L'avocat et la protection des droits de l'homme au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Charles Marcel DONGMO GUIMFAK Université catholique d'Afrique Centrale/ institut catholique de Yaoundé - Master 2 en droit de l'homme et action humanitaire 2009 |
B - Les difficultés inhérentes aux rapports entre avocats-magistratsMichel Bénichou avait constaté que « magistrats et avocats ne dialoguent plus. L'avocat plaidant (ou tentant de le faire) et le magistrat écoutant (ou semblant le faire) n'ont plus de plate-forme commune de discussion. Au mieux on s'ignore, au pire on se dénigre. »146(*) Les avocats et magistrats se font mutuellement des reproches (1). Mais il importe de qualifier ces rapports dans leur ensemble (2). 1 - Les reproches mutuels entre avocats et magistrats Les avocats dénoncent : l'attitude de certains magistrats qui n'ont aucune considération pour les avocats, les décisions qui sont rendues en violation des textes. Les avocats dénoncent également les juges discourtois qui, en plus de leur fonction de juge, remplissent en même temps celle de l'assistance de l'une des parties, devenant ainsi « juge et partie ». A ce sujet, les avocats parlent volontiers du cas d'un juge qui aurait rédigé des conclusions pour un justiciable, et les aurait par inadvertance signées. Mais plus généralement, l'effet de la corruption et des rapports sociaux, les retards accusés par les magistrats pour le début des audiences, ainsi que la rétention malicieuse des décisions rendues, méritent une attention particulière. La corruption qui sévit au Cameroun n'épargne aucun corps. Mal payés, les juges camerounais ne manquent jamais de monnayer leurs services147(*). Selon M. Alioune Badara Fall, la faible rémunération et le manque de moyens matériels qui en découle les place dans une situation trop précaire pour qu'ils puissent jouir d'une certaine aisance148(*). Il se demande si on peut concevoir qu'un juge vienne partager le même autobus avec un prévenu qu'il vient de condamner149(*). Assurément non. Toutefois, la situation du juge camerounais ne l'abaisse pas encore jusqu'à ce niveau. L'environnement socioculturel est très prégnant pour le magistrat camerounais qui est aussi soumis à des pressions autres que celles de l'argent. Le magistrat judiciaire est souvent embrigadé par des contraintes de solidarité et de famille africaine généralement élargie, et même des affinités tribales. C'est ainsi par exemple qu'on note la séduction faite par les femmes en instance de divorce et venues au tribunal à cet effet150(*). Ces différents maux mettent à mal l'indépendance de la magistrature chèrement prévue par les textes151(*). Cette situation affecte la crédibilité du magistrat et est source de partialité qui ne s'accommode aux fonctions de défense des droits que doit assurer l'avocat occupant pour l'adversaire du justiciable qui a corrompu le magistrat ou pour qui le magistrat en charge du dossier met au devant ses affinités socioculturelles avec ce dernier. Le comportement du juge camerounais est empreint du laxisme habituel du fonctionnaire africain152(*). Il faut ajouter à la liste des reproches faits par les avocats, les longues attentes que des magistrats font subir aux avocats et aux justiciables avant le début des audiences criminelles. Ces attentes usent psychologiquement les avocats et leurs clients. En effet, lorsqu'une audience prévue pour débuter à 7 heures 30 minutes ne débute qu'à 12 heures, voire à 15 heures, les avocats et les justiciables qui attendent depuis la matinée peuvent-ils encore être dans de bonnes dispositions psychologiques pour mener et suivre les débats ? Il est permis d'en douter. Pourtant, les avocats subissent impassiblement cette situation. S'il est vrai qu'ils ont été rémunérés pour assister leur client, il demeure vrai qu'ils ne doivent pas les assister dans n'importe quelle condition. La nouvelle procédure qui comporte « l'examination in chief », la « cross examination » et la « re-examination » ne permet pas en effet au juge de retenir plusieurs dossiers par audience ouverte à l'heure, à plus forte raison lorsque l'audience débute tard. C'est une situation que les avocats laissent passer, mais qui conduit lentement et sûrement à des violations des droits de l'homme, car plusieurs personnes poursuivies seront jugées avec retard excessif, en contravention du PIDCP aux termes duquel toute personne accusée d'une infraction pénale a droit, en pleine égalité, à être jugée sans retard excessif153(*). Les avocats devraient donc mettre de côté le fait qu'ils sont présents à l'audience parce qu'ils ont été rémunérés, et combattre cette attitude des juges qui débutent leurs audiences avec des retards excessifs. Cela participe aussi de la défense des droits de leurs clients. La rétention malicieuse des décisions rendues par certains magistrats qui ne les rédigent à temps, n'est pas de nature à permettre l'exercice efficient des voies de recours, notamment en matière pénale. En effet, en cette matière, le délai d'appel est par exemple de 10 jours à compter du lendemain de la date de la décision154(*). En cas d'appel, le greffier, précise le CPP, notifie à l'appelant d'avoir, dans les 15 jours de la notification, et à peine d'irrecevabilité de l'appel, à lui faire parvenir « un mémoire contenant ses moyens et ses conclusions ... »155(*) Comment peut-on articuler les moyens et prendre des conclusions si on n'a pas lu le jugement pour connaître la motivation du juge qui l'a rendu ? L'avocat dans cette situation, pour respecter les prescriptions de la loi et préserver les droits de son client, est contraint à deviner les motifs de la décision, ce qui est pour le moins curieux, surtout lorsque les libertés physiques sont en jeu. D'un autre côté, lorsqu'ils parlent des avocats, les magistrats voient : des avocats qui ont oublié toute notion de courtoisie envers les magistrats et les chefs des juridictions. Les magistrats voient aussi en certains avocats des personnes qui ont des préoccupations plus mercantiles que professionnelles, foulant aux pieds les règles de l'éthique et de la déontologie. Ils sont donc véreux et cherchent toujours à induire les magistrats en erreur, ne lésinant sur aucun moyen, pour courir après le gain facile. Les magistrats reprochent aussi à certains avocats, la malicieuse manière de tenir dans leurs plaidoiries, des propos orduriers et irrespectueux envers les magistrats, etc. Telles sont les récriminations des magistrats envers les avocats et vice-versa, qui ne sont pas exhaustives. 2 - La relativisation des difficultés inhérentes aux rapports avocats-magistrats Dans l'ensemble, il est constaté qu'entre avocats et magistrats, les rapports sont positifs avec les magistrats anciens et relativement anciens. Ces rapports sont marqués par un respect réciproque. Par contre, avec les magistrats moins anciens, il est coutume de constater la multiplication d'incidents d'audience en tous genres. En effet, ils ont été formés sur la base d'une certaine idée du genre, « il faut vous méfier des Avocats ».156(*) Il est pourtant patent que l'absence de dialogue entre avocats et magistrats peut diminuer la place du droit, et porter un risque à la protection des droits de l'homme. L'insuffisance des moyens dont dispose l'avocat pour exercer ses fonctions constitue aussi une limite sérieuse de sa contribution à la protection des droits de l'homme. * 146 Michel Bénichou, dans l'avant propos du livre de Edouard De Lamaze et Christian Pujalte, l'avocat, le juge et la déontologie, Puf, p XVI. * 147 Eteki Otabela Marie Louise, le Totalitarisme des Etats africains : le cas du Cameroun, Paris, l'Harmattan, 2001, Etudes Africaines, p.516. * 148 Badara Fall Alioune, `'le statut du juge en Afrique, numéro spécial, revue électronique Afrilex n°3/2003, PP.15. * 149 Idem. * 150 YONABA Salif, indépendance de la justice et droits de l'homme le cas du Burkina Faso, édition PIOOM LEIDEN, 1997 cité par Alioune BADARA FALL, pp 2-34. * 151 Article 52 du décret de 1995 portant statut de la magistrature. * 152 Degni Segui René, L'accès à la justice et ses obstacles, in l'Effectivité des droits fondamentaux dans les pays de la communauté francophone, colloque international 29- 30 septembre, en octobre 1993, Port-Louis, AUPELF-UREF, pp.245. * 153 Art. 14.3(c) du PIDCP. * 154 Art. 440 du CPP. * 155 Art. 443 du CPP. * 156 Certains magistrats et auditeurs de justice (élèves- magistrats) ont affirmé au cours de l'enquête menée pour cette étude, que depuis un certains temps, à l'Ecole National d'Administration et de la Magistrature (ENAM), il leur, dès les premiers jours de la formation, conseillé de se méfier des avocats qui ne cherchent qu'à induire le magistrat en erreur. |
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