CONCLUSION GENERALE
1339. Il est desormais etabli que les technologies de
l'information et de la communication en general et internet en particulier sont
en train de structurer les contours d'une nouvelle societe dont la princi pale
ressource est et sera l'information. On n'en doute plus; le develo ppement de
ces technologies a dejà des consequences sur la societe toute entiere et
sur les usages grace a une expression plurielle des individus et leur
communication interculturelle, intercommunautaire, interdisci plinaire,
internationale ou inter professionnelle. Elles permettent notamment d'etablir
desormais une articulation entre la connaissance, l'information en ligne sous
ses diverses facettes et les problemes societaux auxquelles elles peuvent a
pporter des solutions. A cet effet, elles creent sous nos yeux une nouvelle
citoyennete, modifient fondamentalement les relations gouvernants/ gouvernes,
remodelent les ra pports de production, liberent les initiatives individuelles,
les terroirs et dessinent de nouveaux es paces de creativite et de production
economique et culturelle.
1340. Dans le même temps, cette nouvelle societe souleve
de multiples interrogations : y a-t-il un risque qu'elle cree plus inegalitaire
entre les individus, creusera-t-elle davantage les fosses entre le Nord et le
Sud, favorisera-t-elle la domination des Etats riches voire des grou pes de
pression, qui de nos jours, controlent les nouvelles techniques et l'acces a
celles-ci, quel est et sera le role des pouvoirs publics dans cette nouvelle
societe, quelle est la place des systemes juridiques nationaux dans
l'encadrement de cette societe ?
1341. Dans les develo ppements ci-dessus, nous avons constate
que face a ces interrogations, la reponse des Etats varie dans la mesure ou
chaque pays s'ada pte en fonction de sa pro pre histoire, de ses moyens, de sa
geo politique et en fonction de sa pro pre conception de l'interêt
general.
Dans la configuration actuelle des nations, on observe une
ligne de partage entre le Nord et le Sud, entre pays pauvres et pays riches
qui, pour l'essentiel, denote de la difficulte pour les pays pauvres a saisir
l'o pportunite qu'offrent ces technologies pour agir a l'interieur de leur
territoire. Pourtant paradoxalement, ces technologies leur offrent de
prodigieuses o pportunites aussi bien sur le plan economique que
dans leurs efforts de modernisation des Etats.
1342. C'est dire tout l'enjeu de la societe de l'information
qui repose sur la ca pacite des pouvoirs publics des pays pauvres a integrer
les technologies dans la construction d'une politique nationale coherente
determinante et qui place la volonte politique au cceur de la problematique de
son develo ppement puisque c'est l'Etat qui definit les politiques, elabore des
strategies en degageant un horizon d'actions previsibles, planifie et amenage
son territoire, met en place l'environnement reglementaire et en assure le
controle.
En effet, la societe de l'information a beau etre une societe
virtuelle, elle n'en repose pas moins sur une base geogra phique et sur un
socle technologique et infrastructurel physique qui conditionne son existence.
Il incombe alors a chaque Etat d'a pporter des re ponses coherentes et globales
aux problemes de telecommunications qui permettraient a toute sa population de
profiter des services du «village
planetaire».
1343. Au Cameroun, la liberalisation des telecommunications a
constitue, a n'en point douter, l'une des re ponses majeures a pportees par les
pouvoirs publics ces dernieres annees et qui a permis de vulgariser les
nouveaux moyens de communications modernes. Cette liberalisation a conduit a
l'emergence de certains avantages considerables tels que la mise en place d'une
concurrence entre o perateurs de telecommunications, la relative baisse des
prix de communications, la liberte des consommateurs par rapport aux choix de
leur o perateur, la creation des cabines tele phoniques et cybercafes
facilitant l'acces a internet et un libre acces a l'information mondiale non
censuree.
1344. Ce pendant, si l'une des finalites de cette
liberalisation etait d'eliminer les differents obstacles a la concurrence, nous
pouvons constater que la realite est toute differente. Le marche des
infrastructures de telecommunications reste domine par l'o perateur historique
national CAMTEL, qui detient l'exclusivite sur l'ex ploitation de la boucle
locale filaire et sur la gestion de la fibre o ptique. Cette situation freine
encore un peu plus les possibilites des o perateurs concurrents de develo pper
leurs reseaux de communications, ce qui permettrait de develo pper les reseaux
alternatifs en direction des usagers. Quand on sait que ce n'est pas
l'ouverture du marche en lui-meme qui cree les conditions de la croissance et
de la richesse, mais la ca pacite a reguler les differentes pratiques pour
qu'elles s'exercent conformement aux lois, il se pose alors la question de la
definition d'un nouveau cadre de concurrence pour permettre aux o perateurs
concurrents de de ployer leurs infrastructures de telecommunications en
direction des usagers.
1345. Du coup, il subsiste une absence d'investissements dans
le domaine et les o perateurs qui se sont lances dans le secteur,
privilegient les grands centres urbains au
detriment des zones les plus reculees du territoire national.
L'on se retrouve dans une logique de l'economie ca pitaliste dans laquelle les
investisseurs recherchent avant tout le profit et la rentabilite de leurs
investissements au detriment de la connectivite des populations. Il s'en suit
alors un risque evident de fracture numerique entre les populations du meme
pays.
De plus, malgre une baisse notable des coVts de communications
constates, les prix pratiques restent toujours hors de la portee du camerounais
moyen, rendant encore plus illusoire l'entree dans la societe de l'information
pour tous.
1346. A cote de ces difficultes d'ordre infrastructurelles, il
n'existe pas encore un cadre juridique a ppro prie aux operations realisees par
l'intermediaire des technologies de l'information et d'internet, ce qui soumet
ces operations a une relative insecurite juridique. En effet, la liberalisation
n'a pas ete suivie par une modification du cadre juridique et reglementaire du
secteur des telecommunications. Aujourd'hui encore, le marche des
telecommunications et l'ensemble des operations realisees restent soumises a
une serie de loi issue de la liberalisation de 1998 qui n'a jamais ete mise a
jour. Des modifications ont toutefois eu lieu, mais elles n'ont pour la plu
part ete que des modifications su perficielles sans grande avancee sur la cadre
juridique global des telecommunications.
1347. Nous pouvons, a partir de ce constat, etablir legitimement
un bilan de l'entree du Cameroun dans la societe de l'information.
1348. Si sur certains points, ce bilan peut etre encourageant,
dans certains autres cas, des lacunes subsistent ou a pparaissent.
1349. Des avancees notables ont eu lieu dans l'interet des
usagers et des consommateurs des services de communications electroniques:
affirmation d'un service universel de telecommunications, diminution notable
des prix de communications longue distance, creation de cybercafes et de points
internet, accessibilite a l'information, etc.P.
En ce qui concerne l'a ppro priation des TIC, on note une
quasi presence de tous les organes ministeriels et des autres institutions sur
internet, facilitant la delivrance de l'information, meme si celle-ci est
souvent incomplete et rarement mise a jour.
En direction des usagers, les pouvoirs publics pilotent
regulierement des politiques nationales tendant a vulgariser l'utilisation des
TIC aupres du jeune public en finangant des operations d'equi pement dans les
lycees et colleges. Nous pensons que cette politique de vulgarisation devrait
etre suivie d'une cam pagne de sensibilisation sur les dangers lies a
l'utilisation de ces technologies.
1350. Cela etant, malgre ces avancees, les zones reculees, le
plus souvent tres etendues, e prouvent toujours des difficultes a acceder au
reseau de telecommunications et restent soumises au diktat des o perateurs
de telecommunications. De même, dans les
grandes villes, l'absence de reelle concurrence dans les
infrastructures de communications electroniques fait que les prix pratiques par
les o perateurs restent encore assez eleves pour le camerounais moyen. De plus,
on note une quasi absence des cabines tele phoniques publiques, qui constituent
pourtant l'une des com posantes essentielles du service universel. Ce qui
freine l'acces de tous les usagers aux moyens de communications.
Ces lacunes risquent de freiner le de ploiement des
applications issues des technologies de l'information comme le commerce
electronique ou l'administration electronique ; ce qui freinera du même
coup, l'acces et le develo ppement de la societe de l'information.
1351. En ce qui concerne le cadre juridique des communications
electroniques, une nouvelle loi sur les telecommunications est en cours
d'elaboration au sein des instances nationales. Cette loi est tres attendue par
l'ensemble des o perateurs economiques nationaux et autres professionnelles
dans la mesure ou elle est censee prendre en com pte le contexte de la
dematerialisation. Il est sim plement a souhaiter qu'elle soit rigoureuse tout
en res ponsabilisant l'ensemble des o perateurs et des prestataires de services
du secteur des telecommunications car il serait uto pique de croire qu'on
pourrait avoir un secteur exempt de problemes.
1352. Sur un plan plus continental, l'Organisation pour
l'Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA) a lance, lors du
Sommet de la Franco phonie de Ouagadougou en novembre 2004, une cam pagne
d'harmonisation des reglementations nationales en vue de doter le secteur des
telecommunications africain d'un cadre juridique applicable par tous les Etats
membres (Sur le modele de l'OHADA droit des affaires). Concratement, il etait
question, dans ce projet d'harmonisation, «
d'inféoder * en quelque sorte les structures de
regulations existantes et de mieux definir leur role. A ce stade de notre
develo ppement, le processus n'a pas veritablement commence.
Même si les soutiens en Afrique et en Europe sont
nombreux (ACP Numerique, CIAN,...) les Etats africains n'entendent pas
« abandonner * leur souverainete dans un secteur
aussi strategique que les telecommunications au profit d'un organe supra
etatique (les regles instituees au sein de l'instance OHADA seront directement
a pplicables aux Etats membres). Du coup, cela favorise les initiatives
regionales, soutenues notamment par le regulateur frangais(ARCEP) et des
organismes internationaux tels que l'UIT. C'est le cas par exem ple du
reglement sur les communications electroniques en cours d'ado ption au sein de
la Communaute Economique et Monetaire de l'Afrique Centrale (CEMAC), dont fait
partie le Cameroun.
1353. Il est a souhaiter que soient pris en com pte tous les
aspects des telecommunications qui touchent non seulement les
infrastructures, mais aussi aux questions des donnees personnelles, de la
vie privee, des droits d'auteur, etc.... sachant
qu'en matiere de telecommunications, les aspects juridiques et
techniques sont souvent etroitement lies en raison de l'evolution et de la
convergence des technologies.
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