2. La situation économique
Par « situation économique » nous entendons
faire l'analyse du champ économique tchadien, ses actions et son
évolution. Pierre Fandio traitant les conséquences de la crise
économique sur la littérature camerounaise déclare :
La situation économique du Cameroun, à
l'image de celle des autres pays de l'Afrique francophone en ces années
90, est marquée par une grande crise économique [...] la crise
structurelle est aggravée par une crise conjoncturelle [...] qui a fini
par sinistrer (sic) une économie déjà mal en point.
L'impact de la nouvelle parité entre le Franc CFA et le Franc
français est loin de combler les attentes des opérateurs
économiques dont ceux du secteur du livre littéraire»
(Fandio, 2006 :182).
Il nous échoit de dire que la situation de crise dont
fait allusion Fandio est comparable à celle qui avait sévi au
Tchad avant l'ère pétrolière. Nous analysons ici
l'économie du pays en rapport avec la production littéraire
avant, pendant et après la crise des années 90.
2.1 Le contexte économique et la production
littéraire
L'économie est l'ensemble des activités d'un
groupe humain, évaluables en termes de production et de consommation des
richesses. Par analogie, « économie » renvoie à la
richesse ou aux sources de richesses. Au Tchad, les piliers de
l'économie sont l'agriculture et l'élevage. La mise en
exploitation du pétrole depuis 2003 au sud du pays est une autre source
d'entrée pour l'économie du pays. Le pétrole
représente 80%16 des exportations nationales. Le Tchad
consacre 70% de son budget total aux programmes prioritaires de
réduction de la pauvreté.
Notre préoccupation, loin de traiter un sujet
d'économie, est de mesurer l'enjeu de l'économie tchadienne sur
la production littéraire. La littérature tchadienne connaît
quelques problèmes liés notamment à la production et
à l'édition. En 48 ans de production, il est surprenant de voir
que le champ littéraire compte une vingtaine d'auteurs qui ont rarement
plus de 02 oeuvres à leur actif en moyenne, avec une fréquence de
02 oeuvres par an pour
16 Source : groupe Guy-vérité Je
connais mon pays : le Tchad, fascicule de connaissance
générale.
49
l'ensemble d'écrivains. Ce calcul est la
résultante de l'analyse des ouvrages critiques sur la littérature
tchadienne.
Le problème de la production affilié à
l'économie est celui de manque de moyens financiers pour la production,
l'édition et la publication. Nous avons dit que les piliers de
l'économie tchadienne sont l'agriculture et l'élevage, or ces
activités sont vulgarisées dans les zones rurales où 83.3
% de la population active réside. Dans ces zones,
l'analphabétisme et l'illettrisme sont à plus de 3/4 de la
population. L'écriture devient une activité élitiste.
Vu le faible taux de la scolarisation de la population
tchadienne, les difficultés ne font que s'agrandir. Elles s'appellent
chômage, pauvreté, absence des maisons d'édition
indépendantes, etc.
La Fonction Publique recrute peu de jeunes et, la corruption
et le tribalisme rendent l'accès « sacré » pour ceux
qui n'ont pas de moyens financiers et des personnes influentes au sein du
ministère concerné. Il n'est pas rare de voir un titulaire d'une
licence passer dix ans en instance d'intégration. Quelques
privilégiés se disputent les 30, 50 ou 100 places
réservées à l'intégration dans tel ou tel
ministère par an.
Les jeunes citadins instruits s'adonnent à la
débrouillardise, la seule issue possible pour garantir le pain
quotidien. Ceci réduit la volonté de se lancer en plein temps
dans le métier de l'écriture. Actuellement à
N'Djaména, une page de texte est saisie à 500 F CFA dans les
« secrétariats publics », ce coût est le budget
journalier garanti en moyenne pour la ration alimentaire. Ceci dit, finaliser
la rédaction d'une oeuvre de plus de 100 pages n'est pas aisé
pour beaucoup de ces écrivains potentiels.
Plusieurs éditeurs attestent que les jeunes ont de
difficultés en français à l'écrit et leur
redressement par la commission de lecture est la cause principale du silence ou
du désistement des jeunes écrivains. Aussi, dans un pays
où la culture du livre n'est pas développée, s'installer
comme éditeur indépendant est un pari risqué. La
responsable du centre Al-Mouna, lors de notre interview avoue que sans
l'assistance financière extérieure aléatoire,
l'édition à compte d'éditeur, qui est prisée au
Tchad se fait toujours à perte. La seule occasion de spéculation
du livre est le jour de la dédicace. Un autre aspect à relever du
côté des éditeurs est l'insuffisance de biens propres et de
financement pour s'installer à son propre compte. Au Tchad, seules les
éditions Sao sont indépendantes et multidisciplinaires. Pour le
seul prétexte que « les livres ne se vendent pas au Tchad »,
les entrepreneurs et opérateurs économiques refusent d'envahir ce
domaine. La vérité est que se doter d'une telle institution
nécessite de fonds qui ne sont pas à la portée des
Tchadiens moyens.
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La situation économique désastreuse du pays a un
effet sur l'émergence de la littérature. Il faudra
peut-être aider les jeunes à produire des oeuvres de fiction. Le
pouvoir public peut créer une maison d'édition publique et
accorder de crédits ou de résidence d'écriture aux
lauréats des concours annuels de littérature. Ces propositions,
matérialisées peuvent améliorer les talents des jeunes
écrivains.
En aval la scolarisation et l'alphabétisation
fonctionnelle doivent être vivement encouragées. L'un des moyens
pour crédibiliser la littérature tchadienne est la lutte pour
l'enseignement et l'insertion des oeuvres d'auteurs tchadiens aux programmes
d'enseignement : défi de l'ASET depuis le premier colloque des
écrivains tchadiens. En économie, la loi du marché est
impitoyable. Quand la demande est faible ou timide, l'offre est limitée.
Le ministère en charge de la culture manque de techniques de
communication pour l'essor de la littérature et la prolifération
des instances de production. Il n'est plus question de se plaindre ad
nauseam qu'il manque de talents, de volonté et de financement.
En amont, les Tchadiens peuvent cultiver la lecture. La
bibliothèque ne doit pas continuer par être un objet de luxe. Si
malgré la pauvreté, les Tchadiens équipent leurs maisons
de conforts matériels onéreux, les livres ne coûtent pas si
chers. D'ailleurs la fréquence de parution, nous l'avons signalée
très haut est faible. Brigitte Masson lance cet appel : «
Intellectuels, artistes, enseignants, décideurs, arrêtons de
geindre et proposons d'urgence à notre société
nouvellement industrialisée un système efficace de garde-fou et
de contrepoids ! » (Masson, in Notre Libraire n° 114, 1993 :
159). Une prise de conscience collective (chez les producteurs,
éditeurs, diffuseurs, consommateurs) permettra de revigorer l'image de
la littérature tchadienne.
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