Les politiques française et camerounaise face au défi de la mondialisation. Une analyse comparée de la période 2007-2010( Télécharger le fichier original )par Dieudonné TONGA ENA/Paris-Dauphine - Master en Affaires Publiques 2011 |
B - Une solution plus politique que fiscaleParce que la DSX a été créée sur fond de querelles de leadership sous-régional entre le Cameroun et le Gabon, elle doit d'abord être regardée comme un problème politique (1) devant être abordé comme tel (2). 1) Une création sur fond de querelles de leadership sous-régional La mise en place de la Douala Stock Exchange est d'abord l'expression politique d'un désaccord profond du Cameroun face à une importante décision des Chefs d'Etat et de gouvernement de la CEMAC réunis le 14 décembre 2000 à N'Djamena au Tchad : celle de créer une bourse des valeurs mobilières sous-régionale et d'en attribuer le siège au Gabon. La bourse des valeurs mobilières de l'Afrique centrale (BVMAC) verra finalement le jour le 27 juin 2003 à Libreville et commencera effectivement ses activités en février 2006. 170 Circulaire n°002/MINFI/DGI/LC/L du 11 janvier 2008, précisant les modalités d'application de la loi n°2007- 005 du 26 décembre 2007 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l'exercice 2008. A la base du désaccord camerounais sur le choix de localisation de ce marché financier sousrégional, il y a des arguments d'ordre économique, démographique et stratégique. Au plan économique, le Cameroun représente à lui tout seul 52% du PIB de la CEMAC. Il est le seul pays de la sous-région à exporter vers les autres, sans pratiquement rien importer de ses voisins en retour. Pays enclavés, la Centrafrique et le Tchad dépendent à 80% pour leurs échanges commerciaux, du Cameroun, tandis que le Gabon et la Guinée Equatoriale se ravitaillent en vivres essentiellement à partir du Cameroun. Au plan démographique, avec ses 20 millions d'habitants, le Cameroun concentre près de 55% de la population totale de la sous-région estimée à 35 millions d'habitants. Enfin, sa position stratégique au centre de la sous-région, sa proximité avec le Nigéria ainsi que la vitalité du port de Douala en font un carrefour incontournable en Afrique centrale. Le contexte de création est donc celui de la revendication d'un leadership contesté par le Gabon qui s'appuie essentiellement sur ses ressources pétrolières. 2) Le nécessaire rapprochement des deux places financières La question du fonctionnement de la Douala Stock Exchange amène donc, nécessairement, à s'interroger sur la pertinence de la coexistence de deux marchés boursiers en zone CEMAC, une coexistence qui justifierait en partie la frilosité observée sur les deux marchés. A l'analyse, plus que de simples incitations fiscales, dont l'inefficacité est du reste clairement avérée, c'est à une solution politique qu'il faut avoir recours. Celle-ci doit aller dans le sens du rapprochement, voire de la fusion des deux places financières pour aboutir à un marché sous-régional intégré. Ce rapprochement est d'autant plus justifié que les potentialités actuelles de la sous-région ne permettent pas, objectivement, le fonctionnement optimal de deux marchés financiers. Au demeurant, lors du sommet de Bangui tenu en janvier 2010, les chefs d'Etat de la CEMAC ont donné mandat à la Banque africaine de développement de mener une réflexion approfondie afin d'aboutir au rapprochement des deux bourses et d'en faire un marché véritablement régional et intégré. Les mesures fiscales adoptées par les autorités camerounaises en vue du soutien à la consommation et de l'incitation au financement long de l'économie sont donc dépourvues de pertinence et d'efficacité. Dans la première catégorie de mesures, le soutien fiscal à la filière bois n'a par exemple eu aucun impact sur le niveau de la demande qui est resté bas du fait de la crise financière. Dans la même logique, la baisse de la fiscalité applicable aux produits de première nécessité n'a pas permis une baisse des prix desdits produits. Dans la deuxième catégorie, le soutien fiscal au secteur boursier n'a permis l'envolée des cotations qui sont restées faibles, confirmant, en ces espèces, l'inefficacité des solutions retenues. Une inefficacité également perceptible pour certaines des solutions retenues par le législateur fiscal français. Section 2 : Non pertinence et inefficacité des solutions françaises de sédentarisation des grosses fortunes et de soutien à la consommation et à l'emploi La mesure fiscale la plus emblématique de la volonté de sédentariser les grosses fortunes en France est sans doute le plafonnement des impôts directs, plus connu sous le nom de « bouclier fiscal ». Institué la loi de finances pour l'exercice 2006, il a été renforcé par la loi TEPA du 1er août 2007 qui a fait passer son seuil de 60 à 50 % et a intégré dans son calcul les contributions sociales que sont la CSG et la CRDS. Malgré ce renforcement, force est de constater que le dispositif n'a pas réussi à empécher l'exode des grosses fortunes. Il est la manifestation du refus ou de la peur d'une réforme fiscale plus globale (§ 1), intégrant la problématique de l'imposition du revenu. Une autre mesure emblématique aura été la baisse de la TVA applicable à la restauration, dans le cadre de la loi de développement et de modernisation des services touristiques171. Cette dernière a en effet fixé respectivement à 5,5 % et à 2,1 %, le taux en métropole et dans les départements d'Outre-mer. Deux ans après, il est loisible de constater que la mesure n'a eu qu'un impact limité pour un coüt élevé (§ 2). § 1 - Le « bouclier fiscal » ou le refus d'une réforme fiscale globale Pierre-Joseph PROUDHON considérait comme absurde le système qui consiste à lever des impôts forts et à établir l'égalité des fortunes172. Pour l'auteur, l'absence de tout obstacle au cours naturel des richesses est une des conditions du progrès social. De ce fait, l'impôt ne saurait s'élever indéfiniment et doit, au contraire, indéfiniment se réduire, d'où la nécessité de lui assigner un maximum173. Cette limitation serait d'autant plus nécessaire que « si les impôts gonflent au point d'excéder une limite modérée, ils cessent d'être des contributions fiscales et 171 Loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques publiée au Journal Officiel du 24 juillet 2009. 172 PROUDHON (P.-J.), Théorie de l'impôt, cité par GEFFROY (J.-B.), « Aux sources du bouclier fiscal : l'émergence difficile d'un principe de non confiscation par l'impôt », in Mélanges en l'honneur de Pierre BELTRAME, PUAM 2010, p. 178. 173 Idem. deviennent destructeurs de l'économie de marché »174. Dans son principe, le bouclier fiscal se veut une réponse à cette exigence de limitation. Il s'agit malheureusement d'un dispositif inapproprié car, manquant d'approche globale (B), il apparaît comme un simple outil de contournement de l'ISF (A). A - Un dispositif de contournement de l'ISF plus que de solution au problème de la taxation du patrimoine et du revenu Si le bouclier fiscal manque de pertinence et d'efficacité, c'est parce qu'il a, avant tout, été conçu comme solution de contournement du problème posé par l'ISF (1), là où une mesure plus radicale aurait pu être envisagée. Il s'est malheureusement, mais logiquement, révélé inadapté (2).
Le bouclier fiscal n'a pas réussi à
sédentariser les grosses fortunes dont le nombre de
départs 174 VON MISE (L.), in L'Action humaine, 1949, cité par GEFFROY (J.-B.), op. cit. p. 178. 175 Pour la vérification du non dépassement du seuil de 85 %, sont alors pris en compte l'ISF, l'impôt sur le revenu, la CSG, la CRDS et le prélèvement social sur les revenus du patrimoine et de placement. 176 VILLEMOT (D.), Quelle réforme fiscale, op. cit. p. 106. L'auteur écrit en substance que c'est « le gouvernement JUPPE qui a déséquilibré le dispositif institué par le le gouvernement ROCARD et fait de l'ISF un impôt à problèmes ». communiqués par le ministre des finances177, en 2007, avec un bouclier à 60 % des revenus, le nombre de départs de contribuables redevables de l'ISF s'est élevé à 719 contribuables. En 2008, première année de mise en oeuvre du bouclier fiscal à 50 %, ce nombre a été porté à 821. Certes, l'on observe également une progression du nombre de retours des redevables de l'ISF sur la méme période. Ainsi, alors qu'ils n'étaient que 246 à revenir en France en 2007, ils ont été 312 en 2008178. Le Syndicat national unifié des impôts précise cependant que « depuis une dizaine d'années, le nombre de retour représente en tendance un tiers des départs »179. Sans compter qu'en « tendance », les retours restent proportionnellement faibles par rapport aux départs, il y a que l'évolution positive des retours entre 2007 et 2008 n'est pas forcément imputable au renforcement du bouclier. La raison en est que certains retours, comme du reste certains départs, peuvent être motivés par des raisons professionnelles ou familiales. Une certitude se dégage donc : celle selon laquelle il n'y a pas forcément de corrélation entre le bouclier fiscal et le retour des grosses fortunes ou le maintien de celles restées sur le sol français. Or, dès lors que le mouvement de vas-et viens des fortunes se poursuit allègrement, en dépit de l'existence du bouclier, il y a lieu de conclure à l'inefficacité de celui-ci ou, à tout le moins, à son inutilité et d'appeler à une réforme plus ambitieuse et plus volontariste de la fiscalité du patrimoine. B -- Une solution nécessitant une réforme globale et cohérente Sophie GONSARD et Gilles ETIENNE notent qu'en France, le principe est celui du recours systématique du pouvoir politique aux constructions ambigües et compliquées qui le dispense de faire dans la clarté le choix d'une politique cohérente180. Pour VILLEMOT, la raison de cette démarche est essentiellement politique : « chaque camp a besoin de donner des gages à ceux qui a priori ne le soutiennent pas. La gauche doit montrer qu'elle est consciente des problèmes des entreprises, la droite qu'elle n'oublie pas le financement des politiques sociales »181. L'ISF fait assurément partie de ces mesures sur lesquelles les autorités on du mal à se positionner avec clarté et à prendre des décisions cohérentes. Il faudra pourtant aller dans ce sens (1), en méme temps qu'il faudra réfléchir à une réforme de l'imposition du revenu et des bénéfices (2). 177 http://www.lepoint.fr/archives/article.php/441767. 178 Idem. 179 Ibid. 180 GONSARD (S.) et ETIENNE (G.), Le bouclier fiscal, Armand Franel Editions, 2008, préface. 181 VILLEMOT, op. cit. p. 23. C'est ce qui justifierait que « les discours des responsables politiques, tenus en période électorale, ne se reflètent pas systématiquement dans leurs décisions quand ils accèdent aux responsabilités ». p. 21. 1) Se positionner clairement par rapport à l'ISF La configuration actuelle de l'ISF, qui révèle un impôt à la fois ambigu et complexe, rend illisible le positionnement du législateur français par rapport à ce prélèvement. Dans son principe, l'ISF se veut l'une des expressions de la « tradition de solidarité »182 à la française, celle-là même qui veut que les plus riches contribuent au bien être et à l'épanouissement des plus pauvres. En cela, il serait une sorte de « mal nécessaire »183. Le paradoxe est cependant que, en méme temps que l'ISF se veut fondé sur une logique redistributive, les mécanismes d'allègement qui l'entourent lui font perdre de son sens et de son utilité. En effet, outre le plafonnement spécifique à 85 % du revenu de référence, il y a le plafonnement global de 50 % prévu dans le cadre du bouclier fiscal. Il s'agit certes de deux plafonnements différents, mais qui ont pour dénominateur commun d'alléger la charge fiscale résultant de l'application de l'ISF. De faible rendement, l'ISF a donc, nécessairement, un faible effet redistributif184. Son coût de recouvrement serait par ailleurs plus élevé que son rendement185. L'ISF nécessite en effet l'intervention de plusieurs fonctionnaires, notamment pour effectuer, a posteriori, des vérifications de la sincérité des déclarations. Dans le même temps, son produit, quatre (4) milliards d'euros environ, dépasse rarement 1 %186du total des recettes fiscales. Il devrait d'ailleurs être plus insignifiant encore avec la réforme annoncée de l'imposition du patrimoine187. Il s'en suit que, dans sa configuration actuelle, l'ISF a simple valeur de symbole. Son existence rappelle que la société française est fondée sur l'idée de solidarité, une solidarité que ses nombreuses atténuations ne lui permettent cependant pas de réaliser. Au demeurant, l'exigence de clarté commande qu'un choix, plein et entier, soit opéré entre deux options opposées. La première consisterait à laisser s'épanouir un véritable impôt sur la fortune. Il s'agirait de l'ISF dans sa configuration actuelle, qui prévoit un plafonnement à 85 % du revenu de référence, mais sans le bouclier fiscal. La conséquence, au plan interne, serait un impôt plus rentable et, corrélativement, un effet redistributif amélioré. Mais il 182 Ibidem, p. 105. 183 Ibidem, p. 95. 184 GONSARD (S.) et ETIENNE (G.), Le bouclier fiscal, op. cit. préface. 185 Ibidem. 186 HECKLY (C.), Fiscalité et mondialisation, op. cit. p. 141. 187 Selon l'annonce faite par les autorités françaises, le seuil d'entrée à l'ISF, 790 000 en 2010, devrait être relevé à 1,3 millions d'euros de patrimoine, ce qui exonèrerait les 300 000 contribuables de la première tranche. Bien plus, les taux seraient abaissés à 0,25 % pour un patrimoine jusqu'à trois (3) millions d'euros et 0,5 % au-delà. Le plafonnement de 85 % serait supprimé. Cette réforme ramènerait le produit de l'ISF à 2,5 milliards d'euros, une baisse qui serait en partie compensée par les effets de la suppression du bouclier fiscal (gain estimé à 700 000 millions d'euros), également prévue par réforme. Sur ce sujet, lire Les Echos du jeudi 3 mars 2011. faudrait alors, du fait de l'augmentation de la pression fiscale qui en résulterait, craindre un impact négatif sur la localisation des grosses fortunes en France. L'autre option, plus en phase avec l'idée d'ancrage dans la mondialisation, consisterait à supprimer concomitamment l'ISF et le bouclier fiscal et à mettre en place une imposition assise, non sur le patrimoine considéré en lui-même, mais sur les revenus qui en sont issus. Cette deuxième solution permettrait d'en finir avec un symbole qui n'aura eu d'effets que négatifs (effet redistributif quasi inexistant du fait de la faiblesse du rendement, délocalisations), d'une part. D'autre part, elle favoriserait une amélioration de l'attractivité de la France qui, avec l'imposition des revenus du patrimoine, compenserait sans doute le faible manque à gagner qui résulterait de la suppression. 2) Réformer l'imposition du revenu et des bénéfices L'imposition du revenu et des bénéfices sont deux autres domaines privilégiés d'expression des contradictions du système fiscal français : progressivité proclamée de l'impôt sur le revenu mais étroitesse de l'assiette qui en annihile l'effet, taux voulu élevé de l'impôt sur les sociétés mais nombreuses niches fiscales et sociales qui en réduisent la portée. Malgré ses tranches de progressivité, l'impôt sur le revenu représente en effet en France une faible part des prélèvements obligatoires. Cette part aurait été de 6,5 % en 2004, soit environ 3 % du PIB, contre une moyenne européenne de 11 %188. Raison de cette faiblesse du rendement, une étroitesse de l'assiette, elle-même justifiée par plusieurs facteurs : le mécanisme de la décote, le quotient familial qui exclurait près de trois (3) millions de foyers, la présence d'abattements et de niches fiscales, et la forte progressivité du barème qui aboutirait à concentrer l'impôt sur les hauts revenus alors méme que de nombreuses exemptions annihilent cette progressivité pour les contribuables aisés189. Le méme raisonnement peut être appliqué à l'impôt sur les sociétés dont le taux affiché paraît très élevé, comparativement aux autres pays de l'UE ou de l'OCDE, mais dont les nombreuses niches fiscales relativisent la portée. A l'évidence, dans l'un comme l'autre cas, cette absence
de clarté dans les orientations de la 188 LANG (J.), Faire la révolution fiscale, Plon, Paris, 2006, P. 73. 189 Ibidem, p. 74. fait des nombreux abattements, réductions, exonérations et exemptions qui limitent le rendement. Des choix clairs de politique fiscale doivent donc être opérés. En matière d'imposition du revenu comme des bénéfices, ils doivent prendre en compte la contrainte de la mondialisation et aller dans le sens d'une baisse des taux, couplée à une remise en cause de certaines niches fiscales et sociales. Cette baisse des taux est plus urgente encore en matière d'IS. Elle permettrait en effet à la France de ne pas se maintenir en marge d'un mouvement de baisse généralisée de cet impôt dans lequel se sont engagés ses principaux partenaires190, et de garder une économie compétitive dans les secteurs à forte rentabilité (pharmacie, banque, luxe, services)191. Plus qu'une solution globale à la question de l'imposition du patrimoine, le bouclier fiscal aura donc été une solution de contournement. Telle aura été sa faiblesse. Tel aura aussi été la raison de son inefficacité. Une inefficacité également perceptible s'agissant de la baisse de la TVA dans la restauration. § 2 - La baisse ciblée de la TVA dans la restauration : un impact limité pour un coût élevé Dans le rapport présenté par la Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire du Sénat sur le projet de loi de développement et de modernisation des services touristiques192, la baisse de la TVA dans la restauration était regardée comme susceptible d'être en partie répercutée sur les prix. Il était aussi envisagé qu'elle aurait des effets bénéfiques sur l'emploi, du fait de la hausse de la consommation résultant de la baisse des prix. L'analyse du CPO193 révèle cependant que la baisse du taux de la TVA a, potentiellement, un impact limité sur les prix et sur l'emploi, pour un coüt élevé (A). Une réforme s'avère alors nécessaire qui aurait au moins pour effet de limiter le coût de la mesure pour la collectivité (B). 190 Il s'agit de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de l'Italie, de l'Espagne et des Etats-Unis. 191 VILLEMOT (D.), op. cit. p. 130. L'auteur affirme plus loin : « Le maintien de la compétitivité fiscale de notre pays nécessite d'abaisser le poids de l'IS. Cela est indispensable si nous voulons conserver sur notre territoire des centres de recherche ou des industries manufacturières (automobile, télécoms) et rester fiscalement compétitif face au Royaume-Uni, à l'Allemagne et à l'Irlande », p. 137. 192 Rapport n°507 du 1er juillet 2009. 193 Voir Synthèse du Rapport 2010 du CPO, Entreprises et niches fiscales et sociales, op. cit. |
|