2.3.3 Les difficultés de la
profession enseignante
2.3.3.1 Du
« malaise » enseignant aux enseignants en
difficulté
Les recherches menées par HELOU et
LANTHEAUME sur la souffrance au travail des enseignants ont
révélé la difficulté de parler de la souffrance au
travail par les enseignants eux-mêmes et par des chercheurs. Selon ces
auteurs, ces difficultés seraient liées à un doute sur les
finalités et sur les perspectives du travail enseignant. Lors d'une
entrevue réalisée par une presse camerounaise,
SIMO professeur des lycées d'enseignement technique
(PLET), a estimé que : le reproche que nous faisions aux
enseignants au sujet de leur responsabilité sur les échecs
scolaires était excessif. Après lui, MOUKAMGAING
un enseignant tente aujourd'hui de dédouaner les chevaliers de
la craie. Pour ce dernier, les enseignants camerounais ne sont pas exempts de
reproches mais les conditions dans lesquelles ils travaillent sont absolument
défavorables au succès. Tous les ans, à l'approche de la
rentrée scolaire, c'est le branle-bas dans la quasi totalité des
familles camerounaises. Chaque parent veut s'assurer que ses enfants iront
à l'école, le ministère en charge de l'Education nationale
multiplie les réunions et prend les dispositions nécessaires pour
que la rentrée soit effective.
Au regard de tous ces événements
récurrents, on peut affirmer que l'Etat et les parents accordent une
place de choix à l'éducation de la jeunesse et par
conséquent à l'école. Or, malgré cette
débauche d'énergie nationale, l'échec aux examens conclut
le plus souvent l'année scolaire. A cet effet, l'opinion désigne
l'enseignant comme principal responsable. On peut donc à juste titre se
demander s'il est aisé d'être enseignant au Cameroun. La question
mérite d'être posée compte tenu des enjeux et du poids des
responsabilités devant l'histoire. Les discours sur les fins de
l'éducation admettent qu'elle a pour but de transmettre un savoir,
qu'elle vise à favoriser le développement harmonieux,
l'épanouissement de toute la personnalité, qu'elle se propose de
conduire l'apprenant vers l'autonomie, l'insertion sociale pour une bonne
adaptation au milieu de vie. La célèbre formule de
DURKHEIM (1966) ne dit pas autre chose en ces discours:
«l'homme que l'éducation veut réaliser en nous, ce n'est pas
l'homme tel que la nature l'a fait, mais tel que la société veut
qu'il soit». On peut comprendre alors pourquoi face à
l'échec scolaire, la tendance est de désigner l'enseignant comme
principal responsable. Il est néanmoins important de rappeler ici la
responsabilité première de l'enseignant pour éclairer la
lanterne de l'opinion. L'enseignant a pour responsabilité de conduire le
sujet (l'élève) hors de son état actuel; l'action sans
cesse orientée vers l'adaptation de l'être à son milieu par
l'enrichissement rationnel et le développement fonctionnel. Cela exige
de lui des qualités intellectuelles, morales et professionnelles. Il
doit en effet posséder à fond les matières à
dispenser, connaître la pédagogie et être capable de
communiquer; les qualités morales et la conscience professionnelle ne
doivent pas lui faire défaut. Sur le plan des tâches, il a un
certain nombre d'heures de travail et non un nombre d'heures au travail. Il a
en plus de l'obligation de présence pour dispenser les cours,
l'obligation d'évaluer et de produire certains documents. Toutefois, ce
travail demande à être fait dans certaines conditions sans
lesquelles l'échec est prévisible; ces conditions peuvent se
résumer pour l'essentiel en six points : - un cadre infrastructurel
approprié, - des effectifs acceptables, - un minimum de matériel
didactique, - des élèves outillés, - une organisation
où l'enseignant est considéré et traité comme le
maillon essentiel, - un programme adapté aux besoins de la cause. Or la
réalité montre qu'il y a manque d'enseignants, insuffisance des
salles de classe, matériel didactique insuffisant et obsolète
dans la plupart des cas. Les situations entraînant des classes
pléthoriques, accroissant l'indiscipline des élèves. Les
enseignants sont de ce fait plus théoriques que pratiques. Par ailleurs,
la pauvreté des parents d'élèves fait du livre un luxe
inaccessible aux trois quarts de la population scolaire. Sur le plan du
personnel enseignant, c'est la catastrophe, méprisé il est
considéré comme un simple exécutant des décisions
administrative. Par rapport à l'administration et aux parents
d'élèves (APE), c'est un «homme de troupe». Certains
parents, incapables d'assumer leurs responsabilités, sont
impliqués dans la gestion des établissements scolaires.
Même dévoué, l'enseignant ne reçoit ni de
l'administration, ni des parents, la reconnaissance et le respect dus à
sa tâche. On se contente de le brimer et de dire qu'il fait un sacerdoce.
Pire, exerçant dans des conditions inadmissibles et déplorables,
il reçoit un salaire ridicule comparé aux salaires
catégoriels des autres fonctionnaires de niveau équivalent
(confère la valeur du point d'indice, indemnité et prime). Mis en
mission pour les examens officiels, il reçoit un forfait
inférieur à ce qui est prévu par les textes. Seuls les
plus chanceux perçoivent l'intégralité de leurs frais de
participation aux examens. Alors que les textes particuliers des autres corps
de métier sont signés et mis en application avec diligence, les
enseignants doivent faire la grève pendant plus d'une décennie
pour s'entendre dire qu'il faut patienter. Que faire de ceux qui entre-temps
vont à la retraite?
L'enseignant se sent mal dans sa peau dans ces conditions. Il
est quasiment impossible pour lui de demeurer motivé car en dépit
de la conscience professionnelle et du patriotisme cher à ceux qui
«mangent», un problème de survie et de responsabilité
familiale se pose à l'enseignant qui est aussi un parent. Cette
démotivation pousse certains enseignants au découragement et
à embrasser d'autres professions. Une autre catégorie fait la
politique de la présence au poste. Si le ministère de l'Education
nationale a l'un des budgets les plus importants, les enseignants ont les
salaires les plus bas de la République. Mais, loin de nous, l'intention
de disculper totalement les enseignants, il y a des choses à leur
reprocher, notamment à ceux qui font semblant de travailler. Il faut
d'abord «enlever la paille dans nos yeux pour voir ce qu'il y a sur leurs
dos» et comme l'affirme GABAUDE cité par
TSAFAK (ibid) : « la pédagogie évolue
avec l'économique et le politique, avec les sciences dont elle
dépend, avec les techniques, avec la société qui la
sécrète et qu'elle contribue à former en interaction
réciproque. Il n'y a pas plus d'éducation naturelle que de droit
naturel au sens strict du terme ». Les principes de base de la
nouvelle politique éducative énoncée lors des états
généraux de l'éducation de mai 1995 affirment
l'éducation comme «priorité des priorités dans
l'action de l'Etat et de la nation dans toutes ses composantes». L'autre
principe énoncé à ces états généraux
est l'amélioration et la condition de l'enseignant. Où en
sommes-nous dix ans après ces discours? Il n'est pas du tout aisé
d'être enseignant au Cameroun. Parents et administration qui sont des
acteurs à part entière de l'action éducative se contentent
d'une mise en scène médiatisée à la rentrée
scolaire. En réalité, ils abandonnent les élèves
démunis à des enseignants démunis dans une école
démunie. Puis n'apparaissent qu'en fin d'année pour s'activer
pour des examens officiels; le premier pour acheter «l'eau propre» le
second pour limiter les dégâts. Des efforts sont certes faits par
l'Etat, mais ils demeurent très insignifiants face à l'ampleur de
la tâche. Peut-être que la création du tout nouveau
ministère de l'Enseignement technique et professionnel répond
à cet autre principe énoncé par les états
généraux de 1995 à savoir : « la promotion de
l'enseignement technique et professionnel comme facteur de
développement... ». Ce qu'il ne faut pas oublier dans cette
démarche, c'est que l'enseignant est à l'Education nationale la
ressource sans laquelle tout investissement, toute politique seraient non
productifs. Pour atteindre la meilleure productivité, l'investissement
en vue de l'éducation doit passer par l'investissement en ressources
humaines. Alors l'enseignant doit être au centre de la politique
éducative. Ce n'est pas encore le cas. C'est là une autre
explication à l'échec massif aux examens officiels.
Généralement c'est sous prétexte de la
maladie que les enseignants s'autorisent à parler de leurs
difficultés. Ils passent par exemple par les maux de dos, maux de
tête, insomnie pour évoquer leur souffrance au travail. Ils
emploient aussi des métaphores qui sont une façon de dire
l'indicible tout en ne le décrivant pas directement. Ce sont par exemple
les termes métaphoriques comme « l'enfer », du
« bazar », de la « galère »...
etc., qui soulignent la dureté de l'expérience professionnelle
parfois suscitée par l'institution elle-même. Ces
difficultés difficiles à exprimer par les enseignants
eux-mêmes sont le plus évoquées par les témoins. Ces
difficultés à « parler » son liées au
fait que les enseignants apparaîtraient inefficaces et défaillants
or la société promeut plutôt les performances. Plusieurs
études ont relevé que la plainte est le premier objet
rencontré lors des enquêtes sur les difficultés au travail
des enseignants : une masse des données nourries de la plainte
enseignante dont les objets sont multiples. Cette plainte constitue un discours
socialisateur permettant de mettre en scène le travail enseignant, sa
pénibilité. Quand le débat sur le travail semble
impossible et que les issues restent imperceptibles, la lamentation devient le
mode d'expression essentiel. La plainte révèle cette situation
chez les enseignants. Une tension existe de nature dans la profession
enseignante autour de l'enrôlement et l'intéressement des
élèves, d'une part, de l'identification du bon travail, d'autres
parts. Elle s'avère centrale dans les difficultés
professionnelles des enseignants.
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