Nous avons vu dans les parties précédentes que
l'aide alimentaire existait depuis des siècles et qu'elle a fortement
évolué depuis. Elle s'est institutionnalisée, mais montre
également des signes d'insuffisance face à l'ampleur du nombre de
personnes à secourir (plus de 14% de pauvreté en France et plus
de 16% en Europe depuis 2011). Depuis quelques années, l'aide
alimentaire est dans une nouvelle phase de développement, elle doit se
réinventer pour continuer à exister et surtout innover pour
s'adapter aux nouveaux besoins sociaux d'une population appauvrie par les
crises économiques, financières et sociales à
répétition.
L'objectif de cette partie est de tenter de
caractériser les différents modèles économiques,
les richesses humaines et les alliances qui s'appliquent aux organisations pour
ensuite arriver à une grille d'analyse nécessaire à
l'étude menée. Les approches théoriques mobilisées
pour appréhender les épiceries seront les suivantes :
l'entreprise sociale, l'hybridation des ressources, théorie des
conventions et de l'acteur réseau, ESS, ressources humaines, «
bénéfices col lect ifs ».
1. Cadrage théorique des épiceries
sociales et solidaires
Un modèle économique permet d'étudier
l'environnement et le fonctionnement d'une organisation. Qu'en est-il de celui
d'une épicerie sociale ou solidaire? Les ES ne sont pas basées
sur un seul modèle économique. Certaines vont avoir tendance
à avoir une logique plus économique et s'orienter vers le
modèle de l'entrepreneuriat social. Un modèle qui se positionne
sur une posture marchande avec des activités commerciales mais dans le
respect de la lucrativité limitée et en maintenant une
finalité sociale.
1.1 Les épiceries : des organisations
économiques aux multiples dimensions
Comme pour toute organisation, les épiceries doivent
mobiliser plusieurs ressources pour mener à bien leur projet initial :
des moyens humains, techniques, administratifs et financiers.
-34-
Pour VIENNEY (1994), une organisation est un
«ensemble de comptes sociaux, interconnectés, avec des
participants, fournissant des contributions et recevant des
contreparties». Pour cela, l'organisation fonctionne selon un
modèle économique qui constitue la structure des moyens dont elle
dispose. Les épiceries sociales et solidaires étant
majoritairement représentées par des associations (67% pour
l'ANDES), nous orienterons le cadrage sur le modèle associatif. Un
modèle qui d'après le rapport Lipietz de 1998 «
entraîne des effets externes comme : du réseau, du lien et du
capital social ». Ce modèle présente des approches
différentes selon une orientation marchande ou non marchande au niveau
des ressources, de la finalité et de l'activité.
Sur le marché « lieu de rencontre entre l'offre
et la demande », il y a une logique de prix. Ce prix dépend des
coûts de product ion et de la marge de l'entreprise.
Pour les ressources :
- Marchande : lorsqu'on couvre le coût de production par
un prix.
- Non marchande : les biens et services sont mis à
disposition des usagers en dehors du marché et leur financement n'est
pas assuré par un prix. Son financement est alors composé
d'autres ressources : fonds publics, dons ou cotisations
d'usagers.
Pour la finalité :
- Marchande : finalité lucrative dans le but de
rémunérer le capital généré
- Non marchande : la finalité n'est pas la recherche
de lucre, ni de rémunération du capital et peut être
sociale.
Pour l'activité :
- Marchande : lorsque le projet est d'ordre privatif
- Non marchande : quand le projet est d'intérêt
général ou reconnu d'utilité publique
Les ES ont donc plusieurs dimensions économiques dont
celle de l'entreprise sociale. Ce modèle qui s'oriente vers une
dimension marchande, respecte tout de même le principe de
lucrativité limitée en maintenant une finalité sociale. On
peut donc supposer que des liens avec l'entreprise sociale sont
présents. D'une manière générale, les ES font appel
aux mêmes ressources qu'une entreprise, mais d'où vient ce
modèle d'entreprise sociale ?
-35-
1.2 La dimension de l'entrepreneuriat
social
Les recherches montrent que l'entrepreneuriat trouve
ses sources au début du XIXe siècle avec l'économiste SAY
qui parle de nouvelles combinaisons de ressources dans une loi qui porte son
nom, la loi SAY (1803). Par la suite, on trouvera également un grand
investigateur de l'entrepreneuriat, SCHUMPETER (1950) qui considère
« l'agent» comme un « acteur de changement».
Pour lui «un entrepreneur est une personne qui veut et qui
est
40
capable de transformer une idée ou une
invention en une innovation réussie» . On peut
citer également Peter DRUCKER (1985) qui parle
d'innovation dans l'entrepreneuriat « un entrepreneur
est à la recherche d'opportunité de changement».
Plus récemment, dans les années 2000, par
la loi du 28 juin 2001, un nouveau statut d'entreprise a été
créé, dérivé de la loi des coopératives de
1947, celui de la SCIC.
Au niveau européen, l'émergence des
entrepreneurs sociaux a permis des recherches sur ces organisations et le
réseau EMES (International Research Network) propose une
définition qui représente plus un «idéal-type»
qu'une réelle définition normative. Cet idéal-type est
basé sur trois dimensions : économique entrepreneuriale, sociale
et gouvernance participative. Il a pour but de caractériser les
différentes typologies existantes.
Pour le chercheur Patrick GIANFALDONI (2013) les
entreprises sociales sont «des organisations privées n'ayant
pas pour finalité le profit et fournissant des biens et services ayant
pour but explicite de bénéficier à la communauté
».
Pour DRAPER! (2003), « l'entreprise sociale
s'intègre bien dans l'économie sociale puisqu'elle répond
à des besoins sociaux non satisfaits et fonctionne selon des
principes
41
démocratiques » .
Ainsi, au cours des vingt dernières
années, ces nouvelles formes d'économie sociale se sont
étendues à de nouveaux secteurs dont les épiceries
sociales et solidaires. Mais certains voient également en cette
mutation, «un risque de hiérarchisation des
défis sociaux à travers le prisme du marché»
(DEFOURNY, NYSSENS, 2013) ou bien un
40
http://fr.wikipedia.org/wiki/Entrepreneuriat
41
RECMA n°288 page 66 :
http://recma.org/sites/default/files/288_o48o66.pdf
-36-
isomorphisme (Dl MAGGIO, POWELL 1983) qui consisterait
à enraciner le concept d'entreprise sociale dans la tradition de
l'ESS.
Voyons à présent les points communs qui
rapprochent les ES d'une entreprise sociale à travers leur
fonctionnement et leur organisat ion.
2. Fonctionnement et organisation des
épiceries sociales et solidaires
Les travaux de VIENNEY (1980-82; 1994), par le biais du
Triptyque « acteur=>règles=>organisat ion » qui porte
son nom, permet d'avoir une approche nouvelle (différente de l'analyse
néoclassique) sur l'économie sociale. En effet, après
avoir choisi son statut juridique, l'organisation doit mettre en place des
règles pour mener à bien son projet. La construction de ces
règles passe par une continuité d'éléments :
Organisation => ressources => activités (nature, degré)
=> objectif (celui-ci prime sur l'activité).
L'axe financier des ES doit prendre en compte des besoins:
l'investissement et le financement de l'activité pour laquelle elle a
été créée. Les investissements vont concerner
l'immobilier, le matériel alors que le financement de l'activité
recouvre les besoins pour réaliser le projet associatif, et le
fonctionnement de l'association. Chacune de ces logiques s'appuie sur des
leviers différents.
2.1 Une mixité des
ressources
Concernant les ressources des ES, dans la majorité des
cas on observe qu'elles respectent un des principes fondamentaux de l'ESS,
à savoir celui de l'hybridation de trois formes d'économie et de
ressources : le Marché, l'Etat et la Société Civile (ou
Réciprocité).
On entend par « Marché »,
les ressources issues des clients. On le retrouvera surtout au sein
des ES évoluant sous un schéma mixte d'accueil du public.
D'après des chiffres de 2011 sur le secteur associatif,
les ressources privées issues des ventes représentaient
42
environ 36 % de leur budget. Mais ce modèle de
mixité du public reste marginal. On
compte très peu d'épiceries sociales et
solidaires sous cette forme-là. Par exemple en PACA, on en
dénombre seulement deux, à Arles et à St Rémy. On
trouvera également le
42
Contribution à l'analyse des modèles
socio-économiques associatifs. CPCA-Janvier 2014. page 6
- 37 -
mécénat d'entreprise et les fondations, qui ne
représentent que 4% des budgets des associations, en 2011,
mais qui pourraient à l'avenir prendre une tout autre part,
puisque les subventions publiques tendent à diminuer. Mais les
fondations ou philanthropes accepteront-ils de s'y substituer?
On entend par « Etat », les
ressources issues des subventions et des marchés publics que
perçoivent les épiceries pour mener à bien leur projet.
D'après les budgets étudiés, ce type de ressources
représente en moyenne près de la moitié du financement des
épiceries sociales et solidaires, et peuvent parfois atteindre
jusqu'à go % du budget global.
De l'Europe aux communes, chaque intermédiaire
territorial contribue au financement des projets en fonction de ses
compétences et de ses priorités politiques. On observera une
tendance forte aux financements publics dans une épicerie portée
par un CCAS ou CIAS ou bien une association ayant un projet social fort. On
pourrait alors parler de «délégation de service
public» d'après Mathieu GALAND, directeur de l'association
Garrigues et gérant d'une épicerie solidaire itinérante
dans le Var (83).
Lorsqu'on observe les chiffres de l'étude sur les
typologies des modèles économiques des associations, on y apprend
en effet, que les commandes publiques ou marchés publics sont en forte
progression sur les six dernières années au détriment des
subventions. « Elles sont passés en 5 ans de 1/3 des
financements publics à 50%», ce qui par conséquent
signifie que les associations entrent dans un champ concurrentiel et sont de
moins en moins financées sur leur projet associatif ou
«mythe», comme l'appelle ROUSSEAU dans son ouvrage «Gérer
et Militer». Comme le souligne ROUSSEAU, quand une association se
développe, elle entre dans une vision de gestion (geste social)
et perd souvent son sens associatif (mythe-tribu). C'est pour
cela qu'elle doit sans cesse remettre en question son projet et créer
des outils de gestion du sens.
Enfin, on entend par « Société
Civile » ou « Réciprocité », «
la relation établie entre des groupes ou personnes
grâce à des prestations qui ne prennent sens que dans la
volonté de manifester un lien social entre les parties prenantes »
(LAVILLE, 2001). C'est un principe qui s'oppose à l'échange
marchand. On y trouvera uniquement les cotisations des
bénéficiaires des épiceries sociales et solidaires.
D'après l'étude citée ci-dessus, en 2011,
les cotisations représentaient 10,7% des revenus des
associations. Pour les épiceries
-38-
sociales et solidaires, il est difficile de faire un constat
car la présence d'une cotisation est très aléatoire et
souvent symbolique (entre 1 et 2 € maximum), ce qui ne
permet pas de définir un pourcentage précis.
Dans ce contexte de diminution des subventions, certaines
épiceries sociales et solidaires ont une démarche
d'automatisation financière par la diversification des sources de
revenus, notamment privées. Mais elles ne sont pas destinées
à remplacer les financements publics, seulement à les
compléter. L'hybridation des ressources devient alors « gage de
pérennité » pour la structure.
2.2 Les richesses humaines : la coexistence de
salariés et bénévoles aux tâches
multiples
Souvent considérée comme la principale
ressource d'une organisation, la structuration de la richesse humaine
mobilisée au service du projet associatif est fondamentale pour
comprendre le modèle de fonctionnement de l'organisation. En fonction de
l'implication des bénévoles et salariés, le modèle
économique d'une épicerie sociale ou solidaire ne s'organise pas
de la même manière. Dans certains cas, la masse salariale sera le
premier poste de charges, pouvant atteindre 6o% voire 8o% du budget
(d'après une étude menée
43
par Le CPCA sur 150 structures).
Au sein des épiceries sociales et solidaires, on
trouve des salariés qui ont en charge les tâches courantes ou des
actes de gestion mais également des bénévoles qui peuvent
venir en aide sur des tâches annexes ou bien amener leurs savoir-faire
sur des actions ponctuelles d'acte de gestion (trésorerie,
secrétariat, stock, etc.). De taille très
hétérogène, les effectifs des épiceries peuvent
aller de un salarié à une dizaine quant au
bénévolat il dépasse parfois soixante-dix personnes.
2.2.1 «Au-delà de l'épicier
», des métiers multiples
Rien ne semble différencier les épiceries
sociales et solidaires, des épiceries classiques par la présence
de denrées alimentaires, de produits d'hygiène, de rayonnages,
d'un espace d'accueil et d'une caisse. Mais les particularités de ces
épiceries, se situent dans le
43
Site internet du CPCA, lien vers l'étude :
http://lemouvementassociatif.org/actualite/articles/typologie-des-modeles-de-ressources-financieres
-39-
regroupement de plusieurs métiers au sein d'un
même lieu et la création de nouveaux espaces. Ceux-ci vont se
traduire par un espace d'accueil caractérisé par la
présence d'une table, de chaises, parfois une machine à
café, des journaux, pour créer une ambiance « conviviale
» d'échanges et de rencontre. On trouve assez souvent un coin
enfants, un espace information et documentation ainsi qu'un espace social
indépendant de la boutique consacré à l'accompagnement et
au suivi du public accueilli.
Des ateliers thématiques sont proposés de
façon régulière, animés par des intervenants
extérieurs ou bien par des travailleurs sociaux (assistant(e) social(e),
conseiller (ère) en ESF). Plus rarement, l'ensemble est
complété par des services annexes tels que coiffeur, manucure,
livraison à domicile, etc.
Les métiers rencontrés dans les ES sont :
- hôtesse de caisse et d'accueil
- responsable, coordinateur de l'épicerie
- assistant(e) social(e) ou conseiller (ère) en
ESF.
Il est rare que les fonctions exercées par les
salariés se limitent à la qualification mentionnée sur la
fiche de paie. S'ajoute par moment un rôle d'accompagnateur social
(échanges verbaux en caisse, accueil d'un public parfois difficile,
animation de l'espace convivial).
Le salarié doit être capable de maîtriser
plusieurs fonctions afin de répondre le mieux possible aux besoins des
publics visés et assurer l'ensemble des tâches courantes. Ces
tâches vont de l'accueil du public, mise en rayon des produits, gestion
du stock, vente et gestion de caisse, gestion administrative, communication,
aménagement, gestion du personnel et des bénévoles, veille
tarifaire, animation et gestion des ateliers, élaboration des dossiers
de subventions, jusqu'au lien avec la direction générale et/ou le
conseil d'administration suivant la forme juridique.
Lorsque l'on ne connaît pas l'organisation de ces
épiceries « pas comme les autres», on n'imagine pas, pour
certaines d'entre elles, le travail social à accomplir en
complément de celui des référents sociaux (accueil du
public, accompagnement dans la démarche, conseil sur les produits et le
budget, suivi du dossier, orientation vers d'autres structures, animation des
d'ateliers, etc.). Ce travail est pris en charge par une équipe de
salarié, qui
-40-
souvent, ne présente pas un parcours professionnel
adapté. Comme le souligne Guillaume BAPST « Le rôle des
épiceries solidaires ne s'arrête pas â la vente de produits
moins cher. Elles assurent aussi tout un travail d'accompagnement et de
sensibilisation,
44
notamment à travers des ateliers de cuisine et
d'éducation à la nutrition et à la santé »
.
Il peut s'agir là d'un réel problème
pour les épiceries sociales et solidaires, quant à la formation
initiale des salariés. Un travailleur social sera-t-il mieux
placé pour travailler dans une ES ?
A noter par ailleurs, que l'ANDES travaille depuis
2009 sur l'élaboration d'une formation diplômante
permettant à des personnes de se spécialiser sur ce type de
métier, appelé par l'ANDES «épicier solidaire ».
Toujours selon Guillaume BAPST, il s'agit là d'une «
particularité du métier» qui comporte trois dimensions
: sociale, logistique et politique.
Les ES ont donc créé un nouveau métier,
celui « d'épicier solidaire », non reconnu par un
diplôme mais validé par l'expérience. Dans certains cas,
les épiceries ont trouvé une autre solution : insérer une
équipe de professionnels du social (AS et CESF) au sein de
l'organisation. Ce sera le cas notamment d'épiceries sociales
gérées par un CCAS ou CIAS mais aussi exceptionnellement par
certaines associations ayant fait évoluer leur projet initial.
2.2.2 Des salariés aux parcours professionnels
atypiques
Quand on se penche sur les profils rencontrés, on
découvre que certains ont travaillé plusieurs années dans
le commerce de proximité, les centres sociaux, le
prêt-à-porter ou bien complètement à
l'opposé, dans des domaines aussi variés que ceux de
l'ingénierie, la banque ou l'enseignement. Ceci représente une
richesse supplémentaire pour ces structures car, à y
réfléchir, ce sont des mondes différents qui
interfèrent entre eux.
45
En effet, comme le souligne la théorie des
conventions (BOLTANSKI, THEVENOT, 1991), la
coopération entre acteurs s'intéresse à des formes de
coordinations qui ne sont pas forcément des contrats, des contraintes,
mais qui reposent sur des principes communs
44
« La solidarité en libre-service»
parGuillaume BAPST (exposé), Les amis de l'école de Paris du
28/05/2008, page 4.
45
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomies_de_la_grandeur
-41-
qui s'inscrivent dans les relations sociales. Il ne
suffit pas de mettre des gens ensemble pour qu'ils coopèrent, il faut
alors trouver des personnes permettant et favorisant le maillage, des
«traducteurs» selon la théorie de
l'acteur réseau ou de la traduction de
46
(CALLON/LATOUR, 2006) . Chaque acteur apporte sa
spécificité, son expérience, ses compétences, sa
vision du monde, sa mentalité, provoquant des interactions positives
pour mener à bien le projet de l'épicerie et entrevoir d'autres
solutions de développement.
Selon les principes de l'ESS, il arrive que le
salarié ait une «double qualité» (DRAPER!, 2010), celle
de salarié-acteur. Dans ce cas, il aura un lien de subordination avec sa
direction mais également un statut de partie-prenante
(Théorie des stakeholders, FREEMAN 1984) car
il participe, dans la majorité des cas, à la co-construction du
projet de l'épicerie.
2.2.3 Le bénévole, une dynamique
indispensable
La place du bénévole n'est pas
évidente dans cette organisation. Pourtant, dans certains cas, l'apport
d'une équipe de bénévoles va être plus que
primordial pour mener à bien le projet. On observe que les contrats de
travail des salariés sont généralement des emplois
aidés (environ 70 % des épiceries visitées) et souvent
à temps partiels. Il n'est pas évident de réaliser
l'ensemble des tâches qui leur sont confiées et la présence
ou non de bénévoles peut s'avérer
déterminante.
Si l'on s'intéresse au
bénévolat, on constate dans un premier temps que travail et
bénévolat sont en opposition. « Le
bénévolat est hors travail, c'est un don de soi et il est
basé sur la gratuité du travail réalisé »
(B. GIRAUD, cours de sociologie du travail, 2014). Il n'en reste
pas moins qu'il est très développé dans l'ESS. La
majorité des produits et services sont essentiellement
réalisés par des bénévoles. On estime qu'il y a en
France près de 20 millions de bénévoles (étude
menée par FRANCE BENEVOLAT, 2013), ce qui représenterait plus de
1 milliard d'heures par an. Cette étude montre également que 3
secteurs dominent dans l'engagement : le social, caritatif avec 31%, les
loisirs avec 25
et le sport avec 23 %. La proximité et la
variété des actions à mener seraient des
raisons
46
http://fr.wikipedia.org/wikifTh%C3%A9orie
de l'acteur-r%C3%A9seau
- 42 -
qui justifient l'attractivité de ces trois
secteurs. On retrouve, dans le secteur du social et caritatif les
ES.
L'organisation d'une épicerie va
bénéficier de l'apport des bénévoles sur plusieurs
points. Tout d'abord, ils permettent de réaliser des tâches que le
salarié ne peut pas réaliser, faute de temps, tels que le
rangement du stock, l'étiquetage des produits, de petits travaux, des
rangements divers, la décoration, etc. De même, lorsqu'on observe
l'environnement externe d'une épicerie solidaire, on constate que ce
sont là aussi souvent des bénévoles qui permettent
l'approvisionnement en denrées alimentaires. En effet, les Banques
Alimentaires, décrites dans la partie I, disposent d'un réseau
important de bénévoles permettant de trier, stocker et distribuer
les produits.
D'autre part, le bénévole va, dans
certains cas, apporter son ou ses savoirs et savoir-faire au reste de
l'équipe salariée et devient co-producteur du service. Le
bénévole endosse alors une double qualité de
«acteur-producteur» et devient essentiel à l'organisation des
ES.
On peut également rajouter que cette richesse
humaine est importante à valoriser économiquement pour les
structures. Le bénévolat est en effet estimé à
près de 40 milliards d'euros en France (étude le RAMEAU, 2014),
le prendre en compte permet de faire reconnaître son importance et de
présenter aux partenaires l'évaluation stricte des besoins pour
réaliser les object ifs.
2.3 Une organisation du travail et des horaires
très hétérogènes
Comme nous l'avons vu précédemment, les
épiceries sociales et solidaires ont des particularités qui
permettent de les différencier des épiceries classiques. Il en
est une autre qui se situe au niveau de l'organisation du travail et des
horaires d'ouverture au public.
Dans toute organisation, il y a à la base, un
projet social qui implique un projet économique
nécessitant des ressources humaines et financières
(Régis GUILLEMETTE, cours sur la GPEC, 2014) et des horaires d'ouverture
au public différents de ceux du personnel.
Dans les ES, un modèle type n'existe pas,
chacune a sa propre organisation du travail. A ce propos, le poste de gestion
des ressources humaines n'est pas à négliger.
On s'appuiera sur les travaux de PICHAULT et NIZET (1995),
pour analyser plusieurs situations au sein des ES. Tout d'abord, on pourra
observer une coordination du travail en «supervision directe»
quand le responsable ou coordinateur de l'épicerie est en position
de donner des consignes, des ordres et contrôle le travail
effectué. Dans d'autres cas, on parlera d'un «ajustement
mutuel» quand les échanges verbaux, les discussions entre les
acteurs sont privilégiés.
De même, au niveau de la configuration de
l'organisation, deux types prédominent, les «configurations
entrepreneuriale et adhocratique » (PICHAULT et NIZET, 2000,
p.48 tableau1).
Entrepreneuriale car la division du travail
est généralement d'ordre verticale forte, les
salariés sont séparés des concepteurs du travail avec
souvent peu d'autonomie. La supervision directe est régulièrement
employée et la qualification des salariés est souvent faible ou
peu appropriée.
Adhocratique car dans certaines situations,
la division du travail sera faible tant par la dimension verticale
qu'horizontale. Les salariés effectuent un grand nombre de tâches
diversifiées et conçoivent aussi le travail qu'ils
exécutent. L'ajustement mutuel est régulièrement
adopté pour concevoir et organiser le travail. Et on trouvera des
salariés dont la qualification est plus élevée.
2.4 Horaires et accueil du public
Pour les horaires d'ouverture au public, deux cas de figures
peuvent se rencontrer :
- Accueil du public en continu :
l'épicerie va avoir des horaires proches de ceux d'une
épicerie classique, à savoir l'ouverture sur la semaine et des
horaires plus larges. Il y a donc peu de contraintes pour l'usager.
- Accueil du public discontinu:
l'épicerie va ouvrir seulement quelques jours dans la semaine,
parfois sur une demi-journée (exemple de l'épicerie d'Endoume :
Mardi toute la journée et Jeudi après-midi) et les horaires sont
fixes. L'usager doit se plier aux jours et heures d'ouverture pour venir faire
ses courses. Il s'agit d'une contrainte pour certaines personnes
éloignées du lieu, ayant des contraintes de travail ou de
famille.
-44-
On pourrait trouver paradoxal qu'une épicerie
ne fonctionne que quelques jours par semaine, alors qu'elle a pour but
d'accueillir un public pour des courses alimentaires. Ce modèle
entraîne de fait la nécessité pour l'usager de
s'approvisionner en grandes quantités avec le risque de dépasser
parfois ses besoins réels et ses ressources. A cela s'ajoute aussi la
difficulté du stockage adapté des denrées. Enfin, dans
certains cas, cette organisation incite la personne bénéficiaire
à solder le montant qui lui a été alloué dans un
temps restreint, ce qui produit un effet pervers.
Pour les salariés, l'organisation est tout
autre. L'accueil du public représente un des objectifs principaux de
l'ES mais l'ensemble des tâches à accomplir pour permettre son
accueil doit être réalisé dans le temps imparti. Pour cela,
les différentes tâches seront réparties sur la semaine et
en fonction du type de contrat des salariés. Bien souvent, on rencontre
des temps partiels en CAE-CUI, ce qui complique la réalisation des
tâches sur la semaine. De plus, les épiceries qui disposent de
moins de 3 salariés, devront avoir une gestion du travail rigoureuse et
sans l'apport d'un ou deux bénévoles, la charge de travail reste
importante et difficile à assumer.
2.5 La fixation du prix ou de la
«participation solidaire »
Pour fonctionner, une organisation doit avoir des
ressources financières. Une de ces ressources provient du prix des biens
et services vendus. Les épiceries sociales et solidaires mettent en
place des politiques de prix leur permettant de couvrir une partie ou la
totalité des charges. Les ES ont une particularité
rappelée ici par Guillaume BAPST, qui « n'est pas dans le don
pur et simple » comme nous pouvons le trouver dans d'autres formes
d'aide alimentaire telles que les colis d'urgence ou les Restos du coeur,
puisque « les utilisateurs doivent s'acquitter d'une participation
» qui permet «de réduire leur sentiment de
redevabilité ».
Au sein des ES on parlera rarement de prix ou de
tarifs, mais plutôt de « participation solidaire» qui
s'avère être parfois symbolique et une logique sociale est donc
présente. «Le but des épiceries solidaires est de rompre
avec la notion d'assistanat» souligne G. BAPST, et s'acquitter d'une
participation ou d'un prix permet cela. De même, il est inscrit dans la
charte de l'ANDES à l'article 4 (voir annexe 7) que «chaque
adhérent se voit attribuer un montant d'achats en fonction de la
composition de son foyer et s'acquitte d'une
-45-
participation financière inférieure
ou égale â 3o % de la valeur marchande des produits ».
Ce qui signifie que l'ensemble des épiceries adhérant au
réseau ANDES doivent respecter et appliquer ce principe. A ce propos, il
arrive que des bénéficiaires ne puissent pas utiliser
l'intégralité du montant auquel ils ont droit, faute de moyens
financiers, en fin de mois par exemple ou parce qu'ils ont dû faire face
à d'autres dépenses urgentes.
De nos jours, les denrées alimentaires
essentielles à la santé sont de plus en chères. Dans un
article paru dans le magazine LA SANTE DE L'HOMME, des études sur la
consommation nous apprennent que dans le commerce classique,
«la structure de prix
47
des denrées alimentaires est plutôt
défavorable â l'équilibre alimentaire » . Les
fruits et légumes, les poissons, les viandes vont être plus
onéreux que les produits salés, sucrés, gras nettement
meilleurs marché. De fait, les ménages en difficulté,
auront alors tendance à faire le choix des produits les moins
coûteux, mettant au second plan les principes d'hygiène
alimentaire et donc leur santé.
La santé à tout « prix
»
En France, il existe un seuil critique pour se
nourrir qui est actuellement évalué à 3,5 euros par jour
et par personne. Les études menées sur le sujet insistent sur le
fait que « le budget alimentaire des personnes pauvres est insuffisant
pour se procurer une alimentation
48
équilibrée» (SANTE DE L'HOMME,
2009). En complément, l'étude Abena 2011-2012
menée sur « l'état
nutritionnel des bénéficiaires de l'aide alimentaire »
fait ressortir que l'état de santé des usagers de l'aide
alimentaire est «préoccupant avec des prévalences des
pathologies liées â la nutrition (obésité,
hypertension artérielle, diabète, certains déficits
vitaminiques) particulièrement élevées
».
Les épiceries sociales et solidaires vont
alors mettre en place des solutions pour adapter les «prix» aux
publics accueillis et leur permettre ainsi l'accès à des produits
plus sains, répondant aux besoins alimentaires. C'est d'ailleurs un
engagement inscrit dans la charte de l'ANDES à l'article 2 qui impose la
« diversité des
produits».
47
Manger équilibrer pour 3,5 euros parjour: un
véritable défi, LA SANTE DE L'HOMME n°402, page3.3,
2009
48
http://www.inpes.sante.fr/30000/actus2oi3/oo9-abena2oii-2o1.2.asp
(Partenariat scientifique et financier de l'INVS, l'ORS IdF, INPES et le
Ministère de la Cohésion Sociale).
-46-
Les « prix» s'établissent de deux
manières :
- Par pourcentage : ce mode de calcul
est généralement mis en place dans les épiceries dont
l'accueil du public est non mixte (uniquement un public précaire). On
trouvera un pourcentage du prix réel du produit inférieur ou
égal à 30 %. Pour cela, une veille tarifaire est
réalisée par le salarié en charge du stock. Dans certains
cas, le calcul est le suivant : 10 % sur les produits secs, 20 %
sur les fruits et légumes, viandes, poissons et 30 % sur les
produits d'hygiène. La logique sera alors sociale.
- Par prix fixe: ce mode de fixation
s'observera essentiellement au sein des ES développant un projet
d'accueil du public mixte jumelé avec un modèle basé sur
le circuit-court. On trouvera alors deux prix affichés, un prix dit
« normal » et un prix dit «solidaire». Un coefficient
solidaire est alors calculé pour permette un équilibre
budgétaire (par exemple 1,55 pour le prix solidaire au lieu de 2
ou 3 pour le prix normal). Ce modèle s'inscrit dans une logique
plus marchande.
2.6 Approvisionnement : une multitude de solutions
alternatives
Pour approvisionner les rayons, les épiceries sociales
et solidaires développent plusieurs stratégies. Il s'avère
que cette tâche, primordiale pour le bon fonctionnement du lieu et
l'atteinte des objectifs, constitue un pari au quotidien. Elle permet d'assurer
au public, des produits de qualité en quantité suffisante.
On peut identifier jusqu'à quatre sources
d'approvisionnement : les aides financières de l'État et des
collectivités locales (PEAD, FEAD, PNAA), les invendus de la grande
distribution, l'achat direct et enfin le « circuit-court ». Pour
chacune de ces sources, cela relève de la mise en place, souvent
à l'échelle locale, de partenariats «gagnant-gagnant »,
afin d'offrir des produits de qualité à des prix raisonnables
pour le public tout en rémunérant au plus juste les producteurs
et les salariés.
- Aides de l'Europe, de l'État et des
collectivités locales (type ressource Etat)
Les surplus agricoles européens seraient
désormais insuffisants, de ce fait, l'Europe et les États
achètent des denrées alimentaires auprès de grands groupes
de l'agroalimentaire, par le biais d'appels d'offres régis par le code
des marchés publics (le PEAD représentait plus de 50o millions
d'euros par an entre 2009 et 2013). En France, c'est
l'organisme FranceAgriMer qui gère les aides européennes (environ
7o millions d'euros par an) et qui
-47-
s'occupe de la gestion des appels d'offres (d'après
leur service, 1/3 des produits provient
49
de l'Union Européenne, le restant provient de France) .
Ces produits sont par la suite
so
confiés à de grands réseaux
habilités tels que les Banques alimentaires, les Restos du
Coeur, le Secours Populaire, la Croix-Rouge et l'ANDES (depuis
le mois de février 2013).
L'État français a décidé de
compléter cette aide par différents plans nationaux tels que le
PNAA depuis 2004, dont le budget est d'environ 8 millions d'euros
destinés à l'achat de denrées alimentaires non couvertes
par le PEAD. Depuis le premier trimestre 2014, le CNES, doté
également d'une enveloppe d'environ 8 millions d'Euros, vient en
complément, directement versé équitablement aux deux
principaux réseaux, Banques Alimentaires et ANDES. Par la suite, ces
réseaux mettent en place des systèmes de redistribution
financière à leurs adhérents (un montant multiplié
par le nombre d'adhérents actifs) qui sera destiné à
l'achat de denrées alimentaires complémentaires. Enfin, les
collectivités locales et territoriales (villes, départements,
régions) contribuent également au financement des structures
associatives. On peut parler de logique économique pour ce mode
d'approvisionnement.
- Les invendus de la grande distribution (type de
ressource Marché)
La lutte contre le gaspillage alimentaire est également
une des forces du concept des ES.
s1
La FAO estime en 2011 que « Le tiers
des aliments produits chaque année dans le monde
pour la consommation humaine, soit environ 1,3 milliard
de tonnes, est perdu ou gaspillé », soit entre 95 et 115 kg
par an et par consommateur. Compte-tenu des aides financières
présentées ci-dessus, on peut se demander s'il n'est pas
paradoxal de continuer à acheter et donc produire de la nourriture qui
par ailleurs sera perdue ou gaspillée (cf. cas de l'Allemagne en partie
1).
Pour mettre en place ce type d'approvisionnement et ainsi
lutter contre le gaspillage alimentaire, les ES doivent passer des partenariats
locaux avec les grandes surfaces
49
Entretien téléphonique avec Monsieur DEHEN de
FranceAgriMer, en charge de l'établissement des appels d'offres
concernant l'aide alimentaire.
50
Chaque association caritative doit être habilitée
par l'État pour recevoir les aides européennes
51
http://www.fao.orginews/storyfir/item/7433.2/icode/
-48-
désireuses de participer à un projet à la
fois solidaire et environnemental. Guillaume BAPST précise que
« les entreprises privées fournissent énormément
de denrées alimentaires â travers les « produits de
dégagement », c'est â dire les produits d'épicerie qui
n'ont pas été écoulés dans les délais
prévus ».
En effet, la réglementation en vigueur (DGCCRF -
Articles R.112-1 du Code de la 52
consommation ) précise que les emballages doivent
indiquer deux types de dates: la
DLC (Date Limite de Consommation) et la DLUO (Date Limite
d'Utilisation Optimale). De plus, les règles d'hygiène en vigueur
et les règles propres aux grandes surfaces entraînent un surplus
de perte et de gaspillage (les produits approchants la DLC sont
53
sortis du rayon, les fruits et légumes non conformes
sont jetés). Une autre règle permet aux ES de proposer à
leur public des produits à DLUO dépassée, sans risque pour
la
54
santé .
Les grandes surfaces n'ont ni l'habitude, ni le temps de
mettre de côté les invendus, « la casse » (emballages
ouverts par exemple) pour les redistribuer autrement. C'est dans ce
cadre-là qu'un partenariat entre une grande surface ou commerce de
proximité et une ES pourrait être mis en place. Il s'agirait alors
d'un accord « gagnant-gagnant » étant donné que cela
réduirait considérablement les déchets pour le donateur et
constituerait pour le bénéficiaire du don, de denrées
alimentaires encore comestibles et gratuites.
On peut parler de logique sociale voire solidaire pour ce type
d'approvisionnement. - L'achat direct (type de ressource
Marché)
Il peut arriver qu'épicerie n'ait pas suffisamment de
produits issus de l'aide alimentaire européenne ou des invendus des
grandes surfaces. Elle est alors amenée à acheter directement les
produits dans une grande surface ou un commerce de proximité. Ce sera
notamment le cas des produits d'hygiène qui sont extrêmement rares
voire inexistants
52
http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArt
icle=LEG IARTI000006292756&cidTexte=LEGITEXT000006069565&dateTex
te=2o11o2o9&fastPos=1&fastRegld=1636262521&oldAct ion=rechCodeArt
ide
53
http://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publ
icat ions/V ie-prat ique/Fiches-prat iques/Date-I imite-de-consommat
ion-DLC-et-DLUO-
54
http://alimentation.gouv.fr/dateperemption
-49-
dans les dons ou produits de l'aide européenne. L'achat
de ces denrées et produits pourra alors se faire grâce aux
financements des collectivités, au CNES ou encore par un partenariat
avec une entreprise privée sous forme de chèques cadeaux ou
d'enveloppe. On peut parler de logique économique dans ce mode
d'approvisionnement.
Les épiceries ayant fait le choix de ne pas passer par
l'aide alimentaire classique ou autres réseaux ressources, seront
amenées à s'approvisionner directement auprès de
fournisseurs ou producteurs locaux, à travers la mise en place d'un
circuit-court.
- Circuit-court (type de ressource
Marché)
De par leur rôle d'acteur économique fort sur le
territoire, l'organisation de la production des épiceries sociales et
solidaires peut s'apparenter à celle du circuit-court. Cela va
au-delà des alliances avec les producteurs locaux puisque des
échanges économiques sont contractés avec des acteurs de
secteurs différents tels que la grande distribution, les producteurs
locaux, les pouvoirs publics et des entreprises privées du
territoire.
D'après le ministère de l'agriculture, les
circuits-courts se définissent comme étant «un mode de
commercialisation des produits agricoles qui s'exerce soit par la vente directe
du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, à condition
qu'il n'y ait qu'un seul
ss
intermédiaire» .
Plus généralement, on peut qualifier le
circuit-court comme étant un circuit de distribution dans lequel
intervient au maximum un intermédiaire entre le producteur et le
consommateur.
Les lectures montrent que « Les circuits-courts
émergent de pratiques socio-économiques dont les implications
relèvent des différentes dimensions du développement
durable. Ils participent notamment d'un empowerment non seulement des
producteurs, mais aussi de l'ensemble des partenaires territoriaux autour de la
mobilisation en faveur d'une alimentation durable » (CHIFFOLEAU,
PREVOST, 2012).
Sur le terrain, cela se traduit par des accords directs sur
les prix avec les producteurs locaux afin de leur garantir une
rémunération convenable et assurer la mission d'aide
SS
http://a I imentat
ion.gouv.fr/circuit-court-internet
- 50 -
alimentaire par des prix accessibles en
épicerie. Aujourd'hui, l'implication des producteurs dans le pilotage du
projet est une des conditions pour que la structure fonctionne bien. Les
difficultés résident dans le choix des producteurs à cause
de la méconnaissance du tissu agricole local et l'établissement
d'une relation de confiance.
On peut donc parler de logique plus économique
pour ce mode d'approvisionnement. 2.7 La production des épiceries,
une source de «bénéfices collectifs »
Les actions menées par une épicerie
sociale ou solidaire s'exercent sur un territoire précis qui peut
être urbain, rural. Elles ont donc un impact direct sur l'activité
économique du secteur. Les alliances passées entre les acteurs
constituent à proprement parler une sorte de «contrat
social» (J-L LAVILLE, 2006). Cela signifie que nous n'avons pas
simplement une énième proposition de service ou assistance, mais
bel et bien un nouvel outil de « vivre ensemble » offrant de
nouvelles solutions et opportunités.
De plus, ces nouvelles modalités de conception
des services sociaux à partir d'une « impulsion
réciprocitaire » peuvent être intrinsèques (produits
pour eux-mêmes) ou extrinsèque (conçues par eux pour
d'autres acteurs). Dans les deux cas, la réciprocité va prendre
en compte l'espace et le temps de chaque personne à laquelle le service
est proposé. Par conséquent, comme le propose LAVILLE, on peut
qualifier les épiceries sociales et solidaires de «services de
proximité ».
Comme nous l'avons vu précédemment, les
ES développent des «valeurs de partage et de
solidarité». De même, elles créent des valeurs plus
subjectives comme la reconnaissance, l'estime de soi et l'autonomie. Il y a
également une création de « valeurs économiques»
de la part des ES par l'instauration d'un «projet personnel» lors de
l'accès à l'épicerie qui va permettre à la personne
de réaliser une épargne. Cette épargne va essentiellement
servir pour un projet d'insertion sociale : reprise du paiement d'un loyer,
soins de santé, règlement d'une dette d'énergie, permis de
conduire, etc. L'économie réalisée sur le budget
alimentaire permet de réinjecter une autre valeur dans l'économie
locale. Par exemple sur Endoume, l'épicerie solidaire a fait
réaliser aux adhérents une épargne de plus de 12 000
€ en 6 mois durant l'année 2013.
Le nombre de personnes soutenues et
accompagnées est également une « bénéfice
collectif» pour le territoire. L'aide alimentaire dans le
département des Bouches-du-
-51-
Rhône, a permis de nourrir plus de 40 000
personnes soit environ 6,5 millions de repas (chiffres publiés par la
BA13). Si l'on fait un focus sur deux épiceries, on constate par exemple
que l'épicerie d'Endoume, qui agit essentiellement sur le 7ème
arrondissement
56 57
de Marseille (qui compte 36 332 habitants) , a
aidé près de 1274 personnes durant l'année 2013, soit
près de 4% de la population locale. L'épicerie solidaire
itinérante de l'association «Garrigues» à Saint
Maximin, couvre par ses activités, plus de 30
58
communes du Var (Provence Verte et Haut Var Verdon, soit
près de 124 000 habitants) .
Elle a permis à plus de 2 000
personnes de bénéficier des services sociaux qu'elle
développe (épicerie solidaire, garage solidaire, ressourcerie,
petits travaux, locations de véhicules) soit 2 % de la
population des territoires couverts. Ces personnes peuvent alors retrouver un
emploi, une formation, une vie sociale et familiale stable, etc.
Certains économistes, comme Jean GADREY
qualifieraient ce type d'action comme étant un « bien
quasi-collectif» tant sa contribution permet l'établissement de
«bénéfices collecte». On peut également
citer les travaux d'Alfred MARSHALL, économiste britannique et
père fondateur de « l'économie néoclassique »,
sur les «externalités positives». Elles
désignent des situations où un agent économique
(ménage, entreprise, État) bénéficie de l'action
des tiers sans contrepartie financière.
GADREY fait également ressortir trois types de
bénéfices collectifs :
- la réduction des inégalités et de
l'exclusion;
- le renforcement de la solidarité, du global au
local, et la sociabilité;
- l'amélioration des conditions collectives du
développement humain durable (dont font partie l'éducation, la
santé, la culture, l'environnement et la démocratie).
Ce chiffre englobe le nombre total de personnes composant le
foyer (adultes, enfants)
Toutes les épiceries ne disposent pas d'un logiciel
permettant d'établir des chiffres précis
des compositions familiales ou des types de
bénéficiaire, mais certaines d'entre-elles peuvent nous
éclairer sur les publics qui les fréquentent. Pour
compléter, on s'appuiera sur l'étude Abena 2011-2012
« alimentation et état nutritionnel des
bénéficiaires de l'aide alimentaire» qui
présente, en page 3 de la synthèse, les «profils
sociodémographiques» des populations fréquentant les
structures de l'aide alimentaire. Cette étude confirme les chiffres et
données étudiées sur le terrain.
En nous basant sur leurs rapports d'activité, on peut
conclure qu'en grande majorité, les épiceries sociales et
solidaires accueillent des personnes vivant seules à 8o %, et 40 %
d'entre elles sont seules avec enfants. Au niveau des âges, une
majorité se situe entre 26 et 59 ans et les 6o ans et plus ne
représentent que 5 et 8 % (territoires urbain et rural confondus).
Concernant les revenus, la majorité des personnes sont «
bénéficiaires » du RSA à 6o %, les autres revenus
étant très hétérogènes en fonction du
territoire. On peut citer le cas de l'épicerie solidaire d'Endoume,
située en zone urbaine, où les travailleurs pauvres ne
représentent que 4% des personnes accueillies alors que sur St Maximin,
zone plus rurale, le taux est de 16 %.
L'emploi des termes usager ou bénéficiaire est
utilisé au sein des épiceries sociales et solidaires accueillant
un public ciblé en situation de précarité. L'orientation
s'effectue dans le cadre d'un engagement dans un «cursus personnel
d'insertion sociale» par le biais d'un « projet d'épargne
». Même si le terme « bénéficiaires » ne
fait pas l'unanimité au sein des épiceries, le public accueilli
bénéficie bien d'un service social d'aide alimentaire. Dans
certains cas, l'épicerie proposera à la personne d'adhérer
au projet social, moyennant une adhésion symbolique comprise entre 1 et
2€. Il pourra participer à la vie
démocratique de l'épicerie (comité d'usagers, animation
d'ateliers, boite à idées, etc.) et ainsi endosser une double
qualité d'« adhérent-usager » ou de
«concepteur-acteur ».
Epicerie solidaire d'Endoume (rapport d'activité 2013)
et Epicerie solidaire itinérante «Garrigues « (rapport
d'activité 2012)
Concernant l'accès à ce type d'épicerie,
on trouve encore plusieurs approches. Certaines vont développer une
« commission d'attribution », d'autres vont se contenter du travail
de repérage et d'orientation des prescripteurs sociaux. Dans ce
schéma-là, la relation avec les travailleurs sociaux (TS) est
souvent étroite et se traduit par la présence d'un TS à la
commission, à des permanences, ou à l'animation d'ateliers.
Ces épiceries pourraient avoir en commun les «
critères d'accès » généralement basés
sur plusieurs points :
la majorité des projets sont respectés et la
personne peut retrouver une vie sociale « normale ».
Cette approche, plus similaire à une épicerie
classique, est basée sur l'accueil d'un public mixte, jumelant le public
précaire et non précaire. Une des richesses de cette approche et
qu'elle permet le «tissage» de liens entre les usagers ou clients.
Sous cette forme-là, on distinguera les clients, qui peuvent acheter
l'ensemble des produits sans adhérer à l'épicerie, et les
usagers/bénéficiaires qui peuvent adhérer. Mais
contrairement aux ES dont l'accès est limité à un public
précaire, les fonctions sociales seront moins développées.
Par exemple, elles n'ont généralement pas de commission et les
critères sociaux d'accès sont ceux définis par les
prescripteurs sociaux eux-mêmes. La relation avec les prescripteurs et
travailleurs sociaux est rarement développée et se limite parfois
à une simple communication téléphonique ou à un
courrier d'acceptation. La durée d'accès n'est pas limitée
et laissée à l'appréciation du référent
social de la personne accueillie.
On trouvera ci-dessous, un schéma de synthèse de
l'organisation globale d'une épicerie sociale et solidaire
(schéma 1). Pour respecter la spécificité de chacune, un
schéma par épicerie est disponible (annexes de 8 à 13).
Afin d'observer les épiceries dans leur ensemble,
permettre de répondre aux hypothèses de départ et
d'établir des modèles, il faut mettre en place des
critères d'observation et des indicateurs permettant de les valider.
Dans le tableau ci-dessous (tableau 2), les critères sont définis
par catégories de variables et justifiés par des variables et
modalités sur le terrain. Deux points sont visés, un sur
l'analyse du « public » et un deuxième sur «
l'épicerie et son organisation ».
Cette grille a été élaborée
grâce à l'analyse précédente et inspirée des
travaux réalisés
par la CPCA (Conférence Permanente des Coordinations
associatives) sur les modèles socio-économiques des associations,
en janvier 2014, en partenariat avec de multiples structures d'accompagnement
du monde associatif comme l'AVISE, ADEMA, France Active, Le Rameau, etc., ainsi
que différents mémoires et thèses dont je me suis
servi.
La grille d'analyse présentée ci-dessous
(Tableau 2) permet de recueillir plusieurs informations :