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La mise en oeuvre de la société de l'information au Cameroun: enjeux et perspectives au regard de l'évolution française et européenne

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par Yves Léopold KOUAHOU
Université de Montpellier 1 - Docteur en droit privé option nouvelles technologies et droit 2010
  

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TITRE PREMIER : LA SOCIETE DE L'INFORMATION ENTRE REGULATION SECTORIELLE ET REGLES DE CONCURRENCE.

770. La societe dite de l'information, en a pportant les changements dans les mentalites et les habitudes de consommation, permet aussi de re penser le droit autrement. Autrement dit, l'abondance des contenus et des echanges associes a l'interactivite et l'hy pertextualisation ont contribue a creer un nouvel es pace deterritorialise, oa l'internaute navigue et agit seul, sans referent geogra phique stable.

771. Dans les develo ppements qui precedent, il ressort de l'analyse la revolution numerique n'entraine pas necessairement une revolution juridique793. Toutefois, la globalisation des echanges necessitent une remise en cause de quelques fondements

793 En ce sens, cf les développements supra.

classiques de l'elaboration de la regle de droit et rend indispensable une reflexion sur les modes de normativite fondes sur une participation des differentes utilisateurs pour definir le cadre de leurs activites. En effet, de nombreuses branches du droit s'a ppliquent au gre des multiples activites en ligne : droit des telecommunications, droit de l'audiovisuel, droit de la presse, droit de la pro priete intellectuelle, droit de la res ponsabilite, droit des personnes, droit du travail, droit penal, etc. Internet exige donc du droit le defi de realiser une coexistence entre de multiples regles issues de ces branches differentes pour s'a ppliquer a des situations concretes.

772. Une part im portante de ces mecanismes est alors ete laissee aux usagers qui peuvent elaborer des regles a pplicables a leur situation. Il ne faut ce pendant pas voir en cela un renoncement du droit, mais plutôt une adaptation de la regle par rapport aux evolutions techniques et technologiques de certaines activites. C'est de cette possibilite qu'est nee la regulation qui connait un develo ppement fulgurant grace au reseau internet.

773. De plus, l'essor des services en ligne a profite de l'emergence d'un marche global de telecommunications. La tache des pouvoirs publics est desormais plus ardue. Ceux-ci doivent, en effet, concilier les conditions d'une libre concurrence des o perateurs et la protection des consommateurs au plan national. C'est toute la question de la regulation de la concurrence qui se pose dans la societe de l'information.

774. Cela etant, il serait interessant de proceder a une analyse a pprofondie du phenomene de regulation qui est de plus en plus presente comme un instrument de gouvernance dans la societe de l'information (cha pitre 1) avant d'analyser les conditions de l'equilibre dans l'acces a la societe de l'information (cha pitre 2).

<r La discussion publique des opinions est un moyen sur de faire éclore la vérité, et c'est peut etre le seul 1

MALESHERBES, Mémoire sur la liberté de la presse, Slatkine Reprints, 1969, p. 276.

CHAPITRE PREMIER : LA REGULATION PRESENTEE COMME INSTRUMENT DE GOUVERNANCE DE LA SOCIETE DE L'INFORMATION.

775. En facilitant l'ubiquité des données, internet pose le probleme de l'a pplicabilité des lois nationales. En effet, tant qu'il n'était utilisé que par une communauté fermée soumise a ces pro pres regles (comme la communauté scientifique et universitaire des Etats-Unis par exem ple), l'Etat ne s'est pas préoccu pé d'intervenir dans ce qui fonctionnait selon les pro pres regles de la communauté puisque en dernier ressort, elle était soumise aux lois nationales. Mais aujourd'hui, le caractere global, ouvert et transnational d'internet montre les limites des lois nationales, de même que la contradiction entre législations sur une même question794 et l'inexistence d'une législation internationale en la matière. A cela s'ajoute la multi plicité des acteurs et leurs motivations différentes et parfois contradictoires qui rendent les choses encore plus com plexes795.

794 Par exemple, la conception française du contrôle des contenus n'est pas conforme à la vision américaine qui défend la liberté totale d'expression.

795Ainsi par exemple, les motivations d'un opérateur de télécommunications qui exploite un réseau ou fournit un service ne sont pas les mêmes que ceux d'un usager qui souhaite échanger ses opinions au sein d'un forum donné ou d'un commerçant qui souhaite développer ses activités en ligne. En ce sens, M Vivant et alii, op cit, p 1403, n° 2361.

776. Ces difficultes ont favorise le develo ppement du concept de regulation, tres re pandue (dans son princi pe tout au moins) et debattue a travers la planate entiere796. Ce pendant, si la notion est largement diffusee, elle n'a pas acquis une definition claire, ce qui permet de la com prendre differemment selon les systemes juridiques dans lesquelles elle est reprise. C'est ainsi par exem ple que pour l'Allemagne, la regulation fait reference a la reglementation qui s'entend comme une mission de la puissance publique re pondant a des objectifs precisement definis par la loi qu'elle doit concilier. Pour la Chine communiste, la regulation serait plutot une question de souverainete nationale et il est legitime d'im poser aux prestataires sur le reseau internet des obligations de filtrage des contenus afin de preserver l'ordre ideologique national.

Dans la conception frangaise largement reprise au Cameroun, la regulation ne s'identifie pas a la reglementation, mais a plutot pour but de maintenir et de perenniser un equilibre dans un ensemble com plexe (Internet constitue assurement un ensemble com plexe). Elle se presente alors comme une fonction tendant a produire un com promis ou un « droit negocie » qui s'im pose a des agents economiques sur un marche concurrentiels entre des valeurs qui peuvent être antinomiques.

777. Dans tous les cas, a la divergence d'a pprehension mondiale de la notion apparait une convergence evidente. La regulation fait reference a un ensemble de regles qui prescrivent un com portement positif ou interdisent un com portement negatif. Ces regles peuvent provenir de l'Etat au sens oit peut l'être une loi ou un reglement, mais elles peuvent aussi provenir d'une entite ayant une autorite pour elaborer une regle qui s'a ppliquera a des activites dont elle a la charge.

Ainsi, par le pluralisme de ces modes797, la regulation fait le pari pragmatique de renoncer a l'abstraction et a la permanence des regles, pour retrouver l'efficacite d'un « droit vivant » permettant d'amortir les tensions et assurer le maintien d'un equilibre d'ensemble. Elle est pergue a l'analyse comme un mecanisme d'ajustement fortuit de diverses actions, mises en oeuvre par des acteurs heterogènes, qui poursuivent des interêts pro pres et dis posent de ca pacites autonomes a configurer un nouvel es pace social conformement a leurs interêts, leurs priorites et leurs logiques. Comme le fait remarquer Olivier CACHARD, la regulation intervient la oit une mise en oeuvre mecanique du procede de reglementation ne parviendrait pas a regir de fagon satisfaisante un ensemble com plexe798.

796 M. Vivant et alii, op cit

797 En ce sens, cf n° 813 sur « une vision hétérogène de la régulation ».

798 Olivier CACHARD, « la régulation internationale du marché électronique », coll. Bibliothèque de Droit privé, Tome 365, Ed° LGDJ, 2002, n° 38, p 26.

778. Ce pendant, s'il est impossible de saisir la regulation sans un rappel sur le fonctionnement decentralise et com plexe de l'internet, il n'en reste pas moins vrai qu'elle presente des aspects novateurs, princi palement parce qu'elle fait a ppel a un mecanisme qui se deroule en dehors du controle des Etats (sauf pour les missions de regulation des institutions etatiques) et parce que le caractere global d'internet organise une confrontation directe et brutale entre des princi pes de regulation en partie incompatibles.

779. Cela nous amene donc a analyser d'abord la place de la regulation dans la definition d'un cadre de la societe de l'information (Section 1) et ensuite le processus de formalisation de la regulation (Section 2).

Section première : La régulation799 comme source du droit de la société de l'information.

780. L'Etat, princi pale source de reglementation dans son processus de normalisation de la societe de l'information, joue un role determinant800 mais il se heurte a une transfrontalite qui l'empeche de controler et de reglementer l'ensemble des activites qui prennent internet pour support ; a tel point qu'on a pu parler de « crise d'autoritem » de la loi etatique.

La regulation entend donc de passer cette representation rigide du droit etatique comme regle im posee a la societe, et suppose qu'au-dela de l'action de l'Etat, les differents acteurs802, dans leurs activites quotidiennes, s'im posent reci proquement des regles, qui prescrivent un com portement exem plaire, qu'ils res pectent parce que l'efficacite de la normativite sur internet et plus globalement sur la societe de l'information repose en grande partie sur eux.

781. La regulation est frequemment presentee comme un modele totalement decentralise et exempt d'intervention publique qui a pprehende internet par l'effet singulier d'equilibre de la concurrence normative entre les differentes regles publiques ou privees et conduit au constat de la necessite d'une multi plicite de lieux de production et

799 La régulation pourrait se définir comme un ensemble d'opérations visant à concevoir les règles qui s'appliqueront à certaines situations en vue de régler les conflits lorsque la norme étatique est incomplète ou inefficace.

800 C'est notamment le cas à travers l'agence de régulation des activités des différents opérateurs de télécommunications

801 Morand C.-A., « La contractualisation du droit dans l'état providence », in Chazel F. et Commaille J. (sous-dir.), Normes Juridiques et régulation sociale, LGDJ, coll. Droit et société, Paris, 1991, p. 145.

802 Il s'agit de tous les acteurs qui concourent au développement des activités sur internet. Ce sont entre autres, utilisateurs, agents économiques, acteurs techniques, etc...

de gestion de la norme, juridique ou non. Elle s'inscrit dans un processus large qui désigne une alternative a la réglementation étatique et se présente comme « une sorte de technique de cogestion des conduites qui s'inscrit dans un dialogue permanent et complexe entre les gouvernants et les gouvernés eux-mêmes803 >. Comme le soutient M. Christian Paul, des lors que internet ne doit pas être traité comme un monde a part « mais constitue plutôt le prolongement numérique des diverses activités humaines, chaque instance doit intervenir dans son domaine de compétence809 >, pour permettre une régulation plurielle.

En a pportant une ré ponse a la difficulté ou a l'insuffisance de la loi, la régulation se positionne comme une source véritable de droit de la société de l'information. Elle s'inscrit dans un contexte général d'universalité d'internet et fait a ppel a une com plémentarité des valeurs.

Paragraphe premier : Le contexte général de la régulation de la société de l'information.

782. La régulation puise sa princi pale source dans les contraintes exercées par les différents facteurs qui concourent au fonctionnement d'internet. Parmi ces facteurs, on peut citer entre autre, l'hétérogénéité des acteurs, la dimension volatile des contenus, les usages différents et les échanges transfrontaliers, la différentiation des postures et des normes, la pluralité des intérêts et des valeurs, la plurilocalisation des litiges, la porosité du réseau, etc....Ce sont ces facteurs qui sont a l'origine de la configuration du dis positif de régulation dans la mesure oit l'Etat ne peut plus user de son pouvoir normatif unilatéral.

La régulation est présentée comme une ré ponse a l'absence d'une autorité légitime, re présentative et internationale qui détiendrait le monopole de l'encadrement des activités complexes d'internet805. Ce point de vue est partagé par Philippe AMBLARD pour qui « aucun acteur ne pouvant seul organiser le réseau, le postulat de la régulation est

803 AMSELEK Paul., « L'évolution générale de la technique juridique dans les sociétés occidentales », RDP 1982, p. 292.

804 Paul Christian « Du droit et des libertés sur l'Internet », Coll. Rapports officiels, Documentation Française, 2000, p 69

805 José Do-Nascimento et Alii, « l'internet entre acteurs publics et privé - vers une régulation centrifuge ou centripède ? », In La démocratie à l'épreuve de la société numérique, sous la direction de, Ed° KARTHALA, 2007, p 64.

d'assurer une cogestion des conduites par un dialogue permanent entre les acteurs de l'internet et les etats8°6 ».

783. Certes, la loi étatique s'a pplique toujours aux activités de l'internet, mais elle se fait de fagon concurrentielle avec les autres règles lorsque les activités en cause présentent un élément d'extranéité. Elle devient de plus en plus une loi cadre ou d'orientation énongant des princi pes, dont l'inter prétation et la mise en oeuvre sont laissées a des acteurs publics ou privés, voire les deux ensemble807.

Cette concurrence entre les normes, qui bouleverse l'a pplication du droit dans l'es pace des Etats, marque la limite de la réglementation étatique tout en accordant une place im portante aux usagers qui partici pent alors au processus normatif.

A. L'insuffisance de la protection par le droit étatique.

784. Selon une théorie classique du droit soutenue par de nombreux maltres808, l'Etat est le souverain dans l'engendrement des lois809 et assure seul la sécurité et le respect des libertés individuelles et collectives. C'est le princi pe de souveraineté nationale qui le fonde a régir l'ordre juridique interne. L'Etat est alors au centre de tous les pouvoirs : il édicte les lois, controle leur application dans son administration quotidienne et n'hésite pas a sanctionner tout manquement8~0.

785. Avec l'arrivée d'internet, il s'est naturellement posé aux Etats la question de sa réglementation. Pour une grande majorité des Etats, les lois nationales devaient s'a ppliquer a tous les contenus qui circulent dans les réseaux et il n'était pas question de considérer les nouvelles techniques de communication comme extranationales. Les débats ultérieurs sur la res ponsabilité juridique des fournisseurs d'accès et des fournisseurs d'hébergement, qui sont les points d'entrée dans internet, vis-à-vis des messages qu'ils diffusent, constituent une illustration parfaite de cette volonté des Etats

806 Philippe AMBLARD « Régulation de l'Internet : l'élaboration des règles de conduite par le dialogue inter normatif », Cahiers du C.R.I.Dr, n° 24. Éd Bruylant 2004

807 C-A. Morand, op cit, p 142.

808 C'est notamment le cas de KELSEN, qui définit le droit comme une règle statuant des actes de contraintes conformément à une norme étatique supérieure. Voir Hans KELSEN, « Théorie pure du droit », 2eme éd., Dalloz, Paris, 1962, PP 46 - 47

809 La souveraineté nationale est posée aussi par la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, qui stipule en son article 3 que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément »

810 Ces pouvoirs reconnus à l'Etat constituent les 3 pouvoirs essentiels de l'action administrative : le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Le principe de séparation de ses pouvoirs contribue à garantir la liberté et la sécurité des citoyens.

de soumettre les nouveaux medias en general et internet en particulier, au cadre juridique national811. C'est ainsi qu'il s'en est suivi a partir de 1995, aux Etats-Unis, une activite legislative au Congres pour controler internet. Les autres Etats du monde, notamment ceux de l'Union Euro peenne, ont suivit le mouvement des 1997.

786. Ce pendant, le premier reflexe des Etats a ete de vouloir etendre le champ d'a pplication des regulations existantes, ainsi que le domaine de competence des autorites chargees de controler leur application. Mais, la question de l'o pportunite et de la pertinence de la participation de l'Etat a la regulation d'internet a fait l'objet de serieuses reserves.

787. Certains ont denonces le decalage qui existe entre le temps des echanges sur internet et celui de l'elaboration des regles par l'Etat ; d'autres, l'inefficacite des regles etatiques en raison du caractere transfrontaliere des echanges.

Il faut dire que les bases de la conception classique de la loi se trouvent de passees dans la mesure oit internet se caracterise par son architecture qui neutralise le droit etatique. La logique etatique, construite autour de sa souverainete territoriale, limite les domaines d'intervention du legislateur national.

788. Autrement dit, le territoire, en tant qu'assise geogra phique strictement delimitee par des frontières politiques, incarne les limites de l'action de l'Etat et, par consequent, son unique champ de competence legislatif et reglementaire. Cette limite territoriale a progressivement fait emerger un modele de regulation encadre re posant sur une cooperation entre les Etats et les organisations et com portant d'une part, une delimitation des domaines de res ponsabilites de chacun et d'autre part, une forte implication des parties prenantes dans l'elaboration de la norme, en utilisant generalement les moyens offerts par le reseau.

On assiste alors a une sorte de loi negociee entre l'Etat et les autres parties qui permet : l'Etat d'assurer une place de choix dans le processus de normativite aux grou pes afin eviter de voir ses efforts reduit a neant par une quelconque o pposition812.

Ainsi, aujourd'hui, la regulation tient com pte de la participation active des utilisateurs des reseaux pour develo pper des normes qui encadrent l'ensemble des pratiques.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire