2.2 La crise économique et l'ajustement
structurel
Le texte littéraire comme produit a un marché,
celui du « bien symbolique ». Il est soumis aux lois du marché
économique puisque : « la littérature se définit
entre autres par la publication, sous forme d'édition ou de
représentation, ce qui l'insère dans le système des
échanges sociaux rémunérés» (Aron, 2000 :
352). La commercialisation des certains produits de l'agriculture et de
l'élevage a pris un coup après la dévaluation du franc CFA
en 1994. La crise économique s'est installée.
La crise économique est une rupture d'équilibre
entre la production et la consommation. Ce brusque changement économique
se manifeste par la surproduction qui conduit à la mévente ou par
la précarité qui fait une flambée des prix (surtout en cas
de produits de première nécessité). Une pareille situation
n'est pas favorable pour l'émergence
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de la littérature. Nous démontrerons dans cette
partie que la crise économique tchadienne a retardé la mise en
place rapide d'une institution littéraire dynamique dénuée
de tout tâtonnement. En temps de situation économique
désastreuse et persistante, l'oeuvre de l'esprit ou de la culture est
négligée. Le tissu social devient fragile cédant place
à des stratégies de survie. Des familles se sont divisées,
des progénitures ont échappé aux contrôles des
parents en temps de crise au Tchad : la débauche, le vol, l'alcoolisme
ont fait surface. Les fonctionnaires, avec les retards de salaires comme
conséquence de la crise, ne sont pas épargnés. Le manque
dû à la dévaluation de 1994 et la cherté des
denrées sur les marchés poussent à la
débrouillardise excluant la consommation des oeuvres de l'esprit :
« La crise a favorisé, pour des familles nombreuses la
naissance des solutions originales, des pistes indispensables à
l'éclosion de l'autopromotion, sans exclure l'affirmation d'une
volonté de vivre unis » (Laoro, in Tchad et Culture
n° 142, 1995: 3).
En effet, les ministres africains des finances de la zone
Franc se sont réunis à Dakar au Sénégal en 1994, au
tour du ministre français de la coopération pour écouter
l'annonce de la dévaluation de 50% du Franc CFA par rapport au Franc
français. Cette opération est présentée par Pierre
Fandio comme « la panacée au marasme économique que
connaît alors l'ensemble des pays du « pré-carré
» (Fandio, 2006 : 182). Les pays représentés ont
doublé mécaniquement les coûts des produits
importés. Les intrants utilisés dans la fabrication du livre ont
subi cette flambée rendant le prix du livre inabordable pour une
majorité de la masse lisant potentielle. En plus des taxes, ces intrants
importés ont ralenti voire freiné la volonté de produire
au niveau local. On assiste en plus à une augmentation
générale des prix sur les marchés. L'IPC17
prélevé en 2008 par l'AFRISTAT au Tchad estime cela à 70%.
Une année auparavant, la FAO démontrait que les pays pauvres ont
connu une hausse moyenne de 37%.
Le FMI s'est engagé pour un soutien financier au Tchad
en relançant une politique de redressement économique du
gouvernement et en redémarrant les aides financières d'autres
bailleurs de fonds, en particulier de la France. Le 1er septembre
1995, il approuve une série des prêts en faveur du Tchad d'un
montant total de $ 74 millions (environ 37 milliards de francs CFA) pour une
FASR18. Une année après le financement, le rapport
financier et
17 Indice des Prix à la Consommation,
Instrument qui sert à mesurer l'évolution des prix de certains
biens représentatifs des dépenses de consommation des
ménages et dons d'apprécier la variation du coût de la vie
pour les consommateurs
18 Source : Marchés Tropicaux n°
2600, 1995, p. 1908
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économique annuel du FMI dénote une
amélioration de la crise. Le FMI s'est fixé des axes politiques :
« Maintenir la stabilité macro-économique, notamment en
renforçant l'épargne et en développant le secteur
privé» (Marchés Tropicaux n° 2600, 1995 :
1908). Il a prévu des reformes administratives en matières de
gestion de finances publiques, une classification des dépenses publiques
et des renforcements des régies financiers. Son PAS n'as pas
été de moindre utilité dans la gestion de cette crise qui
a ruiné le pays. Les financements du FMI et de la BM ont concouru
à la stabilité socio-économique du Tchad pour trois
raisons :
- Les productions agropastorales et cotonnières ont
connu une croissance entre 1995 et 1997 ;
- Le marché du bétail et de la viande a repris de
nouveau ;
- Les perspectives pétrolières engagées
avec l'exploitation du pétrole devaient garantir des avenirs meilleurs
pour le Tchad avec environ 13 millions de tonnes de pétrole brut
à exporter par an pendant 30 ans.
La conséquence est que l'environnement de
l'investissement s'est amélioré, le budget de l'État s'est
rénové. Bref, les finances publiques sont renouvelées et
les projets sont légions :
Une relance des investissements publics a pu être
effectuée à la faveur d'un retour des bailleurs de fonds
multilatéraux et bilatéraux. Le gouvernement compte sur une table
ronde des bailleurs des fonds [...] sous l'égide du PNUD, pour des
nouveaux financements dans le cadre d'un programme d'investissement et de
développement sur 5 ans en cours de finalisation (Gilguy, in
Marchés Tropicaux n° 2697, 1997 : 1567).
Entre 1995 et 1997, le pays commence à appliquer les
recommandations du FMI et de la BM dans le cadre de son programme d'ajustement
structurel. Pour arriver à cette situation, la crise économique
est due à l'évasion fiscale et le fait que le secteur informel a
pris la cime sur le formel après la transition politique de 1990. En
1994, la dévaluation du franc CFA est venue s'ajouter à la liste,
malgré les remises des dettes et les crédits au niveau
international. Les conséquences sont la perte de confiance des
fournisseurs de l'État, les arriérés de salaires et les
grèves généralisées qui ne favorisent plus
l'écriture et la publication du livre. Il fallait en ce temps :
Remettre de l'ordre dans l'économie, combattre la
fraude, mettre de l'ordre dans les finances publiques, augmenter les
recettes, minimiser les dépenses, en
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prenant en compte un certain nombre de mesures : la
restructuration des services de douanes, qui représentent plus de 40%
des recettes de l'État, la réforme des structures des
impôts et le recentrage des dépenses. (Gilguy, in
Marchés Tropicaux n° 2697, 1997 : 1567)
Les résultats du PAS ont été
intéressants au niveau financier, les recettes ont été
multipliées par trois (de 25 milliards de francs CFA en 1994 à 75
milliards en 1997) car les mesures prises étaient draconiennes : entre
1995 et 1997, il y a eu le gèle de l'augmentation des salaires, des
avancements et du recrutement à la Fonction Publique. Ce
phénomène a failli freiner le développement de la
littérature tchadienne.
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