Epiceries sociales et solidaires : histoire et typologie( Télécharger le fichier original )par Mathieu Gros Université Aix-Marseille Economie et Gestion - Master II RH ESS 2014 |
I. Genèse, contexte et évolution de l'aide alimentaire1. Repères historiques et évolution des mentalités face à la pauvreté Comme le souligne Alain Clément, l'aide alimentaire constitue un dernier recours dans la9 panoplie des soutiens existants aux populations démunies . Présente sous différentes formes en France et dans le monde, l'aide alimentaire a parcouru des siècles avant d'être connue sous ses formes actuelles, telles que les Épiceries Solidaires, Restos du coeur, Banque Alimentaire ou colis d'urgence. Souvent sujet de curiosité et d'intérêt, elle apparaît finalement comme une pratique empirique de secours et elle est indissociable du comportement et de l'opinion de la société sur les « pauvres ». Comment se définit un pauvre ? Y-a-t-il un bon et un mauvais pauvre ? A qui doit réellement profiter l'aide alimentaire? Toutes ces questions, encore d'actualité, ont réellement fondé l'aide alimentaire. Certaines périodes historiques de l'aide alimentaire, font ressortir de fortes similitudes avec notre actualité. L'évergétisme antique avec les premières formes de dons 10 alimentaires et de philanthropie sont « les prémisses d'une politique de redistribution » au moyen-âge. On peut citer l'exemple du XVIe siècle où une période de « hausse des prix non compensée par une hausse des salaires » va entraîner et accentuer la paupérisation de certaines populations, paysannes, en les chassant de leurs terres pour les envoyer vers les villes où ils deviendront mendiants et «vagabonds». Ces notions ne sont pas très différentes de ce que l'on voit actuellement. On continue à entendre parler de populations entières contraintes de se déplacer pour tenter de trouver du travail, se faire soigner ou tout simplement manger à leur faim. Il est important de rappeler qu'il s'agit d'un droit irrévocable, article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1789, extrait : «Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment 9 RECMA N°279, De l'évergétisme antique aux restos du coeur, État et Associations dans l'histoire du secours alimentaire. ParAlain Clément, 2001, page 26. 10 Ibid, page 31. - 12 - l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ». 1.1 La pauvreté, une vision relative et abstraiteLa notion de pauvreté est relative car on peut considérer que chacun est pauvre par rapport à d'autres qui le sont moins ou que l'on perçoit comme riches, elle recouvre différentes acceptions qui ont évolué avec le temps. Les pauvres ont toujours dérangé la société et les gouvernants, suscitant le mépris, la méfiance voire même la haine de leurs contemporains. Durant la Révolution, ils sont apparus « dépravés et sanguinaires » symbolisant l'esprit de destruction de l'ordre établi et pour cela repoussé dans les marges, exclus du double champ politique et 11 social .Synonyme de désordre, la pauvreté était combattue pour repousser hors les murs ces indésirables. Cette vision de la pauvreté a perduré, considérée comme une menace à la fois pour le pouvoir mais aussi pour les citoyens qui ne voyaient dans les pauvres que des paresseux et des voleurs. Au lendemain de la Révolution française de 1789, la déclaration des droits de l'homme affirmera que la nation doit nourrir « ses pauvres », désormais l'aide alimentaire devient un droit et non plus une simple aide marginale. En 2014, l'INSEE, l'Observatoire des inégalités en Europe et même l'ONU considèrent qu'a Un individu (ou un ménage) est pauvre » lorsque son « niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté »12. On le voit bien, la manière de traiter la pauvreté a changé au cours des différentes périodes historiques. Pour certains auteurs comme Majid RAHNEMA~3, qui a réfléchi à la notion de pauvreté, dans son livre «Quand la misère chasse la pauvreté», la pauvreté n'est pas péjorative et dans certaines situations, être pauvre peut rendre plus « riche », c'est ce qu'il appelle la 11 D'après Jean-FrançoisWagniart, «Au nom des pauvres », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique [En ligne], loi 12007, mis en ligne le 20 septembre 2009, consulté le o6 août 2014. URL : http://chrhc.revues.org/4o9 12 En France, le « seuil de pauvreté » est de 977 € par mois 13 Essayiste iranien, ancien diplomate et ministre iranien des années 60-70. - 13 - « pauvreté volontaire » soit, un « choix libre et éclairé pour un mode de vie basé sur une éthique de simplicité ». Depuis l'antiquité, on cherche à stigmatiser et écarter les pauvres pour éviter qu'ils ne renvoient une mauvaise image de la société. Pour RAHNEMA, « Les pauvres sont souvent pris comme un sujet de manque. Or si l'on prend cette approche, tout le monde, sans exception souffre d'un manque. Par conséquent, tout le monde peut être considéré, d'une 14 manière ou d'une autre, comme pauvre ». Le terme pauvreté recouvre en fait plusieurs dimensions : monétaire, sociale et intellectuelle. Monétaire pour qualifier qu'une personne vit sous un certain seuil, le «seuil de pauvreté»; sociale pour qualifier une personne seule ou n'ayant pas ou peu d'entourage et enfin intellectuelle pour qualifier une personne n'ayant pas beaucoup de réflexion (« une personne qui ne dit que des pauvretés», déf. LAROUSSE). RAHNEMA nous apprend que le terme pauvreté ne signifie pas toujours être pauvre au sens économique du terme. Il est donc intéressant de s'attarder sur la définition que nous avons de la pauvreté. Comment percevons-nous les « pauvres » que nous connaissons ou que nous croisons dans la rue ? Depuis toujours, la société allie la pauvreté à une notion pécuniaire du terme. On utilise l'expression « vivant sous le seuil de pauvreté », pour considérer les personnes ayant un revenu en dessous du salaire minimum national. De ce fait, l'acception courante s'intéresse uniquement au « porte-monnaie » de l'individu et non à ses choix de vie. Une personne peut faire le choix de vivre de manière plus sobre en acceptant un travail moins bien rémunéré mais qui en contrepartie le rendra peut-être plus «riche» en savoirs, expérience ou humanité. De la même façon, une personne peut faire le choix de se mettre en retrait de la société de consommation en réduisant son niveau de vie. La frugalitél5 est d'ailleurs une valeur ~4 Interview de Majid RAHNEMA sur son livre «Quand la misère chasse la pauvreté », http://mots.extraits.free.fr/interview majid rahnema.htm i5 Article de libération sur l'économie frugale : http://www.liberation.fr/economie/2oî4/o3/oz/I-economie-frugale-faire-mieux-avec-moins 981974 -14- qui commence à se répandre dans notre société, même si elle reste très marginale. L'écrivain agriculteur, Pierre RABHI, en parle également dans son livre «Vers la sobriété heureuse » (2010). Quelle que soit la définition que nous en avons, la pauvreté n'est pas un terme générique permettant de qualifier une personne. Le terme misère conviendrait mieux comme indicateur financier, pour décrire la situation de personnes démunies. De la charité chrétienne aux initiatives solidaires d'aujourd'hui, les enjeux que représente la lutte contre la pauvreté sont immenses. |
|