CONCLUSION
Les traités bilatéraux d'investissement sont des
procédés indispensables dans la pratique du commerce
international. Ces traités ont pour objet à la fois de
protéger les propres investisseurs de l'Etat qui conclut ce
traité et qui vont investir à l'étranger, et d'attirer les
investisseurs sur le territoire d'un Etat étranger. En effet,
l'investisseur étranger, même si la possibilité qui lui est
offerte de procéder à cet investissement à
l'étranger est une chance pour le développement de son
activité, a besoin de garanties lui permettant de ne pas voir son
investissement menacé par des mesures étatiques néfastes
éventuellement prises par l'Etat d'accueil. En effet, le changement de
législation par l'Etat d'accueil, relativement au régime fiscal
et douanier, ou la nationalisation de l'entreprise étrangère
installée sur son territoire, par exemple, sont des mesures qui auraient
probablement un effet négatif sur l'investissement. Ces traités
bilatéraux de protection des investissements sont donc
nécessaires pour l'investisseur.
En cas de litige survenant entre l'investisseur et l'Etat
hôte relativement à la protection de l'investissement, il
paraît compréhensible que l'investisseur ne souhaite pas voir ce
différend soumis aux juridictions étatiques du pays d'accueil. En
effet, si ce dernier a pris des mesures contraires aux dispositions du
traité bilatéral, l'investisseur peut légitimement
craindre que les juridictions de cet Etat manquent d'impartialité et
statuent en faveur de l'Etat hôte, afin de voir la mesure
envisagée par le Gouvernement de cet Etat réalisée. Si une
telle solution des juridictions étatiques de l'Etat d'accueil serait
très grave car elle irait parfaitement à l'encontre des principes
d'indépendance et d'impartialité qui régissent, en tout
état de cause, la fonction du juge, il est tout de même normal que
l'investisseur craigne une telle situation. De la même manière,
l'Etat hôte ne souhaitera pas voir le litige soumis aux juridictions
internes de l'investisseur. L'offre d'arbitrage apparaît alors comme une
solution efficace en principe car ce procédé est emprunt d'une
parfaite neutralité, et est issu d'un accord bilatéral.
L'arbitrage devient la garantie de la protection de son investissement pour
l'investisseur et une garantie de la neutralité pour l'Etat d'accueil.
Ce recours ne présente, d'un point de vue juridique, aucun
problème, car issu de la volonté réciproque des parties au
traité bilatéral d'investissement. Si les Etats signataires
conviennent conjointement de ce mode de règlement des différends,
le fondement juridique est établi.
34
Cependant, si le fondement juridique de ce mode de
règlement des différends est établi, c'est sa
légitimité qui semble faire défaut.
Le problème soulevé par les auteurs ayant
formulé de vives critiques sur cet arbitrage d'investissement, est un
problème de légitimité de cette pratique. Ces derniers ont
soulevé des points graves relatifs au risque que fait peser ce mode de
règlement des différends sur les principes démocratiques,
mais également sur les intentions de l'investisseur qui, sachant ce
régime protégé, abuserait de ce système et
remettrait ainsi indirectement en cause l'essence même de ce mode de
règlement des litiges à savoir la neutralité et la
volonté réciproque d'y recourir.
Par ailleurs, la réciprocité semble elle aussi
menacée. Les traités bilatéraux d'investissement liant la
France et les pays d'Afrique francophone sont en principe réciproques.
Cela signifie qu'ils protègent tant les investissements venus de ces
pays d'Afrique vers la France, que de la France vers ces pays d'Afrique. Mais
dans la pratique, on remarque qu'économiquement, l'investissement entre
ces pays ne s'effectue que dans un sens. En effet, si de nombreux investisseurs
français développent leur activité dans les pays d'Afrique
ou s'y rendent pour exploiter les ressources naturelles, l'inverse n'est pas
vrai.
La raison d'être politique de ces traités est
donc remise en cause du point de vue de leur légitimité : un
traité bilatéral peut-il légitimement avoir pour vocation
de protéger une seule des parties à ce traité (en
l'espèce protection d'un partie indirecte au traité, à
savoir l'investisseur français) ?
Même si les pays d'Afrique voient un
intérêt à ce traité en ce sens qu'il leur permet
d'attirer les investisseurs étrangers sur leur territoire, cet
intérêt n'est qu'indirect, ils ne bénéficient
qu'indirectement de ce traité qui est alors détourné de sa
vocation principale : le traité, pour les Etats africains, ne serait
plus un traité de protection de leurs investisseurs à
l'étranger, mais un simple traité permettant l'attraction sur
leur territoire des investisseurs français.
Si les fondements juridiques de ce recours à
l'arbitrage dans les traités bilatéraux d'investissement liant la
France et les pays d'Afrique francophone ne sont pas à remettre en
cause, c'est la légitimité de la raison d'être de ces
traités qu'il conviendrait d'analyser. Les critiques formulées
par les auteurs et relatées dans cet exposé sont une
ébauche du soulèvement de ce problème.
35
|