Les qualités requises de la part
de l'enseignant
Le rapport à soi comme personne ou, en termes
synthétiques, la connaissance de soi requiert une capacité
introspective qui demande une mise à distance avec soi. Cette mise
à distance est rendue possible grâce à un esprit
réflexif capable d'autoévaluation. La psychologie au
XXe siècle, de quelque allégeance qu'elle soit, l'a
bien montré, la connaissance de soi contre la tendance - naturelle et
inconsciente - de la personne à projeter sur l'autre ses propres manques
et lacunes. Tous les outils que nous a légués la psychologie,
sans nécessairement entrer dans une démarche
thérapeutique, peuvent être utiles à cet exercice
«d'examen de soi», du simple regard introspectif à la
narration autobiographique. On retrouvera par ailleurs la composante
«connaissance de soi» décrite un peu plus loin.
Quant au rapport aux enseignants et à la profession, on
a vu qu'il comportait plusieurs éléments. Il est difficile de
mettre terme à terme les qualités requises pour chacune de ces
composantes, non pas parce qu'il est impossible de les identifier, mais
plutôt parce que plusieurs composantes font appel à des
qualités similaires. Aussi ferons-nous l'exercice, mais en identifiant
les recoupements possibles.
Dans la section rapport au travail, nous avons vu que
l'enseignant était un professionnel de l'éducation/apprentissage
et que l'enseignement était un acte complexe, réflexif et
interactif, ce qui se reflète dans les autres composantes de
l'identité, plus particulièrement dans le rapport aux apprenants.
L'enseignement requiert donc la maîtrise de nombreux savoirs, dont
plusieurs ont été mentionnés: savoirs disciplinaires,
pédagogiques et didactiques - d'ordre théorique et pratique - et
l'acquisition de plusieurs compétences, dont la capacité
réflexive. C'est en analysant constamment sa propre pratique, en ayant
une distance par rapport à celle-ci, et en la réajustant que
l'enseignant exerce sa fonction en qualité de professionnel. Cette
capacité analytique se double d'un sens praxéologique qui permet
de faire le pont entre la théorie et la pratique et d'effectuer des
choix. Pour ce faire, l'enseignant devra exercer son jugement.
HARE (1993) définit le jugement comme la
capacité d'évaluer de façon critique l'information
disponible, les raisons qui sont invoquées pour soutenir un point de vue
plutôt qu'un autre lors d'une prise de décision. Réflexion,
analyse, jugement sont donc nécessaires pour effectuer des choix
proprement éducatifs, qui ne reposent pas uniquement sur un rapport
d'émotivité aux événements et aux choses.
Ces compétences ou capacités ne peuvent par
ailleurs s'exercer sans l'autonomie de l'enseignant. Autant à certains
égards et dans une certaine mesure, il devra agir de concert avec ses
collègues, autant il doit pouvoir fonctionner de façon
indépendante, en prenant des décisions dont il assume la
responsabilité. Enfin, le réajustement constant de ses pratiques
implique la capacité à s'auto évaluer. Pour ce faire, il
devra avoir une bonne connaissance de soi, comme nous l'avons vu. Dans la
section rapport aux responsabilités, on a vu que la
responsabilité de l'enseignant, en tant que professionnel, envers le
public et en tant que maître/adulte, envers l'enfant, devait s'exprimer,
entre autres, par la prise en compte de considérations d'ordre
éthique dans l'exercice de sa fonction. Pour ce faire, il doit avoir une
connaissance des règles déontologiques régissant sa
profession. Ces règles, statuant sur les devoirs du professionnel envers
le «client» (respect, intégrité, etc.), qu'elles soient
codifiées par un ordre professionnel ou non, ne sont par ailleurs pas
suffisantes pour assurer une pleine compétence éthique chez
l'enseignant. Il faut d'abord et avant tout développer un sens
éthique chez celui-ci, soit une compréhension de l'importance de
ces questions dans l'exercice de ses fonctions. Si les règles
déontologiques stipulent les devoirs que l'enseignant a envers
l'élève et envers sa profession, elles ne circonscrivent en effet
pas tout le domaine de l'éthique qui englobe, de façon plus
générale, la réflexion sur la conduite humaine. Or, on le
sait, toutes les conduites humaines ne sont pas codifiées et ne doivent
certainement pas l'être. En sus de sa propre conduite, l'enseignant devra
jauger celle de l'élève, qui devra parfois être
sanctionnée. Les situations qui appellent une réflexion d'ordre
éthique étant variées, il est important que l'enseignant
développe une capacité à réfléchir aux
dilemmes d'ordre éthique qui se présentent, au cas par cas, sous
la forme de la délibération éthique, par exemple
(RACINE, LEGAULT et BEGIN, 1991).
Dans la section rapport aux apprenants, on a mentionné
l'importance de la relation pédagogique, qu'elle soit d'ordre
intellectuel, affectif ou moral, au sens large du terme, faisant
référence à l'influence que peut exercer l'enseignant, en
tant que porteur de valeurs, sur l'élève, comme modèle -
au sens fort ou faible du terme. Pour instituer cette relation, l'enseignant
devra faire preuve d'une capacité relationnelle, soit être capable
d'entrer en relation avec l'autre. Cette capacité se manifeste par des
qualités d'empathie et d'écoute, comme l'ont fait valoir les
pédagogues humanistes, mais également par cette autre
qualité qu'ils ont dénommée congruence. Or, la congruence,
comprise comme cohérence ou concordance, chez un individu, entre le
dire, le faire et le penser est impossible à réaliser sans une
bonne connaissance de soi, qu'on a vue dans la composante représentation
de soi. On rejoint ici également la capacité à s'auto
évaluer déjà relevée dans la section rapport au
travail. Cette connaissance de soi exige que la personne soit capable
d'introspection, et aussi qu'elle connaisse les mécanismes d'ordre
psychologique qui régissent les relations interpersonnelles, notamment
ceux d'introjection et de projection qui aident à faire le partage entre
ce qui appartient à soi et ce qui appartient à l'autre dans
l'univers complexe de la relation. Mais cette connaissance de soi ne devrait
pas se limiter à la dimension psychologique et affective de la relation
pédagogique. Elle devrait aussi toucher les dimensions intellectuelle et
morale de la personnalité, par une connaissance, d'une part, des
capacités et des limites intellectuelles de chacun et, d'autre part, des
valeurs qu'il véhicule souvent de façon implicite et qu'il doit
rendre explicites. Cette connaissance de soi facilitera d'ailleurs les
relations qu'il établira avec ses collègues.
En référence à la section Le rapport aux
collègues et au corps professoral, outre les compétences
relationnelles qui viennent d'être évoquées, l'enseignant
devra posséder un sens de la collégialité, de partage et
de rapport avec ses collègues, lequel sera généré
entre autres par un sentiment d'appartenance à ce groupe. Ce sentiment
d'appartenance peut lui-même être développé par la
formulation d'objectifs communs dans le cadre du projet éducatif, par
exemple, mais également par l'exercice de la mise en commun des
pratiques pédagogiques aussi bien que des difficultés
rencontrées en situation d'enseignement. Cette mise en commun requiert
une compétence dialogique, à savoir une capacité à
discuter avec ses pairs et à arriver, lorsque cela est
nécessaire, à des décisions consensuelles. Cette
collégialité se manifeste aussi par la capacité à
travailler en équipe sur des projets communs, d'ordre scolaire aussi
bien que parascolaire, comme on l'a relevé. Mais les collègues ne
sont pas les seuls acteurs de l'éducation avec qui l'enseignant doit
engager un dialogue. Il doit interagir avec tous les intervenants du monde de
l'éducation, au premier chef ceux qui ont un lien avec
l'établissement dans lequel il oeuvre.
A la section le rapport à l'école comme
institution sociale, on a vu que le projet éducatif était le lieu
névralgique de la rencontre du mandat que la société
donnait aux enseignants et de leur participation à la définition
ou redéfinition de ce mandat. Pour pouvoir intervenir dans la
formulation de ce projet, l'enseignant doit avoir une connaissance des demandes
sociales qui lui sont adressées et, plus largement, de la culture dans
laquelle s'insère l'école, comme institution sociale. Ce n'est en
effet qu'en connaissant le contexte et les enjeux des demandes de la
société envers l'école qu'il pourra prendre des
décisions éclairées sur les orientations éducatives
et pédagogiques à privilégier. Pour prendre part à
cette discussion, il lui faudra acquérir une compétence
argumentative. (PALLASCIO et all, 1999 :66) insistent sur
l'importance, pour l'enseignant, de s'affirmer professionnellement,
c'est-à-dire de défendre ses choix, éventuellement par
«l'expression d'un engagement au service d'une situation
problématique par laquelle le pédagogue se sent rejoint et
concerné, qui le pousse à assumer une responsabilité,
à l'exercer, à se compromettre, et qui devient ainsi
progressivement pour lui l'objet d'une véritable cause
mobilisatrice».
Les qualités identifiées ici peuvent
être mises en rapport avec deux éléments structurels
essentiels au processus de construction identitaire sur le plan professionnel,
soit les mécanismes d'identisation et d'identification. On retrouve en
effet dans les qualités énumérées la
présence constante et concomitante de la connaissance de soi et du
rapport à l'autre. Une synthèse des qualités
énumérées, même si elle est réductrice,
étaye ce constat.
· Rapport à soi: capacité introspective,
réflexive, d'autoévaluation.
· Rapport au travail: savoirs, capacité
réflexive, capacité à faire le transfert entre la
théorie et la pratique, capacité analytique, capacité
à faire des choix, jugement, autonomie, capacité à
s'auto-évaluer.
· Rapport aux responsabilités: connaissance des
règles déontologiques, sens éthique,
délibération éthique.
· Rapport aux apprenants: capacité relationnelle,
empathie, écoute, congruence, connaissance de soi, capacité
introspective, connaissance des mécanismes psychologiques, connaissance
de ses capacités et limites intellectuelles et de ses valeurs.
· Rapport aux collègues:
collégialité, sentiment d'appartenance au groupe,
compétence dialogique, capacité à travailler en
équipe.
· Rapport à la société à
travers l'école: connaissance des demandes sociales, de la culture,
capacité à s'affirmer, compétence argumentative. Sous
chaque composante se retrouvent des éléments qui font
référence à la connaissance de l'autre
(élève, collègue, société) et à la
capacité d'entrer en relation avec cet autre (capacité
relationnelle et dialogique entre autres) qui a, en retour, des influences sur
soi (culture, savoirs, demandes sociales, appartenance au groupe). Ce rapport
à l'autre fait aussi appel au retour sur soi, à la connaissance
de soi (capacité introspective, valeurs, capacités et limites
intellectuelles). Ceci vient conforter l'idée que dans les
éléments qui composent l'identité professionnelle et qui
concourent à sa construction, les pôles identitaires
d'identisation et d'identification sont présents. Autrement dit, les
mécanismes de la construction identitaire se reflètent dans les
qualités requises dans l'enseignement comme profession, ce qui conforte
l'idée que l'identité professionnelle ne saurait être
uniquement une identité socialement donnée (par le groupe des
enseignants ou, plus largement, par la société), mais est
composé de ce qu'on peut appeler l'identité personnelle (que la
personne, s'attribue comme telle) et de l'identité sociale de la
personne et fait appel à des dimensions psycho-individuelles et sociales
dans sa constitution. Ainsi, le processus de construction de l'identité
professionnelle, par la mise en oeuvre conjuguée des processus
d'identisation et d'identification et du rapport dialectique à soi et
à l'autre, est essentiellement de nature dynamique et interactive. Son
caractère dynamique est largement tributaire des phases de crise et de
remise en question vécues par les enseignants.
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