1.3 La corruption
La corruption est l'action d'agir contre son devoir, le
résultat de cette action. Pour R. Toriaïra, sociologue tchadien,
elle est « le fait de solliciter, de payer ou d'accepter des dessus de
table, de pots de vin, dans le but d'obtenir des avantages et pour des fins
privées» (Toriaïra, 2000 : 1). La corruption est toujours
assimilée au "don", la volonté bienfaisante d'aider ou de
remercier quelqu'un par l'octroi d'un bien. Le don n'a rien de prohibé.
Il vient
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après une amitié, un service rendu. Du point de
vue de la législation, la corruption est une atteinte commise à
l'administration publique par les fonctionnaires ou par les particuliers. La
loi n° 004 qualifie de corrompu : « quiconque pour obtenir soit,
l'accomplissement, l'ajustement ou obtention d'un acte, soit une faveur ou un
avantage, fait des promesses, offre don, présents ou cède
à des sollicitations tendant à la corruption» (Loi
n° 004/PR/2000 du 16 février 2000, Article 915). Ainsi,
la corruption touche tous les domaines.
Au Tchad, la gestion du pays est rendue dure par la
corruption. Les principes de dignité et de rigueur sont
abandonnés au profit des biens acceptés ou exigés pour
rendre service. Il se pose un problème d'honneur et d'éthique. Le
pouvoir public est abusé à des fins personnelles. Cependant les
populations sont restées indifférentes ou complices soit parce
qu'elles ne sont pas prêtes à réclamer leur droit, soit
parce qu'elles y trouvent leur compte. La situation de guerres a
légitimé le prélèvement massif dans les caisses de
l'État et des sociétés parapubliques. La justice ne fait
presque pas son travail en matière de prévention et de
répression à en croire les responsables des associations de
droits de l'Homme. L'analyse de la situation sociopolitique faite par les
différentes forces politiques atteste que la corruption ruine le
système administratif. Mais les décisions d'assainissement,
à l'exemple de celles initiées sous Idriss Déby Itno,
n'ont pas mis fin au phénomène. Le bilan du règne de
Tombalbaye, selon Toriaïra, fait par le CSM après le coup
d'État de 1975, révèle la pratique de la corruption
existante dans l'administration des finances. Le conseil estime que :
« La corruption est un danger qu'il faut circonscrire dès
maintenant sous peine de la voir prendre des proportions alarmantes»
(Toriaïra, 2000 : 197). Quinze ans plus tard, l'enquête sur le
règne de l'ex-président Hissein Habré montre que la
pratique s'est empirée : « La gabegie, la corruption, la
confusion totale des biens de l'État à ceux des tenants du
pouvoir [...] étaient les principales caractéristiques de ce
régime» (Collectif, 1992 : 33). Toriaïra fait allusion
à un blanchissement d'argent et de corruption sous le régime de
Déby et déclare qu'« au début de l'année
2000, la COFACE [...] a non sans raison classé le Tchad au rang des pays
où les difficultés de payement et les retours sur
l'investissement sont difficiles» (Toriaïra, 2000 : 198). Depuis
quarante ans, ces pratiques qui justifient la prise du pouvoir se
reproduisent.
Parmi les causes de la corruption, nous citons les
conséquences économiques de la guerre civile. Pour survivre, les
agents de l'État sont obligés d'accepter ou de réclamer de
pots
15 Loi portant répression des
détournements des biens publics, de la corruption, de la concussion, des
trafics d'influences et des infractions assimilées.
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de vins. Au temps de Habré, l'effort de guerre et les
retards de salaires ont favorisé la corruption. La dévaluation du
Franc CFA, la flambée des prix et le freinage du recrutement à la
Fonction Publique ne sont pas en reste. Les agents de l'État, qui
prétendent gagner peu d'argent, mettent en place des pratiques
illicites, pour « joindre les deux bouts ». Dans un tel contexte,
l'oeuvre de l'esprit n'est pas une nécessité. Il faut
reconnaître que hormis le premier président, les dirigeants venus
au contrôle par la grâce des frères armés sont
obligés d'attribuer des postes aux rescapés de la guerre,
même les bergers analphabètes au détriment des
diplômés. Dans l'histoire du Tchad, il était possible de
voir des directeurs ou des chefs de service ne sachant ni lire, ni
écrire. Impunité, injustice sociale, pillage, vols, viols ne
peuvent être sanctionnés quand le neveu, ancien guérillero
en est l'auteur. Les critères de sélections, le mérite et
l'ancienneté sont foulés aux pieds. La corruption devient un
obstacle grave quand presque tout le monde la pratique, l'accepte.
La lutte anticorruption n'est pas seulement une affaire de
droit. Les acteurs de la corruption se font entourer de décideurs de
haut niveau (députés, directeurs, ministres, etc.) pour leur
défense en cas de complication juridique. Rare sont ceux qui dans des
pareilles postures passent 72 heures en geôle. Les agents du
ministère de la moralisation ne peuvent pas mener des enquêtes
n'importe où, de peur de laisser leur éthique et/ou leur peau
quelque part. Seul le Tchadien lambda est exposé et
réprimé. Il lui faut peut-être une éducation
civique. La solution est d'en parler. Débattre de la corruption dans les
lieux publics et éducatifs, la dénoncer, punir sans distinctions
les personnes coupables et complices sont là des moyens envisageables.
S'il existe au Tchad depuis 2000, une loi anticorruption, une justice assainie
doit l'appliquer efficacement pour réduire le fléau.
Malheureusement, la corruption ne fait pas souvent partie des procès
rendus publics. La cause selon Djékodjimgogo est que « le
recrutement à la magistrature tend de nos jours à obéir
à aucun critère de compétence f...] les
conséquences fâcheuses affectent non seulement la carrière
mais toute la machine judiciaire» (Djékodjimgogo, in Tchad
et Culture, n° 253, 2007 : 8). La corruption paraît, telle que
décrite, une approche thématique à exploiter. Les
écrivains sont à cet effet à l'oeuvre.
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