3. Le niveau intellectuel et distinctions des
écrivains
Le niveau intellectuel est compris dans le sens de niveau
d'instruction (Baccalauréat, études supérieures,
études littéraires), ce qui pourrait être selon Salaka
« un gage de qualité de [leurs] productions littéraires,
du fait non seulement de la maîtrise de la langue mais aussi de la
connaissance et de l'étude des genres littéraires »
(Salaka, 2003 : 66). Le problème de langue est crucial pour une
sociologie authentique de la culture dans la mesure où la
corrélation entre le social et le littéraire s'établit
à travers une activité linguistique. Le style et le niveau de
langue en usage pour l'écriture d'un traité, d'une thèse,
d'un roman ou d'une correspondance ne sont jamais les mêmes. Ils
trahissent l'identité, le niveau et la position de celui qui
écrit dans le champ. C'est pour cela que la non-maîtrise ou
l'analphabétisme en une langue officielle ou d'écriture constitue
à la fois un problème sociologique et institutionnel.
L'étude biographique permet selon Salaka (2006) de mesurer ce qui a fait
le succès de l'écrivain. Cette étude qui s'étend
sur les dramaturges, les romanciers, les nouvellistes, les autobiographes et
les poètes nous permettra également d'évaluer la
qualité des textes d'auteurs tchadiens. La distinction est une
conséquence de la maîtrise de la langue d'écriture et des
formes littéraires en vogue ou en compétition. Par ailleurs cette
logique n'est pas formelle. Dans le domaine littéraire,
l'écrivain autodidacte peut produire, comme l'a fait Ousmane Sembene,
des oeuvres sans pareilles.
3.1 Les dramaturges : niveau intellectuel, distinctions
diverses et enjeu littéraire
Le classement établi par les enquêtés
(Annexe 1 : question 16) est une ligne de force pour l'étude du niveau
intellectuel des dramaturges de renom et de leurs diverses distinctions. En
effet, le résultat de l'enquête donne six grandes figures du
Théâtre tchadien qui ont, en dehors de l'administrateur civil
Moustapha, l'informaticien N'Djékéry et le journaliste Nocky,
ont, chacun un diplôme supérieur orienté en enseignement
littéraire. Maoundoé, Koulsy et Bebnoné sont des
enseignants.
Maoundoé Naindouba, cité en premier lieu par sa
popularité, la visibilité et la disponibilité de ses
textes est né en 1948 au Sud du Tchad. Après le CEPE en 1962
à Bénoye et le BEPC en 1968 à Moundou, il obtient le
Baccalauréat littéraire en 1970 et entre à l'ENSAC de
Brazzaville d'où il sort en 1972 avec un CAPCEG), option :
histoire-géographie-français. Major de sa promotion, il est admis
à la section des professeurs des lycées et collèges. Ce
background intellectuel lui a permis de commettre prodigieusement
L'Étudiant
86
de Soweto. Avec cette pièce, il a connu en
Afrique et en Europe une popularité incontestable. Elle a
été primée au 9e CTI. Ces deux nouvelles La
Détresse et La Lèpre ont été
également retenues aux 2e et 4e Concours de la
Meilleure Nouvelle de langue française. Ces distinctions ont
flatté les futurs producteurs. Baba Moustapha est né en 1952.
Après les études primaires et secondaires à Bogo et
à N'Djaména, il obtient le diplôme de l'ENA de
N'Djaména en 1975. Baba Moustapha meurt tout jeune en France où
il suit des cours de droit. Il a, avec Makarie aux épines, eu
le grand prix du CTI en 1973. Le Commandant Chaka a reçu le
prix spécial du 11e CTI en 1983. Sa formation, sa profession
et ses prix le rendent incontestable. Koulsy Lamko, né en 1959 à
Dadouar est titulaire d'un DEA en Textes et langage, d'un Certificat
d'Entrepreneur Culturel et d'un Doctorat en dramaturgie. Ce
conteur-poète, romancier et comédien-nouvelliste est
enseignant-chercheur et entrepreneur cultuel. Tous ces diplômes et
spécialités littéraires l'auraient
prédisposé à cette carrière littéraire
prometteuse. Palou Bebnoné est animateur culturel et professeur de
lycées et homme de lettres. Ses pièces, La Dot (1962),
Kaltouma (1965) et Mbang-Gaourang (1974) ont
été produites pour le CTI organisé par la RFI. Elles
restent jusque-là, parce que non publiées, la
propriété de celle-ci. Décédé en 1979
à Bongor, Palou n'a pas eu des distinctions remarquables dans le domaine
littéraire. Mais à travers ses oeuvres théâtrales,
se laisse lire la volonté de former et de moraliser, liée
à ses activités professionnelles ci-haut citées. Nocky
Djédanoum, journaliste de formation né à Gounou-Gaya en
1959, est depuis 1994 directeur artistique du festival Fest'Africa qui a connu
un succès sans pareil à N'Djaména en 2005 (Fest'Africa
sous les étoiles). Cet événement a donné une
distinction particulière à l'enfant du pays qui a réussi
loin des siens et qui est revenu organiser une fête qui regroupe une
centaine d'écrivains, des journalistes et des hommes de culture pour
découvrir le Tchad. Nocky a écrit Illusions pour le CTI.
Par sa formation journalistique et d'animateur artistique, il est «
disposé » à des actions pour la formation de masse comme il
le fait maintenant. Ses voyages professionnels sont aménagés par
l'écriture des textes littéraire et journalistiques. Le
journaliste est un interrogateur de conscience, un moralisateur.
N'Djékéry est un mathématicien qui a suivi une formation
en informatique. Cet originaire de Moundou, né en 1956, traite dans
toutes ces pièces le thème du pouvoir. Il n'est entouré
que des prix littéraires. La nouvelle lui a fait gagner plus de cinq
prix de la meilleure nouvelle de la langue française. Vu que « la
descente aux enfers » constitue un thème de prédilection de
la littérature négro-africaine et que ce jeune tchadien en a fait
le titre d'une nouvelle si attrayante et engagée contre les guerres
civiles qui
87
ont des conséquences néfastes sur les
populations africaines, il ne peut qu'être populaire. Après le
grand prix du 7e concours de la meilleure nouvelle de langue
française, La Descente aux enfers a été
diffusée sur des ondes des radios francophones d'Afrique.
N'Djékéry est un écrivain à la quête de son
identité à Lausanne loin de son Moundou natal. Il est le
prototype de ceux qui arrivent à l'écriture par passion et non
après une formation littéraire.
Au niveau national, il y a des dramaturges qui ont des niveaux
intellectuels convenables et des distinctions sur le plan politique et
littéraire.
Dans le domaine culturel, il y a les comédiens,
animateur, journalistes comme Abaye, Garandi, Boydi, et
Nguérébaye qui ont soit le Baccalauréat soit un
diplôme professionnel. Abakar Adoum Abaye a fini ses études
secondaires avant de se consacrer à la comédie. Ses pièces
sont représentées dans plusieurs villes du pays. Dahwé
Garandi après son baccalauréat s'est engagé comme
animateur et entrepreneur culturel. Bégoto Boydi Clément a
effectué des études littéraires avant de suivre une
formation en communication au Centre Diocésain Audiovisuel pour
l'Éducation. Saleh Adoum Nguérébaye a, après ses
études secondaires, a suivi de stages en Allemagne où il a obtenu
un diplôme d'animateur et un certificat de langue allemande, à
l'Institut de langue de Dortmund. Au Tchad, il a eu de promotions dans les
domaines journalistique et politique. En littérature, il obtient en1993,
le Grand Prix de théâtre de l'ADELIT. Il a concouru en 1994 et
1996 au festival international de théâtre pour le
développement, à Ouagadougou. Il est acteur des deux premiers
films de fiction tchadien : Maral Tanié de Mahamat Saleh Haroun
et Un taxi pour Aouzou de Serge Issa Coelo. Il a gagné
plusieurs prix littéraires au centre Dombao de Moundou.
Dans le domaine de l'enseignement, il y a Kodidjé,
Kari, et Haggar. Djimadoum Kotidjé est scolarisé à Sarh.
Après un baccalauréat au lycée Félix Eboué,
il obtient en 1987 une licence de lettres. La carrière enseignante est
sa passion, la défense des droits de l'Homme, son devoir. Cette passion
il l'a partagé avec Djimet Kari et Ali Abdel-Rhamane Haggar qui, l'un
détenteur d'une maîtrise ès lettres, préparée
à Orléans en France et l'autre titulaire d'un PH/D
d'économie obtenu à Leningrad en Russie, ménagent un peu
de leur temps d'enseignement pour lutter en faveur de la non-violence. Ce
dernier est citoyen d'honneur de l'État d'Oklahoma au (USA). Ali
Adel-Rhamane espère en la jeunesse et s'efforce pour sa formation. Sa
distinction est plus visible sur le plan politique que littéraire. N. M.
Priscille est quant à elle titulaire d'une maîtrise de
linguistique. Elle est très appréciée, à en croire
Bourdette-Donon, dans le milieu protestant. En littérature elle a eu
comme distinction un prix
88
ADELIT en 1994, pour sa nouvelle intitulée Mission
inachevée. Elle se distingue par la lutte contre la violence et
propose à cet effet Pour un pas vers la non-violence au Tchad
(1997). Elle est également du côté de ceux qui
souffrent et des handicapés.
Dans le domaine de l'édition, il y a Bao et Samafou.
Laring Baou est un homme d'une grande culture. Après quelques
années d'embauche à la l'IDT, il crée sa propre maison
d'édition en 1999. Actuellement les éditions Sao sont l'unique
maison d'édition spécialisée en littérature au
Tchad. Laring occupe une place de choix dans le monde littéraire
tchadien. Les jeunes écrivains le considèrent comme conseiller.
Samafou, responsable du service de l'édition de l'ADELIT a eu le prix
national de la meilleure poésie d'expression française en 1989;
le prix international de littérature en Italie en 1996 ; le prix
Rencontres, à Sainte Geneviève des Bois en 1997, le
16e grand prix international de la société des amis de
la poésie en 1997, le troisième prix de poésie libre etc.
Ainsi entouré de distinctions, Samafou est visible dans le monde
littéraire sans être beaucoup lu.
L'étude de ses auteurs nous a permis de savoir que la
formation de ceux-ci en science humaine et surtout en littérature a
guidé leur projet d'écriture et leur succès
littéraire.
|