de la littérature. Les
critiques à l'instar de Taine et de Madame de Staël, au
XIXe siècle déjà, ont étudié
cette corrélation. En 1978, Jacques Dubois traite, dans
L'institution de la littérature, les faits comme : les
sphères de production, fonctions de la littérature, instances de
production, instances de légitimation,
6
5 Baud, Pascal; Bourgeat, Serge; Bras, Catherine,
Dictionnaire de géographie, Paris, Hatier, 1997, 2è
édition.
7
statut de l'écrivain et du texte, la lecture et les
conditions de lisibilité. Cette étude a le mérite de
montrer le contexte sociopolitique dans lequel évolue la
littérature et faire une lumière sur les différentes
instances qui participent à sa promotion. Plusieurs critiques ont
traité le rapport entre le social et le littéraire. Nous faisons
allusion à Pierre Bourdieu, Robert Escarpit, Fabrice Themerel, H. Robert
Jauss, Pierre Fandio, Alain Viala, etc. qui ont, chacun à sa
manière, développé un aspect de cette question
sociologique.
Quelques raisons qui justifient l'intérêt du
sujet nous ont poussé à travailler sur la littérature
nationale tchadienne et surtout à mener des recherches en institution
littéraire définie par Salaka Sanou comme « ensemble de
règles et de codes qui définissent le fonctionnement de la
littérature ». (Salaka, 2003 : 4)
À la période coloniale, les Noirs africains
francophones se sont imposés dans le champ littéraire colonial
par des mouvements associatifs et idéologiques. La publication
d'Orphée noir, préface de L'anthologie de la
poésie nègre et malgache de Léopold Sedar Senghor,
par Jean Paul Sartre, en 1948, chez Présence Africaine, justifie cette
volonté de créer le mouvement de la négritude pour la
défense des valeurs nègres. La littérature africaine a
donc été, à ses débuts, dominée par un
discours anticolonialiste : détruire les préjugés raciaux
et donner une vision du monde du colonisé, telles étaient les
préoccupations idéologiques des auteurs africains. Après
les indépendances, les nouveaux dirigeants africains vont faire l'objet
d'une critique acerbe. Mais cet état de chose ne continuera pas toujours
par être l'apanage des nouvelles générations
d'écrivains et des critiques africains. La nationalité
littéraire se rétrécira davantage.
Quelques décennies après « les soleils des
indépendances », le paysage littéraire africain
connaît une modification sérieuse à cause de la
productivité des auteurs et de la diversité des problèmes
débattus. On assiste à des figurations diverses et
éclatées de la réalité. La notion de
nationalité comprise comme groupe humain uni par une communauté
de territoire, de langue et de tradition pose problème et se
résume davantage à un pays qu'à un continent. La critique
se diversifie et la tendance est à la littérature dite de
nationalité ou d'identité. Si le français a pendant
longtemps servi de langue d'asservissement, il deviendra un outil de promotion
culturelle, non seulement d'un continent mais d'un pays comme le note
Kadima-Nzuji cité par Jacques Chevrier :
8
Chaque pays vit une situation particulière à
laquelle il tente d'apporter une réponse spécifique en fonction
de ses intérêts et de ses objectifs. Dès lors, la
littérature qui est, elle-même, une manière de
répondre aux sollicitations, voire aux défis de notre
environnement et de notre temps, s'imprègne tout naturellement des
courants idéologiques qui informent et sous-tendent son lieu de
production [...] D'où la nécessité et l'urgence de fonder
un discours critique pouvant désigner et décrire avec bonheur ce
phénomène nouveau qu'est l'émergence des
littératures nationales (Chevrier, 1984 :230).
Ce point de vue extrait de la préface de
L'Anthologie de la poésie camerounaise d'expression
française, compilée sous le titre Poèmes de
demain, par Paul Dakeyo admet non seulement l'intérêt que
doit porter le chercheur aux textes nationaux, mais la
spécificité de chaque littérature qui mérite qu'une
critique (voire sociologique comme la présente) lui soit
réservée. En 1997, le Congolais Jean Baptiste Tati-Loutard
propose pour son pays une anthologie nationale. La même année,
Roger et Arlette Chemain publient Le Panorama critique de la
littérature congolaise chez Présence Africaine. La revue
Notre librairie a également consacré quelques
numéros spéciaux6 à cette littérature
dite de nationalité. Il faut noter qu'avant et après ces
parutions, des numéros ont été uniquement
consacrés, par cette revue, à un seul pays comme le Congo, le
Sénégal, le Gabon etc. Dans les anthologies et les ouvrages
critiques africains, le Tchad est toujours le grand absent, s'il n'est pas
représenté par un ou deux auteurs7. Le nombre minime
des ouvrages critiques sur les oeuvres littéraires tchadiennes le
prouve. Il faut donc une « pierre » pour sa visibilité tant
à l'intérieur qu'à l'extérieur.
Après les années 2000, la production
littéraire tchadienne devient progressivement riche en qualité et
en quantité grâce à l'implantation des éditions Sao,
de la volonté d'écrire
6 N° 83 : littérature nationales :
mode ou problématique, N° 84 : littérature
nationales : langues et frontières et N° 85 :
littérature nationales : identité et histoire.
7 Chevrier Jacques, Littérature nègre,
Paris, Armand colin, 1974 : A. Bangui, N. Naindouba et B. Moustapha y sont
juste évoqués ; P. N. Nkashama, Comprendre la
littérature africaine écrite, Paris, Saint-Paul, 1979 :
Aucun auteur tchadien ; Chevrier Jacques, Anthologie africaine, Paris,
Hatier, 1981 : Aucun auteur tchadien ; Chevrier, Jacques,
Littérature africaine (Histoire et grands
thèmes), Paris, Hatier, 1990 : J. B. Seid, A. Bangui, N. N.
N'Djékéry et B. Moustapha ;
Kesteloot Lilyan, Anthologie négro-africaine,
Paris, ÉDICEF, 1997 : Aucun auteur tchadien.
9
des jeunes « plumistes » et de la production
à notre époque d'un nombre croissant de textes critiques. Le
discours littéraire s'intensifie ainsi que la lecture. Mais nous
constatons que peu de recherches académiques ont été
faites sur la littérature au Tchad. Notre souci est de définir le
lieu d'inscription de l'oeuvre dans le social, c'est-à-dire
décrire le contexte sociopolitique de la production et d'interroger les
rapports que la littérature entretient avec les institutions de la
place. Analyser ce qui se dit, se fait et s'écrit sur la vie
littéraire au Tchad fait également partie de notre
préoccupation. Ce secteur d'étude est encore, à notre
connaissance, vierge et mérite un investissement. Il est
intéressant d'étudier la chaîne du livre littéraire
qui englobe les structures de production, de distribution et de consommation
des textes littéraires. Autrement dit, qui produit quelle oeuvre, par
qui celui-ci est-il soutenu dans la réalisation et la circulation de
l'oeuvre et comment celle-ci est-elle accueillie par le public? Cette question
nous conduira certainement à repérer les instances de production,
organisations et associations qui animent la vie littéraire d'une part
et à connaître les oeuvres et savoir les classer par genres et
thèmes majeurs d'autre part.
La lecture des travaux critiques sur la littérature
tchadienne et sur le domaine que nous envisageons exploiter, à savoir la
production littéraire tchadienne nous permettra de comprendre les
différents aspects pris en compte par les chercheurs et d'orienter
l'analyse.
Quelques ouvrages publiés par Ahmad Taboye et Marcel.
Bourdette-Donon font l'état de lieux de la production littéraire
tchadienne :
En 2000, M. Bourdette-Donon publie chez L'Harmattan Les
enfants des brasiers ou les cris de la poésie tchadienne.
L'ambition de cet auteur est de recenser les recueils de poèmes
d'auteurs tchadiens et d'opérer un classement thématique. Ce
travail a permis d'interpréter les inquiétudes majeures des
Tchadiens. Pour l'auteur, cette poésie s'oriente vers trois axes :
rendre compte du chaos et dénoncer l'aliénation dont le peuple
est victime (M. Mougnan et A. Nébardoum), concéder une place
prépondérante au rythme et aux phénomènes sonores
(Nimrod), et révéler un poète hanté par
l'intolérance et la barbarie, horrifié par la violence de la
jungle humaine (Koulsy).
Deux ans plus tard, le même auteur, chez le même
éditeur publie La Tentation autobiographique ou la genèse de
la littérature tchadienne. Il y est question de démontrer
que l'engagement individuel des premiers auteurs autobiographes tchadiens est
à l'origine de la naissance de la littérature au Tchad. Ceux-ci,
en réalité, ont été poussés à
l'écriture par la force de l'Histoire. C'est une sorte de prise de
conscience et de volonté de dévoiler l'injustice,
10
la dictature et la répression de l'époque. Cette
écriture du moi marque la genèse de l'engagement
individuel qui est une orientation capitale de la littérature
tchadienne
Une année après La Tentation
autobiographique, M. Bourdette-Donon enrichit l'ensemble de la production
littéraire tchadienne en publiant une fois de plus chez L'Harmattan
Anthologie de la littérature et des arts tchadiens. Cet ouvrage
est un état des lieux d'un ensemble de textes de quarante-neuf auteurs.
Il y introduit des textes d'auteurs d'autres modes d'expressions (peinture,
sculpture, cinéma, etc.) qui, selon lui, « éclairent les
thèmes littéraires et contribuent à mieux cerner
l'aventure artistique tchadienne de l'indépendance à nos jours
» (Bourdette-Donon, 2003 : 19)
La même année, A. Taboye publie au centre
Al-Mouna de N'Djaména un Panorama critique de la littérature
tchadienne. Cet ouvrage est une analyse éponyme qui met l'accent
sur le traitement des genres et des thèmes. Le chercheur nous fait lire
tout ce qui a marqué l'histoire de la littérature du Tchad et
valide la thèse de son existence.
L'économie de ces travaux montre que presque rien
d'extérieur au texte, proprement sociologique, n'a été
envisagé dans ces recherches faites sur la littérature
tchadienne. Par ailleurs d'autres travaux à l'échelle
sous-régionale et internationale ont traité le rapport entre le
social et le littéraire. Nous considérons entre autres quelques
recherches d'envergure :
Bana Barka présente un mémoire de maîtrise
ès lettres à l'université de Ngaoundéré sous
le thème : « La création littéraire dans le
Cameroun septentrional : analyse sociologique de la production
littéraire» Il passe en revue les conditions de production de
la littérature, les facteurs de son développement et les
critères de son évaluation dans sa zone d'étude. Il
démontre que non seulement la littérature du Septentrion existe
mais que beaucoup de recherches sont en train d'être faites pour son
insertion dans le champ social.
Salaka Sanou dans « L'Institution littéraire
au Burkina Faso » (rapport de synthèse en vue de
l'HDR8) présenté à Limoges en 2003) analyse la
production littéraire et la réception des textes
littéraires de son pays. Il étudie en effet un ensemble
d'éléments qui définissent le fonctionnement de cette
littérature et l'inscrivent dans la société. Il y fait
également mention du statut de l'écrivain.
8 Désormais, les abréviations sont
renvoyées à une liste alphabétique au début du
présent travail entre le Résumé et la table des
illustrations.
11
La même piste est exploitée par Pierre Fandio
dans La littérature camerounaise dans le champ social (Paris,
L'Harmattan, 2006). Ce dernier étudie « l'ensemble de
paramètres humains et matériels qui concourent à
l'existence du livre littéraire» (Fandio, 2006 : 16 ).
L'institution littéraire au Cameroun y est détaillée de
1940 à 1990. Il ne laisse pas de côté les discours
critiques et habitudes de lectures. Les questions du statut de
l'écrivain, de l'édition et de l'imprimerie occupent une bonne
place dans cet ouvrage.
En dehors des critiques ci-haut cités, nous rencontrons
dans tels ou tels ouvrages généraux des parties
réservées à des éléments qui feront l'objet
de notre analyse : Schifano Elsa dans L'Édition africaine en France
: Portraits (Paris, L'Harmattan, 2003) traite la question de
l'édition, le numéro hors-série d'avril-juin 2002 de
Notre Libraire intitulé Guide pratique du
Bibliothécaire, celle de la diffusion, etc. La particularité
de notre travail réside dans la collecte d'informations quelquefois
inédites sur les institutions littéraires tchadiennes en vue
d'évaluer la vie littéraire.
Ces travaux nous ouvrent un champ de recherche vaste et
vierge, pour ce qui est de la littérature tchadienne. Dans le cadre de
cette recherche nous faisons une étude sommaire sur l'existence des
organes qui facilitent la vie littéraire au Tchad. Dès lors, il
est nécessaire de préciser clairement ce qui constitue pour nous
la question de recherche.
En effet, la littérature tchadienne est récente
et dispose d'une institution fragile et méconnue. Il nous échoit
de nous demander ce qui a freiné son épanouissement avant
d'analyser les facteurs propulseurs du moment. Étudier cette
littérature du point de vue de son rapport avec la société
nous amène à soulever des questions liées au contexte de
production, aux conditions d'émergence, aux acteurs et instances de
production, etc. La littérature tchadienne est née à
l'extérieur du pays. Cela est-il dû aux crises sociopolitiques, au
manque de structures de production locales, à une mauvaise
volonté politique et culturelle ou à des habitudes rebelles
à l'écriture et à la lecture ? Face à ces multiples
préoccupations, les atouts humains et matériels doivent
être passés en revue pour faire ressortir ce qui constitue un
obstacle aux conditions ci-haut énumérées. Autrement dit,
qu'est-ce qui a retardé l'institutionnalisation de la littérature
au Tchad et qu'est-ce qui est en train d'être fait (ou peut être
fait) pour combler le vide ou corriger les erreurs du passé ?
Il faut, pour ce problème posé, une
résolution anticipée et provisoire qui nous permettra de le
résoudre. Ainsi nous formulons l'hypothèse suivante :
12
Le contexte sociopolitique, économique et culturel du
Tchad a influencé négativement la production littéraire.
La chaine du livre a été à cet effet « rompue
».
Vu le caractère globalisant de cette hypothèse,
nous lui adjoignons trois autres secondaires :
- Une relecture des oeuvres tchadiennes laisse entrevoir
l'image des éléments sociopolitiques, littéraires et
culturels fédérateurs à l'origine de ces
récurrences thématiques en littérature (les contextes,
conditions et lieux de production de ces oeuvres);
- Une étude des instances de production
détermine, en amont l'investissement humain et matériel, la
fréquence et la qualité des oeuvres, puis en aval les habitudes
des consommateurs, le traitement de genres (et de thèmes) et
l'orientation des discours critiques;
- Les instances de production existantes n'évoluent pas
en synergie, créant un désordre dans la chaîne du livre.
Pour ces genres de travaux, il faut une démarche
rigoureuse et objective. Le domaine de recherche étant moins
exploré, nous choisissons faire une descente sur le terrain pour la
collecte des données orales brutes, faisant suffisamment recours aux
termes clés et techniques de la recherche en sociologie. Ainsi, nous
nous sommes doté d'un appareil enregistreur pour la sauvegarde
intégrale des informations en vue d'un traitement au cours de cette
analyse. Nous avons opté pour deux sortes d'enquêtes : une
enquête extensive et une enquête intensive. Selon Raymond Quivy,
l'enquête consiste à : « poser à un ensemble des
répondants, le plus souvent représentatifs d'une population, une
série de questions relatives à leurs situations sociales,
professionnelles ou familiale, à leurs opinions[...],ou sur tout autre
point qui intéresse le chercheur» (Quivy et Campenhoudt, 1995
: 190). Il faut noter que cette tâche se distingue du simple sondage.
Au niveau de l'enquête extensive, celle qui convient
à tout le monde sans distinction, nous ciblons des élèves,
étudiants et autres utilisateurs ou acteurs de la chaîne du livre
non concernés par la production. La méthode sociologique
d'enquête prévoit à cet effet un échantillon. Cent
personnes bénéficierons chacune d'un questionnaire pour nous
permettre de faire une comptabilité d'intentions. Car, comme l'affirme
Robert Escarpit : « Une définition [d'un travail] en
littérature suppose une convergence d'intérêts entre
l'auteur et le lecteur, une définition plus large exige au moins une
comptabilité d'intentions.» (Escarpit, 1968 : 29).
13
Cette comptabilité nous permettra d'avoir en
pourcentage des points des vues sur les contextes, les conditions, les acteurs
et les instances de la production littéraire au Tchad. Bref nous aurons
des informations fiables et traitables sur le processus de la production.
Un travail de cette envergure ne peut se faire sans les points
de vue des personnes ressources9. D'où la
nécessité d'enquête intensive, celle rigoureuse
menée auprès des personnes qualifiées. Pour cette phase,
nous avons prévu des entretiens qui seront exploités et
cités. La liste de ces personnes est présentée à
l'annexe de ce travail. Un protocole d'entretien adaptable suivi du
questionnaire nous permettra de justifier nos hypothèses et
résoudre le problème posé. Cela est un palliatif pour
combler le silence textuel que nous offre les bibliothèques en ce
domaine. Il ne nous dispense en aucun cas d'autres sources du savoir.
En littérature, la grille méthodologique
indiquée pour cette cause est la sociologie de la littérature. Le
travail consistera à faire la sociologie de la production10.
Depuis le XIXe siècle déjà, plusieurs critiques
ont étudié cette corrélation. Le marxisme comme
théorie a également influencé le courant sociologique qui
a pour branches : la sociologie de la littérature, la sociocritique, la
socio-poétique, etc. Pour les marxistes, l'oeuvre est l'expression d'une
vision du monde propre à la classe sociale à laquelle appartient
l'auteur qui pense et sent cette vision. La pertinence de la sociologie de
littérature réside dans le fait qu'elle établit et
décrit des rapports entre la société et l'oeuvre
littéraire comme le fait savoir Jean-Yves Tadié, parlant de
celle-ci : « La société existe avant l'oeuvre, parce que
l'écrivain est conditionné par elle, la reflète,
l'exprime, cherche à la transformer ; elle existe dans l'oeuvre
où l'on trouve sa trace, et sa description... » (Tadié,
1987 :155).
La première théorisation en ce domaine est celle
de Georges Lukacs. En 1920, Lukacs estime, dans La théorie du roman
(Paris, Gauthier, 1963, traduction), que le roman est le reflet d'un monde
disloqué, l'épopée d'un monde sans dieux. Dans Le
Roman historique, (Paris, Payot, 1965, traduction), il présente son
point de vue méthodologique ainsi qu'il suit : « La recherche
de l'action réciproque entre le développement économique
et social et la conception du monde et la forme artistique qui en dérive
» (cité par Tadié, 1987 : 169).
9 Auteurs, éditeurs, imprimeurs, enseignants,
chercheurs, etc.
10 Démarche et en même temps branche
de la sociologie de la littérature qui s'occupe de la production
littéraire et artistique.
14
En 1959, Lucien Goldmann qui a vulgarisé les
idées de Lukacs pense que : « les véritables sujets de
la création culturelle sont les groupes sociaux et non les individus
isolés » (Goldmann, 1956 : 12).
La méthode de Goldmann consiste à chercher les
rapports entre l'oeuvre et les classes sociales de son temps puis à la
comprendre elle-même dans sa signification propre. Dans Pour une
sociologie du roman (Paris, Gallimard, 1964), il démontre que les
véritables sujets de la création culturelle sont les groupes
sociaux et non pas les individus isolés. Il ajoute que l'auteur ne
connaît pas mieux que d'autres la signification et la valeur de ses
écrits. Il faut une étude immanente à comparer à la
réalité socioéconomique de l'époque. Cela Goldmann
le met en pratique dans Le Dieu caché (Paris, Gallimard, 1956).
Une seule chose est à l'actif de l'auteur, la valeur esthétique
de l'oeuvre.
La sociologie de la littérature applique les
méthodes de la sociologie à la production, à la diffusion,
à l'institution littéraire, aux groupes professionnels tels
qu'écrivains, professeurs ou critiques, en un mot à tout ce qui,
dans la littérature, n'est pas le texte lui-même. Elle a une
sous-discipline qui se considère comme une des méthodes des
sciences de la littérature, méthode critique tournée vers
le texte, et vers la signification de celui-ci. Elle élargit la
compréhension par la prise en compte des phénomènes
sociaux, de structures mentales et de formes de savoir. Des idées
semblables seront ensuite développées par Jacques Dubois dans
L'institution de la littérature. Il y traite : les
sphères de production, fonctions de la littérature, instances de
production, instances de légitimation, statut de l'écrivain et du
texte, la lecture et les conditions de lisibilité etc. Pour lui,
« en tant qu'institution, la littérature n'obéit
à aucune charte, n'est dotée que d'une faible visibilité,
mais ses mécanismes et ses effets peuvent se mesurer» (Dubois,
1978 : 9). J. Dubois se fonde principalement sur la théorie du
«champ» à la manière de P. Bourdieu pour mener une
étude extratextuelle réservée au contexte de production et
à la consommation du livre. Cette approche montre comment s'organisent
les instances et les systèmes sociaux de légitimation, les
stratégies d'émergence des acteurs, etc. Ces pistes nous seront
utiles pour démontrer et illustrer notre étude.
La sociologie de la littérature délaisse le
texte pour s'occuper du contexte social de l'oeuvre. Jacques Dubois affirme
à cet effet :
Accaparée par la recherche du
référent exact de l'oeuvre, sollicitée par la comparaison
avec d'autres écrits et d'autres faits sociaux, la critique sociologique
court le risque de se voir déportée vers une
périphérie où le
15
littéraire se trouve confondu à des
phénomènes d'une autre nature. (Dubois, in Escarpit, 1970 :
55)
En ce moment où la tendance est à l'étude
immanente, la sociocritique qui a le mérite de décrire et
d'interpréter le texte va être suffisamment convoquée par
les chercheurs pour l'analyse du fait et des textes littéraires. La
sociologie de la littérature reste cependant complète et valable
pour être appliquée à l'étude du contexte de
production, surtout si nous nous en tenons à la démarche
adoptée par Robert Escarpit dans Sociologie de la littérature
(Paris, PUF, 1958) Nous emprunterons des concepts principalement aux
auteurs cités.
Notre travail est organisé en trois parties
réparties comme suit :
La première partie traite des « contextes de
production de la littérature tchadienne écrite d'expression
française ». Il est question des contextes politique,
socio-économique et culturel.
Dans le premier chapitre réservé au «
contexte politique », nous voulons d'une part étudier les
éléments sociopolitiques et histoires et d'autre part
démontrer en quoi ceux-ci ont été sources d'inspiration
littéraire. Les textes historiques attestent que de la période
coloniale à la première république il y a eu une
stabilité politique qui a été suivie des dérives et
des coups d'État. L'élite politique et intellectuelle n'a pas
été indifférente face à cela dans ses oeuvres.
C'est d'ailleurs pendant la période de 1960 à 1990 que sont
produites les autobiographies politiques au Tchad. À l'ère de la
démocratisation, la liberté de presse a permis à quelques
Tchadiens de produire, même au niveau national des oeuvres sur la gestion
du pouvoir et la critique des moeurs sociales.
Au deuxième chapitre concernant le « contexte
socio-économique et culturel », il est question de démontrer
que sur le plan social, les guerres, causes directes des crises sociales ont
favorisé l'analphabétisme, la corruption, l''injustice sociale et
bien d'autres pratiques sociales déviantes déjà
existantes. La situation économique du Tchad au début de
l'indépendance n'a pas été propice à la production
des oeuvres de l'esprit. Les besoins ont été encore alimentaires.
Sur le plan économique, la deuxième partie du chapitre voudrait
démontrer que la crise économique (bas salaire et ajustement
structurel) a renforcé les clous et que le boom pétrolier
pourrait être un avantage pour le flux de production littéraire.
Et la partie finale justifie que les réalités culturelles comme
la lutte de classes, l'hétérogénéité
16
culturelle et la diversité ethnique ne sont pas de
nature à encourager l'émergence de la littérature
tchadienne écrite.
La deuxième partie est réservée aux
« conditions de production de la littérature tchadienne
écrite d'expression française » et comprend deux
chapitres.
Un chapitre est consacré aux « facteurs
littéraires et historiques ». Nous y démontrons que les
associations, les événements, les rencontres, les festivals et
les concours littéraires, sans oublier les écrits des
expatriés sont des facteurs certains pour la production des textes
littéraires, on ne peut les perdre de vue.
Le chapitre consacré aux « facteurs linguistiques,
religieux et culturels » est l'occasion d'analyser les contraintes et
diversité linguistique au Tchad et de dire que malgré la
tentative d'écriture en arabe, le français s'impose comme langue
d'écriture. La dictature militaire et les guerres produisent une
portée idéologique et politique non négligeable.
L'adversité politique devient source de création, d'engagement et
l'innovation littéraire. La religion (le Christianisme et l'Islam)
mérite, en dernier lieu, un regard critique. Elle pousse à
l'autocensure. Les clivages ethniques et la culture traditionnelle ne
favorisent pas l'unité et l'identité nationale.
La troisième partie est intitulée : «
Acteurs et instances de production de la littérature tchadienne
écrite d'expression française » et est consacrée
à la fonction créatrice et éditoriale.
Le chapitre consacré aux « écrivains et les
formes d'expression » traite de la fonction créatrice. Il est le
lieu de parler des dramaturges, romanciers, autobiographes, nouvellistes et des
poètes, etc. Leurs statuts, distinctions diverses, situations
professionnelles et lieu de résidence sont des éléments
constitutifs du chapitre. Une partie prendra en compte les grandes figures et
les pièces représentatives.
La fonction éditoriale occupe le dernier chapitre
dénommé : « instances techniques de réalisation
d'ouvrage ». Pour arriver à l'édition et à
l'imprimerie au Tchad, il est préférable de connaitre leur
histoire et leur fonction dans la société. Ces instances sont
divisées dans ce travail en structures d'édition et d'impression
à l'étranger, (Africaine, Europe) et au Tchad. Le financement de
la production littéraire est une question que nous jugeons utile pour ce
travail.
17
PREMIÈRE PARTIE : CONTEXTE DE PRODUCTION DE LA
LITTÉRATURE TCHADIENNE ÉCRITE D'EXPRESSION
FRANÇAISE
18
La littérature est fille de son temps. Pour la
comprendre, il faut connaître le contexte historique et politique du
moment. De l'étymologie latine contexere, tisser ensemble, le
mot « contexte » désigne un ensemble de circonstances qui
accompagnent ou génèrent un événement (historique,
politique, économique ou socioculturel). La sociologie des faits
littéraires s'est traditionnellement posé le problème des
relations entre, d'une part les productions textuelles et leurs auteurs, de
l'autre leurs conditions d'émergence (socioculturelles,
économiques, politiques, idéologiques, etc.).
Á la suite de Taine et de Lanson, l'histoire
littéraire s'est attachée à reconstituer l'histoire de la
littérature et des auteurs, parallèle à l'histoire
proprement dite, dans l'intention d'expliquer ou de comprendre les oeuvres
à partir des éléments externes à elles. Les
analyses sociologiques à tendance marxiste cherchent toujours à
situer l'oeuvre littéraire dans le milieu qui l'a produite. Les travaux
de Lukacs, Goldman, Escarpit, Bourdieu, Dubois, etc. traitent les circonstances
historiques, politiques et socioculturels dans lesquelles vivent les auteurs et
qui les inspirent. Les critiques africanistes tels J. Chevrier et L. Kesteloot
ont également intégré ces éléments dans
leurs études. Cette dernière a réservé quelques
pages aux « nombreux événements qui ont agité le
continent noir» (Kesteloot, 1997 : 414) et aux « obstacles
de toutes espèces, sur le plan social, économique, politique !
Coups d'Etat militaires en cascade, guerres de sécessions, guerres
frontalières, guerres d'indépendance» (Kesteloot, 1997
: 414). Pour elle, les dictatures et les boursouflures des pouvoirs
arbitraires, les répressions, corruptions, détournement, la
quête d'argent, la sécheresse, la montée des prix, etc.
sont des éléments dont les écrivains rendront compte.
Nous nous sommes imprégné de ces travaux pour
expliquer dans cette partie le contexte politique, socio-économique et
culturel de la littérature tchadienne. Le premier chapitre
développe les événements politiques sous la colonisation
et les différents régimes tout en faisant ressortir
l'évolution historique et les dérives des dirigeants. Le
deuxième chapitre analyse les influences de la guerre, de
l'analphabétisme, de la corruption sur la production sur la production
littéraire, les jeux économiques (précarité et
amélioration) et quelques réalités culturelles (l'ethnie,
l'oralité et la démocratie) qui, bien gérées,
pourraient être des atouts pour l'institutionnalisation de la
littérature tchadienne.
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