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La production littéraire tchadienne écrite d'expression française : essai d'analyse sociologique.

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par Robert MAMADI
Université de Ngaoundéré - Master ès Letrres 2010
  

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1.2 Les dramaturges au niveau local

Il y a des dramaturges "en herbe" qui écrivent dans l'anonymat parce que leurs oeuvres ne sont pas éditées. Nous pensons à 11 d'entre eux qui ont produit plus de 12 pièces de théâtre : Adam Abaye Abakar, Laring Bao, Garandi Dahwé, Boydi Clément Bégoto, Djimadoum Kotidjé, Djimet Kari, Ali Abdel-Rhamane Haggar, Christophe Moyangar, Priscille Djérareou, Adoum Nguérébaye, Samafou Diguilou Bondong, etc.

Ces dramaturges sont soit des enseignants, des éditeurs et des comédiens metteur en scène, soit des journalistes, des économistes, des agents de développement. Mais leur ardeur pour la littérature les place au-devant de la scène en matière de théâtre à N'Djaména où ils vivent. Ainsi ils ont acquis le statut de dramaturges sans être trop célèbres ni publiés (en majorité).

Abakar Adam Abbaye s'illustre par son oeuvre Le départ de Koraré de César qui dénonce la corruption et l'indifférence des autorités traditionnelles face à la domination coloniale française.

À ce moment où Mme Mbaïlamdana Marie-Thérèse est maire de la ville de N'Djaména, poste toujours occupé que par des hommes, on peut dire sans se tromper que Madame le Maire37 de Laring Bao est une pièce d'avant-garde. Laring a eu le privilège de prédire dix ans avant le règne de la femme par une pièce de théâtre. En effet, Moussa officier de la police judiciaire ne veut pas voir sa femme travailler et de surcroit occuper une fonction de maire de la ville. Il est le prototype de beaucoup d'hommes. Amina, sa femme, malgré tous les obstacles devient maire. Par sa victoire, le dramaturge pousse les femmes à l'action.

Si avec Un four à la barre, Dahwé Garandi gagne l'adhésion des spectateurs de la troupe Maoundôh-culture (dirigée par lui) en 1992, Boydi Clément Bégoto a eu le même succès et a été primé par le centre Dombao de Moundou pour Manu ou la vie d'un élève en 1990. B. C. Bégoto est un moralisateur à la manière de Molière.

Par L'Exode38, Djimadoum Kotidjé fait une « littérature à thèse », celle d'apporter des âmes à Christ. En effet, il présente un protagoniste qui échoue en ville pour s'être adonné à l'alcool, la vie mondaine. « Le fils du pasteur », le nomme-t-il, n'avait pas ce comportement

37 N'Djaména, Sao, 2000, Collection littérature tchadienne, théâtre

38 Moundou, Imprimerie de Koutou, 1980

corrompu au village. Il a fallu la visite d'un évangéliste dans les boîtes de nuit pour récupérer cette « brebis égarée ».

Le crime de la dot39 de Djimet Kari est un discours au détriment de la dot. Dans certains milieux, la jeune fille est considérer comme une marchandise à livrer au plus offrant. Ceci participe à la chosification de la femme. Il en est de même pour les oeuvres d'A. Haggar : Je veux la paix (1981), Tribalisme au diable ! (1981), Sauve ton peuple (1985), etc. dont les titres constituent le résumé. Le régime de l'époque a préféré censurer la dernière pièce. Haggar fait voir d'une part le luxe dans lequel vit Le Beau du Ministre (1981) et d'autre part la misère de Moussa Bégoto (1992) dans des pièces éponymes.

Moyangar Christophe est compté parmi les dramaturges-moralisateurs. C'est A qui la faute ?qui le consacre. Le personnage de Baba traite sa femme Catherine avec rigueur au nom de la supériorité masculine, malgré ses manquements, défauts et caprices. Sur scène, un couple « bis » donne sa vision du mariage, provoquant une prise de conscience collective.

Le titre Mardochée, le juif (1980) de Djérareou Mekoulnodji Priscille est tout un programme qui renvoie à la « littérature à la thèse » prônée par Djimadoum Kotidjé. L'épouse du pasteur Djérareou trouve par la Bible un moyen de moraliser.

Saleh Adoum Nguérébaye fait jouer un théâtre de satire sociale et morale dans Triple coup au pari-vente qui est sa pièce principale. Celui qui lit ou assiste à la représentation de cette pièce n'enviera jamais les actions et le sort révolus à Ousmane, le personnage volage et infidèle.

Samafou Diguilou estime que le rôle de l'écrivain est de « sensibiliser pour mieux informer» Pour lui, « le théâtre donne la possibilité au public de voir, de s'interroger et d'y apporter la solution adéquate en se modifiant ». (Bourdette, 2003 :264). C'est pour cette raison qu'il adapte la littérature à la lutte contre le sida avec la publication des plaquettes des textes littéraires au Service d'Édition de l'ADELIT.

124

39 N'Djaména, UNESCO, 1972

125

1.3 La situation professionnelle et le lieu de résidence : effet littéraire

Bourdieu a traité le lieu de résidence, la profession et la décoration de l'auteur et des autres producteurs. Cette étude vise à « constituer la population des auteurs reconnus par le grand public intellectuel» (Bourdieu, 1998 : 256-257). Elle permet également de justifier l'hypothèse selon laquelle, les écrivains tchadiens les plus connus sont paradoxalement ceux qui vivent, travaillent et écrivent à l'extérieur du pays. La preuve est que l'enquête n'a considérée comme dramaturges de renom que ceux qui vivent à l'extérieur (Annexe 1, question 16). C'est par ces informations qu'on peut reconnaître les grands noms de la littérature. Loin de faire une bibliographie d'auteurs, cette partie a pour objet de donner des informations sur la profession et le lieu de résidence de ceux-ci. Elle suit l'ordre établit pour le traitement de la partie précédente réservée au statut de dramaturges de renom et à leurs pièces représentatives au niveau international et national.

Maoundoé a exercé à la Fonction Publique tchadienne comme professeur de lycée et collège. Du Sud au Nord du pays, il a été tantôt chef d'établissement, tantôt enseignant. Il a enseigné l'histoire au Lycée Félix Eboué et y a occupé le poste de bibliothécaire. Il a effectué des travaux à caractère linguistique sur la toponymie ngambaye ou la linguistique de l'histoire en 1980. Ceci est un projet de recherche qu'il a monté lors de son séjour à Brazzaville, la même année, pour préparer un CAPEL à l'Institut des Sciences de l'Éducation. Pendant ses dernières décennies, N'Djaména fut sa ville de résidence. Maoundoé a rendu l'âme à Moundou le 13 janvier 2003.

De son vrai nom Mahamat Moustapha, Baba est nommé à sa sortie de l'ENA de N'Djaména en 1975, préfet adjoint du Chari Baguirmi. Il a laissé ses fonctions pour suivre les études en France où il meurt en 1982, en pleine préparation d'un doctorat en droit international. Sa vie a été partagée entre Paris, la ville d'études et N'Djaména.

Koulsy Lamko est enseignant installé au Burkina Faso. Il a travaillé comme agent de conception à l'Institut des Peuples Noirs en 1993, avant de créer l'année suivante une agence d'administration culturelle. Au Burkina Faso, il est comédien, assistant et metteur en scène. Il a organisé plusieurs ateliers d'écriture. La même année, Koulsy a eu une bourse de la fondation Beaumarchais pour une résidence d'écriture à Limoges. Ceci grâce au 10e festival international des francophonies au Limousin.

126

Palou Bebnoné était directeur au collège de Koumra où il dirigeait un centre culturel et une troupe qu'il a créée. Après des formations en France en 1963, il est décédé à Bongor, après la guerre civile au Tchad.

Nocky Djédanoum, journaliste de formation, est installé à Lille où il a fondé le Festival Fest'Africa.

Noël Nétonon N'Djékéry, mathématicien et informaticien de formation, travaille chez Bobst SA à Lausanne en Suisse.

En plus des dramaturges de renommée internationale que nous venons de passer en revue, il y a au niveau local des jeunes qui produisent çà et là des pièces de théâtre.

À N'Djaména, le comédien, conteur et metteur en scène Adam Abaye Abakar a produit plusieurs pièces inédites représentées au CCF de N'Djaména, à Abéché, Bol et Mao. (Citons entre autres Ali et sa carte, L'aventure d'un villageois et La peau du caméléon.

Laring Bao, l'auteur de la pièce, Madame le Maître (Édition Sao, N'Djaména, 2000) est le promoteur de la maison d'édition Sao. Installé à N'Djaména à son propre compte, il est éditeur-écrivain.

Garandi Dahwé, auteur d'Un fou la barre (1991) est comédien, metteur en scène et animateur à Médecins Sans Frontières.

L'auteur de Manu ou la vie d'un élève (1990) de Le retraité (1992) et de Le destin tragique (1995), Boydi Clément Dégoto est un comédien, metteur en scène installé à Moundou où il enseigne de 1992 à 1995. Ces pièces inédites sont respectivement primées premier, troisième et deuxième prix du concours théâtral organisé par le centre Dombao de Moundou.

L'homme qui a produit en 1980 et 1982 L'exode et Une vie brisée, Djimadoum dit Kotidjé-fils est professeur de français puis proviseur au LTC entre 1992 et 1995. Jusqu'en 2002, Djimadoum est resté secrétaire de l'ATPDH à N'Djaména.

Djimet Kari, l'auteur de Le crime de la dot (N'Djaména, UNESCO, 1972) et d'Adel Fayda ou Saïd El-Goni (1975, inédit) est professeur certifié au Lycée de la Liberté à N'Djaména.

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Ali Abdel-Rhamane Haggar a produit plusieurs pièces de théâtre inédites représentées à N'Djaména : Je veux la paix (1981) ; Tribalisme au Diable (1981), Sauve ton peuple (1985), Le beau frère du ministre (1981) et de Moussa Bégoto (1992). Économiste (PH/D à Leningrad, Ali Haggar est enseignant chercheur à l'université de N'Djaména et promoteur de HEC-Tchad (Haute École de Communication). Il a exercé des fonctions politiques et administratives importantes :

Il a été successivement : secrétaire général du parlement provisoire pendant la transition ; puis conseiller aux relations internationales à la Présidence ; secrétaire général à la présidence de la république, enfin administrative provisoire de la société nationale sucrière du Tchad (Sonasut) (Taboye, 2003 : 202).

Christophe Moyangar, auteur de Le prix d'une vie (1988) et d'A qui la faute ? (1992) est professeur de français au collège du Sacré-Coeur (après une licence en droit à l'université de N'Djaména) avant d'être administrateur civil à la fonction publique et contrôleur financier au Ministère des Finances. Comédien-metteur en scène, Moyangar réside à N'Djaména.

Priscille Djérareou Mekoulnodji qui a produit Dana et Henriette (1980) et Mardochée, le juif (1980), après un DEUG en lettres et une licence de linguistique a enseigné au collège Notre Dame de Moundou. Elle a vécu au Texas où elle a préparé une maîtrise à l'université d'Arlington. De retour au Tchad en 1989, Priscille enseigne au Collège vangélique à N'Djaména.

Adoum Nguérébaye Saleh a écrit Triple coup au pari-vente était un journaliste à la radio nationale tchadienne (animateur puis rédacteur en chef et sous-directeur des programmes). Il a été conseiller, attaché de presse à la Primature entre 1992 et 1997.

Enfin, Samafou Diguilou Bondong a produit Kroidy, Les Réfugiés et Luttons contre le sida en 1990. Il est le président de l'ADELIT, responsable du journal Choc culture et du Service Édition-ADELIT. Samafou anime un atelier de littérature au CCF de N'Djaména. Il réside à la capitale du Tchad.

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2. Les romanciers, autobiographes et nouvellistes : statut, grandes figures et oeuvres représentatives.

Les oeuvres narratives dans la littérature tchadienne sont classées par priorité et visibilité entre le Théâtre et la Poésie. En roman, les résultats de l'enquête donnent 8 auteurs de dix romans reconnus, sept autobiographes qui ont, (hormis Zakaria F. Khidir, qui a deux textes autobiographiques), chacun une oeuvre. En nouvelle, le questionnaire nous donne quatre noms représentés chacun par au moins deux titres au niveau international et quatorze nouvellistes qui produisent dans l'anonymat au Tchad. La situation professionnelle et lieu de résidence de ses auteurs aident davantage à la compréhension de leurs textes.

2.1 Les romanciers

Les romanciers : statut, grandes figures et oeuvres représentatives

Il est nécessaire de classer sous ce vocable les auteurs de tout texte littéraire traitant toute sorte de sujets reconnu par les éditeurs comme roman. Car pour la promotion de la culture tchadienne, il arrive de fois qu'un témoignage ou une autobiographie porte ledit nom. Les investigations menées donnent une liste de huit grandes figures du roman tchadien avec leurs oeuvres représentatives respectives : Ali Abdel-Rhamane Haggar, Nimrod Bena Djanrang, Baba Moustapha, Koulsy Lamko, Noël Nétonon N'Djékéry, Marie Christine Koundja, Tedambe Isaac et Mouimou Djékoré. (Annexe 1, question 17)

Ali Abdel-Rhamane Haggar est reconnu romancier pour avoir publié chez Al-Mouna Le Mendiant de l'espoir (1998) et Le Prix du rêve (2002). Récemment il a publié Hadjer-Marfa-ine chez Sao. Ces romans sont connus respectivement à 35%, 5% et 5%.

Le premier livre retrace le voyage « aller-retour » de Youssouf en URSS pour les études. C'est un roman de quête qui s'achève sur un découragement (Le Tchad n'a pas changé) et sur un projet d'insertion sociale. Le Prix du rêve est le deuxième roman de la trilogie. Il est rempli d'un réalisme que Taboye qualifie de créatif. Le retour de Youssouf au pays s'apparente à une descente aux séjours des morts. Le rêve n'est pas réalisé. Il faut le reconstruire. Hadjar Marfa-ine détruit le peu d'espoir. C'est la guerre à l'Est du Tchad qui gêne l'unité nationale, la cohésion sociale.

Nimrod écrit Les Jambes d'Alice40 qui provoque la réaction du monde. Le fait de fuir la guerre est presque anodin pour un pays instable comme le Tchad où en temps de guerre, les populations urbaines quittent les lieux pour se réfugier aux villages. Mais fuir pour suivre les silhouettes d'une fille, (Alice), la suivre et la posséder, étant professeur de français et l'abandonner tôt, cela a une explication philosophique à rechercher. Les critiques à l'instar de Taboye n'ont pas tardé à condamner cette liberté d'écrire le sexe. Ce roman est connu par 30% des enquêtés.

Baba Moustapha, avant de mourir a écrit Le Souffle de l'harmattan qui sera édité à titre posthume par l'association « Pour mieux connaître le Tchad » en 2000 chez Sépia. L'harmattan est un vent sec et chaud mais qui a ses vertus. Il mûrit les grains. Haroun et Ganda vivent dans cette chaleur mais s'aiment, luttent pour l'unité, la solidarité, détruisent les fondements des clivages et prônent le mariage interethnique et interreligieux. L'oeuvre est connue à 30%.

Koulsy Lamko a écrit La Phalène des collines, (connue par 25 % des enquêtés) par devoir de mémoire pour le Rwanda, dans le cadre de Fest'Africa. Le texte est publié chez Kuljaama au Rwanda en 2000 et réédité chez le Serpent à la plume en 2002. C'est l'histoire d'une phalène qui erre de colline en colline en quête d'une sépulture. L'errance, l'assistance, l'exil et le génocide sont la trame de l'histoire. L'héroïne tuée par un prêtre est devenue phalène en attendant sa sépulture. À travers son voyage au Rwanda, le romancier observe et critique.

La même année, N'Djékéry produit Sang de kola (Paris, L'Harmattan). Dans cette oeuvre, la politique et la guerre sont vivement dénoncées. Par la kola, l'auteur propose une réconciliation. Ce roman est reconnu par 20% des enquêtés. Cette volonté d'unifier le pays, de prôner l'unité nationale a été reproduite par Marie Christine Koundja, la première femme tchadienne écrivaine dans Al-Istifack ou l'idylle de mes amis, (Yaoundé, CLE, 2001). Pour Koundja, il faut lutter contre les clivages, les divisions Nord/Sud et Chrétien/Musulman. Le mariage entre Allatoidji et Fatimé est un mariage d'unité. Malheureusement 10% des enquêtés seulement ont entendu parler de l'oeuvre. Isaac Tedambé et Mouimou Djékoré changent le ton avec République à vendre et Le Candidat au paradis refoulé (publiés chez L'Harmattan),

129

40 Paris, Acte Sud, 2001

130

connus chacun à 5%. La politique africaine est orientée vers la répression, les intérêts égoïstes. Ces deux auteurs trouvent à dénoncer les tares qui bloquent le sursaut, le développement socio-économique. La situation professionnelle et le lieu de résidence de ces auteurs ont été étudiés dans la première partie de ce chapitre réservée à la dramaturgie parce qu'ils sont en même temps dramaturges et romanciers. Seul Nimrod trouvera sa place parmi les poètes auxquels nous consacrons la dernière partie du chapitre.

Ce commentaire peut être illustré par le tableau suivant :

Auteurs

OEuvres

Pourcentage

Achat

visibilité

Lecture

1

Abdel-Rhamane Haggar

Le Mendiant de l'espoir

10

35

10

Le Prix du rêve

 

5

5

Hadjar Marfa-ine

 

5

 

2

Nimrod B. Djanrang

Les Jambes d'Alice

 

30

25

3

Baba Moustapha

Le Souffle de l'harmattan

 

30

10

4

Koulsy Lamko

La Phalène de colline

10

25

25

5

N. Nétonon

N'Djékéry

Sang de Kola

 

20

15

6

M. Christine

Koundja

Al-Istifack

5

10

25

7

Tedambe Isaac

République à vendre

5

5

5

8

Mouimou Djékoré

Le Candidat au paradis

refoulé

 

5

5

Tableau II : Les romanciers de renom suivis de leurs oeuvres représentatives 2.2 Les autobiographes

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery