Paragraphe deuxième: Une expression de la
complémentarité des valeurs
792. Internet, support essentiel de la société
de l'information, est investi et traversé par différents acteurs
tantôt com plémentaires, tantôt antagonistes. Il s'ensuit
une pluralité d'acteurs qui cherchent a universaliser leurs pro pres
valeurs pour conserver une marge d'action qui leurs permettrait de partici per
a sa configuration. Cela produit alors une vision
hétérogène de la régulation.
A. Les différents acteurs dans le processus de
régulation.
813 En ce sens, P. AMBLARD, op cit.
814
Cf, n° 822 et suiv sur « la régulation
contractuelle ou autorégulation ».
815 En ce sens, M Vivant et alii, op cit, p 1407, n° 2
374.
816 En ce sens, cf infra n° 813 et suiv sur « une
vision hétérogène de la régulation ».
793. Parmi ces acteurs, on trouve, pale male, le pouvoir
etatique, qui, par l'intermediaire de son organe institutionnel, tente d'im
poser une ligne de conduite aux o perateurs, les acteurs techniques qui tentent
d'im poser des regles d'a pplication universelle, les usagers qui se
prescrivent des com portements dans l'utilisation des applications
d'internet.
Par ailleurs, on constate de plus en plus que des associations
commencent a s'interesser aux questions du reseau et tentent d'influencer son
fonctionnement en accom pagnant les autres usagers ou les pouvoirs publics,
dans la mise en place des regles.
1. Les instances traditionnelles nationales de
regulation
794. Les instances traditionnelles font partie des organes qui
influencent la regulation d'internet en general.
En effet, par leurs com petences ciblees, elles sont chargees
de controler les activites qui se deroulent dans leur domaine de com
petence817 et elaborent des regles qui vont s'im poser aux acteurs
exergant dans le domaine de competence concerne. Cela fait penser tantot a une
regulation plurielle818 tantot a une interregulation819
qui ne peut etre efficace que si elle « conduit a etablir des
relations entre ces autorites, de sorte qu'elles conservent leur autonomie mais
qu'elles se prennent en consideration les unes les
autres82° »
795. La particularite des regles de ces instances reside dans
leur caractere im peratif et contraignant qui s'im pose a tous les acteurs du
domaine concerne. Ce pendant, nous avons vu qu'elles sont limites par la
territorialite des Etats. Toutefois, la regulation des instances
traditionnelles est im portante dans la coordination des activites des autres
acteurs pour fixer, notamment les regles de concurrence objective.
2. Les acteurs techniques mondiaux dans la
regulation.
817 Ainsi par exemple au Cameroun, le cas de l'ART, de
l'ANTIC, de la CNC.
818 En ce sens, M Christian Paul, « Du droit
et des libertés sur l'internet », Doc fr. 2000, p 65.
819 FRISON-ROCHE M-A, « Internet et nos droits
fondamentaux », PUF, 2000.
820 FRISON-ROCHE M-A, op cit, citée par « Lamy
Droit de l'informatique et des réseaux », op cit, p 1406,
n° 2371. Mme FRISON-ROCHE propose ainsi de mettre en place une
procédure qui assure la coordination de ces instances et que l'on fasse
en sorte que ces cumuls de compétences ne
dégénèrent pas en confusion.
796. Les acteurs techniques mondiaux sont tres presents dans
la regulation de la societe de l'information. Des regles de toute nature
elaborees par ces acteurs techniques servent de vecteur principal pour la
regulation d'internet.
797. En effet, la connectivite mondiale repose sur une
garantie d'unicite des noms de domaine et des adresses IP, cela exige que des
organismes etablissement des normes : respecter pour transmettre des donnees
sur internet.
Ainsi, les routeurs, les hebergeurs, res ponsables de reseaux
et les grands fournisseurs d'acces (il s'agit des princi paux fournisseurs
d'acces internet mondiaux qui rendent possible l'acces a internet a l'ensemble
de la planate) elaborent des princi pes et des normes qui s'im posent comme en
valeurs normatives821. Toutefois, ces acteurs techniques n'ont leur
place dans la regulation que dans la mesure oa ils elaborent des regles
efficaces qui partici pent d'une meilleure previsibilite des relations.
798. Au niveau mondial, c'est le cas notamment de
l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers
(ICANN)822 qui est charge de gerer les attributions des numeros
Internet Protocol (IP) et les contentieux relatifs
aux noms de domaine. C'est aussi le cas de l'Internet Ingeneering
Task Force (IETF) charge de gerer la normalisation des protocoles
de communication, et du World Wide Web Consortium
(W3C) qui g$re la normalisation des langages multimedia utilises sur
internet.
799. Toutefois, ces organismes sont assez limites dans leur
champ d'action et ne dis posent guere des moyens necessaires et suffisants pour
exercer leur pouvoir de maniere effective.
Ainsi par exem ple, des organismes comme l'IETF et du W3C sont
plutôt des dis positifs de partage de develo ppement technique et
n'obligent pas les utilisateurs et les o perateurs de telecommunications par
leurs recommandations.
Ensuite, le statut de ces organismes est assez ambigu. Bien
qu'ils soient censes assurer la regulation d'un reseau devenu mondial, ils
restent soumis au droit americain, ce qui peut fragiliser leur position.
Enfin, l'essentiel de leurs recommandations ne concerne que
l'as pect technique des reseaux, et laissent de cote la regulation des usages
qui sont tout aussi im portants dans le fonctionnement de la societe de
l'information.
821 Les standards élaborés par ces
organismes peuvent être une source normative, dans le sens où
elles deviennent des règles qui s'imposent aux internautes. Un contrat
efficient quant à la régulation du service en ligne sera celui
qui rappellera les lois et les règles de bon comportement à
suivre en les adaptant aux contextes offerts par le service en ligne.
822 L'ICANN est un organisme sous tutelle américain,
crée en décembre 1998 en remplacement de l' « Internet
Assigned Numbers Authority - IANA». L'ICANN est un prestataire
technique ayant la charge de régler les contentieux de noms de domaine.
Ce règlement se fait à partir de la référence aux
« principes directeurs » qui ont été
complétés le 24 octobre 1999 par des règles d'application
« pour le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de
domaine ». Il s'agit des règles de procédure fixant les
modes de communication à adopter, la manière de présenter
la plainte, les conditions de notification, de réponse et la langue de
la procédure. L'ICANN fait partie d'un ensemble d'organisme dit de
« non profit private sector corporate » (sorte d'association
à la française) qui ont supplées au retrait des organismes
publics américains dans la régulation de l'Internet devenu
économiquement trop lourd à gérer.
Ce pendant, il n'en demeure pas moins que leur role dans la
regulation globale reste tres important.
3. La regulation individuelle des autres acteurs de
l'internet
800. Dans la regulation individuelle, les autres acteurs, o
perateur technique ou simple usager, contribue a renforcer le caractere
dissuasif de la regle, et depend de la volonte de chacun de se soumettre a
l'ensemble de ses dispositions.
3.1 Le role individuel de chaque acteur technique
national.
801. En mettant a la disposition des usagers certains
services (par exem ple comme l'acces ou l'hebergement), les acteurs techniques
nationaux (le cas des o perateurs des telecommunications) im posent certaines
regles qui contribuent a mettre en place une sorte de regulation des
activites.
Cela se fait generalement par la mise a la disposition des
usagers, des conditions generales d'utilisations (dans un contrat ou dans la
page d'accueil d'un service en ligne), souvent precedee d'une serie de
questions/re ponses destinee a eclairer l'usager sur une utilisation normale du
service qui doivent etre acce ptees par l'utilisateur du service (meme si dans
la pratique, ces conditions generales ne sont pas toujours lues). Il arrive
dans certains cas, comme l'acces a un service en ligne, que c'est l'acce
ptation de ces conditions generales qui conditionne l'acces au service.
802. Par leur position technique leur donnant la possibilite
de connaltre aussi bien l'identite des usagers que le contenu du trafic, ces
acteurs sont en mesure d'im poser le respect des regles qu'ils edictent.
Toutefois, on peut neanmoins regretter qu'il n'existe pas de procedure pour
controler si l'utilisateur res pecte bien les conditions generales
d'utilisation auxquelles il a adhere. On a alors l'im pression que la presence
de ces conditions vise souvent a respecter une obligation d'information im
posee par la loi qu'a exercer un reel pouvoir normatif sur les activites.
803. Dans le cas du Cameroun, malgre nos recherches, nous
n'avons pas pu entrer en possession des regles de fonctionnement des acteurs
techniques qui auraient pu nous renseigner sur le role qu'ils jouent dans la
regulation nationale.
3.2 Le role de l'usager dans la regulation.
804. L'usager, principal utilisateur, peut contribuer a definir
une configuration normative de la societe de l'information.
Dans un cas, par la liberte qu'il se donne, l'usager cree des
controverses et des debats sur le statut legal des echanges et sur le statut
juridique des droits, qui permettent de faire avancer la question de la
regulation. A titre d'exem ple, nous avons encore en memoire les multiples
rebondissements de la loi Creation et Internet en France, qui institue la Haute
Autorite pour la Diffusion des cEuvres et la Protection des Droits sur
Internet823 (HADOPI), chargee de controler les telechargements sur
internet et de sanctionner les usagers qui contreviendraient aux dispositions
legales.
805. Dans un autre cas, les usagers peuvent se reunir en
communaute et elaborer des regles auxquelles ils vont se soumettre, les com
portements qu'ils jugeront indecents et les sanctions qui y seront a pportees.
L'adhesion a la communaute est alors conditionnee par l'acce ptation de ces
regles. Le pouvoir normatif de ses communautes depend, en grande partie, de
leur influence. Il existe ainsi des communautes institutionnelles824
bien structurees, s pecialisees dans la defendre de certains interêts
determines qui detiennent un reel pouvoir normatif sur les reseaux.
4. L'influence du mouvement associatif dans la
regulation.
806. Le mouvement associatif est tres present sur internet et y
pratique des activites de nature differente pour la promotion et la realisation
de divers objectifs825. Même si des auteurs comme Philippe
AMBLARD ne leur reconnaissent pas un quelconque pouvoir normatif826,
on ne peut pas, comme cela, ignorer l'influence que les associations peuvent
jouer sur la reglementation de la societe de l'information. De fait,
certaines
823 La Haute Autorité pour la Diffusion des
OEuvres et la Protection des Droits sur Internet (HADOPI), est une institution
française qui est chargée de contrôler le réseau et
de sanctionner le partage de fichier en P2P au mépris des lois sur les
droits des auteurs et des créateurs.
824 Ces communautés sont qualifiées
d'institutionnelles parce qu'elles acquièrent une personnalité
juridique qui rend leur existence légale et contribue à leur
donner un certain pouvoir auprès des institutions. Le
phénomène de regroupement en communauté se
généralise dans tous les domaines de la recherche.
825 On peut citer par exemple l'usage que certaines associations
font d'internet comme outil de mobilisation ou de propagande.
826 Selon Philippe AMBLARD « il ne suffit pas qu'une
association utilise l'Internet dans la promotion de son objet pour devenir un
acteur de sa régulation ». Pour lui, de telles associations
sont celles ouvertes sur la société qui s'apparentent plus
à des mouvements militants et qui fédèrent ses membres par
l'utilisation de l'Internet et de ses outils. En ce sens, cf Philippe Amblard,
op cit, n°97 page 84
associations sont de veritables relais d'ex pression et militent
pour que les protections garanties par les Etats s'a ppliquent pleinement sur
internet au benefice de l'utilisateur.
807. Ainsi en est-il des associations qui militent pour la
protection des droits des personnes et qui contribuent a alerter les usagers
sur les risques de derives lies a une utilisation anarchique de leurs donnees
sur le reseau. C'est par exem ple le cas de l'Association Frangaise des Corres
pondants a la Protection des Donnees Personnelles (AFCDP) dont l'une des
missions consiste a informer et sensibiliser toute personne physique ou morale
sur l'existence, le statut et les missions des corres pondants a la protection
des donnees personnelles.
808. Il existe aussi des associations qui interviennent sur
des aspects tres s pecifiques des activites de la societe de l'information et
peuvent exercer des pressions sur les pouvoirs economiques et etatiques
aboutissant, le plus souvent, a de veritables reglementations sur des questions
s pecifiques de societe. Elles peuvent aussi mener des actions de lobbying en
intervenant au sein des organismes charges par les pouvoirs publics de mener
une reflexion sur la regulation, ou mener des cam pagnes a fort retentissement
en faveur des thematiques relatives a la regulation.
809. Pour illustrer notre propos, nous pouvons citer
l'influence jouee en France par l'association IRIS (Imaginons un Reseau
Internet Solidaire) qui est tres attentive au develo ppement d'un internet non
marchand et a ses enjeux sur les libertes publiques. Elle produit
regulièrement des contributions significatives sur les usages et les
pratiques d'internet827. Il y a aussi l'influence significative du
Forum des droits sur internet qui , grace a ses contributions tres suivies, a
pporte une reponse originale pour reguler internet a travers l'identification
de l'ensemble de sa problematique juridique828. Son implication dans
l'evolution d'internet est reelle, ce qui lui vaut d'être
regulièrement consulter pour des questions s pecifiques829.
Sur un tout autre plan, on peut citer les actions menees par les associations
comme la LICRA ou la ligue des Droits de l'Homme qui exercent une sorte de
veille anti raciste sur internet.
810. A cote de ces associations institutionnalisees, il
existe aussi d'autres associations informelles qui jouent un role important
dans la normalisation du reseau. C'est le cas par exem ple des communautes
issues des forums de discussion830 qui determinent et s'im posent
des normes831 pour l'echange et la reflexion au sein du forum.
827 Voir site http://www.iris.sgdg.org/.
Dernière consultation le 08 octobre 2009.
828 http://www.foruminternet.org/. Consulté le 28
octobre 2010.
829 En ce sens, voir Isabelle Folque-Pierrotin,
« lutter contre le racisme sur internet », rapport du Forum
des droits sur Internet au Premier Ministre, Doc, française, Janvier
2010.
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/104000035/0000.pdf,
consulté le 23 février 2010.
830 Les forums de discussion regroupent aussi bien
ici les forums de nouvelles ou newsgroups que les listes de diffusion.
Ce sont des forums qui se forment en vue de discuter sur certains sujets de
sociétés. Ils peuvent ainsi débattre, converser,
811. Cette implication du mouvement associatif dans les
debats relatifs a la regulation d'internet a conduit les Etats a l'associer aux
travaux du Sommet Mondial sur la Societe de l'Information832. Meme
si au cours des travaux, les associations ont ete ecartees des negociations im
portantes, il n'en demeure pas moins que cela marque une certaine
reconnaissance de leur influence dans la construction de la regulation de la
societe de l'information.
Au Cameroun, le mouvement associatif n'est pas encore present
dans la construction d'un cadre normatif du reseau, meme si la loi lui
reconnait une influence dans le controle des activites des o perateurs de
telecommunications833. Tout au plus, par certaines actions
ponctuelles et annuelles834, il tente d'integrer les technologies de
l'information et de la communication dans les usages.
812. En conclusion, nous pouvons dire que les differents acteurs
qui interviennent dans la societe de l'information, contribuent par leurs
actions individuelles, a construire un cadre normatif qui permet de supplier ou
de completer la reglementation etatique. De cette pluralite d'acteurs de la
regulation est nee une pluralite de posture tendant : imposer des visions
differentes de la normativite d'internet et de la societe de l'information.
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