Avant de présenter et analyser le contexte de
développement des ES, il est intéressant de se pencher sur la
définition d'une épicerie sociale et épicerie
solidaire.
Existe-t-il une définition officielle? En
consultant les professionnels du social, la littérature et Internet, on
s'aperçoit qu'il n'existe pas vraiment de définition
précise de ces épiceries.
-2ô-
5.1 Tentative de définition d'une
épicerie sociale et épicerie solidaire Seuls les
réseaux d'aide alimentaire se prêtent au jeu pour définir
le concept. On se
38
basera sur celle de l'ANDES : « Une
épicerie sociale relève d'une municipalité ou
une
communauté de communes, donc
essentiellement financée par un CCAS ou CIAS. Les épiceries
solidaires procèdent d'un regroupement d'individualités et
d'associations : elles font appel à des financements croisés et
ont une forme associative». Ces définitions soulèvent
des questionnements quant à leurs justifications. En effet, ces
définitions ne caractérisent pas précisément
épicerie solidaire et épicerie sociale et n'indiquent pas comment
les différencier.
On pourrait alors dire que les épiceries
sociales ne relèvent pas de l'Economie Sociale et Solidaire mais
plutôt du secteur public, contrairement aux épiceries solidaires
qui dépendent du secteur associatif, donc de l'ESS. Les épiceries
sociales et solidaires sont à la croisée des chemins entre
régulation publique et autogestion.
Sur le terrain, grâce aux entretiens
effectués avec des professionnels et «clients» des
épiceries, on peut affirmer que les seules définitions existantes
ne sont pas claires. Certaines épiceries gérées par des
associations sont appelées «boutique sociale» ou
«épicerie sociale» et le terme solidaire n'apparaît pas.
En interrogeant les porteurs de projet, on s'aperçoit également
que les approches sur les termes employés ne sont pas les
mêmes.
Pour le Directeur de l'Epicerie Solidaire La
Courte Echelle, François SANDOZ, basé à Saint
Rémy de Provence, l'appellation «sociale» d'une
épicerie s'oriente vers «l'assistance»
des personnes, ou comme un « outil
supplémentaire à l'assistance». Le terme solidaire
serait alors « une question de moyens »
de mise en oeuvre du projet.
Pour Mathieu GALAND, directeur de l'épicerie
solidaire itinérante de St Maximin (Var), une épicerie solidaire
est «solidaire» car elle développe plusieurs dimensions :
«cogestion» et «participation». Elle a un
rôle de «partage et de solidarité» entre les
membres.
38
http://www.epiceries-solidaires.org/qu
est ce qu une epicerie sociale ou sol ida ire.shtml
-29-
La directrice de l'épicerie solidaire du Centre
Social d'Endoume, Marie CELLIER, reprend les termes de partage et de
solidarité pour définir une épicerie solidaire (ES). Elle
précise également qu'une ES est à « la
croisée des chemins entre le social et le solidaire » et que
le système français veut que l'on «mette des termes sur
des services», la définition peut être propre à
chaque initiative ou projet. Mais ce qui ressort de son témoignage est
que le terme solidaire prend tout son sens si le projet est bien de
«travailler avec et pour les gens ».
La solidarité prend le pas sur le social, et ce
qui est important, c'est «la vie au sein du groupe
». L'épicerie fait bien « une action
sociale mais pas de l'assistanat», la solidarité et le partage
permettent la «remobilisation de
l'individu».
Le regard des professionnels du social n'est pas
très différent de celui des responsables des épiceries.
Pour Ana'is Pappalardo, Conseillère en Economie Sociale et Familiale
(CESF) au CCAS de St Lambert, dans le 7ème arrondissement de Marseille,
une épicerie solidaire « ce n'est pas qu'un
accès â une épicerie, cela engendre plusieurs choses
derrière», c'est un «
travail d'ensemble et un cheminement de la vie de la personne en
difficulté », alors qu'une épicerie
sociale serait «plus liée à l'urgence de la
situation», voire de « répondre
à un besoin social précis ». Pour
l'assistante sociale de la CAF, Anne Haudiquet, en charge du 6ème et
7ème arrondissement de Marseille, la différence entre une
épicerie solidaire et une épicerie sociale est qu'une
épicerie solidaire comme celle du Centre Social d'Endoume permet de
«travailler sur différents thèmes à la fois»
comme sur « l'isolement, l'alimentaire, le conseil et le soutien
» alors qu'une épicerie sociale serait plus
« institutionnalisée »
et serait plus dans « l'accompagnement des
personnes en difficultés ».
Enfin, observons l'opinion des adhérents et
clients d'une épicerie sociale et solidaire. Pour Sonia,
adhérente de l'épicerie solidaire d'Endoume à Marseille,
une épicerie solidaire est «moins
stigmatisant» qu'un colis alimentaire. C'est un
«lieu d'accueil» qui
permet « d'échanger avec d'autres
personnes», car pour elle «
il y a l'alimentaire et puis ensuite le côté humain »
qui est important. Elle ajoute, «
c'est un endroit où on peut se poser, discuter, boire un
café » et ça « c'est très
important».
La tentative de définition de ces
épiceries sociales et solidaires n'est pas simple.
Néanmoins, après ces
témoignages, tous très riches, nous pourrions élaborer
deux définitions:
EpicerieSociale: Espace d'aide alimentaire
à destination des personnes en difficulté, en majorité
géré par des organisations publiques comme un CCAS ou CIAS. Elles
sont plus institutionnalisées et anciennes.
Epicerie Solidaire : Lieu d'accueil et
d'accompagnement social dont l'entrée est l'aide alimentaire,
majoritairement géré par des organisations privées non
lucratives (association loi 1901, groupements). Plus récentes, ces
épiceries développent un esprit alternatif.
5.2 Contexte et développement des
épiceries sociales et solidaires
Trois motifs seraient à l'origine du
développement des ES et en particuliers celles sous forme associative :
le contexte social et économique difficile, les limites de l'État
et le développement, depuis les années 1980, du courant «
solidaire » de l'ESS.
Elles sont apparues vers la fin des années go
avec une aide alimentaire en pleine mutation et un contexte économique
et social complexe. Les premières épiceries sont portées
par des organisations publiques telles que les CCAS. Quelques années
après, des associations ou des groupements de personnes voulant offrir
plus de solutions aux personnes dans le besoin vont également
créer des épiceries solidaires.
C'est en 1996, dans la ville de Nièvre, que la
première épicerie solidaire sous forme associative a vu le jour,
initiée par Guillaume Bapts, Fondateur et Directeur de l'ANDES. Devant
l'ampleur des demandes de conseils pour ouvrir une épicerie, il
décide en 2000 de créer le réseau ANDES qui
fédère en 2014, plus de 25o épiceries.
Elles sont en plein développement depuis plus
de dix ans et leur répartition sur le territoire est vraiment
très disparate. D'après la carte ci-dessous (image 1), on peut
s'apercevoir que quelques régions comme l'Alsace-Lorraine, la Bretagne,
le Massif central ou les Pyrénées-Atlantiques, sont
dépourvus d'épiceries sociales et solidaires.
-31-
Image 2.-- Carte des épiceries
solidaires membre du réseau ANDES, en France (2o12)*
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*les couleurs des repères n'ont pas d'importance ici.
D'après les chiffres récents de l'ANDES
(2012), la tendance est à la hausse au niveau du nombre
d'épiceries adhérentes sous forme associat ive (67%) et il
ressort que seulement
33 % sont gérées par des CCAS ou
CIAS39 .
Cette nouvelle forme d'aide alimentaire prend donc de
l'ampleur et d'après les chiffres officiels publiés en 2013 par
les réseaux, on dénombre 700 ES adhérentes des Banques
Alimentaires et plus de 25o pour le réseau ANDES.
Dans les Bouches du Rhône, on dénombre
à la Banque Alimentaire environ 190 associations distribuant de l'aide
alimentaire (la répartition entre association et/ou CCAS n'est pas
précisée). Concernant l'ANDES, on compte 19 épiceries
adhérentes au réseau dont 6 sont gérées pas un CCAS
(soit un taux de 32 %, comparable au chiffre national).
Première spécificité
rencontrée au cours du stage professionnel, celle d'une épicerie
solidaire gérée par un centre social. La direction du
«285» a ouvert un service « épicerie solidaire » en
Janvier 2013. L'idée originale remonte à 2009 suite à un
travail collectif avec les travailleurs sociaux du territoire. Un constat
d'accroissement des demandes en matière d'appui social a
été repéré par l'accueil du centre. Cette
initiative liée au projet
39
http://www.epiceries-solidaires.org/files//Rapport
d act ivite_2012_VF.pdf
social du centre a fait l'objet d'une enquête
diagnostic du quartier pour d'établir un constat des besoins d'une
population locale peu ou pas satisfaits.
Les résultats ont montré que ce
quartier, réputé pour être un territoire statistiquement
favorisé, abrite également des personnes en situation de grande
précarité (financière, sociale, immobilière, etc.).
Les résultats, confortés et étayés par les
référents sociaux, expriment un réel besoin
d'accompagnement.
Il est à remarquer que l'aide alimentaire, sur
Marseille et les Bouches du Rhône, reste très peu
développée au vu des chiffres de la pauvreté. En effet, le
taux de pauvreté sur les Bouches du Rhône est au-dessus de la
moyenne nationale (14,1%) avec un taux de 17,7 % en 2010. Ce modèle
d'épicerie développé par un centre social n'est pas
commun. Il faut se rendre en Bretagne, dans le Gard ou en Picardie pour trouver
d'autres exemples de ce type. Une rencontre imprévue lors du stage avec
une chargée de mission de l'ANDES, nous a appris que Marseille comptera
un deuxième projet similaire dans le 11ème arrondissement,
à l'AEC des Escourt fines, titulaire d'un agrément Centre
Social.
En sus de l'existant, depuis quelques années,
apparaissent de nouvelles formes d'épiceries solidaires basant leur
projet sur une consommation alternative qui intègre une aide
alimentaire. Elle développe un modèle économique innovant
et local qui permet d'avoir accès à des produits alimentaires
à moindre coût. Ce modèle se base sur le
«circuit-court», c'est à dire sur la proximité des
produits vendus et la réduction des intermédiaires dans le
circuit de distribution. Deux exemples fonctionnant avec une synergie forte
entre les acteurs du territoire peuvent être cités sur la
région, celui de «Solid'Arles» (Arles), une épicerie
solidaire portée par un collectif d'associations et le CCAS,
l'épicerie solidaire de la Courte Échelle (St Rémy en
Provence) portée par une association du même nom.
Nous savons que les ES existent depuis plus de 20 ans
et qu'elles continuent de se développer sous différentes
formes.
Mais comment fonctionnent-elles vraiment ? Quelles sont
leurs caractéristiques?
C'est ce que nous allons voir dans une seconde
partie, présentant le cadrage théorique et l'analyse approfondie
de leur fonct ionnement.