La régulation des télécommunications au Congo( Télécharger le fichier original )par Audry Jostien EYOMBI Université Marien Ngouabi de Brazzaville - Master en droit public 2012 |
Première partie :L'effectivité de la régulation des télécommunications au CongoL'importance des technologies de l'information et de la communication (TIC) pour le développement socio-économique n'est plus à démontrer. Les TIC ont fait leurs preuves comme facteurs incontournables et centre de l'économie à effet multiplicateur direct sur l'ensemble des autres secteurs de l'activité économique dans les pays développés tels-que la France ou les Etats Unis d'Amérique. Il existe au niveau de tous les secteurs de développement et de tous les acteurs principaux (publics, privés et société civile en général), en zones rurales et urbaines au Congo, des besoins d'échange d'informations et de communication liés aux technologies de l'information et de la communication. Ceci a conduit les pouvoirs publics congolais à mettre en place une régulation du secteur. Afin que les reformes réglementaires soient bénéfiques, les régimes de réglementation doivent être transparents, cohérents et détaillés, en instaurant un cadre institutionnel adéquat, en libéralisant les industries de réseau, en proposant et en mettant en oeuvre les lois et la politique de la concurrence et en ouvrant les marchés internes et externes aux échanges et à l'investissement. Comme le souligne le doyen Léon Duguit « le droit évolue avant tout sous l'action des besoins économiques »(47).Cette réflexion a sans aucun doute conduit les décideurs du pouvoir public du Congo d'insérer dans l'arsenal du droit économique la régulation du secteur des télécommunications (chapitre 1), en mettant en place un encadrement juridique adéquat pour la gestion du secteur (chapitre 2).1(*) Chapitre 1. Le droit des télécommunications congolais : Un droit en formationCette idée est du professeur Placide Moudoudou(48).En effet, le souci d'améliorer la situation des citoyens dans leurs rapports quotidiens avec l'administration a commencé à devenir un sujet récurrent des débats sur l'administration dans les systèmes administratifs. Le droit administratif des Etats africains a longtemps été proche des idées de l'Ecole de la puissance publique du doyen Hauriou(49), au nom des impératifs du développement et de la construction nationale(50).L'une des marques distinctives était très certainement la profonde inégalité des rapports entre l'administration et des « administrés-sujets »(51).Tandis que jusqu'en 1980 les africains ne constituaient qu' « un peuple d'administrés »(52) assujetti à une administration centralisée et hiérarchisée, dont le mode normal d'action, la décision exécutoire, assortie du privilège du préalable, « est à lui seul le condensé de toute la puissance administrative et l'expression de sa supériorité intrinsèque »(53). En France, c'est depuis l'année 1930 que les réflexions sur la participation des administrés dans le processus des prises des décisions administratives sont nées(54).Les années 1970 ont été plus que salvatrices : adoption des lois phares sur le Médiateur de la République(1973), sur l'accès aux documents administratifs(1978), sur l'informatique et les libertés(1978), sur la motivation des décisions administratives (1979).1(*)Par la suite, viendront, comme on le sait également, des réformes diverses concernant des mécanismes au travers desquels les citoyens peuvent directement se prononcer sur les projets de l'administration publique : enquêtes, concertations, débats publics, référendums..., au tant des pièces de ce que l'on tendre aujourd'hui à rattacher à l'idée de la démocratie administrative(55). Cette démocratisation de l'administration publique, notamment dans le secteur des télécommunications a débouché par une réglementation plus libérale de ce secteur (Section 1), avec la création d'une instance nationale de régulation (Section 2). Section 1. Le choix d'une réglementation libéraleLa réglementation suppose `'l'ensemble des prescriptions, des normes et obligations légales auxquelles on est tenu de se conformer'' (56). Ces normes sont hiérarchisées et partant de la source la plus élevée, on peut le designer comme étant la constitution, les conventions, la loi, le règlement(57).Elles sont néanmoins réparties entre normes nationales (paragraphe 1) et internationales (paragraphe 2) Paragraphe 1. La réglementation nationale.Dans l'ensemble et pour l'essentiel, les sources internes du droit public en matière économique sont celles que connait le droit public en général(58). Au temps du Keynésianisme triomphant, on a soutenu que le droit économique se caractérisait par la place qu'y tenaient les actes occupant « les derniers échelons de la hiérarchie »(59). En d'autres termes, avec l'accord bienveillant du Conseil d'Etat, l'intervention économique et notamment les règles d'encadrement du marché étaient confiées à l'administration. On expliquait ceci par les caractères de cette intervention, faite d'exceptions, de cas particulier pour lesquels ou bien le législateur ne fixait que des principes généraux comme par exemple en matière de prix dans1(*)l'ordonnance du 30 juin 1945, ou bien confiait le soin d'intervenir au gouvernement par décrets-lois (ainsi celui 11 juillet 1953).1(*) Le juge administratif aurait compensé cette sorte de délégation au pouvoir réglementaire par un renforcement de son contrôle, notamment de la qualification juridique des faits(60).Quelle que soit la valeur de cette explication, l'évolution de l'interventionnisme économique a rééquilibré les sources de l'encadrement juridique du marché(61). Définit comme `' tout texte de nature législative ou réglementaire en vigueur ou devant être adopté dans un Etat membre ''(62), la réglementation nationale est constituée de la constitution(A), des lois au sens strict et des textes réglementaires(B). A. Les emprunts de la libéralisation du secteur des télécommunications dans les constitutions congolaises de 1992 à 2002Pour paraphraser le doyen Vedel, on dira que « La constitution fonde le régime administratif »(63), elle est aussi la base du système juridique et économique(64).Selon la hiérarchie des normes, théorie chère à Hans KELSEN (65), la norme suprême nationale est la constitution, suivi des conventions et lois puis les règlements.1(*)En effet, la constitution est `' un ensemble des règles écrites ou coutumières qui déterminent la forme de l'État, la dévolution et l'exercice du pouvoir ``(66). Elle est encore considérée comme la plus haute des normes juridiques puisque, littéralement, elle constitue une `' République `'(67).Ainsi, en France par exemple, la fondation de la Ve République date de la constitution du 04 octobre 1958, fortement par son fondateur, le Général de Gaulle. Ce dernier a voulu mettre un terme à l'instabilité gouvernementale de la IVe République et l'omnipotence du Parlement en rééquilibrant les pouvoirs en faveur du Président de la République, élu au suffrage universel direct depuis en 1962, ce qui lui donne une forte légitimité, et de l'exécutif. Ce n'est pas seulement dans un sens très général, désignant l'ensemble des institutions du pays relatives à l'économie, quelque soit leur source qu'on peut parler de la « Constitution économique de l'Etat »(68). Mais on peut utiliser l'expression pour designer les dispositions constitutionnelles déterminant certaines solutions économiques(69). Tous les textes constitutionnels, dans leur forme de la 3e génération(70), car ne laissant aucun domaine de la société, n'en demeure pas moins le socle de la régulation économique. C'est ce qui a conduit le doyen Vedel à considérer que le droit administratif devrait nécessairement avoir des bases constitutionnelles, il devait être définit, lui aussi par un critère organique : selon le doyen Vedel, le Droit Administratif s'applique aux actes pris par les autorités exécutives, des collectivités territoriales, des établissements publics et personnes de droit privé gérant un service public, critère complété cependant par celui de la prérogative de puissance publique. C'est en ce sens que les constitutions successives du Congo d'après la Conférence Nationale, dans le processus dit de constitutionnalisation n'ont pas laissé en marge la réglementation des télécommunications.1(*) De la constitution du 15 mars 1992 à celle du 20 janvier 2002,en passant par l'acte fondamental du 24 octobre 1997,il ressort dans l'esprit des pouvoirs constituants originaires respectifs l'affirmation du droit permanent de souveraineté inaliénable sur toutes les richesses nationales, y compris le spectre des fréquences, qui est aussi une ressource naturelle a part entière ,comme élément du développement(71)En affirmant dans son dernier alinéa la soumission de l'exercice des activités liées à la communication électronique au respect de la loi, l'article 19 montre sous la volonté du constituant de réglementer le secteur des télécommunications. L'article 20 du même texte constitutionnel met en garde tous les opérateurs des télécommunications contre la violation du `'secret des correspondances des télécommunications ou tout autre forme de communication ''.Ce ne sont que dans les cas prévus par la loi que ce secret peut être violé. Dans l'une de ses fonctions régaliennes, celle de garantir les droits et libertés fondamentaux des citoyens, la constitution du 20 janvier 2002 stipule en son article 19 que : « tout citoyen a le droit d'exprimer et de diffuser librement son opinion par la parole, l'écrit, l'image ou tout autre moyen de communication. La liberté de l'information et de la communication est garantie. La censure est prohibée. L'accès aux sources d'information est libre. Tout citoyen à droit à l'information et à la communication. Les activités relatives à ces domaines s'exercent dans le respect de la loi ». Faisant partie intégrante du bloc de constitutionnalité, la charte des droits et libertés adoptée la 29 mai 1991,lors de la Conférence Nationale Souveraine, évoque en son article 13 également le droit à la protection de `sa correspondance et ses communications téléphoniques `'.C'est à juste titre que le professeur Placide Moudoudou affirme « les constitutions congolaises successives contiennent généralement des dispositions qui s'imposent à l'administration (...) les autorités administratives doivent les respecter »(72).1(*)Si l'on s'en tien toujours aux propos du professeur Placide Moudoudou, « il n'y a ni obstacle de principe ni anomalie » à ce que la constitution mette des principes de base pour réglementer les télécommunications (73). * 48. LINOTTE(D) et ROM(R), « La régulation, Service public et Droit public économique », Paris, 5e éd., Litec, p. 413 * 50. Moudoudou(P), Droit administratif congolais, l'Harmattan, 2003, p., 153. 51. Venezia(J.C), « Puissance publique, puissance privée », in Mélanges en l'honneur de Eisenman, 1975, p., 363 ; Rivero(J), « Existe-t-il un critère du droit administratif ? », RDP, 1975, p., 279. 52. Ahadzi-Koffi(N), « Droits de l'homme et développement : théories et réalités », in Mélanges en l'honneur de Yves Madiot, p., 107. 53. Moudoudou(P), « Les tendances du droit administratif en Afrique noire francophone », RJPEF, 2010, p., 63. 54. Blum(L) ; Concl. sur CE, 26 juillet 1918, Lemonnier, Rec. 716 ; S. 1918-1919, 3, p. 41 ; RDP, 1919, p. 41. 55. Chevallier(J), Science administrative, Paris, PUF, 1986, P. 347. 56. Delaunay(B), L'amélioration des rapports entre l'administration et les administrés », LGDJ 1993. 57. Auby(J.B),'' Remarques Préliminaires sur la Démocratie Administrative `', RFAP, 2011/1-n° 137-138, p. 14. * 58. Dictionnaire LAROUSSE, 2012, p. 465. 59. Union Economique et Monétaire d'Afrique Centrale, Règlement n° 21/08-UEAC-133-CM-18, relatif à l'harmonisation des réglementations et des politiques de régulation des communications électroniques au sein des Etats membres de la CEMAC, du 19 décembre 2008. 60. Delvolvé(P), Droit public de l'économie, Paris, 1998, Dalloz. 61. Gaudemet(P.M), « Réflexion sur le droit administratif économique », Etudes en hommage au professeur Lopez Rodo, Paris, LGDJ, 1972, p. 135. 62. C.E, 3 février 1975, Rabot, AJDA, 1975, 467, note F. Sabiani. 63. Alain Serge Mescheriakoff, Droit public économique, Paris, 1996, PUF, p. 81-90. 64. Union Economique et Monétaire d'Afrique Centrale, Règlement n° 21/08-UEAC-133-CM-18, relatif à l'harmonisation des réglementations et des politiques de régulation des communications électroniques au sein des Etats membres de la CEMAC, du 19 décembre 2008. * 65. Vedel(G), « Les bases constitutionnelles du droit administratif », EDCE, 1954, p. 21. 66. Vedel(G) et Delvolvé (P), Travaux de la société de législation comparée, 1979, p. 111. 67. Kelsen(H), Théorie pure du droit, 2e éd., traduite par Charles Eisenman, Dalloz, 1962, Paris. 68. Lexique des termes juridiques, Dalloz, 18e édition, 2011, P. 205. 69. RAY(J.E), Aborder les études de droit, Paris, Seuil, 1996, p. 10 * 70. Chetmot, organisation économique de l'Etat, p.93. 71. Delvolvé(P), Droit public de l'économie, Paris, 1998, Dalloz, p. 67. 72. Selon le professeur J.F Aivo, la Constitution n'est plus simplement un instrument organisant que les pouvoirs publics, avec l'apparition des nouveaux textes constitutionnels, la constitution n'est plus qu'institutionnelle, mais elle est dorénavant substantielle, dans ce sens où même certains domaines qui étaient avant régis par la loi ont fait leur apparition dans la Constitution. Tels que : la constitutionnalisation des AAI en RDC. Cours magistral de droit constitutionnel approfondi, UMNG, 2013. * 74. Moudoudou(P), Op.cit., P. 16. 75. Ibid., p. 16. 76. Ibid., p. 17. 77. Ibid., p. 17. |
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