Epiceries sociales et solidaires : histoire et typologie( Télécharger le fichier original )par Mathieu Gros Université Aix-Marseille Economie et Gestion - Master II RH ESS 2014 |
IV. Présentation des résultats des recherches à partir des entretiens et observations
Ces rencontres ont été d'une richesse incroyable et ont permis à la plupart des personnes de s'exprimer avec leurs mots et surtout leur coeur. 3.1 Vision de l'acteur de terrain : porteur de projet, directeur ou coordinateur, salarié L'origine du projet, une vision commune mais des constats différents Tous les acteurs rencontrés parlent d'un même « constat » à l'origine du projet : des demandes croissantes d'aide pour s'alimenter, étayées par les professionnels du social. Deux d'entre eux font ressortir les limites de l'offre existante : « L'offre de l'aide alimentaire existante ne suffit plus » Marie Cellier, «animatrice-responsable» de l'épicerie solidaire d'Endoume Sur St-Maximin, on peut formuler deux remarques : la «pression foncière de plus en plus forte» pousse les gens à sortir des villes pour se loger; il y a aussi un phénomène « éloignement de la côte avec un endettement immobilier important». Par conséquent, « certains se retrouvent dans une situation de quasi surendettement, ne pouvant plus se nourrir correctement alors qu'ils sont dans une situation active avec un travail ». On apprend que dans le 7e arrondissement de Marseille, à Endoume, l'épicerie solidaire a entamé sa réflexion fin 2009 suite à un « recensement des demandes effectuées â l'accueil ». La direction du Centre social, dont fait partie l'épicerie, a organisé, lors de la refonte de son projet social en décembre 2009, une «journée de solidarité » avec les usagers, les bénévoles, des professionnels et le Conseil d'Administration (CA). Une «commission - 75 - épicerie-famille » a été créée pour le montage de ce projet qui a vu le jour en Janvier 2013. Les personnes ressources à l'initiative de la création du lieu diffèrent. [ François Sandoz, responsable de l'épicerie sur Saint Rémy de Provence «C'est le service social de la Mairie qui, lors d'un conseil municipal en zoog, a mis en place quatre thèmes de réflexion dont celui de l'agriculture » Les constats d'une pauvreté importante sur le secteur et celui d'une agriculture locale en berne ont alors donné lieu à la création de l'épicerie. Il précise que « le choix de la mairie a été de déléguer le portage de projet à une association locale », et depuis le mois de mai 2011, l'épicerie suit son cours. Pour le CASIM, c'est le directeur général qui est à l'origine de ce projet (M. UZAN). Il y a quinze ans, des réflexions ont été menées « car la pauvreté devenait de plus en plus importante » souligne Clara Ghez, salariée de l'épicerie depuis sa création. Sur Aubagne, le service social de la Mairie a entamé les réflexions dès 2008 « devant les demandes d'aide alimentaire au guichet du CCAS » précise Séverine JOFFRES, responsable de l'épicerie et conseillère en ESF. Concernant l'épicerie itinérante de St-Maximin, Mathieu Galland nous explique que l'origine du projet d'itinérance vient du fait que «le contexte urbain devenait difficile». Il avait déjà géré deux épiceries fixes sur l'aire toulonnaise et il y a eu une prise de conscience commune avec le conseil d'administration qu'un projet devait être monté « pour toucher un plus large public sur lequel il y avait peu de choses faites », notamment dans les villages éloignés. Dès 2004, le projet d'une épicerie solidaire itinérante est né pour mener « une action de proximité dans les villages ». Des finalités et des valeurs nuancées Si pour certains le projet d'une épicerie est synonyme de «solidarité », de « partage », «d'insertion» et de «vivre ensemble», pour d'autres, ce sera «dépannage» ou encore «soutien». En effet, lorsqu'on interroge les acteurs de terrain sur les finalités et les valeurs défendues par une épicerie ou la leur, on s'aperçoit qu'il y a plusieurs conceptions qui confirment les différentes typologies existantes. Sur St Rémy de Provence, François expose les valeurs de l'association « La Courte Echelle» que sont : la promotion de l'ESS, le partage de projet et propose ensuite deux finalités : que sont le « soutien à l'agriculture locale » et « l'accès aux fruits et légumes pour la population locale en difficulté ». Ce qui nous permet de constater que le projet présente un ancrage dans le territoire. Pour le CASIM et Clara Ghez, la principale valeur est qu'il s'agit d'un lieu « ouvert à tous » « qui permet de dépanner les gens quand ils en ont besoin ». Mathieu Galland, après avoir présenté les activités de l'association Garrigues, indique que le projet de l'épicerie s'inscrit dans leurs activités « d'insertion solidaire » où le principe de co-gestion est un axe majeur. Dans un second temps, il précise que «l'épicerie solidaire est entièrement cogérée par des personnes souvent soutenues auparavant» et insiste sur les valeurs de partage et de solidarité que porte le projet de l'épicerie solidaire itinérante par sa dimension « participative ». Du côté d'Endoume, Marie Cellier met en avant trois valeurs principales : « la solidarité, le partage et le vivre ensemble qui permettent la création de lien social». Elle précise que l'entrée est alimentaire mais que l'épicerie regroupe trois dimensions : «un accueil social », « une aide économique » et « une accessibilité à l'ensemble des activités dont les ateliers». Pour elle, le fait d'être au sein d'un centre social et culturel permet «d'être support d'une nouvelle action d'aide alimentaire sur le territoire », notamment par les «passerelles entre les différents secteurs du centre social». Un travail de repérage est effectué au sein de l'épicerie pour orienter les personnes entre les services. Il y a également un «gros travail de valorisation des compétences et savoir-faire des personnes ». Des critères d'accès qui font débat M«Il n'y a pas de critères d'accès» ... «...on fait confiance aux travailleurs sociaux qui orientent les personnes » François Sandoz, ES de Saint-Rémy Dans l'épicerie du CASIM, Clara nous indique qu'il n'y en a pas non plus mais précise tout de même que « ce sont les assistantes sociales du CASIM qui gèrent ça ». Elle pense que le critère est le RSA mais n'ayant pas accès à ces informations elle signale que «lâ-haut (le siège de l'association), je ne sais pas comment ça se passe». On comprend ainsi que les décisions sont centralisées sur une plateforme sociale interne. Sur les autres épiceries, on retrouve un discours commun concernant l'existence de critères. «Ils entrent dans une démarche dynamique d'accompagnement de la personne » Marie Cellier, Responsable de l'ES d'Endoume « Accompagnement dans la durée pour s'acquitter d'un projet » Mathieu Galland, Directeur de l'ES! de St Maximin Mais ce qui fait débat, c'est la mise en oeuvre des critères, qui varie selon le territoire, par la présence d'une commission d'attribution par exemple. Marie rappelle « qu'il n'existe pas de critères nationaux» et que les épiceries sont libres de fixer leurs critères. Elle pense aussi que «redonner des objectifs aux personnes par la formalisation de l'accompagnement» permet de les remobiliser dans leur vie. L'accueil du public, des positionnements clairs Si pour certains la «convivialité» du lieu est prioritaire pour l'accueil du public, pour d'autres, cela n'est pas indispensable pour atteindre les objectifs. Quand on pose la question de l'importance de l'existence d'un lieu d'accueil hospitalier au sein des épiceries, les réponses sont très diverses. Ill« La convivialité est le pilier du projet » Mathieu Galland, Directeur de l'ES! de St Maximin -77- Pour Séverine, sur Aubagne, « l'alimentation est un outil, un support», l'accueil du public est très important et elle souhaite mettre en avant le «bien-être» de la personne. Pour elle, cela permet de créer « un lien social avec l'humanité », « de penser à autre chose » et « réviser un circuit économique ». A St-Maximin, « sur chaque lieu de passage, un coin convivial est prévu pour les ateliers et autres services» précise Mathieu Galland. Pour lui, demander de l'aide alimentaire est « un moment de la vie terrible », d'où la nécessité de soigner l'accueil. Marie rappelle qu'un des objectifs est de «rendre le lieu le moins stigmatisant possible» et que l'espace convivial est « un support pour l'épicerie pour son travail social», « c'est un moment de détente après les courses ou un entretien ». Elle termine sur un propos très intéressant, en estimant proposer un «accueil bienveillant» et non un «accueil compatissant ». Dans les autres structures, on ne tient pas tout à fait le même raisonnement. Pour Clara Ghez et le CASIM, « c'est à l'état de projet depuis longtemps » mais pas encore en place. Seule une salle sombre au fond de l'épicerie est prévue pour l'accueil et les moments de détente. Clara a pourtant proposé à maintes reprises de mettre en place ce projet d'aménagement mais précise «je suis une simple employée », donc elle ne prend pas part aux décisions. Du côté de St-Rémy, François Sandoz a un discours plus tranché sur la question, «nous ne sommes pas un lieu d'accueil», et rajoute que «les vendeuses créent un cadre convivial selon leur bon vouloir». Le responsable justifie sa position en expliquant qu'il y a quand même «une recherche de ne pas stigmatiser les gens qui viennent acheter». Les salariés sont informés du projet mais ne sont pas sensibilisés au fait qu'il y ait un public en difficulté car «eux-mêmes sont parfois dans un cursus d'insertion », et «il n'y a pas de distinction entre client». Il rajoute, pour terminer, que «la double tarification est affichée dans l'épicerie pour informer les clients du projet dans lequel ils viennent dépenser leur argent ». Des alliances plus ou moins fortes Nous l'avons vu dans les parties précédentes, les alliances avec des partenaires peuvent s'avérer primordiales dans un projet d'épicerie sociale et solidaire. Mais là encore, des différences sont flagrantes dans la manière de les développer ou non. Pour l'épicerie solidaire d'Endoume, la mise en place d'alliances n'a pas nécessité énormément d'efforts étant donné que « des liens étaient déjà tissés vu que le centre social existe depuis 4.0 ans ». Pour le directeur de St-Maximin, il y a deux types de partenaires au départ: les «partenaires actions» et les «partenaires financiers». Pour les partenaires actions, il précise qu'a il faut que les AS s'approprient le projet et en comprennent le sens ». Pour les partenaires financiers, la démarche a été plus simple car « nous sommes reconnus sur le terrain par les collectivités locales». Sur les liens avec les pouvoirs publics, Mathieu estime que les « activités développées par l'association répondent aux politiques sociales du territoire » et rajoute « on est un peu sur de la délégation de service public». Ceci pourrait, d'après lui, montrer que des liens forts avec les pouvoirs publics peuvent se créer facilement, car « si on arrête tout, que deviennent tous ces gens ?» termine- t-il. Néanmoins, pour la responsable de l'épicerie d'Endoume, il a fallu convaincre les politiques que « ce territoire, pourtant identifié comme privilégié, comptait cependant un certain taux de personnes en situation précaire». Elle précise que c'est grâce à un travail collectif, rudement mené avec les partenaires sociaux de terrain (CAF, CCAS, MDS, etc.) que les difficultés du territoire ont été étayées et que cela a facilité le travail de persuasion. Elle termine son propos en indiquant que «sans les partenaires financeurs, le projet n'aurait pas vu le jour». Sur Aubagne, l'épicerie développe des partenariats, mais la directrice précise «qu'il ne faut pas être trop ambitieux», il faut parfois rester «petit», à «taille humaine» pour «ne pas se perdre dans ses objecte». La responsable de l'épicerie déclare qu'elle se limite à des alliances avec des associations, pour des ateliers, ou avec des producteurs locaux et ajoute que le projet « dépend de la politique de la ville ». Pour le Directeur de l'épicerie de St Rémy, « il y a plein de choses â faire mais on ne sait pas par où commencer». En effet, il n'y a pas d'autres initiatives de ce genre dans le secteur et les liens avec le CCAS se sont affaiblis. Le «manque de temps» dit-il, ne permet pas la prise de contact avec d'autres partenaires donc pour le moment « les seuls partenariats sont commerciaux ». -8o- Une vision de l'avenir portée par les convictions Quelle perspective les responsables ont-ils de la continuité du projet? Certains n'ont pas pu répondre à cette dernière question mais d'une manière globale, tous s'accordent sur le fait qu'ils sont plus ou moins dans l'incertitude. Mathieu Galland, ES de St Maximin Ill« C'est difficile à dire car on est dans le flou complet » Il explique également que « la région PACA se désengage totalement sur les épiceries », et qu'au niveau du CUCS «St Maximin sort du plan». Il continue en indiquant que «le contexte n'est pas du tout sécurisé» et qu'il va falloir «se battre» car ce sera difficile au quotidien. Une lutte qu'il ne compte pas abandonner de sitôt car dit-il : «il faut être sûr de nos convictions ». Pour Marie Cellier, ce n'est pas la même logique, elle précise que « chacun arrive avec son parcours, certaines ES ont 15 ans d'expérience, nous seulement 18 mois ». Concernant les financements et les réformes en cours, elle répond : «on n'a pas les éléments de lecture pour savoir ce que seront 2014 et 2015 », « donc on développe mais... ??». El le explique : «nous sommes dans une période de consolidation» du fait que l'épicerie n'a qu'un an d'ancienneté. Le regroupement, une solution ? La région PACA, la Fédération des Banques Alimentaires incitent les organisations à se regrouper pour mutualiser les moyens et faire face aux contraintes à venir. Quand on interroge les responsables sur cette question et sur le rôle des réseaux nationaux, voici leurs réponses : Pour Mathieu Galland, il faut «faire attention », il précise : « concernant les réseaux d'aide alimentaire, le risque c'est qu'ils pompent les fonds destinés aux structures ». Il poursuit en affirmant : « Pour les regroupements, le danger c'est qu'on passe d'une activité militante â une activité professionnelle, sous peine d'accepter n'importe quoi ». Le positionnement de l'association Garrigues face à une éventuelle pression des pouvoirs publics est le suivant : « si on veut nous faire faire autre chose, on ne le fera pas ». Enfin, sur le rôle des réseaux, -$1- pour lui il faut «être présent dans les lieux de décisions», « là où devraient être les réseaux ». « Nous sommes à la croisée des chemins d'un nouveau modèle sur le territoire » Marie Cellier, ES d'Endoume Selon elle, «les réseaux en France sont sur le qui-vive». Concernant le principe du regroupement, elle ne semble pas contre « c'est toujours intéressant d'être dans le partage des pratiques » mais pose la question : « qui nous donne les moyens du regroupement?Car la mutualisation demande quand même des moyens humains donc financiers». Elle termine en indiquant que « les choses sont à construire car on est dans l'innovation au quotidien ». L'avenir nous le dira. 3.2 Perception des travailleurs sociaux Les deux professionnelles du social qui ont bien voulu répondre à mes questions font partie de deux structures différentes, la CAF et le CCAS. Elles ont un parcours professionnel différent : Anne Haudiquet, AS de la CAF, est sur le terrain depuis de longues années quant à Anaïs Pappalardo, CESF d'un CCAS, elle a débuté sa carrière il y a 5 ans. Les épiceries sociales et solidaires, une question de territoire Toutes les deux ont connu les épiceries sociales et solidaires à travers la mise en place d'un projet. Anne Haudiquet nous explique qu'elle a «travaillé sur le 15ème arrondissement de Marseille sur le montage d'un projet d'épicerie avec l'association Voisins et Citoyens en Méditerranée », il y a quelques années. Anaïs Pappalardo a découvert les épiceries sociales dans la presse, «j'avais entendu parler de ça mais je les ai connues parla participation du CCAS» et d'autres organismes sociaux, au projet de création de l'épicerie solidaire d'Endoume, qui existe maintenant depuis janvier 2013. Chacune d'entre-elles a un secteur d'action bien défini qui comprend le 6ème et 76' arrondissement de Marseille. Elles orientent des personnes dans le besoin vers des structures de l'aide alimentaire et notamment les épiceries sociales et solidaires dont celle d'Endoume. Le problème, souligne Anaïs, «c'est que après (Endoume), y en a pas - 82 - d'autres ». Elle cite tout de même celle de la Croix-Rouge, située au boulevard Baille, mais indique : « c'est autre chose et ils sont plus sur de l'urgence ». Anne confirme en expliquant « qu'il n'y en a pas d'autres comme celle d'Endoume » et que cela pose un problème parce que le critère de territoire de l'épicerie ne correspond pas toujours au leur. Elle développe : «il arrive que certaines personnes de mon secteur ne puissent pas intégrer l'épicerie d'Endoume car elles n'entrent pas dans la zone » et elle poursuit en disant qu'il existe un « véritable casse-tête des territoires entre les organisations sociales, la CAF, le CG, la MDS. Chacun a son territoire et parfois le même i ». Un vrai partenariat social Les deux professionnelles du social sont bien d'accord pour plébisciter les épiceries solidaires. Pour Ana'is « il s'agit d'un outil supplémentaire dans le plan d'aide aux personnes » et «j'apprécie la non stigmatisation du lieu». Anne parle « d'enrichissement personnel» et de «liens forts avec l'épicerie», chose qu'elle ne retrouve pas avec le colis alimentaire ou un autre dispositif, «il y a plus de transparence que le colis ». Anne Haudiquet explique que la relation dépend aussi de la forme de l'épicerie. Dans le cas d'Endoume, « l'épicerie gérée au sein d'un centre social sera différente d'une épicerie solidaire ou sociale classique comme celle d'Aubagne gérée par un CCAS ». « Cela dépendra de trois choses : du lieu, des personnes qui la composent et de la relation ». Enfin pour Anaïs, la notion de partenariat répond à trois objectifs : « économique, alimentaire et social ». En amont du partenariat social, un travail de repérage du public est effectué par les équipes des prescripteurs sociaux. Du repérage à l'orientation Le repérage se fait de différentes manières suivant l'organisme auquel est rattaché le travailleur social. Pour la CAF des Bouches-du-Rhône, Anne Haudiquet nous indique qu'il y a deux voies possibles : « les gens appellent d'eux-mêmes » ou bien « c'est le service administratif de la CAF qui nous envoie les dossiers des nouveaux percepteurs du RSA ». Concernant le RSA, elle explique qu'ail existe un engagement réciproque avec la personne» et en fonction du projet de la personne, si l'épicerie peut l'aider, alors Anne effectue une orientation mais uniquement pour «des difficultés passagères». Quant à son public, elle reçoit essentiellement des jeunes femmes. Anaïs explique qu'elle reçoit au CCAS : « uniquement des personnes de plus de 6o ans, retraitées » et qu'elle a pour mission « le budget et le logement». Le repérage s'effectue de deux façons : « soit les personnes appellent pour déclarer une situation de détresse soit je les rencontre dans le cadre de rendez-vous réguliers ». Par la suite, elle effectue une évaluation budgétaire et fait « une proposition de plan d'aide en fonction ». Une finalité à forte valeur ajoutée C'est indéniable, d'après Anaïs et Anne les épiceries sociales et solidaires « apportent un truc en plus ». Pour Anaïs, il s'agit « d'un outil qui permet un cheminement dans la vie de la personne», pour Anne cela permet de « remettre le pied à l'étrier...au moment où une personne trébuche, cela permet de la faire repartir du bon pied ». Elles précisent que les finalités sont multiples. Pour Anaïs : « il y a une finalité sociale et économique car cela force la personne à avoir une gestion budgétaire cohérente ». Pour Anne, « cela permet de lutter contre l'isolement, apporte du conseil, un soutien et une aide alimentaire ». Anas rajoute que le « concept est non stigmatisant et sans doute encore plus dans les épiceries mixtes» et quant à la présence ou non d'un lieu de convivialité, elles s'accordent sur le fait que «c'est un plus» inexistant dans les épiceries classiques qu'elles connaissent. La finalité la plus citée durant les entretiens est « la création de lien social» engendré par la présence d'ateliers ou d'un espace convivial. Mais, comme le précise à juste titre Anaïs : « tout ceci dépend de la manière dont c'est fait et le parcours du porteur de projet est important ». Une seule personne a bien voulu me répondre. Il s'agit de Sonia, adhérente de l'épicerie solidaire d'Endoume. 3.3 Avis de l'usager -84- Elle ne connaissait pas les épiceries avant d'y avoir été orientée suite à un «soucis de revenus avec la CAF», « un incident de parcours » dit-elle, datant d'il y a un peu plus d'un an. En attendant la confirmation de son accès, Sonia a fréquenté un autre dispositif d'aide alimentaire, le colis d'urgence, par le biais d'une association de bienfaisance du quartier. Elle aura donc un regard éclairé sur le sujet. Une définition spontanée et sincère Avant de définir une épicerie solidaire, Sonia réfléchit quelques secondes puis donne des éléments intéressants : « c'est un lieu d'accueil », « où on peut échanger avec d'autres personnes » et précise qu'il n'y a pas que « les courses», « il y a le côté alimentaire mais aussi le côté humain qui est important». Elle résume en disant qu'il s'agit d'un lieu où : « on peut se poser, discuter, il y a un très bon accueil et on s'y sent bien ». Elle continue sa définition : « et puis il y a les ateliers » dit-elle, « c'est important», « on peut prendre du temps pour nous, changer d'air, et on y fait des rencontres ». Une des choses les plus importantes pour elle, c'est que le lieu devient «non stigmatisant» car « on rencontre des personnes qui comprennent notre situation et des personnes dans la même situation ». Pour elle « c'est un modèle qui devrait être fait partout»; «je trouve ça génial » mais précise « tant que c'est fait pour que les gens se sentent à l'aise ». « Pas seulement des courses » Lorsqu'on aborde le sujet des critères d'accès, Sonia ne semble pas parfaitement les connaître, mais a tout de même un avis bien tranché sur la question. L'exigence d'un projet économique, elle trouve ça «important», «c'est bien d'avoir un projet». En ce qui la concerne, son projet était de « mettre de l'argent de côté pour la caution de son prochain appart », Sonia était logée auparavant par une amie. Sur la durée d'accès, elle trouve que «le fait que ça soit temporaire, pousse les gens à mieux gérer leur argent » et aussi que ça permet « un retour à la vie réelle». Pour elle, c'est tout le sens de l'épicerie : « il n'y a pas que les courses », « tu ne fais pas tes courses et puis tu t'en vas » et rajoute qu' « il y a un véritable projet de retour â la vie ». - 85 - Sur le critère du « reste à vivre », elle a également son idée sur les épiceries qui ouvrent l'accès à ceux qui ont un RAV à zéro : «o euro, ce n'est pas la même chose », « là le projet c'est de manger et rien d'autre ». Au sujet de la mixité du public au sein des épiceries, elle n'est pas contre : « sauf si ça se limite aux courses». Elle trouve les exemples de St-Rémy ou de Solid'Arles intéressants, elle irait sans doute y faire ses courses mais trouve ça « moins humain » car il n'y a «pas de lien, pas de contact ». La présence d'un espace de convivialité est «primordial» pour elle, « c'est un lieu de vie pour nous » et rajoute : « même si je suis seule, je viens et je prends mon café après ou avant les courses », « c'est mieux que de boire un café dehors où tu vois personne, seulement passer les voitures ». Les occasions de rencontre avec les autres adhérents sont régulières, «c'est un lieu pour ça» et précise aussi que l'équipe de l'épicerie «est disponible », « prend le temps avec nous ». Sur ce dernier point, elle insiste aussi sur le fait que cela dépend beaucoup «du parcours des personnes». Pour elle, ce serait «super différent» avec un professionnel du social à la caisse ou dans les ateliers; elle explique qu'a il y a une barrière avec un professionnel ». «le ne peux pas tout dire comme je le fais avec Begona, qui n'est pas assistante sociale». Un avenir« compliqué » Après quelques secondes de réflexion, elle explique que se projeter dans l'avenir : 111 « C'est compliqué car de plus en plus de personnes sont dans le besoin » Sonia, adhérente ES d'Endoume Elle indique également «il ne faudrait pas qu'il y ait trop de monde non plus dans les épiceries car cela deviendrait trop compliqué de tout gérer». Concernant l'évolution des épiceries et des différents modèles, pour elle, «il faut que les choses restent telles quelles », « chacun a son rôle » car « chaque projet a son objectif». Un passage favorable « Ca m'a apporté beaucoup dans ma vie »...« si il n'y avait pas eu l'épicerie, je n'aurais pas découvert le centre social pour mon fils »...«je n'aurais pas rencontré tous ces gens »...«je - 86 - ne serais jamais devenue bénévole ». « L'alimentaire m'a vraiment dépanné et j'ai pu mettre de l'argent de côté »...«j'ai tout rempli mes objecte ». Ces entretiens, tous très riches, abordent le sujet de l'alimentation et de la manière de le faire. Mais s'alimenter peut avoir plusieurs approches en fonction des origines, des rythmes et autres traits de chacun. 4. Discussion autour de l'alimentation Nous pouvons élargir notre réflexion sur la façon de s'alimenter. Pour rappel, les épiceries sociales et solidaires ont pour but d'aider les personnes à se nourrir à leur faim, mais aussi, celui de leur redonner ou conserver le plaisir de manger. Il s'agit alors de recréer du lien social par l'alimentation. Cela peut paraître utopiste, déconnecté de toute réalité, mais il semble essentiel de nos jours de redonner leur valeur aux moments conviviaux comme les repas. Dans un monde où, la plupart du temps, on mange « sur le pouce », « en vitesse » pour repartir travailler, repenser l'approche que l'on a de l'alimentation peut être une solution à d'autres problèmes connexes dont celui de l'isolement. On constate d'ailleurs, depuis quelques années, l'accroissement de multiples initiatives de consommat ions alternat ives ou « responsables » sous différentes formes. 66 Le mouvement « Slow-food » peut être cité. Apparu en Italie dans les années 8o pour contrer les «fast-foods », il fait de plus en plus d'adeptes en France mais aussi dans le monde (15o pays). Il ne consiste pas seulement à manger plus « lentement » en bonne compagnie, de bons plats, mais « envisage un monde où chacun puisse avoir accès à une nourriture bonne pour lui, pour ceux qui la produisent, et pour la planète ». 67 Le projet « Disco-Soupe » est également une alternative intéressante dans la mesure où il réunit des citoyens d'un lieu donné, autour de la préparation et la consommation d'une 66 http://www.slowfood.fr/ 67 http://discosoupe.org/lemouvement/ soupe réalisée à partir de légumes revalorisés (fin de marchés, fruits et légumes abîmés, etc.) sans échange d'argent. Enfin, les ateliers cuisine, réalisés dans les épiceries, peuvent également permettre de redonner à l'individu le goût de préparer les repas, de cuisiner des produits simples, de découvrir de nouveaux produits et de mettre en pratique des conseils diététiques. -88- Ce travail nous a conduits également à examiner l'aide alimentaire telle qu'elle est en 2014 pour que le lecteur ait une meilleure connaissance de la réalité des choses. Il existe |
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