b. Les pistes proposées pour dissuader les
arbitrages abusifs
Quatre pistes sont envisagées par les deux analystes
pour pallier à cette dérive que constitue l'usage abusif ou
frauduleux de l'arbitrage international d'investissement53.
Tout d'abord, les auteurs considèrent que trop peu de
documents sont demandés pour enregistrer une requête d'arbitrage.
Selon eux, exiger plus de documents lors de l'enregistrement de la
requête auprès du CIRDI ou pour le dépôt d'une
requête d'arbitrage permettrait de filtrer les requêtes et de
dissuader les arbitrages abusifs. Par ailleurs, ils considèrent que les
documents requis constituent uniquement des renseignements et non des preuves,
pourtant nécessaires pour permettre de statuer sur l'effectivité
du lien entre l'investissement et le traité bilatéral. Ils
estiment que des pièces telle que la copie du titre de créance ou
la preuve de l'investissement du demandeur devraient être obligatoires au
moment du dépôt de la requête.
Dans cette piste sont déjà envisagées des
exceptions, parmi lesquelles figure l'hypothèse de l'expropriation ou
d'un autre manquement imputable à l'Etat qui aurait placé
l'investisseur dans l'incapacité de produire ces documents. Dans ces cas
là, l'exigence de documents supplémentaires serait
écartée.
La seconde proposition est celle d'une prolongation des
délais. Le Règlement d'Arbitrage CIRDI prévoit une
procédure accélérée pour la soumission des
déclinatoires et moyens préliminaires. Le déclinatoire est
le moyen par lequel une partie considère que le différend ou
toute demande accessoire ne ressortit pas à la compétence du
CIRDI. Ce déclinatoire doit être déposé
auprès du Secrétaire général. Pour tomber dans le
champ d'application de la procédure accélérée, les
Etats disposent d'un délai maximum de trente jours suivant la
constitution du Tribunal arbitral pour
53 Journée d'étude du 27 mars 2013 :
faut-il réformer l'arbitrage d'investissement ? Dossier d'orientation
Ð Note n°2 : Les tentatives abusives ou frauduleuse d'exercice de la
compétence arbitrale dans les arbitrages d'investissements, Antoine
Garapon et Hamid Gharavi, pp. 27 à 30, Les arbitrages abusifs.
30
soulever un déclinatoire ou invoquer un moyen relatif
à une demande dénuée de fondement juridique54.
Ce délai est jugé par les deux auteurs comme étant trop
court et ne permettant pas ainsi de donner aux Etats une véritable
opportunité de se prévaloir de la procédure
accélérée. La procédure de l'arbitrage
accélérée est indispensable car elle rend possible la
rapidité du déroulement de l'arbitrage, précieuse aux
Etats. Allonger le délai prévu par le Règlement
d'arbitrage CIRDI permettrait, selon les auteurs, d'alléger les
contraintes et les cadences des Etats.
Cette proposition est intéressante en ce sens qu'il est
extrêmement important de prendre en compte les aspects pratiques de ce
recours à l'arbitrage, parmi lesquels figurent les délais et la
longueur des procédures. Cependant, dans cette note, un premier
défaut apparaît : les auteurs ne s'intéressent qu'à
l'arbitrage CIRDI qui n'est pourtant pas le seul proposé aux parties au
différend dans les traités bilatéraux d'investissement.
Par ailleurs, les auteurs semblent considérer qu'allonger le
délai prévu pour recourir à la procédure
accélérée relative aux déclinatoires de
compétence est un remède en soi aux dérives vues
précédemment. Pourtant, si d'un point de vue pratique, l'impact
que le changement de délai aurait sur la lourdeur des procédures
est indéniable, son efficacité sur la détection des
arbitrages abusifs n'est pas établie.
La troisième piste consisterait à faciliter
l'obtention de Security for Costs. Le Security for Costs est un concept
juridique du Common Law qui répond au principe suivant lequel dans une
procédure judicaire, le perdant doit payer les frais de justice de la
partie gagnante. Lorsqu'un défendeur a des raisons de craindre que ses
frais juridiques ne seront pas payés par le demandeur s'il gagne, il
peut demander au tribunal l'obtention de Security for Costs. L'encouragement de
l'obtention des Security for Costs apparaît indispensable. Cela
permettrait aux Etats victimes d'arbitrages abusifs ou frauduleux
d'éviter de consacrer des sommes considérables pour leur
défense sans pour autant pouvoir recouvrir les montants alloués
par la sentence finale en raison de l'insolvabilité des demandeurs.
Selon les auteurs, si la jurisprudence arbitrale est favorable à la
possibilité d'apporter cette garantie dans les arbitrages fondés
sur les traités bilatéraux d'investissement, aucun Tribunal
arbitral n'en a jamais octroyée.
Enfin, la dernière piste pour limiter les arbitrages
abusifs serait, pour les Etats, de développer la pratique du certificat
d'investissement. Emis par l'Etat hôte, il constituerait alors une
condition
54 Cf. Chapitre V Article 41 Déclinatoires
et moyens préliminaires, de la Convention.
31
préalable à l'application du traité
bilatéral d'investissement. L'Etat hôte pourrait ainsi approuver
ou non les investissements sur son territoire. Cette pratique semble tout
à fait pertinente en ce sens qu'elle établirait un lien de
confiance entre l'investisseur et l'Etat hôte. Reste à voir si
elle ne serait pas trop difficile à mettre en place d'un point de vue
administratif.
Ces pistes, bien qu'étant encore à l'état
de propositions, constituent des éléments importants de
réflexion favorisant l'évolution de la pratique de l'arbitrage
d'investissement et permettant ainsi de limiter ses dérives.
Cependant, il existe d'autres limites du recours à
l'arbitrage dans les traités bilatéraux d'investissement,
liées au fonctionnement même de ce mode de règlements des
différends.
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