DEUXIEME PARTIE : LE QUESTIONNEMENT JURIDIQUE AUTOUR DE
LA SOCIETE DE L'INFORMATION
764. Internet est l'innovation technologique majeure qui a
accom pagné l'entrée de l'humanité dans le XXIe
siècle et n'est qu'un apergu du grand bouleversement d'un monde de plus
en plus réticulaire. La société de l'information en est
une émanation, aboutissant a un changement dans les modes de production,
de distribution, de consommation et même dans notre mode d'organisation
de la société.
Son impact est particulièrement perceptible a travers
le prisme de ce qui constitue le baromètre par excellence du réel
social : le Droit. Certains ont ainsi pu penser que le droit n'avait pas
prévu les technologies de l'information et de la communication et de ce
fait, ne pouvait pas s'a ppliquer a ce contexte particulier. Mais, si cette
dénonciation du vide juridique repose parfois sur une extreme
méconnaissance de la règle de droit, elle cache aussi le plus
souvent, un refus de se soumettre a la dictature de cette règle
étatique contraignante. C'est dans ce contexte que le Conseil d'Etat
frangais est venue affirmer que : « l'ensemble de la
legislation existante s'applique aux acteurs d'internet. Il
n'existe pas et il n'est nul besoin d'un droit
specifique de l'internet et des reseaux79°
». Le princi pe pose est alors que le cadre juridique du monde
« hors ligne » s'a pplique au monde
« en ligne ».
Toutefois, si l'affirmation du Conseil d'Etat prend tout son
sens dans les limites d'un territoire national, dans la mesure de la
territorialite des lois, la question de l'a pplication du droit se pose
lorsqu'il existe un element d'extraneite, comme c'est souvent le cas dans les
relations dematerialisees d'internet. Certains auteurs ont alors considere le
cyberes pace comme un lieu ou l'on pourrait librement exercer des activites
sans se rattacher a une loi particuliere791. Meme si elle parait
discutable, cette position pose neanmoins la difficulte d'a ppliquer le droit
international prive dans le cyberes pace. Difficulte accentuee par l'ubiquite
et la dematerialisation des echanges.
765. Aujourd'hui, les s pecialistes s'accordent a dire que
l'usage de l'internet et des infrastructures de la societe de l'information ne
pose pas de problemes juridiques nouveaux, mais presentent quelques
caracteristiques nouvelles qui touchent a la fois aux lois a pplicables et aux
droits individuels et collectifs. Par ailleurs, le nouvel environnement remet
en cause le caractere im peratif de la norme etatique en favorisant l'emergence
des modes alternatifs de reglementation, avec lesquels il faut com pter. Des
lors, il n'a plus ete question de parler de vide juridique, mais plutot de
l'ada ptation de notre mode de reglementation pour prendre en com pte le nouvel
environnement792.
766. Ce faisant, le develo ppement de la societe de
l'information a souleve un ensemble de questions par rapport a sa regulation et
par rapport a la preservation des droits individuels et collectifs malgre la
volatilite des contenus.
767. La premiere question est de definir le domaine de la loi
dans le fonctionnement harmonieux de la societe de l'information. Si certaines
activites peuvent s'inscrire dans un cadre legislatif etabli, il parait
difficile, voire tout a fait impossible de reglementer toutes les activites qui
se deroulent a travers internet et qui forme la trame de cette nouvelle
societe. Se pose le probleme de l'elargissement du champ de la reglementation
pour faire entendre la voix des acteurs, qui sont les princi paux utilisateurs
de la societe de l'information. C'est la, toute la controverse au sujet de la
regulation des activites dans la societe de l'information.
768. La deuxieme difficulte concerne les moyens aussi bien
juridiques que techniques a mettre en oeuvre pour eviter que cet es pace
etendue, qui se democratise de plus en plus,
790 Conseil d'Etat, « Internet et les réseaux
numériques », Paris, La documentation française, 1998,
p14, cité par Olivier CACHARD in « la
régulation internationale du marché électronique
», coll. Bibliothèque de Droit Privé, Ed° LGDJ, 20 02,
n° 19, p 12.
791 D.R JOHNSON et D. G POST, « law and
borders : the Rise of Law in Cyberspace », Stanford Law Review, 1996,
vol 48, n° 5, 1367 - 1412, cité par Olivier CACHARD, op cit,
n° 60, p 13.
792 Julius I.D. SINGARA, op cit.
ne se transforme en une zone libertaire dans laquelle les
droits individuels ou collectifs seront mis a rude é preuve. En effet,
cet es pace est encore pergu comme un lieu de toutes les libertés qui
doit s'affranchir de tous les entraves législatives et
réglementaires. Il s'agit donc de concilier cette aspiration a la
liberté de chacun et la préservation des droits d'autrui. C'est
toute la question de la protection des droits individuels et collectifs dans la
société de l'information qui se pose.
769. Dans ce contexte, nous pensons qu'il est
nécessaire de ré pondre de fagon cohérente et
détaillée a l'ensemble de ce questionnement juridique que pose la
société de l'information. Nous analyserons donc d'abord
l'ensemble du questionnement relatif a la régulation sectorielle et aux
regles de concurrence dans la société de l'information (Titre 1),
avant d'aborder la question de la protection des droits individuels et
collectifs (Titre 2).
.La diffusion de la technologie amplifie sans cesse
le pouvoir de la technologie, a mesure que les usagers se l'approprient et la
redefinissent >
Manuel CASTELLS « L'ere de l'information. Vol.
1. La societe en reseaux. * Paris, Fayard, 1998
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