2.2.3 La mise en scène et prix sur le plan
international
En 1995, La Malédiction d'Ouaga Bale
Danaï est jouée par la troupe de l'Université de
Bouaké dans le cadre de la 12e édition du Festival du
théâtre scolaire et universitaire de Côte d'Ivoire, à
Yamoussoukro. La même année, l'auteur de La malédiction
obtient le prix de la mise en scène lors du 12e Festival
National de la Côte dIvoire avec L'Enfant de Frica.
En 1997, Illusions de Nocky Djédanoum est représentée par
Logone-Chari-Théâtre, au MASA d'Abidjan et est retenue pour la
participation de la troupe au Fest'Africa de Lille. En 1997, Samafou Diguilou
Bondong reçoit le Prix Rencontres « Iles des poètes »
à Sainte-Geneviève des Bois, et le 16e Grand Prix
International de la société des amis de la poésie à
Bergerac, puis le 3e prix de poésie libre du concours
international de Wallonie. En 1999, c'est le tour de Nimrod d'accepter le Prix
Louise Labé des gens de lettres à paris (06 décembre).
2.3 Les sources d'inspiration
Les contextes de production de la littérature
tchadienne écrite d'expression française ont inspiré les
auteurs et se laissent d'ailleurs lire à travers leurs oeuvres. Le
contexte est l'ensemble des circonstances, des événements qui se
passent au moment de la production des oeuvres. Ils sont
généralement un fait « marquant » qui transparaît
en thème dans l'oeuvre littéraire. La guerre, la critique des
systèmes politique, des traditions, des pratiques et des moeurs, la
rencontre avec les autres cultures, la pandémie du Sida, etc. sont des
événements marquants qui transparaissent dans les oeuvres de
fiction au Tchad.
La guerre est liée à l'histoire politique du
pays. Après un demi-siècle d'indépendance et de succession
de régimes, on constate que sur les six présidents, en dehors de
Tombalbaye et de Lol qui sont venus au pouvoir, l'un par les urnes et l'autre
par consensus, les autres sont venus par la violence. Cette violence a
affecté la population et est décriée dans beaucoup
d'oeuvres littéraires. Ce contexte de guerre et de dictature a
inspiré Nimrod, Mougnan et Nébardoum. La dernière partie
du 5e chapitre de la présente thèse traite du cri de
désespoir suivi de l'appel à la paix, à l'unité et
à la démocratie lancé par ces auteurs. La guerre civile
est une source d'inspiration chez N'Djékéry et Nimrod. La
descente aux enfers de N.N.N'Djékéry s'inspire de la guerre
civile de 1979. Le texte fait implicitement mention : « le chant de la
mort, le lugubre chant dont les ndjamenois (sic) connaissaient tous les
couplets, animait le ballet aérien des projectiles sans
discontinuer» (N'Djékéry, 1984 :5). Bourdette-Donon
pour résumer l'oeuvre déclare que c'est la peinture de la
« chute sociale et morale d'un petit commerçant qui perd peu
à peu ses biens, son épouse et sa vie »
(Bourdette-Donon,
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2003 : 224). Les Jambes d'Alice de Nimrod s'inscrit
dans le cadre de la fuite devant cette guerre civile. La description est, on ne
peut plus clair, dans ce roman. Fuyant la guerre, le professeur de
français suit Alice. Cependant, « la fuite de N'Djaména
donne lieu à une quête amoureuse qui ne laisse que très peu
de place à la guerre (la réalité), véritable raison
de la fuite» (Taboye, 2003 : 197). Un autre aspect de la guerre
à relever est le génocide. La Phalène de collines
de Koulsy Lamko s'inspire du génocide rwandais de 1994. Il a
écrit par « devoir de mémoire», « pour honorer
son engagement au Rwanda » reconnaît Taboye (Taboye, in
Continental n° 89, février 2010 : 93).
La critique des systèmes politiques, résultante
d'une mauvaise gestion se lit dans les oeuvres autobiographiques d'Antoine
Bangui, N'Gangbet Kosnaye, Ahmet Kotoko, etc., « font part des usages
politiques et des valeurs d'une société à une
époque donnée, retracent les traumatismes du Moi, lequel est
l'expression directe de l'auteur et des fais (sic) réels»
(Asguet Mah, 2007 :3). À sa manière, Taboye déclare
à cet effet que les oeuvres autobiographiques tchadiennes laissent
entrevoir les imperfections politiques : « aucun auteur tchadien n'a
écrit une autobiographie dénuée de tout sens
politique» (Taboye, 2003 :11). À la période des
concours théâtraux, les écrivains ont été
intéressés par des phénomènes à
caractère international comme le système politique raciste de
l'apartheid en Afrique du Sud. Maoundoé Naindouba avec
L'Étudiant de Soweto dénonce ce système
politique.
La dictature est inspiratrice. Les dramaturges, ne pouvant pas
« désigner le chat par son nom » en pleine dictature mettent
en scène des rois exceptionnels. Le Commandant Chaka de B.
Moustapha est une réécriture de l'histoire de Chaka, un chef
guerrier qui a combattu pour la libération de l'Afrique. L'auteur
présente une époque et un chef, au Tchad « où se
cachent, comme dans toutes les révolutions, des personnages incultes,
opportunistes ou tout simplement mal intentionnés» (Taboye,
2003 :34). Goudangou de N. N.N'Djékéry est l'histoire
récente du Tchad, de l'Afrique. Le sous-titre en dit plus : «
ou les vicissitudes du pouvoir ». Taboye fait un rapprochement entre
la pièce et un fait réel : « les personnages de
Goudangou, de Madina et le complot du mouton noir font penser au complot ourdi
par Tombalbaye contre Kaltouma Nguembang sous le régime du Mouvement
National pour la Révolution Culturelle et Sociale» (Taboye,
2003 : 48). P. Bebnoné, comme B. Moustapha, réécrit
l'histoire de Mbang Gaourang. Son souci, en ce temps de dictature est de
présenter un roi modèle, juste, démocrate. Taboye trouve
que : « le personnage du roi apparaît, dans cette pièce,
rassurant. Il n'est ni excentrique, ni extravagant. Il est hors des
clichés, capable de
84
pardon et de patriotisme » (Taboye, 2003 : 46).
Un tel roi est une création de Bebnoné, sa volonté de
« démocratiser » ou disons mieux, moraliser en tournant en
dérision les premiers dirigeants charismatiques et intransigeants.
Pendant le règne dictatorial, les militaires ont cette liberté de
violer éperdument les droits de l'Homme. En écrivant Aubade
des coqs, Nocky reconnaît qu'il s'est inspiré de la
souffrance de ceux qui labourent le coton au Sud du pays. Ceux-ci sont
maltraités par les militaires. Pour Bourdette-Donon, « il
engendre dans sa ronde verbale les libertés politiques, sexuelles et
langagières et dénonce l'exploitation des paysans
engendrée par la culture du coton importé par les colons»
(Bourdette-Donon, 203 :106).
La tradition a inspiré Koulsy Lamko. Celui-ci estime
qu'elle a des valeurs désuètes. C'est pour cela que Ndo Kela
est une contestation. Pour lui, le texte doit « s'enraciner dans
un contenant fort tiré des traditions africaines » (Koulsy, in
Carrefour, n° 18, 2003 : 5).
Les auteurs tchadiens estiment qu'après
l'indépendance, il y a des comportements claniques et
réfractaires. Les bipolarismes ethniques et religieux leur servent de
sources d'inspiration. Le fait accompli que Nocky nous propose dans
Illusions est le fruit d'un constat. Les Tchadiens sont divisés
en Nordistes et Sudistes29, Chrétiens et Musulmans. Le
mariage clivé est presque impossible à cause des confessions
religieuses différentes. Le dramaturge appelle à l'unité,
dans cette pièce, par ce genre de mariage. Le Souffle de l'harmattan
de Moustapha et Al-Istifack de. Koundja sont observation et
critique de cette
division. Imbus de nationalisme, ceux-ci veulent prôner
l'unité dans le mariage interconfessionnel et interethnique. La
production de ces dernières années introduit la lutte contre le
sida au centre des débats. Dans Comme des Flèches, c'est
le sida qui inspire Koulsy.
L'impossibilité de faire un classement
systématique des sources d'inspiration réside dans le fait que
l'auteur peut s'inspirer de son séjour dans un milieu étranger
comme l'a fait Ali Abdel-Rhamane Haggar30 ou d'un fait anodin comme
une dispute pour écrire comme l'a fait B. Moustapha.31 En
somme, une condition peut pousser l'écrivain à s'inspirer d'un
élément qui n'a pas de rapport avec le contexte de production.
Celle-ci peut ne pas être connue et comprise par le critique.
29Pour parler des ressortissants du Nord et du Sud
30 Haggar s'inspire de son temps d'études en
Russie pour engager une trilogie. Dans sa quête de savoir et d'espoir
(Le Mendiant de l'espoir -1998-), Youssouf se rend compte que son
rêve est démesuré (Le Prix du rêve -2003-)
et se lance dans une quête d'humanisme quand les Tchadiens s'entretuent
à Hadjer Marfa-ine (2008)
31 B. Moustapha, dans La couture de Paris
part d'une dispute entre deux couturiers au marché à mil,
à N'Djaména et une fille éprise de mode pour critiquer
l'imitation servile des valeurs occidentales.
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