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La production littéraire tchadienne écrite d'expression française : essai d'analyse sociologique.

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par Robert MAMADI
Université de Ngaoundéré - Master ès Letrres 2010
  

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1.2 Le bilinguisme du Tchad

Les langues officielles du Tchad sont le français et l'arabe, malgré l'existence d'une centaine de langues nationales et de dialectes. L'usage de ces langues officielles pose problème dans la mesure où le taux d'analphabétisme s'élève à 80 %33. La diversité culturelle pose un autre problème auquel seuls les citadins peuvent échapper : les nomades éleveurs ; les sédentaires, agriculteurs ; les montagnards, chasseurs et les lacustres, pêcheurs, etc. ont, en zones rurales, une diversité de modes de vie et de production qui les éloignent les uns des autres. Vu que la scolarisation n'est pas à son apogée dans les villages, chaque groupe culturel et ethnique campe sur sa langue. Si les citadins échappent probablement au cloisonnement linguistique, un enjeu religieux du bilinguisme les divise. L'arabe et le français véhiculent respectivement l'Islam et le Christianisme. Il est clair que toutes ces deux religions viennent de l'Orient, mais le passage du Christianisme par l'Occident lui a fait prendre la culture occidentale ou française (pour les francophones). L'Islam, prêché en arabe, véhicule quant à lui, la culture arabe.

Dans les villes, les originaires du Sud occupant les quartiers sud, ont un mode vestimentaire occidental, parlent généralement français et sont majoritairement chrétiens. Les quartiers nord sont occupés par les originaires du Nord, musulmans, arabophones généralement en « Djellabas ». 34 Ce phénomène n'est pas de nature à encourager la cohésion sociale.

La guerre civile de 1979 a renforcé davantage cette séparation qui met en danger l'unité. Les conditions géographiques ont une influence sur la langue et la religion, rendant ainsi la création littéraire bipolaire. Les instituteurs arabophones sont musulmans et se tournent vers les milieux « nordistes », s'ils ne sont pas engagés au service de l'État au Sud. Les instituteurs « sudistes », francophones et en majorité chrétiens font autant pour leur zone. La création littéraire en français est incontestable, mais atteint moins des lecteurs. La pratique orale de l'arabe, au contraire est visible mais ne donne pas lieu à une littérature tchadienne d'expression arabe quantitativement et qualitativement reconnue.

33 Selon le Recensement Général de la Population et de l'Habitat organisé en 1993

34Habits d'apparat choyés par les musulmans pour leur longueur qui couvre une grande partie du corps, communément appelé djallabias.

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Plusieurs chercheurs estiment aujourd'hui que la « désislamisation » de l'arabe et la « déchristianisation » du français dans l'esprit des apprenants pourront donner une poussée d'espoir au bilinguisme équilibré à l'oral et à l'écrit pour tous les Tchadiens. Le bilinguisme ne veut en aucun cas dire que chaque Tchadien peut choisir d'apprendre et de parler l'une de deux langues. Beyem Roné martèle que « le caractère officiel des deux les rend obligatoires pour tous» (Beyem, 2000 : 408). Autrement dit, il est difficile de travailler dans un même pays, un même bureau ou assister à une même conférence en utilisant deux langues différentes, sans inter-communicabilité.

Pour Beyem, il ne suffit pas simplement d'apprendre une seule langue ou d'apprendre juste à parler l'arabe ou le français et maîtriser le parlé et l'écrit de l'autre langue. Une langue n'est pas seulement un aspect linguistique. Elle est une culture puis une civilisation. Joseph Tubiana déclare à cet effet : « l'information véhiculée [par une langue] englobe la totalité de la culture matérielle de la communauté qui parle la langue et au-delà la totalité de la culture tout court : modèle de comportements, valeurs, croyances, et aussi la totalité de l'histoire de cette communauté. (Tubiana, 1981, cité par Beyem, 2000 : 289).

Qui accepte la langue accepte ipso facto la culture d'origine. Or, au Tchad, le bilinguisme est une question de guerre entre la civilisation arabo-islamique et celle franco-chrétienne que l'arabe et le français représentent. Les arabophones apprennent, malgré eux le français pour l'exercice de leurs fonctions professionnelles. Les francophones ne cherchent presque pas à apprendre l'arabe littéraire. À la CNS comme à l'adoption de l'arabe la question du type d'arabe à utiliser s'est posée. Les francophones pensaient à l'arabe dialectal. Mahamat Hissène justifie cet état de chose :

Les francophones effrayés par la perspective d'apprendre un autre alphabet

avec l'officialisation de la langue ont tenté de détourner la difficulté en arguant

que cet arabe est l'arabe véhiculaire que tous les Tchadiens apprennent. Mais

ils ne se sont pas demandé en quel alphabet on écrirait cet arabe. (Mahamat, in

Contentieux, 1998 : 199)

Nous remarquons qu'il y a eu d'hypocrisie à propos du bilinguisme. Vingt et un ans

après l'officialisation de l'arabe (de 1978 à 1997), 10% de Tchadiens seulement sont scolarisés en cette langue. Le paradoxe est que même les défenseurs de l'arabe envoient leurs enfants à l'école française.

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Il y a un problème d'emploi et d'exercice de métier qui se pose comme conséquence directe de cette « bipolarisation linguistique ». La durée et la rigueur dans la formation ne peuvent pas être les mêmes. Le français a été officialisé en 1958 avec la proclamation de la République. Mais l'unique département de Lettres Modernes de la FLSH de l'Université de N'Djaména, au Tchad peine à former une demi-douzaine d'étudiants candidats à la maîtrise de Lettres et de Linguistiques. L'arabe, de 1978 (année de son officialisation) à nos jours, "fabrique" des « docteurs made in N'Djaména ». Pourtant c'est la seule Fonction Publique qui embauche, et avec les mêmes critères. L'arabe bénéficie d'un privilège démesuré et exerce une pression sur les institutions de l'État. Dans les lieux publics comme à la maison, l'arabe tend à gagner le champ linguistique tchadien. Dans le cadre de ce travail de recherche, notre objectif n'a pas été de prendre position contre l'arabe au profit du français et de lui jeter l'anathème, mais de constater et de démontrer que l'inégalité dans l'usage du bilinguisme au Tchad n'est pas favorable à la production et la consommation de la littérature.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault