Section deuxième : L'organisation du
marché des télécommunications au Cameroun.
908 Article 3, alinéa 1 du décret
n°2002/092 du 8 avri l 2002 portant création, organisation et
fonctionnement de l'Agence Nationale des Technologies de l'Information et de la
Communication (A.N.T.I.C) au Cameroun.
909 Article 3, alinéa 1, op cit
910 Dans le cadre de ses missions, l'Agence est
notamment chargée de :
- Elaborer et suivre la mise en oeuvre de la stratégie
nationale de développement des technologies de l'information et de la
communication;
- Identifier les besoins communs des services publics en
matière d'équipements informatiques et logiciels;
- Veiller à l'harmonisation des standards techniques et
propose des référentiels techniques afin de favoriser
l'interopérabilité entre systèmes d'information ;
- Fournir son expertise aux administrations pour la conception et
le développement de leurs objets techniques ;
- Coordonner la réalisation et assure le suivi des sites
Internet, Intranet et Extranet de l'Etat et des organismes publics;
- Concourir à la formation technique des formateurs des
universités, lycées, collèges, écoles normales et
écoles primaires ;
- Participer aux actions de formation des personnels de l'Etat
dans le domaine des technologies de l'information et de la communication en
émettant des recommandations sur le contenu des formations techniques et
sur les programmes des examens professionnels et des concours.
890. Le marché des télécommunications au
Cameroun fait apparaitre une ré partition inégale en fonction du
service de télécommunications fourni. Dans le même temps,
un ensemble de princi pes permettent d'encadrer son fonctionnement.
Paragraphe premier : La répartition inégale
du marché de télécommunications.
891. Lors de l'ouverture du secteur des communications
électroniques a la concurrence, les marchés de la
télé phonie mobile et des « services a valeur
ajoutée > se sont dévelo ppés ra pidement
et de maniere relativement indé pendante. Dans le même temps, les
services de base comme le télé phone fixe, les infrastructures,
les liaisons numériques sont restées soumis a un monopole
déguisé, pourtant, ces services sont la matière premiere
avec laquelle on construit internet et la société de
l'information.
Nous aborderons ainsi, dans un premier temps, la concurrence
dans les infrastructures de télécommunications. Nous nous
intéresserons ensuite au marché du mobile et nous terminerons par
le marché de la fourniture d'acces internet.
A. Le marché des infrastructures : un
marché détenu par l'entreprise parapublique.
892. La position de CAMTEL sur le marché des
télécommunications au Cameroun est renforcée par sa
position prééminente sur les infrastructures de
télécommunications (boucle locale cuivre, fourreaux de
génie civil, fibre o ptique), sur lesquelles s'a ppuient l'ensemble des
o pérateurs pour servir le marché aval. Ce qui avantage CAMTEL
dans les zones oir les o pérateurs concurrents sont fortement dé
pendants de ces infrastructures.
1. La gestion monopolistique de la boucle locale par la
CAMTEL.
893. La boucle locale permet a un o pérateur de
pouvoir se connecter directement avec un abonné pour lui offrir des
services de télécommunications 911(comme par exem ple
le service de la voix). L'acces a cette boucle locale donne a l'o
pérateur la maitrise de la
911 Sur la boucle locale, cf supra n° 196 et
suiv, « le développement des réseaux de
télécommunications au Cameroun ».
relation commerciale avec son abonne ; ce qui en fait un enjeu
economique tres important en matiere de fourniture de service tele phonique ou
de service a valeur ajoutee. Dans le meme temps, elle est la partie la plus im
portante et la plus difficile : construire sur un reseau de tele
phonie912. Nous pensons qu'elle peut, a cet effet, etre consideree
comme une infrastructure essentielle indispensable pour la fourniture d'un
service de transmission de donnees a haut debit pour un acces permanent a
l'internet et pour des applications multimedia a partir de la technologie de
ligne d'abonne.
894. La boucle locale au Cameroun comme dans la plu part des
pays, a ete construite et financee par les pouvoirs publics pendant la periode
du monopole de l'Etat sur les telecommunications913. Ce pendant,
alors que le marche des telecommunications a ete liberalise de puis juillet
1998, cette boucle demeure encore aujourd'hui le monopole de l'entre prise para
publique CAMTEL, qui fournit l'ensemble du service de tele phonie fixe sur le
territoire et utilise meme la partie haute frequence de la ligne tele phonique
pour fournir des services ADSL a ces abonnes914.
895. Ce monopole deguise permet a la societe CAMTEL de
fournir une l'offre publique de telecommunications com prenant un service voix
grace a un ensemble de commutateurs tele phoniques en technologie analogique et
numerique a structure hierarchique a 5 niveaux, et un service de donnees par
paquets grace a son reseau CAMPAC pour la transmission des donnees X.25 avec
deux commutateurs numeriques : Yaounde et Douala et des concentrateurs d'acces
dans les chefs-lieux des provinces915.
896. Il n'existe, de ce fait, pratiquement pas de concurrence
dans la boucle locale916. Cela peut se justifier d'une part, par
l'investissement important lie a la construction d'une nouvelle boucle, et
l'inada ptabilite economique des technologies filaires existantes pour tout
nouvel arrivant917. Ainsi, tout nouvel o perateur qui souhaite
fournir un service de telecommunications ouvert au public se trouve dans une
alternative : soit il construit son pro pre reseau de boucle locale, soit il
utilise des infrastructures alternatives.
897. On a ainsi assiste a la construction des reseaux de tele
phonie mobile par les nouveaux o perateurs, ce qui a contribue a une baisse
significative du nombre d'abonnes
912 Firas Mamoun, op cit, p 283
913 En ce sens, cf. supra n° 92 et suiv,
« la gestion des télécommunications au Cameroun...
».
914 En ce sens, cf. supra n° 196 et suiv, «
le développement des réseaux de
télécommunications au Cameroun ».
915 La plupart de ces infrastructures sont obsolètes et
limitent considérablement les ressources de transmission nationale en
qualité et en capacité.
916 Ce qui pourrait conduire à des distorsions de
concurrence, susceptibles de limiter les gains d'efficacité et leur
transmission aux consommateurs.
917 En effet, le raccordement filaire d'un abonné est
un investissement très élevé qui ne peut pas se revendre
très facilement. Dès lors, construire une ligne filaire pour un
nouveau client peut être très risqué pour l'entreprise et
couteux, par exemple dans le cas d'une rupture du contrat avec
l'abonné.
de la societe CAMTEL sur la tele phonie filaire. A titre
d'exem ple, une etude realisee par l'A.R.T en 2007 a montre clairement une
diminution du nombre d'abonnes au filaire classique qui s'oriente vers les
services alternatifs offerts par les nouveaux o perateurs. Ce nombre serait
ainsi passe de 73 863 au 30 juin 2007 a 73 463 abonnes au 30 se ptembre 2007,
soit une baisse de 400 abonnes et une decroissance de 0.54 %918.
898. Pourtant, le develo ppement de concurrence dans la
boucle locale constitue aujourd'hui un enjeu important au niveau international
pour permettre aux o perateurs alternatifs d'atteindre les clients finaux et de
ployer ra pidement leur service en utilisant les infrastructures existantes.
C'est dans ce contexte qu'une recommandation de la Commission Euro peenne du 26
avril 2000, souligne qu'il est primordial de stimuler ra pidement la
concurrence sur ce secteur de marche dans la mesure oit cette infrastructure
peut etre utilisee pour empecher, limiter ou fausser la concurrence dans le
secteur des telecommunications. Cela a ainsi conduit a l'entree en vigueur d'un
reglement le 18 decembre 2000 dans la plu part des pays euro peens sous le nom
de degrou page de la boucle locale qui permet a tout nouvel o perateur d'entrer
en concurrence avec les o perateurs notifies en offrant des services de
transmission de donnees a haut debit ainsi que des services de tele phonie
vocale a partir de la technologie de ligne d'abonne numerique919.
899. Au Cameroun, l'ouverture de la boucle locale a la
concurrence n'est pas a l'ordre du jour920. Les autorites publiques
preferant plutot une concurrence basee sur les services de telecommunications
et un partage des infrastructures921, qui, selon eux, peuvent mieux
permettre d'assurer le develo ppement equilibre des reseaux de
telecommunications en faveur des usagers.
900. Cela a conduit a la signature, par les princi paux o
perateurs de telecommunications, d'un accord cadre sur le partage des
infrastructures de telecommunications au Cameroun le 13 decembre 2006. Cet
accord, signe sous la supervision de l'A.R.T, vise a permettre aux differents o
perateurs de mettre a la disposition des autres, suivant des accords
bilateraux, leurs infrastructures922 pour permettre une meilleure
extension des reseaux et eviter les investissements colossaux
918 Chiffres tirée des « Nouvelles de
l'ART », magazine d'information et d'analyse de l'ART, n° 21,
avril-mai 2008.
919 Voir Règlement (CE) n° 2887/2000 du
Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2000 relatif au
dégroupage de l'accès à la boucle locale.
920 Sur le fonctionnement du dégroupage, cf supra.
921 En ce sens, cf supra n° 338 et suiv sur
« le partage des infrastructures entre les opérateurs
»..
922 Il s'agit des infrastructures comme les bâtiments,
les pylônes, les antennes, etc.... Selon l'ART, les économies
substantielles engrangées par les opérateurs de
télécommunications à l'issue du partage des
infrastructures devraient permettre une baisse des coûts des appels et
une multiplicité des offres dans le domaine de la
téléphonie et de l'internet.
Pour les conditions du partage des infrastructures, cf. n°
335 et suiv.
qu'im pose l'installation de chacun d'eux, avec des consequences
techniques comme la saturation ou les interferences.
2. La gestion monopolistique de la fibre optique par la
CAMTEL.
901. Concernant la gestion de la fibre o ptique, la societe
CAMTEL beneficie de l'exclusivite pour la fourniture des ca pacites pour les
liaisons interurbaines aux autres o perateurs sur l'ensemble du backbone
national923. Cette exclusivite, accordee a titre provisoire et qui
deroge aux regles du marche924, n'est conferee ni par une loi, ni
par une ordonnance, ni même par un decret, mais par un arrête
ministeriel n°0005/MPT du 18 mai 2001.
902. La societe se trouve de ce fait dans une position de
juge et partie dans la conquête du marche national puisqu'elle fournit a
la fois les autres o perateurs en ca pacites et est concurrente de ces o
perateurs dans la fourniture des services. Ce qui peut se traduire par les prix
eleves dans la revente des ca pacites permettant d'influencer le marche de la
fourniture des services925, mais aussi par toutes sortes de
distorsions de concurrence, comme par exem ple des retards d'installation qui
donnent le temps a la societe de presenter ses pro pres
services926.
903. Les o perateurs concurrents denoncent cette exclusivite
qu'ils considerent comme ina ppro priee au regard des couts necessaires pour le
de ploiement com plet de la fibre o ptique sur les 5600 km dont le Cameroun a
besoin a court terme et au regard des ca pacites d'investissement tres limitees
de CAMTEL927.
904. En outre, les o perateurs concurrents posent une serie
de reserves sur la gestion et le fonctionnement de la fibre telle qu'elle
existe aujourd'hui. Ils mettent notamment en
923 Partie centrale d'un réseau de
télécommunications qui permet de connecter entre eux plusieurs
sous réseaux et sur laquelle des liaisons de plus faible capacité
de transmission sont raccordées. On distingue les réseaux
backbone nationaux, régionaux ou mondiaux lorsque ces artères
couvrent le territoire d'un pays, d'un groupe de pays ou l'ensemble de la
planète
924 Une convention de concession exclusive à
été signée entre l'Etat camerounais et la
société CAMTEL en 2003 et prolongée de 2 ans en 2005.
Cette exclusivité devait prendre fin quatre ans après la
privatisation de l'opérateur historique qui n'a pas connu un sort
définitif jusqu'à présent. Elle continue d'être
imposée aux opérateurs.
925 A titre de comparaison, alors qu'au
Congo-Brazzaville voisin, la bande passante internationale coûte
seulement 1 000 000 FCFA (soit 1500 €) pour 2Mb, au Cameroun, elle est
facturée à 2 560 000 FCFA (3902 €) soit plus du double. Les
coûts de bande passante représentent ainsi 37% des coûts des
opérateurs exerçant au Cameroun, contre seulement 12 à 15%
pour ceux installés dans des pays comme le Sénégal, la
Côte-d'Ivoire ou le Ghana
926 Pour une appréciation, cf
Décision de l'ARCEP n° 2 010-1232 en date du 16 novembre 2010 se
prononçant sur une demande de règlement de différend
opposant les sociétés Bouygues Telecom et France
Télécom et concernant l'offre de mutualisation de France
Télécom sur la fibre optique. Cf sur
http://www.arcep.fr/uploads/txgsavis/10-1232.pdf.
Consulté le 04 décembre 2010.
927 En ce sens, cf supra n° 142 et suiv sur « la
libéralisation effective des télécommunications au
Cameroun ».
cause sa fiabilite dans la mesure ou elle aurait ete posee a
certains endroits « a quelques centimetres du sol, sans
protection» au me pris des normes internationales en la
matiere. Il y a ensuite le probleme lie a la redondance sa fibre puisqu'il
n'est pas prevu de boucle de secours. En cas de probleme sur le trongon, tout
le pays se retrouverait coupe du reste du monde. Ce qui est arrive dans le
courant du mois de Janvier 2010 ou il etait impossible de se connecter au
« cm» pendant plusieurs jours.
De ce fait, les restrictions aux conditions d'acces a ce marche
exacerbe aujourd'hui ce risque, et pourrait conduire a terme a l'eviction de
certains acteurs.
905. Ce monopole a ainsi ete au centre d'un contentieux,
soumis a l'ART, dans lequel CAMTEL defendait sa concession face a un o perateur
concurrent qui souhaitait develo pper sa pro pre fibre d'une longueur de 81 km
a l'interieur de la ville de Douala pour interconnecter les sous-systemes de
son reseau et ameliorer la qualite de ses services.
Dans sa decision n°000113/Art/Dg/Dajci rendue le 11 aout
2009, l'ART a refuse de donner droit aux arguments de CAMTEL en precisant
qu'«au cas ou les prescriptions reglementaires (..) sont
respectees, tout operateur des telecommunications peut realiser des tranchees
sur la voie publique pour la pose des fourreaux et fibres
optiques». Cette decision permet a l'ART d'affirmer
publiquement que CAMTEL n'a pas le monopole de la fibre o ptique au Cameroun,
même si elle enjoint a l'o perateur concurrent de cesser ses travaux de
de ploiement928.
906. Dans ces circonstances, la question de la gestion de la
fibre o ptique est au centre des reflexions des pouvoirs publics qui
considerent que CAMTEL doit se com porter en o perateur de service comme les
autres et doit se pre parer a la concurrence. Il est ainsi question de creer
une societe d'infrastructure qui serait chargee de gerer les problemes de
transport des signaux des donnees, de l'image et de la voix. Il s'agirait d'une
societe neutre, denommee SITELCAM, qui serait chargee de develo pper la fibre o
ptique et de la mettre a la disposition de tous les o perateurs929
même de CAMTEL. Selon l'autorite administrative, cela permettrait a
CAMTEL « de se consacrer au développement et a la
commercialisation des services tout comme les autres opérateurs des
télécommunications930», et
« de ne plus se contenter de sa situation de rentier,
c'est-hdire la possibilité qu'elle a actuellement d'être
fournisseur exclusif de capacités931 1+
928 Bien que l'ART reconnaisse que CAMTEL n'a pas
le monopole sur la fibre optique au Cameroun, elle enjoint cependant à
l'opérateur concurrent de cesser les travaux de déploiement de sa
fibre optique au motif d'une part que celui-ci n'aurait pas respecté les
spécifications techniques de génie civil des réseaux de
télécommunications, et d'autre part, qu'il n'aurait pas
respecté les conditions posées par le décret du 23
décembre 1977 relatif à la protection des câbles de
télécommunications ou électriques, des conduits d'eau ou
de gaz, des réseaux d'assainissement ou d'autres équipements de
même nature ; décret qui exige à tout opérateur de
s'adresser à l'ensemble des partis intéressées par le
déploiement de la fibre optique, pour recueillir leurs avis et leurs
approbations.
929 C'est l'option choisit par des pays comme le
Sénégal.
930 BELLO BOUBA Maigari, Ministre des Postes et
Télécommunications au Cameroun, Conseil de Cabinet de janvier
2009
907. En conclusion, en de pit des contentieux et des
contestations des o perateurs concurrents, CAMTEL demeure encore aujourd'hui
l'acteur dominant sur le marche de la fibre o ptique au Cameroun, en attendant
que les mesures concretes qui pourraient inciter les acteurs a investir soient
prises par les autorites nationales pour mettre fin a cette situation et
permettre le develo ppement d'une concurrence durable au benefice de
l'usager.
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