B. Une vision hétérogène de la
régulation.
813. Plusieurs visions sont develo ppees pour justifier le
choix d'une forme de regulation plus qu'une autre. Ces visions ont en commun de
reconnaitre internet comme un es pace global et transfrontalier mais different
sur la fagon de le reglementer. Ainsi, se croisent la vision reglementaire, la
vision cooperative, la vision contractuelle et la vision libertaire de la
regulation.
échanger des points de vue sur des centres
d'intérêts ou sujets communs. Ces sujets sont soient proposes par
les membres de la communauté soit par le modérateur du forum. Le
modérateur joue ici le rôle d'arbitre et veille au respect des
règles relatives au forum et écarte le cas échéant,
les courriers non conformes. Par sa procédure préalable
d'abonnement, le forum peut être ouvert à tous ou restreint
à une catégorie de personne.
831 Les règles soumissent à
l'acceptation de tout nouvel arrivant dans la communauté sont souvent
tirées de l'éthique et de la morale quotidienne.
832 Le Sommet mondial sur la société
de l'information (SMSI) s'est déroulé en 2 phases. La
première phase, accueillie par le Gouvernement suisse, a eu lieu
à Genève du 10 au 12 décembre 2003 et la deuxième
phase, accueillie par le Gouvernement tunisien, a eu lieu à Tunis du 16
au 18 novembre 2005.
833 En effet, l'article 39 de la loi de 1998 sur les
télécommunications reconnaît aux associations
d'utilisateurs agrées le pouvoir de saisir l'A.R.T pour voir sanctionner
les opérateurs de télécommunications qui manqueraient
à leurs obligations.
834 C'est, en tout cas, le rôle joué par
une association dénommée «
forum.net » qui
organise régulièrement des forums consacrés à
l'usage des TIC au Cameroun.
1. La regulation reglementaire ou
étatique
814. Cette vision reglementaire fait entrer internet et la
societe de l'information dans le domaine d'intervention de l'Etat qui doit
organiser sa regulation a travers les sources formelles du droit que sont les
traites internationaux, les directives et reglements communautaires, les lois
et decrets.
Selon les tenants de cette vision, le fait de confier aux
seuls acteurs le soin de definir les regles d'internet reviendrait a donner aux
interets les mieux organises (comme les grands grou pes et les grandes
enseignes detenant un fort pouvoir economique) une influence dis pro portionne
sur la definition des regles ou des pratiques de reference. Or, les
lois835 sont le fruit d'un travail muri et concerte et sont
considerees comme suffisamment tres im portantes pour etre confiees a des
personnes non ex perimentees. La regulation doit alors revenir aux pouvoirs
etatiques qui, ont la competence et le pouvoir d'elaborer les regles regissant
internet dans son ensemble et seuls, dis posent de la legitimite et de la re
presentativite necessaire pour traiter des questions juridiques posees par ces
multiples usages. Ce pouvoir peut etre partage entre l'autorite legislative et
le pouvoir reglementaire dans les domaines precis et dans le cas d'une
situation nouvelle, le legislateur peut toujours intervenir dans le processus
pour clarifier ou completer les regles la ou la necessite s'im pose.
815. De ce fait, si internet apparalt aujourd'hui comme un
domaine ou la decentralisation de la regulation est forte, il s'agit en meme
temps d'un es pace dans lequel l'Etat continue de garder un grand pouvoir de
normativite. Ainsi, dans la mesure ou internet n'est pas encore un substitut
parfait aux services reseaux traditionnels comme le telephone, la radio ou meme
la telediffusion, les reglementations et regulations etatiques en vigueur
demeurent executoires.
816. L'observation de la realite quotidienne nous permet
alors de voir qu'à l'interieur des territoires des Etats, cette vision
reglementaire constitue une realite desormais bien etablie et se traduit par la
multiplication des interventions legislatives dans les matières
d'internet. C'est par exem ple le cas des legislations nationales concernant le
develo ppement du commerce electronique, de la protection des droits d'auteurs
dans l'univers numerique, des regles visant a la protection du consommateur,
etc... C'est aussi
835 Le terme `'lois'' désigne ici
l'ensemble des textes, lois, et règlements issus des pouvoirs
étatiques et ayant pour but de réglementer une activité du
réseau.
le cas de la definition des normes techniques et, surtout, la
gestion du systeme d'adressage ou de numerotation qui demeurent encore une
affaire des Etats.
Ce pendant, cette vision souffle d'une part, des limites
frontalières des Etats836, et d'autre part, des limites
intrinseques de la loi pour gerer des questions techniques necessaires au bon
fonctionnement d'internet et de la societe de l'information. Cela contribue a
la promotion des autres visions de la regulation.
2. La regulation cooperative ou coregulation.
817. La coregulation fait reference a une vision consensuelle
de la regulation et se fonde sur l'idee que puisque les pouvoirs legislatifs et
reglementaire sont trop lents dans l'elaboration de la loi ou trop peu au fait
des realites techniques, il faut combiner son action regulatrice avec celle im
portante des autres acteurs. Elle se base sur l'idee que le develo ppement de
la societe de l'information et son usage posent des questions juridiques,
techniques et de societe inedites, qui trouvent des re ponses a la fois dans la
regulation privee, par les initiatives des acteurs economiques et sociaux et
dans la regulation publique, par les procedes democratiques de droit commun que
sont les interventions des pouvoirs legislatif, executif et judiciaire.
818. Cette vision, qui reconnait a la puissance publique le
pouvoir d'edicter les regles, preconise la creation d'une instance de
concertation reunissant les usagers, les acteurs economiques et les autorites
publiques « afin qu'ils travaillent ensemble sur les questions
posées par les réseaux837 * pour un
echange permanent et fourni de maniere a soulever les questions im portantes, a
les instruire plus ra pidement en tenant com pte de la dimension technique
ainsi que de la realite et de l'evolution des usages. Selon le professeur
Michel VIVANT, « c'est a plusieurs sources qu'une efficace et
légitime régulation du net doit s'abreuver, ce sont plusieurs
acteurs qui ont vocation a intervenir838*.
836 TGI Paris., réf., 20 nov. 2000,
Yahoo !, N° 00 /053 08 ; Cahiers LAMY, déc., 2000(H), p.1,
obs. Séballian. Yahoo ! proposait sur son site
d'enchères publiques des objets nazis. Le site étant accessible
en France, les associations anti-racistes françaises l'assignent devant
le juge des référés parisien. Le juge se déclare
compétent et juge la loi française, prohibant de telles pratiques
applicables alors qu'aux Etats-Unis, lieu d'origine du site, la promotion de
tels objets est parfaitement licite.
La limite frontalière de la régulation a
été au centre des débats lors du Sommet Mondial sur la
Société de l'Information qui s'est tenue à Genève
du 10 au 12 décembre 2003. Sommet au cours duquel certains Etats non
occidentaux (Chine, Brésil, Afrique du Sud entre autre) se sont
prononcés pour une gestion intergouvernementale d'internet avec le
transfert de l'intégralité des pouvoirs de l'ICANN à l'UIT
ou à l'ONU. Cependant, cette demande n'a pas recueillit l'aval des
Etats-Unis qui prône plutôt une réglementation minimum des
Etats et un rôle accrue du secteur privé dans la
régulation. Pour eux, il convient de limiter le domaine d'intervention
étatique aux domaines sensibles tels que la sécurité de
l'Etat et les intérêts nationaux des industries de contenus et des
logiciels qui nécessiteraient une réglementation contraignante,
et laisser le domaine des produits et des services à la
réglementation des acteurs privés (majoritairement
américains).
837 En ce sens, cf Falque-Pierrotin I, op cit, Le Monde 1999, p
17.
838 En ce sens, M Vivant et alii, op cit, p 1405,
n° 2 367
819. La corégulation apparalt alors comme un lieu oit
peut se construire un consensus entre les divers acteurs de la
régulation et combinant autoréglementation et
réglementation étatique839. Il s'agit entre eux
« d'echanger des informations, de se coordonner, de constituer
une instance de veille, d'information, de concertation, de conseil et de
mobilisation84° ». C'est de fait, la
position défendue par Christian Paul, dans un rapport au Premier
Ministre Francais portant sur les droits et des libertés sur l'internet
: « Si les institutions democratiques veulent remplir leur
role sans se trouver court-circuitees par la realite, elles doivent etre
capables de traiter les questions posses avec la rapidite et la pertinence
necessaire. Elles doivent le faire en ecoutant d'avantage, en collaborant mieux
avec l'ensemble des acteurs et les parties prenantes au debat841
>>.
820. A l'analyse, la corégulation nous semble le mode
de régulation le plus ada pté : internet parce qu'il permet de
prendre en com pte les réalités du réseau (détenues
par les différents acteurs) et de concilier les intérêts de
chaque acteur par la concertation.
821. Cette corégulation a largement été
utilisée en France dans le cadre de l'élaboration de la loi pour
la confiance dans l'économie numérique(LCEN) du 21 juin
2004842. Des avis ont été demandés aux
différentes autorités de régulations com
pétentes843, les organisations professionnelles ou re
présentantes des utilisateurs ont également été
écoutées, de même qu'un forum de discussion, le Forum des
droits sur internet, a même été mis a la disposition de
tout internaute844. Enfin, le débat parlementaire a permis
d'amender largement le projet de loi au point de voter en faveur de la
création d'un droit s pécifique a l'internet et aux
communications numériques. Toutes ces consultations ont permis a
l'Assemblée Nationale et au Sénat de ré pondre aux
attentes des acteurs en soustrayant les services en ligne du régime de
la communication audiovisuelle ou en aménageant la res
ponsabilité des prestataires techniques845. Nous pensons que
la corégulation offre a terme, une solution au probleme de la
légitimité a réguler dans la mesure oit chaque acteur se
sent écouté.
839 Sur la corégulation, la France est l'un
des premiers pays à avoir adopté des textes consacrant la
corégulation comme approche adéquate de la réglementation
des activités sur le réseau internet. Cela a aboutit à la
création d'une association qui ne dispose d'aucune prérogative de
droit public et à but non lucratif appelé « Forum des
droits de l'Internet ». L'association offre un espace de
sensibilisation, de consultation et d'incitation au débat public aux
personnes morales, publiques ou privées et ses initiatives ne manquent
pas d'avoir des retombées concrètes en termes de
régulation. Elle a notamment initié une réflexion sur le
P2P qui a abouti le 28 juillet 2004, à la signature de la Charte
d'engagement pour le développement de l'offre légale de musique
en ligne, le respect de la propriété intellectuelle et la lutte
contre la piraterie numérique.
840 I. Falque-Pierrotin, « Quelles
régulations pour Internet et les réseaux ?», le Monde,
27 nov. 1999,
841 Christian Paul, op. cit. p 75 et suiv.
842Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la
confiance da ns l'économie numérique. Consultable sur
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000801164.
Consulté le 28 octobre 2010.
843 Il s'agit de l'ARCEP, du CSA et de la CNIL.
844 Il s'agit du forum des droits sur internet consultable sur
http://www.foruminternet.org/. Consulté le 28 octobre 2010.
845 En ce sens, voir supra n° 361 et suiv sur « le
régime spécifique des prestataires de service de la
société de l'information ».
3. La régulation contractuelle ou
autorégulation
822. L'autoregulation, qui est un refus de toute intervention
des autorites etatiques, considere que internet est un es pace social dans
lequel les regles de conduite peuvent permettre de maintenir un equilibre. Pour
les tenants de ce courant, la definition des regles ne peut a ppartenir a
l'Etat puisque la nature premiere d'une regle autoregulatrice est d'être
volontaire, c'est-b-dire de ne pas etre obligatoire et contraignante au sens ou
peut l'etre une norme etatique et « fait reference aux normes
volontairement developpees et acceptees par ceux qui prennent part a une
activite6 A>. On consent a adherer a de telles
normes parce qu'elles presentent plus d'avantages que d'inconvenients.
823. De ce fait, internet est capable de se reguler tout seul
a travers une res ponsabilisation des utilisateurs, techniciens ou non. En
d'autres termes, sans aucune contrainte etatique, les acteurs, membres d'une
communaute ou d'un grou pe peuvent accepter librement et volontairement de se
soumettre a certaines regles qui decoulent d'un consensus et qui sont elaborees
dans leur interet. L'exem ple le plus concret concerne l'interconnexion de
l'internet ou peering qui est de puis l'origine un es
pace d'autoregulation entre les divers acteurs technique de la chaine pour leur
trafic mutuel. Chaque fournisseur est a la fois inde pendant et dependant de
tous les autres, et puisqu'il n'existe pas d'autorite commerciale qui
regenterait internet, ni un point central d'ob on pourrait controler le trafic
et les acces, ils ont alors interDt a coo perer et a maintenir la connectivite
globale fonde sur des regles de com portement partiellement non ecrites, meme
si elles sont le plus souvent d'une grande o pacite.
824. Cette conception, qui a longtem ps ete presentee comme
la seule alternative aux lacunes des reglementations etatiques est aujourd'hui
largement utilisee dans les communautes (forum de discussion, divers reseaux
d'echanges, etc...) pour lesquelles les membres s'auto engagent a une certaine
ligne de conduite, en vue de limiter les pratiques contestables au moyen d'une
intervention qui se veut com plementaire a la mise en ceuvre des dis positifs
legislatifs et reglementaires.
Toutefois, même si l'internationalisation des relations
rend difficile l'a pplication des lois, il n'en demeure pas moins que chacun
des membres de la communaute reste soumis a la
846 Trudel Pierre, « les effets juridiques de
l'autoréglementation », Revue de Droit de l'Université
de Sherbrooke (RDUS) 1988- 89, p. 247, cité par Lamy Droit des
Médias et de la communication, 2009.
loi de l'etat dans lequel il reside847. De plus,
les normes autoregulatrices presentent cet inconvenient de s'a ppliquer a un
cercle restreint de personnes bien determine, quoique residants dans de pays
differents. En outre, reconnaitre aux seuls acteurs la ca pacite de
s'autoreguler revient a oublier la nature de tout individu, souvent tourne vers
des interêts personnels egoistes.
4. La regulation libertaire ou multi
regulation.
825. La multi regulation entend mettre en exergue le
pluralisme des formes de la regulation qui considere que la societe de
l'information est un « deuxieme monde »
inde pendant n'obeissant pas aux memes contraintes que le «
premier monde » et qui doit echa pper a tout schema etatique
totalisant848. Ainsi, autant il est impossible d'elaborer des regles
qui s'im poseront a tous les usagers, autant il est tout aussi impossible que
ces regles puissent s'a ppliquer a toutes les situations de cette societe. Dans
ce cas, non seulement toute reglementation serait un echec a cause de la
virtualite du reseau, mais surtout elle contribuerait a entraver les o
pportunites que la societe de l'information offre a l'individu. Cette
conception est largement diffusee dans de nombreux sites et reprise par de
nombreuses revues, comme par exem ple la revue americaine WIRED qui milite pour
limiter autant que possible, l'intervention du gouvernement dans la vie
publique849.
826. La multi-regulation apparait ainsi donc comme une
reponse pertinente qui veut recourir a differentes sources de regles situees a
differents niveaux en fonction des objets a reguler, permettant ainsi de former
un maillage. Comme le fait remarquer Philippe Amblard, la multi regulation
illustre « la concurrence des sources du droit de
l'internet85° ». Dans ce cas, il ne s'agit
plus de se demander si tel ou tel va intervenir, mais quels sont ceux qui
concurremment sont fondes a partici per, a un titre ou a un autre, a la
regulation du net851. A chaque situation du reseau correspond une
regle s pecifique et a chaque communaute, correspond des regles s pecifiques a
a ppliquer. L'existence d'une multitude de communaute favorise l'elaboration
d'une pluralite de princi pes qui constitue autant de regles qui s'a ppliquent
a leurs membres.
847 Cela étant, l'auto-régulation
n'échappe donc pas à l'Etat, même si elle ne relève
pas d'une intervention active et directe de ce dernier.
848 M. Vivant et alii, op cit, n° 2380, p
1409.
849 http://www.wired.com/. Consulté le
15 octobre 2010.
850 Ph. AMBLARD, « Régulation de l'internet,
l'élaboration des règles de conduite par le dialogue
internormatif », Cahiers du CRID, Bruylant 2004, n° 497, p
461.
851 M. Vivant et alii, op cit, p 1405, n°
2368.
827. Cette vision libertaire, qui refuse toute balisation
normative et qui accorde une grande importance a la conscience humaine est
largement utilisée de nos jours pour certains usages d'internet. Ainsi,
des usagers qui refusent toute autorité n'hésitent plus a
s'introduire dans les systemes, pro pager des virus, télécharger
gratuitement des musiques, des données personnelles, etc... On trouve
même un certain nombre d'individus prêts a défendre
l'idée selon laquelle les oeuvres de toute nature, mêmes
protégés par le droit d'auteur, n'a ppartiennent a personnes et
que sur internet, la diffusion de toutes les oeuvres doit être possible
sans restriction (il suffit de voir les astuces mises en place par les
internautes pour télécharger illégalement les films sur
internet malgré les sanctions mises en place notamment par
l'HADOPI852).
Toutefois, cette configuration libertaire a une incidence sur
la régulation puisqu'elle permet de mettre a jour des failles de
sécurité et de dévelo pper les débats sur la
protection des libertés853, faisant entre la
régulation dans un processus de formalisation.
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