2. Les événements littéraires à
caractère historique
Lucien Goldmann affirme dans « Introduction aux premiers
écrit de Georges Lukacs » que « tout fait humain se
présente à la fois comme une structure significative,
compréhensible par l'analyse des relations constitutives entre les
éléments qui la composent [...] et comme élément
constitutif d'un certain nombre d'autres structures plus vastes qui
l'embrassent et l'intègrent» (Lukacs, 1962 : 157). Ce qui veut
dire que tout fait humain est dynamique et ne saurait être compris que
par l'étude de sa composition et son évolution interne et par la
place qu'il occupe dans un grand groupe, la société. Nous
estimons que les événements historiques à visée
littéraire pourront nous aider à comprendre le fait
littéraire tchadien.
2.1 Les activités des associations
littéraires
L'écrivain, comme le dit Catherine Wieder «
écrit à une certaine époque, dans un certain milieu, pour
un certain public. Il est soumis à un conditionnement sociologique,
économique, idéologique. En même temps, un écrivain
vient après et à côté d'autres
écrivains» (Wieder, 1988 : 151). Les salons, par exemple
contribuent à structurer le champ littéraire comme le feront en
d'autres états du champ, les revues ou les éditeurs. Bourdieu
parle d'imbrication profonde du champ littéraire et du champ politique
« par le travers des écrivains et du salon»
(Bourdieu, 1998 : 89). Une étude sociologique du fait
littéraire ne peut pas à cet effet faire abstraction des
événements associatifs. Au Tchad, les chercheurs ont
relevé qu'il n'existe pas de grandes écoles idéologiques
au sens de « regroupement d'écrivains autour d'un programme
esthétique et, souvent des moyens éditoriaux.» (Aron et
al. 2002 : 162). Chaque écrivain s'est fait des archétypes et
s'efforce à les imiter. Si les sources d'inspiration sont semblables,
disons avec Wieder, une fois de plus que « les livres se
répondent les uns les autres à l'intérieur d'une histoire
propre de la littérature qui s'ajoute à l'Histoire tout
court» (Wieder, 1988 :151). Il existe cependant des petits
regroupements de lecteurs, généralement des élèves
et étudiants qu'on peut appeler salons, entendons « lieu[x] de
réunion et de conversation » (ARON et al. 2002 : 539).
Entre autres espaces d'échanges et de diffusion, il y a
le RLPT, le SBL, l'ADELIT, l'UJPT, le Groupe SIL, le CEAC et l'ASET.
Le SBL a été créé le 30 juin 1996,
par un groupe ayant à sa tête Nafée Nelly Faigou,
après un atelier d'écriture piloté par Koulsy Lamko. Par
des séances de lectures, débats et rencontres avec les
écrivains, le but de ce groupe est de promouvoir les écrivains
tchadiens et
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d'oeuvrer pour une renaissance de la littérature.
L'ADELIT a été créée, autour des années
1990, par des jeunes décidés, autour de Samafou Digoulou,
à travailler pour la diffusion de la
littérature. L'UJPT est dirigée par Pafing
Sobdibé Palou, et a pour devise « créer, promouvoir pour
illuminer» Pour cela, elle organise des activités
littéraires et des concours de poésie. Le Groupe SIL est
fondé en 1994 par Patrick Kodibaye. Son objectif est de créer un
cadre de production et de diffusion de littérature tchadienne. Le CEAC
est créé, en 1992 par Sanodji Abiathar, dans le but de promouvoir
la littérature d'inspiration biblique. Au début de tous ces
groupements qui souffrent aujourd'hui de visibilité étaient le
RLPT et le SBL. Nous avons sur les braises de la promotion littéraire la
Compagnie Artistique « le cercle des amis » et l'ASET qui ont
organisé en 2007 et 2009 deux colloques des écrivains tchadiens.
En effet, les jeunes qui se sont retrouvés au SBL en 1996 pour
présenter les textes des auteurs confirmés, s'échanger des
manuscrits, se sont rendu compte que la vie socioprofessionnelle les a
tellement occupés. Dinguemnaial, le Secrétaire de l'ASET, ancien
membre du Salon, affirme à ce propos :
On s'était rendu compte qu'il n'y a pas de temps pour
se rencontrer, faire la
lecture et l'échange de manuscrits. Cependant,
ayant gardé la passion de l'écriture, on s'est dit que chacun se
débrouille pour éditer. Certains d'entre nous ont
édité et voilà nous avons laissé le Salon aux
jeunes amateurs pour créer l'ASET. (Entretien réalisé
avec Renaud Dinguemnaial le 09-08-2010 au Bureau du FAO à
N'Djaména.)
L'édition étant chère et les Tchadiens
lisant peu, Dinguemnaial, conscient du fait que
les oeuvres aux programmes d'enseignement au Tchad sont d'auteurs
étrangers,
ajoute : « Nous voulons faire ensemble pour inviter
les jeunes à lire plus et faire des plaidoyers auprès des
autorités administratives et éducatives pour que les oeuvres
d'auteurs tchadiens soient au maximum introduites aux programmes
d'enseignement. (Entretien avec R. Dinguemnaial, op. cit.). Se faire
éditer est un défi pour les anciens membres du Salon, d'autant
plus que Laring Bao, l'un de leurs collaborateurs a fondé les
éditions Sao en 2000.
L'ambition de l'ASET est de voir Le SBL faire la
présentation des oeuvres de ses
membres. Partager les expériences, les manuscrits,
faire des plaidoyers pour la prise en compte des oeuvres produites par les
écrivains tchadiens dans le programme scolaire et faire la promotion de
la littérature nationale sont des objectifs nobles pour cette jeune
institution littéraire. Une bonne vingtaine d'écrivains reconnus
pilotent ce plan. L'ASET a un projet de
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rédaction d'un recueil de nouvelles collectif pour la
commémoration du cinquantenaire de l'indépendance du Tchad. Le
club Rafigui (de l'arabe, mon ami) et le SBL sont une pépinière
pour l'association. Les écrivains sont selon le Secrétaire
Général de l'ASET, en train de vouloir faire savoir à
l'État que construire le pays est une bonne chose. Mais construire
l'État c'est aussi construire les hommes. Ceux-ci se construisent par
les idées et les idées sont dans les livres : « on ne
peut pas vouloir construire et oublier d'éveiller la conscience à
travers la littérature» (Entretien avec Renaud Dinguemnaial.
op. cit.).
Toutes ces associations, par les séances de lecture
publique, l'échange d'idées et l'organisation des concours, ont
favorisé la création et la production littéraire au Tchad.
Leurs membres ont eu le désir d'écrire, d'être lus et ont
fait la connaissance des écrivains et des éditeurs
disposés à les aider à publier leurs textes.
Nous ne saurions conclure sans avouer que le rôle
joué par les quotidiens et les périodiques n'a pas
été de moindre utilité pour la publication des textes
littéraires au Tchad. Les magazines et les revues ne sont pas non plus
en reste. Le MALT et les revues Carrefour et Tchad et
Culture réservent toujours quelques-unes de leurs colonnes à
la poésie ou à la nouvelle. Plusieurs textes d'auteurs tchadiens
ont paru par épisodes dans ces illustres revues. C'est le cas de
Chronique tchadienne (Carrefour) et
Goudangou (Tchad et Culture) de Noël Nétonon
N'Djékéry.
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