2.3 Les religions : prises de position en
littérature
La prise en charge du discours religieux par les
écrivains n'obéit à aucun critère
préétabli. Il y a des auteurs qui défendent l'une des
religions au détriment de l'autre, d'autres critiquent le fanatisme et
d'autres encore prêchent l'entente et l'acceptation d'autrui
malgré la différence. Deux écrivains de confession
musulmane ont démontré cet état de chose qui se justifie
par l'évolution des mentalités. Contre la position radicale de
Kotoko, contemporain de Tombalbaye, Zakaria, sous la démocratie
débyienne propose la tolérance. Dans Le Destin de Hamaï
ou le long Chemin vers l'Indépendance du Tchad d'Ahmed Kotoko le
protagoniste, musulman, dévoile sa volonté de ne prendre en
mariage qu'une fille intellectuelle de la même confession religieuse que
lui. Il dit somme toute qu' « il était très rare de
trouver une jeune fille instruite ayant une culture musulmane au Tchad
même. C'est pourquoi mon choix s'est fixé sur une jeune fille
soudanaise » (Kotoko, 1989, cité par Bourdette, 2002 : 89).
Cette position de Kotoko démontre ce qui se passe dans
le milieu musulman au Tchad. Le musulman n'est pas prêt à donner
sa fille à un non musulman, d'aller chercher une chrétienne ou
une occidentalisée. C'est pour cette raison qu'à défaut de
la fille qui réunit les deux conditions de Hamaï : musulmane et
intellectuelle, il se tourne vers le Soudan, laissant derrière lui des
millions de filles tchadiennes. Gago, dans Tribulations d'un jeune
tchadien, Paris, l'Harmattan, 1993) de Michel N'Gangbet Kosnaye
présente la religion protestante comme une tradition familiale :
« le dimanche étant le jour du repos, je me rends au
Temple
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[...] Chez nous, nous sommes tous protestants
(N'Gangbet, cité par Bourdette, 2002 : 204). Ceci est
également sa prise de position religieuse de l'auteur.
Zakaria Fadoul Khidir a réussi dans Les Moments
difficiles de revoir les dimensions religieuses conservatrices de l'Islam.
Il s'auto-accuse d'avoir accepté une version pervertie de l'Islam, le
fanatisme : « je suivais des cours religieux en ville et
j'étais très fanatique. J'avais un esprit tordu et un
raisonnement boiteux.» (Fadoul, cité Bourdette-Donon, 2002 :
351). Pour Bourdette, c'est par souci de vérité que
l'écrivain a confessé ses erreurs.
Les deux religions sont pratiquées, mais la
cohabitation n'est pas toujours pacifique. La critique religieuse est de part
et d'autre contradictoire. Une des raisons pour les musulmans de rejeter le
christianisme, selon Jean Pierre Makouta Mboukou, est que : « Le
christianisme par son dogme de la trinité est considéré
comme ayant nié l'unicité divine, le christianisme apparaît
à ses yeux comme associationniste ». (Makouta, 1984 : 116).
Cette pensée favorise le conflit, la difficulté de vivre
ensemble. C'est pour cela que dans Le Souffle de l'harmattan, de Baba
Moustapha, un personnage chrétien se fait une image négative des
musulmans :
Chaque fois que les peuples négro-africains
authentiques, par leur génie propre, construisent une civilisation
pacifique et développée, acceptent au nom de la fraternité
africaine, de vivre avec d'autres ethnies, il se trouve toujours des fanatiques
musulmans pour venir au nom de l'Islam semer [...] la pagaille (Moustapha,
2000 :237).
C'est le comportement de quelques fanatiques qui pousse
à abhorrer l'Islam. Quelques personnes, pour des raisons personnelles,
ne favorisent pas, au nom de l'Islam, la cohabitation. Ce personnage
reçoit une riposte presque immédiate de la part d'un musulman qui
estime que le problème de la paix n'a rien à voir avec un certain
fanatisme religieux : « C'est faux ! C'est une extrapolation abusive
qui tend à dénaturer la lutte des peuples [...]. Qu'on ne vienne
pas camoufler sa carence sous le prétexte d'un quelconque fanatisme
religieux allégrement prêté à ses adversaires.
(Moustapha, 2000 : 237)
C'est de cette manière que les religieux au Tchad se
campent chacun dans son camp pour jeter le discrédit sur le frère
de l'autre religion. La réplique du personnage musulman dans ce texte
taxe carrément les adeptes de la religion voisine d'« adversaires
». Il dévoile sa belligérance vis-à-vis des autres.
Ces deux personnages archétypes des religions tchadiennes surestiment
chacun sa religion et dévalorisent celle de l'autre.
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Koundja et Moustapha conseillent l'entente, l'acceptation,
l'intolérance religieuse, la
cohabitation pacifique et le mariage mixte. Les religions
n'acceptent pas les mariages clivés. Elles prônent la soumission
des autres personnes à leurs principes, jamais le contraire. Dans
Al-Istifack, le mariage interreligieux n'est pas possible. «
Nous ne pouvons pas donner notre fille à un non chrétien. La
religion musulmane interdit le mariage entre Chrétiens et
Musulmans» déclare un des protagonistes. (Koundja, 2001
:63).
Marie Koundja dévoile sa position en faveur de
l'unité nationale. Le succès du mariage clivé
chrétien-musulman dans son oeuvre est un pas en faveur de la
cohésion sociale. Elle le dit par la voix du narrateur en ces termes:
Chrétiens, Musulmans, nous sommes tous Tchadiens.
Sara ou Ngambaye, Gorane ou Arabe, nous sommes tous frères tchadiens
[...] Et nous devons cohabiter unis dans notre diversité [...]. C'est
ainsi que l'amour entre tchadiens naitra et ira grandissant. Ce grand amour
nous permettra de bâtir le Tchad de demain, afin que nos enfants ou nos
petits enfants vivent dans la prospérité. (Koundja, 2001 :
77-78).
Au moment de la sécheresse, Haroun, dans Le Souffle de
l'harmattan de Moustapha,
avoue que la religion chrétienne vaut au même titre
la religion musulmane. Il prie pour
qu'Allah épargne son bétail de la
sécheresse et demande à son ami chrétien Ganda de prier
pour que Dieu exauce leurs voeux. Faisant un pas de plus vers l'unité,
Haroun est choqué par le fait que les quartiers soient
séparés en groupes religieux : «les quartiers que j'ai
traversés, situés au nord de la ville, semblent
presqu'entièrement peuplés de musulmans et qu'ici on a
l'impression d'être dans un quartier chrétien f...]. Cette
ségrégation m'énerve.» (Moustapha, 2000 : 99).
Ce discours tenu sur la société du livre est difficile à
mettre en pratique dans la
société des auteurs. Néanmoins, il certifie
la volonté des écrivains de ne pas rester indifférents
aux conflits religieux qui génèrent souvent des
batailles ethniques. Les auteurs tchadiens dans leur ensemble militent pour la
quête de l'unité et rejettent l'exclusion sociale. Un appel est
lancé à l'attention des jeunes : « que les jeunes [...]
comprennent que les clivages ethniques et religieux ne sont pas
irréductibles et que l'avenir de l'humanité toute entière
est entre leurs mains selon une nouvelle vision des choses.»
(Koundja, 2001 : 140).
Les Tchadiens doivent s'approcher les uns des autres. L'amour
de son prochain est un principe religieux qu'il faut mettre en pratique. Il
faut arriver au raisonnement selon lequel les deux religions sont
complémentaires.
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