Paragraphe deuxième : Les attributs
découlant de la protection de l'auteur par le droit.
1015. Le droit de l'auteur est un droit de pro priete
immaterielle1088 qui confere a l'auteur certains attributs. A
l'observation, on constate une nature hydrique marquee par le droit
1085 Cf K.F. Gilde Jr, « Can a computer be an author or
an inventor ? », JPOS, 1969, p. 395, cité par M. Vivant et J-M
Bruguière, in « Droit d'auteur », Dalloz, 1er
éd, n° 45, p. 57, janvier 2009.
1086 Des auteurs adoptent une approche pragmatique et
proposent de n'attribuer la titularité des droits qu'en fonction de la
marge de manoeuvre de l'utilisateur qui sera auteur et en fonction de sa
capacité d'intervention. Sur le sujet, on peut lire M. Vivant et alii,
Lamy Droit de l'informatique et des réseaux, éd 2009,
n° 531 et suiv.
1087 En ce sens, voir CCE 2001, comm. n° 23, note
Caron cité par M Vivant et J-M Bruguière, op cit,
1088 En ce sens, voir l'article 21 alinéa 1 de la loi
camerounaise qui énonce clairement que la propriété d'une
oeuvre est indépendante de la propriété de l'objet
matériel. Pour une appréciation doctrinale, voir M Vivant et J-M
Bruguière, op cit, n° 375 et s, p 265 et s.
de la personnalité pour l'as pect intellectuel et moral et
par un droit proche d'un droit de pro priété pour l'as pect
patrimonial.
1016. Ces droits visent a permettre a l'auteur de disposer de
son oeuvre comme il l'entend et de contrôler son exploitation en cas de
cession a un tiers. En posant que les auteurs jouissent d'un droit de pro
priété exclusif et opposable a tous, le législateur
précise que « ce droit comporte des attributs d'ordre
moral et des attributs d'ordre patrimonial »1089.
L'intérêt de la distinction réside dans le
fait que les modalités d'exercice de ces attributs ne sont pas les
mêmes et em portent des conséquences différentes. Les
attributs d'ordre moral1090 et les attributs d'ordre patrimonial
sont différents aussi bien dans leur nature que dans les effets qu'ils
peuvent produire.
A. L'auteur dispose des attributs d'ordre moral
1017. Les attributs d'ordre moral visent a permettre a
l'auteur de conserver une certaine maitrise sur son oeuvre en contrôlant
sa « carrière ». En effet, l'oeuvre
étant le reflet de la personnalité de son auteur, c'est a travers
elle que le public a pprendra a le connaltre et a se faire une opinion sur ses
qualités et ses défauts. Ces attributs sont liés a la
personne de l'auteur et sont ex pressément encadrés par la
jurisprudence qui lui confere un caractere d'ordre public.
1. Les attributs lies a la personne de
l'auteur.
1018. Les attributs d'ordre moral marquent la reconnaissance
d'un lien intime entre l'auteur et sa création puisqu'ils
« sont attaches a la personne de
l'auteur1091» et témoignent du cordon
ombilical qui ne serait jamais rom pu entre l'auteur et son
oeuvre1092. Ils ex priment une indis ponibilité qui se
manifeste a travers ce lien et ont pour
1089 Article 13 alinéa 2 loi camerounaise de 1990
1090 Il est courant d'employer les expressions de «
droit moral » ou de « droit patrimonial » qui,
à notre sens, expriment les mêmes attributs.
1091 Article 14 alinéa 4, loi du 19 décembre 2000
1092 M Vivant et J-M Bruguière, op cit, p 32.
princi pale caracteristique d'être «
perpetuels, inalienables et imprescriptibles1093
». Il s'agit de caracteristiques relatives a une ceuvre et qui ne peuvent
s'exercer que par rapport a cette ceuvre. Ils ne peuvent pas, par exem ple,
servir de fondement pour proteger l'auteur directement dans sa reputation ou
dans sa vie privee1094.
1019. Le professeur SIRINELLI propose d'inclure dans le droit
moral, outre son insaisissabilite dans la mesure oit une ceuvre non publiee par
l'auteur ne peut pas etre saisie par les creanciers et mise dans le commerce
sans son consentement, son absolutisme qui s'exerce en toute circonstance sauf
en cas d'abus de droit1095. Ce faisant une certaine doctrine voit
dans les attributs d'ordre moral un droit « complexe dans la
mesure oil il recouvre un ensemble de prerogatives
diverses1096».
1020. Cela etant, sous le vocable d'attribut d'ordre moral, la
loi reconnalt a l'auteur, le droit de decider si, quand et sous quelle forme
l'ceuvre sera portee a la connaissance du public ; c'est le droit de
divulgation1097, celui de revendiquer la paternite de
l'ceuvre1098 (droit de paternite), celui de faire respecter
l'ceuvre1099 (droit a l'integrite), et le droit de re pentir ou de
retrait1100.
1021. Au regard des evolutions technologiques et de chaque
situation, la question est de savoir si on peut imaginer qu'un auteur puisse
donner mandat a un tiers d'exercer son droit moral en son nom. Dans la
pratique, bien que l'exercice d'un attribut «
moral » par un tiers se congoive difficilement, on peut
neanmoins admettre qu'un mandat puisse donner un pouvoir d'agir pour le com pte
de l'auteur et dans son interêt exclusif et a la condition que ce mandat
puisse etre revocable a tout moment.
1093 Article 14, préc.
1094 Pour un développement concernant la
protection de la vie privée, cf n° 1154 et suiv.
1095En ce sens, voir Sirinelli P, «
Propriété littéraire et artistique »,
Mémentos, 2e éd, Dalloz, 2003, p 55.
1096 Desbois « Le droit d'auteur en France
», Dalloz, 1978, N° 380 et suiv. repris dans Lamy Dr oit de
l'Informatique et Réseaux, Ed 2009 ; N° 210, P 130
1097 La divulgation implique à la fois un
fait matériel, comme la publication, mais aussi une volonté de
l'auteur qui doit être dépourvue d'ambiguïté. Une
hésitation de la jurisprudence, marquée en cela par la
controverse d'une partie de la doctrine, a lieu autour de l'épuisement
du droit de divulgation. Ainsi, pour certains magistrats, ce droit
s'épuiserait dès la première communication de l'oeuvre au
public, cf. : CA Paris, 4e ch., 14 févr. 2001, Propr intell,
2001, n° 1, p 64 , obs. Lucas, tandis que pour d'autres,
l'épuisement ne joue pas dès lors que l'oeuvre est
exploitée sous une forme nouvelle ; cf. CA Paris, 4e ch., 23
juin 2000, Prop intell. 2001, n° 1, p 60, note Lucas. Po ur une
appréciation, voir M Vivant et J-M Bruguière, op cit, n° 440
et s, p 297 et s.
1098 Chaque auteur a le droit de voir évidemment
mentionner son nom sur son oeuvre et que l'oeuvre soit diffusée sous son
nom ou celui qu'il aura choisi en cas de pseudonyme. C'est un droit qui
s'applique quelle que soit la célébrité de l'auteur,
quelle que soit sa contribution, qu'il s'agisse d'une oeuvre de collaboration
ou d'une oeuvre collective. C'est aussi le droit de rester anonyme, de ne pas
voir révéler son identité et un éditeur engagerait
sa responsabilité s'il révélait le nom d'un auteur qui
veut publier de manière anonyme. C'est le droit pour l'auteur de
s'opposer à ce qu'on lui attribue faussement des oeuvres dont il n'est
pas l'auteur.
1099 Le respect de l'oeuvre c'est aussi le respect de
l'esprit de l'oeuvre, c'est-dire qu'il n'y a pas respect de l'esprit de
l'oeuvre quand on la présente dans un contexte qui la dénigre ou
la déprécie.
1100 L'auteur ou le créateur qui regrette sa
décision de divulguer son oeuvre peut remettre en cause
l'exécution à venir d'un contrat d'exploitation même
régulièrement passé par lui. Voir Cass civ, 8 mai 1980,
RIDA 1981, 148.
1022. En ce qui concerne la transmissibilité de ce
droit moral, le législateur reste assez vague sur la question. Il
dispose seulement que 4x les droits d'auteur sont transmissibles a
cause de mort11°1». Dans la conception
actuelle du droit moral de l'auteur, il est difficile d'imaginer une
transmissibilité de l'ensemble des droits qui forment l'attribut. Bien
qu'il soit possible de transmettre le droit a l'intégrité de
l'ceuvre puisque (les ayants droits peuvent veiller au respect de l'ceuvre
originale), il est moins admis que ceux-ci puissent exercer un droit de
paternité sur l'ceuvre qui est intimement lie a l'auteur. Ils pourront
tout au plus veiller au respect du nom de l'auteur sur l'ceuvre pour mettre en
ceuvre la protection.
2. La mise en oeuvre de la protection.
1023. Nous avons vu que le droit moral de l'auteur est
inalienable. Cette particularite vise a empecher qu'un auteur ne renonce
definitivement a ses prerogatives au profit d'un contractant economiquement
superieur. Cette situation est envisageable en cas de contrat de travail ou en
cas de difficultes financieres. Il est donc admis que l'auteur ne puisse le
ceder ni a titre gratuit, ni a titre onereux, ni y renoncer purement et sim
plement. L'alienation du droit moral reviendrait en effet a vendre sa
personnalite, ce qui n'est pas envisageable en l'etat actuel du droit.
Meme dans l'hypothese d'une ceuvre a plusieurs, chaque auteur
conserve son droit moral sur sa contribution personnelle et en cas d'ceuvre de
commande, l'auteur tout en transferant les droits patrimoniaux, conserve
l'exercice des droits moraux. Il peut alors exercer 4x son droit
moral sur l'3uvre de commande sans nuire a la jouissance des droits
patrimoniaux transférés
»11°2.
1024. La jurisprudence considere que l'existence de ce droit
est d'ordre public et d'a pplication im pérative1103. Cette
position ressort de la célèbre affaire de la colorisation d'un
film de John Huston, 4x Asphalt Jungle ». Dans
cette affaire, la Cour de cassation frangaise a considéré qu'en
refusant 4x aux héritiers d'un réalisateur
américain la possibilité de s'opposer a la version
colorisée d'un film au motif que la loi américaine sur les
contrats passés conclus entre le producteur et les réalisateurs
dénient a ces derniers la qualité d'auteurs »,
la Cour d'a ppel violait l'article L. 121-1 du Code de la
propriété
1101 Article 28 loi du 19 décembre 2000
1102 Article 12 alinéa 2 loi du 19
décembre 2000
1103 Pour une application jurisprudentielle du caractère
absolu et discrétionnaire du droit moral de l'auteur, voir Cass civ, 5
juin 1984, RIDA, avril 1985, P 150, RI 312, obs. Colombet.
intellectuelle aux termes duquel « lHauteur
jouit du droit au respect de son nom, de sa qualite et de son oeuvre. Ce droit
est attaché a sa personne. Il est perpetuel, inalienable et
imprescriptible. [...]1104».
1025. Ce pendant, le caractere inalienable ne signifie pas que
ces droits ne peuvent pas faire l'objet de renonciation. On concevra en effet
que renoncer prematurement a son droit de divulgation ou a son droit de re
pentir s'avere extremement dangereux pour les interets de l'auteur. En
revanche, un amenagement des droits au respect du nom et de l'oeuvre peut etre
tolerable.
Par le passe, une jurisprudence admettait sans aucune
condition la renonciation au droit de paternite et celle-ci s'im posait aux
heritiers de l'auteur1105. Ce qui est interdit, c'est la
renonciation globale a l'exercice d'un droit futur. Par renonciation globale
« on entend la renonciation a exercer le droit moral concerns
sous tous ses aspects, en toutes circonstances, quelle que soit l'atteinte qui
puisse y etre portee1106». L'auteur peut renoncer
a exercer un droit moral a l'egard d'une atteinte ponctuelle mais ce
renoncement ne doit pas etre definitif et general. Malgre son caractere
personnel, le droit moral de l'auteur ne doit pas etre assimile a un droit de
la personnalite bien que ces droits puissent se cumuler dans une action en
justice1107.
1026. Dans la multitude des droits moraux reconnus a l'auteur,
le droit au re pentir est celui qui est difficile a mettre en
oeuvre110J. La loi reconnait a l'auteur le droit de faire valoir ses
doutes ou ses scru pules quant a la divulgation de son oeuvre au public. Il lui
est permis « de mettre fin a la diffusion de son oeuvre et d'y
apporter des retouches1106 » ou tout sim plement
de mettre fin a un contrat de droits d'ex ploitation, même
regulièrement conclu, afin de recu perer l'oeuvre, soit pour la
soustraire a l'ex ploitation (retrait), soit pour la modifier (repentir).
Ce droit, qui constitue une garantie exce ptionnelle, permet a
l'auteur, quand il le desire, de retirer une oeuvre qui serait même
dejà publiee, mais n'est pas souvent utilise en
1104 Voir Civ. 1ère, 28 mai 1991 : Bull. civ.
I, n° 172 - D. 1993. 197, note Raynard. 1105 CA Paris, 9 juin 1964,
affaire Daudet, JCP 1965 II 14172, n. Françon.
1106 Fernand DE VISSCHER et Benoît MICHAUX
« Précis du droit d'auteur et des droits voisins »,
Ed° BRUYLANT Bruxelles 2000, N° 183, p 148. Pour ces auteurs, il ne
faut p as limiter la renonciation globale à celle qui porterait à
la fois sur les trois droits moraux consacrés par la loi ; chacun de
ceux-ci doit être considéré séparément. En
d'autres termes, est nulle la clause de renonciation à exercer à
l'avenir le droit à l'intégrité, sans autre
précision, quand bien même les deux autres droits moraux ne
seraient pas limités.
1107 A titre d'exemple, il suffit de voir la différence
de régime qui existe entre le droit moral et les droits de la
personnalité. Alors qu'on peut disposer ou céder un droit de la
personnalité par contrat, comme son droit à l'image, il n'est pas
permis de renoncer globalement à l'exercice de son droit moral.
1108 Si le repentir peut s'exercer facilement
auprès d'un distributeur ou d'un grossiste, qui dans ce cas, doit
retirer toutes les oeuvres conformément aux souhaits de l'auteur, la
difficulté consiste à exercer son droit quand plusieurs
exemplaires de l'oeuvre ont été vendus ou cédés. De
plus, les nouvelles formes de communication et de distribution ne facilitent
pas l'exercice de ce droit.
1109 Article 14, alinéa 1, d, loi du 19 décembre
2000.
pratique. En exergant ce droit, l'auteur risquerait de
provoquer un fort déséquilibre dans les relations contractuelles
qui l'obligerait a dédommager le bénéficiaire d'une
autorisation d'ex ploiter l'ceuvre « l'auteur ne peut exercer
le droit de retrait et de repentir... qu'~ charge de l'indemnisation prealable
du beneficiaire eventuel d'une
autorisation1110». Meme
si les hypotheses d'exercice de ce droit semble rare, c'est
interessant sur le plan intellectuel car cela montre que celui qui a la
propriete incorporelle l'emporte sur la propriete
corporellell"».
1027. Quoi qu'il en soit, a coté des droits moraux, il ya
aussi les droits patrimoniaux qui partici pent a la protection de l'ceuvre et a
la diffusion réglementée par l'auteur.
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