Epiceries sociales et solidaires : histoire et typologie( Télécharger le fichier original )par Mathieu Gros Université Aix-Marseille Economie et Gestion - Master II RH ESS 2014 |
1.2 L'alimentaire comme variable d'ajustementDans les périodes de mutation économique, de « nouveaux» pauvres vont resurgir. Une partie de la population est marginalisée, l'aide alimentaire sera un prétexte pour solutionner les problèmes en dernier recours. Le sociologue Michel LEGROS explique : « l'alimentaire arrive, dans cette période de crise plus fortement, comme une variable d'ajustement » (2009). En effet, dans le budget d'un ménage, des dépenses prioritaires sont incompressibles : le logement, l'énergie, l'eau,...alors que l'alimentaire va obligatoirement s'ajuster aux ressources du foyer. Cet ajustement devient rapidement drastique dans les familles en difficultés. Bien évidemment, des carences alimentaires risquent d'apparaître, entraînant elles-mêmes des problèmes de santé, surtout chez les enfants. Il s'agit là d'une réalité choquante n'étant pas de la responsabilité de l'individu mais une des conséquences des répliques des séismes économiques du passé. L'aide alimentaire intervient alors comme une « rustine » sur une roue de vélo, au sens qu'elle fait face à l'urgence sans traiter les problèmes de fond. Par ailleurs, Michel LEGROS, pense même « qu'il y a donc toujours une association forte, 16 dans les périodes récentes, entre pauvreté et aide alimentaire » . Il est vrai qu'au regard de l'histoire, les périodes de mutation de l'aide alimentaire ont souvent été associées à des périodes de grande pauvreté comme : la crise de subsistance et de famine dans i6 Quatrièmes rencontres nationales des épiceries solidaires du 8 octobre 2009, Espace Rungis. Nouveaux paysages de lutte contre la pauvreté. L'impact de la crise économique. Par Michel LEGROS. Page i. - 15 - l'antiquité; les premiers clivages entre riches et pauvres sous l'Empire Romain, accentués au Moyen-Age; l'arrivée d'une économie marchande dans les campagnes dans la période des Temps Modernes. Plus tard, la Révolution française réintégrera les pauvres dans la société puis l'industrialisation et le libéralisme provoqueront à leur tour une extrême pauvreté qui stigmatisera l'aide alimentaire. En 2014, dans un contexte de crise économique, l'aide alimentaire revient à ses sources avec ce que l'on pourrait appeler un « évergétisme citoyen » bénéficiant en parallèle de l'évolution de l'Économie Sociale et par conséquent du monde associatif. On retrouve en effet une démarche philanthropique de la part de certaines personnes sensibles à ces situations et l'émergence de regroupements à caractère humanitaire. 1, Alain CLEMENT le souligne dans son article «c'est bien le secteur associatif qui semble pallier les insuffisances de l'État... ». Cela fait référence aux travaux de WEISBROD (1975) qui développe la théorie de l'échec de l'État pour justifier l'existence d'organisations à but non lucratif. Chronologiquement, l'évolution de l'aide alimentaire peut se découper en 7 étapes majeures, (Tableau 1, ci-dessous) :
17 RECMA N°279, De l'évergétisme antique aux restos du coeur, État et Associations dans l'histoire du secours alimentaire. ParAlain Clément, 2001, page 38, Tableau 1. Evolution des formes d'aide alimentaire à travers la vision de la pauvreté
- 17 - 1.3 Le rôle de substitution du monde associatif dans l'aide alimentaire L'apport du monde associatif dans l'aide alimentaire est très important depuis le XIXe 1s siècle. L'État redevient providentiel (les dépenses sociales dépassent les 20 % du PNB) , mais la pauvreté continue d'exister et les inégalités augmentent. Les années i800 voient l'apparition de la société civile de Saint-Vincent de Paul (sous obédience Catholique) et de l'Armée du Salut (d'obédience Protestante, 1865) avec les premières soupes populaires gratuites. Ces deux associations caritatives entretiennent des relations étroites avec l'État (subventions, «87 % des soupes ont été délivrées contre des bons acquittés par des fonds publics en 1812 »). Mais ces secours pouvaient-être aussi d'initiatives municipales (Bordeaux / Nantes) avec les fourneaux économiques ou les soupes, servies en lien avec les associations locales. La pauvreté existe toujours au XXe siècle, dans les années 8o, les évolutions technologiques ont permis d'utiliser les médias (radios, TV) pour communiquer avec la population et la mobiliser autour de grandes causes. Vont apparaître alors différentes 19 initiatives citoyennes comme les « Banques Alimentaires» (1984) et les célèbres « Restos du Coeur» (1985) portés et créés par Coluche, soutenues par une médiatisation qui perdure encore aujourd'hui. A la fin des années 8o, le Secours catholique, l'Armée du Salut, la Croix-Rouge, la société de Saint-Vincent de Paul, participent à l'action alimentaire à côté d'autres actions complémentaire tandis que les Restos du coeur, les Banques alimentaires et le Secours Populaire (1945) n'interviennent que sur l'aide alimentaire. Les banques alimentaires (98 banques en France), jouent le rôle d'entrepôts d'approvisionnement pour plus de 5 000 20 associations et organismes sociaux adhérents (CCAS notamment) . Les Restos du coeur, la Croix-Rouge et le Secours Populaire disposent également de leur propre réseau. 18 RECMA N°279, De l'évergétisme antique aux restos du coeur, État et Associations dans l'histoire du secours alimentaire. ParAlain Clément, 2001, page 38. 19 http://www.ba nquea limentaire.org/sites/default/files/historique.pdf 20 http://www.banqueal imentaire.org/a rt icles/nos-resultats-et-comptes-2o12-oo72 - 18 - Ces réseaux fonctionnement essentiellement sur le bénévolat (4841 bénévoles permanents en 2010 pour les Banques Alimentaires) mais aussi avec des aides financières et en nature. Ces aides financières proviennent surtout de l'aide Européenne, des dons et collectes auprès de l'industrie agroalimentaire, du secteur de la distribution (grandes surfaces) et des particuliers. Cette forme d'organisation qui hybride 3 formes d'économie : Marché, État et Réciprocité (EME/LAVILLE/POLANYI, XIXe siècle) est inclus dans ce que l'on appelle l'Économie Sociale et Solidaire. Cela confirme que ces organisations se substituent à l'Etat pour répondre à un besoin social peu ou mal satisfait. Les politiques sociales montrent leurs limites indépendamment d'une situation de surplus agricoles. Le nombre de personnes en situation de pauvreté croît. Le monde associatif a un rôle à jouer dans la mise en oeuvre d'une aide alimentaire efficiente. Les associations caritatives vont alors endosser un rôle de substitution mais aussi d'intermédiaire entre les donateurs/producteurs et les receveurs. 1.4 Une économie plus solidaire pour une aide alimentaire plus efficace Le terme « solidaire » de cette économie est apparu au XIXe siècle. LAVILLE insiste sur le caractère «politique» de l'Économie Solidaire précisant que le regain coopératif et associatif dès le XIXe siècle et la nouvelle forme de « coopérative sociale » sont apparus dans « les pays où les régimes d'État providence n'avaient pas ou peu sollicité les associations, parce que les services publics dominaient et parce que les associations étaient 21 limitées du point de vue de leurs activités économiques » L'Économie Solidaire apporte différentes solutions à ces problèmes de société «que le service public n'arrivait pas â assumer» (LAVILLE, 2013). Trois notions socio-économiques importantes sont liées à cette économie alternative : la création de nouveaux services ou l'adaptation des services sociaux, l'insertion dans l'emploi des populations exclues du marché du travail et enfin la not ion de territoires prioritaires. LAVILLE attache aussi beaucoup d'importance au caractère « réciprocitaire » de cette 21 L'économie solidaire, une perspective internationale Ed. Pluriel. 2013. Page 81 - 19 - économie. Elle se caractérise par le « sens » qui lui est donné par les acteurs et favorise l'apparition d'actions de «socialisation ». C'est également l'objectif des Épiceries Solidaires à savoir la co-construction du projet individuel et collectif. Pour reprendre un terme de LAVILLE dans son ouvrage, « les services ainsi élaborés » comme les Épiceries Solidaires, peuvent être appelés « services de proximité ». Tout comme l'aide alimentaire, l'économie solidaire est née dans un contexte socio-économique de crise financière. La diversité des initiatives solidaires tend à faire croire que rien ne peut unifier les pratiques. Mais si l'on regarde de plus près, on s'aperçoit qu'elles sont au contraire unies dans la diversité. Certes, il faut prendre en compte les disparités de territoire, conditions sociales et locales mais souvent, on retrouve souvent un intérêt particulier pour le «faire ensemble ». On peut alors parler de « contrat social» (LAVILLE, 2013) partagé par les différentes initiatives. 2. Evolution de l'aide alimentaire : une aide alimentaire institutionnalisée Cette institutionnalisation se traduit par l'organisation en réseau de l'aide alimentaire. Deux réseaux principaux seront ainsi présentés. 2.1 La Fédération des Banques Alimentaires Fondée le 11 octobre 1985, la FFBA a été inspiré des banques alimentaires américaines, les Foods Banks. Mais la particularité de ce réseau, c'est l'union de 5 importantes structures humanitaires (Secours Catholique, Emmaüs, Armée du Salut, Entraide d'Auteuil et l'Entraide protestante) suite à l'appel d'une religieuse, Soeur Cécile BIGO, lors d'un article intitulé «j'ai faim » paru dans le journal LA CROIX du 13 mars 1984. Aujourd'hui, on compte encore 98 Banques Alimentaires en France dont les principes fondateurs sont : la lutte contre le gaspillage alimentaire, le partage, le don, la gratuité, le bénévolat et le mécénat. Il existe également des Banques Alimentaires dans 21 pays européens qui sont rassemblées dans une Fédération Européenne des Banques Alimentaires, la FEBA. La Fédération est également reconnue comme association de bienfaisance et donc habilitée à recevoir et distribuer l'aide alimentaire. Dotées d'un fort réseau de bénévoles (environ 5 000 en 2012), les BA salarient également 400 personnes à l'année dont 5o % sont en insertion. Les journées de collecte nationale, - 20 - organisées chaque année au mois de novembre, peuvent mobiliser jusqu'à soo 000 bénévoles pour un résultat permettant de fournir plus de 25 millions de repas. Elles ont plusieurs fonctions permettant d'animer le réseau national : la collecte, la lutte contre le 22 gaspillage alimentaire (environ 52 000 tonnes récupérés en 2012 ), le tri et le stockage des denrées, la distribution, l'accompagnement des personnes et enfin la formation des bénévoles et adhérents. Aujourd'hui, la FFBA ce sont 5 300 associations et organismes sociaux (CCAS et CIAS) qui distribuent soo 000 tonnes de denrées alimentaires, soit 890 000 personnes (1% de la population française) pour 200 millions de repas. Parmi les 5 300 organismes adhérents, 700 sont des épiceries sociales et solidaires. Certaines peuvent être également adhérentes de l'ANDES, leur permettant ainsi de développer leurs sources d'approvisionnement. Tout comme l'ANDES, la FFBA a élaboré une charte à laquelle chaque organisme qui adhère doit se plier. Elle comporte 4 parties, l'approvisionnement, la distribution, le fonctionnement et l'animation. Plus localement, la BA des Bouches du Rhône, une des plus importante de France, a 23 distribué en 2013 plus de 3400 tonnes de produits soit une équivalence d'environ io millions d'euros de denrées. La BA 13 compte actuellement 8 salariés et 136 bénévoles permanents. La collecte nationale de 2013 a enregistré une baisse par rapport à 2012 avec 365 tonnes contre 400 en 2012. Ainsi, plus de 40 000 personnes ont pu bénéficier de l'aide alimentaire soit environ 7 millions de repas sur l'année. 2.2 L'ANDES Aujourd'hui, d'après les chiffres de l'ANDES et des Banques Alimentaires Françaises, on compte un peu plus de 700 épiceries solidaires sur le territoire, 729 épiceries d'après les 24 chiffres officiels de l'État et du Ministère des Affaires Sociales et de la Santé . Créée en 2000, l'ANDES a édité une charte qu'elle diffuse lors de chaque ouverture 22 23 24 http://www.banquealimentaire.org/articles/lutte-contre-le-gapillage-alimentaire-oo2o q Assemblée Générale de la Banque Alimentaire des BdR du 29/04/13, dans les locaux de la BA13 à la Valentine http://www.social-sante.gouv.fr/actual ite-presse,42/breves, 2325/les-729-epiceries-sol idaires,1711o.html d'épicerie qui souhaite adhérer. Depuis sa création, l'idée de l'ANDES est qu'une épicerie sociale ou solidaire doit redonner son sens à l'alimentation qui, dans notre société, est source de plaisir et de convivialité. Pour l'ANDES, une épicerie sociale ou solidaire a aussi plusieurs finalités. Elle permet de :
|
|