2.3 Le boom pétrolier et le flux de production
littéraire
L'exploitation commerciale des gisements pétroliers de
Doba, dans le Sud du Tchad, à partir des années 2000 a un impact
sur la vie socio-économique, politique et culturelle de la population
tchadienne. Elle est un espoir pour juguler la crise économique. En
2009, plus de 132000 barils du pétrole brut tchadien sont sur le
marché international par jour.
Au Tchad, la décennie suivant celle de l'ère
démocratique, de l'arrivée de Déby au pouvoir a
été consacrée à l'exploitation
pétrolière. Ce qui donne une prospérité soudaine et
factice au pays. Nous avons préféré utiliser le mot
anglo-américain Boom pour parler de cette hausse de
l'économie de l'État qui a une influence certaine sur la
littéraire. Parlant de l'économie et de son enjeu
littéraire, nous avons dit que la stabilité et la montée
croissante du niveau de l'économie nationale permet d'une part aux
acteurs du livre (éditeurs, imprimeurs, libraires et
bibliothécaires, etc.) de s'installer aisément, d'investir dans
le domaine culturel et d'avoir de financement et d'autre part aux jeunes
d'avoir de professions susceptibles de leur permettre d'écrire, de
publier et de diffuser leurs oeuvres, s'ils le désirent. Une fois de
plus le boom pétrolier permet un flux19 de production
littéraire.
Pour justifier notre raisonnement, un travail statistique
s'impose. Considérons un ouvrage critique comme le Panorama critique
de la littérature tchadienne d'Ahmad Taboye pour cette étude
chiffrée.
19 De l'étymologie latine fluxus, «
flux » désigne « écoulement ».Nous
l'utilisons ici au sens figuré pour designer « une grande
quantité »
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En théâtre, de 1962 (date de la publication de la
première pièce) à 1998 (année de la publication de
la dernière pièce), 19 pièces de théâtres ont
été enregistrées par 06 dramaturges, parmi lesquelles 03
sont inédites et 02 publiées dans une revue. Ceci pour 36 ans de
production. Nous avons en moyenne sensiblement une pièce par an. Par
décennie, 03 pièces ont paru pendant les trois premières
décennies et 08 pendant la dernière (1990-1998). Cela se
justifierait par la liberté d'expression et d'opinion accordée en
cette période d'exercice démocratique au Tchad.
En nouvelle, de 1973 à 1994, 09 novelles, dont 03 non
publiées et 01 dans un ensemble de textes réédités,
sont écrites par quatre nouvellistes. Pour cette durée de 21 ans,
nous trouvons en moyenne sensiblement une nouvelle par an. 03 nouvelles en
moyenne ont paru par décennie.
En autobiographie, de 1962 à 1998, 08 autobiographies
ont été publiées par six personnes pour cette durée
de 36 ans. Nous avons en moyenne sensiblement une oeuvre par an (soit 01 tous
les 04 ans) autrement dit 02 textes par décennie pendant quatre fois. Il
est aussi à noter que 04 de ces textes ont paru pendant la
décennie 80-90 et aucune pendant la décennie
précédent.
En roman, de 1998 à 2003, 08 romans ont
été produits par sept personnes, 1,6 roman par an (à peine
02). C'est toujours l'époque démocratique qui est à
l'origine de cela.
En poésie, de 1987 à 2000, 09 recueils ont
été produits par 05 poètes soit sensiblement 02 recueils
par an.
En conte, enfin, pendant 33 ans, Joseph Brahim Seid a
publié Au Tchad sous les étoiles en 1962 et Koulsy Lamko
Le repos des masques en 1995.
L'histogramme suivant nous permet de justifier l'idée
selon laquelle l'avènement de la démocratie en 1990 et
l'exploitation des puits pétroliers après 2003 ont
favorisé une production littéraire croissante.
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25 20 15 10 5 0
|
|
Théâtre de 1962 à 1998 Nouvelle de 1973
à 1994 Autobiographie de 1962 à 1998 Roman de 1998 à 2006
Poésie de 1987 à 2000
|
1962-1972 1972-1982 1982-1992 1992-2002 2002-2010
|
|
Histogramme réalisé à base des
informations tirées du Panorama de Taboye
(2003)20.
Au vu de cet histogramme, nous pouvons déduire
qu'après les quelques cinq pièces et autobiographies qui ont
traité des faits historico-politiques sous le règne de
Tombalbaye, la génération du CTI et du concours de la meilleure
nouvelle de langue française ont maintenu le cap de trois pièces
et trois nouvelles par décennies pendant trois fois. Les productions des
décennies 1972-1982 et 1982-1992 sont celles produites par RFI chez
Hatier ou par les lauréats chez CLÉ. À l'ère de la
démocratie, la décennie suivante, les écrivains auraient
profité de la liberté d'expression et du projet de l'association
« Pour mieux connaître le Tchad » pour publier les
pièces de théâtre et de nouvelle jusque-là
jugées subversives, après quoi la crise économique
s'installe. Entre 1992 et 2002, nous pouvons lire ses effets sur la production.
Les règnes de Habré (1980) et de Déby (1990) ont
généré quelques cinq
20 Nota bene : L'Anthologie de
Bourdette-Donon (2003) et la Bibliographie du Fonds-Littérature du CCF
nous ont permis d'avoir des informations sur la dernière
période.
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autobiographies. Enfin, le roman (suivi de la nouvelle)
devient le genre de prédilection en pleine ère
pétrolière. C'est le flux de production littéraire.
La décennie qui vient de finir est riche en titres,
s'agissant des oeuvres littéraires au Tchad. 08 des textes
analysés par Taboye ont paru en 2000 et 2003. Ceci, loin d'être
l'effet du boom pétrolier, serait le fruit de la gestion
démocratique du pouvoir politique. Cela est valable pour la
majorité des textes recueillis dans l'anthologie de Bourdette-Donon.
Denis Pryen, directeur général de L'Harmattan de Paris reconnait
que sa maison d'édition a publié une douzaine d'oeuvres de
fiction tchadienne pendant ces dix dernières années. (Entretien
du 23/11/2009).
Pour ne pas battre la campagne et le pavé, nous
choisissons les oeuvres éditées par les éditions du Sao
ces dix dernières années, (celles même de leur
installation) pour démontrer qu'il y a eu flux littéraire. Mais
avant cela, il faut reconnaître comme postulat que les quatre
premières décennies de la littérature tchadienne ont une
production moyenne de 01 oeuvre par an, soit 01 oeuvre par an pendant la
décennie 60 ; 01 oeuvre pendant la décennie 70 ; 03 oeuvres la
décennie 80 et 03 oeuvres la décennie 90. Le haut record en
oeuvres par décennie est celui des années 90 : 03 oeuvres par
an)21
En effet, les éditions Sao qui ont la
particularité d'être la seule maison indépendante ont
été fonctionnelles en 2000, une année après
l'autorisation à fonctionner, avec pour objectif : promouvoir la culture
tchadienne (par les livres d'éducation, de formation et d'information).
Sao, par ses quatre collections (Manuels pédagogiques, Histoire du
Tchad, Points de vue et Littérature tchadienne) estime que « le
sens de la vie est dans le livre » (slogan publicitaire de Sao). Pour ce
faire, une trentaine d'oeuvres ont paru chez Sao ces dix dernières
années « pétrolières », malgré les
troubles et les guerres à répétition qui se sont
soldés, plus de trois fois, par des fuites, déguerpissements et
déménagements de la population et des institutions.
La bibliographie Fonds-Tchad littéraire du CCF de
N'Djaména en date de 24/11/2009 compte 61 oeuvres d'auteurs tchadiens
publiées après 2000, dont 39 relevant de la littérature
écrite d'expression française. Parmi celles-ci, 10 oeuvres
portent les marques des éditions
21 Source : TABOYE, Ahmad, Panorama critique de la
littérature tchadienne, N'Djaména, Al-Mouna, 2003 (pages
18-19 ; 112 ; 129-130 ; 169-170 ; 2048-249 et 344
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Sao : 02 en 2000, 02 en 2006, 03 en 2008 et 03 en 2009 (soit
une moyenne d'un livre par an). Parmi les 18 ouvres de cette bibliographie,
publiées par L'Harmattan, 12 appartiennent à la
littérature tchadienne écrite d'expression française, soit
un livre produit par an.
À considérer ces 39 oeuvres de la
bibliothèque du CCF, produites par Sao (une oeuvre par an en moyenne),
L'Harmattan (une oeuvre par an en moyenne) et d'autres éditeurs, la
production d'oeuvres passe des 03 oeuvres par an de la décennie
précédente ci-haut analysé à 04 oeuvres par an la
décennie 2000. Le oeuvres inédites évoquées par
Bourdette-Donon dans son anthologie et celles en instance d'édition chez
Sao et L'Harmattan dépassent largement, selon nos enquêtes de
terrain, une cinquantaine d'oeuvres. Il faut signaler que la
prospérité littéraire au Tchad n'est pas seulement
l'oeuvre de Sao et de L'Harmattan. SEDIA, le CEFOD, le CNAR et Al-Mouna, etc.
reçoivent et publient des oeuvres estimées à un livre par
an par centre : soit plus de quatre oeuvre par an. Mais pour une question de
rationalité et de fiabilité d'informations, nous n'avons
considéré que les informations publiées.
Toute cette prolifération, ce flux de productions
littéraires est à mettre à l'actif de la démocratie
et de la prospérité économique
générée par l'exploitation du pétrole. En 2002, on
apprend que « le projet apportera au Tchad des retombés
économiques allant de 2.5 à 8.5 milliards de dollars pour la
durée prévue durant la durée de vie du projet
estimée entre 25 et 30 ans » (Bérilingar, in Collectif,
2002 : 131), soit une production de 224 000 baril par jour.
Trois ans après cette estimation, le Tchad a
encaissé plus que prévu. La littérature fera davantage,
dans la mesure où les jeunes ont la facilité d'avoir des emplois
et de pouvoir se faire publier à l'extérieur comme à
l'extérieur du Tchad. La bibliographie du Fonds-Tchad en
Littérature, dont nous faisions allusion, présente 21 romans, 10
nouvelles et 4 autobiographies publiés pendant la période 2000
-2010. Dans son anthologie, Bourdette-Donon a recensé des nombreux
textes inédits rédigés après 2000. Tout ceci porte
à croire que la production va crescendo.
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