1.1 La diversité linguistique : enjeux et
perspectives
La diversité linguistique est la présence ou
l'usage en un lieu donné d'une variété de langues. Le
Tchad compte plus d'une centaine de langues utilisées. Ce multilinguisme
n'a pas que des conséquences positives. Sur les plans politique,
économique, socioculturel et éducatif, les langues peuvent
freiner le développement, la communication et l'unité.
L'intérêt de cette préoccupation tient du fait que la
littérature n'est consommée que par un groupe restreint de
locuteurs francophones.
Sur le plan politique, les conflits Nord-Sud sont dus, en
partie, à la mauvaise gestion des langues. L'imposition d'une langue au
plan national au détriment des autres peut causer un conflit
ethnico-linguistique. Si l'arabe, par exemple utilisé pour la
communication politique est compris par tous les Tchadiens et que la politique
de la communication est orientée vers l'unité, la paix et le
développement du pays peuvent être envisageables. Or, au
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Tchad, les modèles politiques légués par
les afflictions de la guerre civile ne sont pas de nature à rendre
aisée la volonté d'acceptation du point de vue des adversaires
politiques d'origine et de langue autres que les nôtres, même si
ceux-ci ont raison.
Cette inter-communicabilité linguistique peut conduire
à une politique économique. Quand la langue pose des
problèmes ségrégationnistes le pays régresse. Bref
la politique linguistique commune, nationale favorise la tolérance et le
commerce. Les peuples qui échangent biens et valeurs doivent se sentir
heureux et libres en groupe. La division Nord-Sud tant décriée
à fait d'Abéché (la capitale du Ouaddaï) le
pôle économique arabo-musulman et de Moundou (au Logone
occidental) le principal centre économique du Sud. Les données
tendent cependant à changer ces dix dernières années.
Sur le plan socioculturel, la société, la
famille, la culture et la religion d'autrui assaillent, si
l'altérité cède sa place à la haine. L'Autre est
une valeur, un ami potentiel. Le brassage est indispensable. Les termes «
doum », « saray » et « banana
» ont au Tchad une connotation péjorative qui divise les
concitoyens. Baba Moustapha (Le Souffle de l'harmattan), Nocky
Djédanoum (Illusions) et Marie Christine Koundja
(Al-Istifack ou l'idylle de mes amis), etc. ont prôné
l'unité par le mariage mixte malgré l'opposition sociale,
culturelle, politique et religieuse. C'est vrai. Mais combien de Tchadiens ont
franchi le premier pas ? Les quartiers des villes sont toujours restés
séparés. Le refus de la différence et l'intolérance
divisent le pays et fragilisent l'effort littéraire. Le souhait de tout
écrivain est d'être lu en premier par le plus grand nombre
possible de ses compatriotes. Si les hommes politiques placent les langues
officielles au centre des initiatives, leur développement va favoriser
la visibilité de la littérature sur le plan national. Les
religieux et les politiques ne doivent pas voir en elles des véhicules
de clivage et de division. La rentabilité économique favorisera
la production, la diffusion et la lecture des oeuvres d'auteurs tchadiens.
Au plan éducatif, la culture de la lecture et de
l'unité nationale n'est pas encore effective. La liberté
religieuse, culturelle et d'opinion est en voie d'acquisition. Les langues sont
nombreuses, mais seul l'arabe, la deuxième langue et l'unique
après le français aux programmes scolaires est reconnu et
placé optionnel malgré l'effort des instituteurs. Une chose
à revoir est l'usage abusif de l'arabe local dans la vie
socioprofessionnelle. Une descente dans des lieux publics tels que
l'école peut être décourageante dans la mesure où,
en l'absence du maître ou du professeur, les élèves, qui
pourtant refusent le cours d'arabe
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littéraire ne se communiquent qu'en arabe local, qui
est dans beaucoup de foyers la langue maternelle. En conséquence,
après la terminale, les élèves sont illettrés en
arabe littéraire, passables en français.
En perspective, pour la stabilité et le
développement du Tchad, que les autorités politiques initient des
projets de valorisation et de classification des langues. La
réalité nord-sud est un bluff politique. La séparation ou
l'usage d'une seule de ces langues à la radiodiffusion, à la
télévision ou sur les papiers officiels est une injustice
linguistique. Si notre langue, notre ethnie, notre religion nous
empêchent de « commercer » avec autrui, nous sommes loin de la
recherche de l'unité, d'ailleurs le premier mot de la devise du Tchad
(Unité - Travail - Patrie). Le Tchadien francophone écrit des
oeuvres, quelquefois primées, mais celle-ci ne sont pas lues, voire
touchées par son voisin musulman du quartier parce que celui-ci est
analphabète en français ou qu'il pense ne pas consommer les
valeurs occidentales, chrétiennes, nuisibles à sa foi de fervent
musulman. Le bilinguisme doit être équilibré pour tous les
citoyens : c'est-à-dire lire et écrire en arabe et en
français.
Une fois les langues nationales cultivées,
valorisées, la diversité linguistique sera une richesse et non
une source de cloisonnement. L'arabe et le français véhiculeront
certes les civilisations arabo-musulmanes et judéo-chrétiennes
occidentalisées mais ouvriront aussi des chances de formation à
la jeunesse dépourvue de structures techniques. Ces valeurs doivent
être selon Bangui, transmises, vécues, remaniées,
animées et enrichies. Il souligne, lors du colloque
célébrant le 30ème anniversaire de la Fondation
de INSH de l'Université du Tchad, tenu à N'Djamena du 25 au 27
novembre 1991, que : « L'éducation est une occasion
privilégiée d'acquisition d'une culture et de réflexion
sur ses produits. Beaucoup de pays considèrent que c'est là une
manière d'acquérir et d'affirmer une unité nationale qui
se cherche » (Bangui, 1994 : 28). Les langues moulues par
l'école bénéficient de production, de traduction et
d'adaptation littéraire. La littérature ne sera plus en
français seulement mais aussi en langues locales.
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