CHAPITRE 1 :
DES MESURES PERTINENTES POUR UNE EFFICACITÉ
MITIGÉE
Ainsi que nous l'avons vu, l'interventionnisme fiscal
présente des dangers qui doivent incliner à la circonspection.
Mais, comme l'écrit Bernard CASTAGNEDE, « l'ensemble des
mesures d'incitation fiscale dont l'objet est de favoriser la création
d'entreprises, leur croissance, leur financement, leur accompagnement en cas de
difficultés, les recherches qu'elles entreprennent en vue de maintenir
leur avance technologique, participent de l'objectif général
d'adaptation à la mondialisation »129. C'est dire
que les dangers de l'interventionnisme ne doivent pas détourner des
interventions fiscales utiles. En raison de leur importance pour la croissance,
l'investissement, le travail et la recherche font assurément partie des
domaines où l'intervention fiscale peut être
considérée comme utile. Il s'ensuit que les mesures fiscales de
soutien à l'investissement prises depuis 2007 par les autorités
camerounaises sont pertinentes dans leur principe, même si, en raison de
leur déclinaison, elles se révèlent mitigées dans
leurs résultats (Section 1). Le même constat est applicable aux
mesures fiscales françaises de soutien au travail et à la
recherche (section 2).
Section 1 : Pertinence mais efficacité
mitigée des mesures fiscales camerounaises de soutien à
l'investissement
La plupart des mesures fiscales de soutien à
l'investissement adoptées par les autorités camerounaises depuis
la loi de finances pour l'exercice 2007 ont du sens en ce qu'elles apparaissent
appropriées au regard des objectifs recherchés. Il en est ainsi
du régime du réinvestissement dont l'objectif est de favoriser le
renouvellement de l'outil de production et, donc, la productivité des
entreprises. Il en est de même du régime fiscal particulier des
projets structurants qui vise à faire émerger au Cameroun des
projets de grande envergure, susceptibles d'avoir un effet entraînant du
développement dans leur environnement d'implantation. Les deux
régimes présentent cependant des avantages et
inconvénients inverses. Ainsi, alors que le régime du
réinvestissement est un régime mal ciblé pour une
dépense fiscale croissante (§ 1), le régime fiscal
particulier des projets structurants est quant à lui bien encadré
mais présente une ambition réduite (§ 2).
129 CASTAGNEDE (B.), La politique fiscale, op. cit. p.
117.
§ 1 - Le régime du
réinvestissement : un régime ma! cib!é pour une
dépense fisca!e croissante
En dépit de sa pertinence de principe, le régime
du réinvestissement reste mal ciblé, entraînant des effets
d'aubaine qui justifient, dans une certaine mesure, l'évolution de la
dépense fiscale qui lui est consacrée depuis 2007 (A). En cela,
il rend nécessaire une clarification des conditions
d'éligibilité ainsi que des objectifs recherchés (B).
A - Un régime mal ciblé, favorable à
des effets d'aubaine
Le régime du réinvestissement peut être
considéré comme mal ciblé en ce que, pour son application,
les notions d'investissement et de réinvestissement se confondent (1),
d'une part. D'autre part, il consacre malencontreusement
l'éligibilité de certaines entreprises qui auraient pu, sans
conséquences, être exclues de son champ (2). Conjuguées,
ces deux lacunes justifient en partie l'augmentation observée du
coüt de la mesure (3).
1) La confusion entre investissement et
réinvestissement
Dans sa configuration actuelle, le régime de la
réduction d'impôt par suite de réinvestissement
présente deux lacunes majeures. L'article 105 du CGI camerounais indique
que « les personnes physiques ou morales qui réinvestissent au
Cameroun peuvent bénéficier...d'une réduction de
l'impôt sur les sociétés ou de l'impôt sur le revenu
des personnes physiques ». La disposition ne précise pas le
type de réinvestissement qu'elle vise. On peut néanmoins
inférer de l'alinéa 2 de l'article 107130 du
méme code qu'il s'agit du réinvestissement des
bénéfices.
Or, dans son principe, le réinvestissement des
bénéfices ne peut normalement concerner que des entreprises ayant
achevé leur phase d'installation et, donc, d'acquisition du
matériel nécessaire à leur exploitation. Il doit en
conséquence s'agir d'entreprises entrées, depuis quelques
années au moins, en phase de production. La loi n'indique
malheureusement pas à partir de quel moment une entreprise peut
valablement invoquer des réinvestissements pour le
bénéfice d'une réduction d'impôts. Il suffit donc
qu'une entreprise réalise des réinvestissements de
bénéfices pour bénéficier de la réduction
d'impôt. Telle est la première lacune de la loi. En pratique, des
entreprises, souvent nouvellement installées, font valoir de tels
réinvestissements et obtiennent indüment la réduction
d'impôt sollicitée.
130 Article 107-2 : « La réduction est
accordée sur la base de 50% des réinvestissements admis, et sans
pouvoir dépasser la moitié du bénéfice
déclaré au cours de l'année fiscale
considéré ».
La deuxième lacune tient, quant à elle, à
la mollesse de la loi qui n'indique pas avec suffisamment de détails les
attentes du législateur par rapport au régime de la
réduction d'impôt par suite de réinvestissement. La lecture
de l'article 105 laisse simplement entrevoir que le régime a vocation
à encourager le renouvellement de l'outil de production. Or, le
renouvellement de l'outil de production ne peut en soi être
considéré comme une finalité. Il s'agirait, au plus, d'un
moyen pour atteindre une fin plus précise et plus
détaillée parce que pensée à l'avance.
Cette définition imprécise des objectifs
recherchés illustre la difficulté qu'il y a encore
intégrer dans l'élaboration des normes les exigences liées
à l'efficacité.
2) L'éligibilité superflue des entreprises
du secteur de la téléphonie mobile
La dépense fiscale doit être nécessaire
voire absolument nécessaire. Elle doit être le moyen indispensable
et incontournable d'impulsion d'un secteur d'activités dont les
autorités estiment qu'il est, en raison de ses externalités
positives, important pour dynamiser l'économie nationale. Autrement dit,
l'octroi d'une incitation fiscale n'a de sens que s'il est clairement
avéré que le secteur auquel elle s'applique, au-delà de
son importance pour l'économie nationale, présente un
déficit d'allocation de ressources qui justifie une intervention
publique. L'intervention publique doit donc avoir valeur corrective d'une
carence. A cet effet, on peut s'inquiéter avec Maurice LAURE de voir que
certaines incitations ont pour objet d'encourager des détaxations
d'activités pourtant connues pour leur grande
rentabilité131.
Au Cameroun, les entreprises du secteur des nouvelles
technologies de l'information et de la communication, notamment celles
opérant dans la téléphonie mobile, sont sans doute
très importantes pour l'économie nationale. Mais il n'est pas
certain qu'elles soient nécessiteuses de soutien financier public. La
raison en est simple, le secteur de la téléphonie est un secteur
naturellement croissant, capable d'autofinancer son développement. Il
s'agit en effet d'un secteur à haute valeur ajoutée, qui
connaît une expansion notable depuis son implantation au Cameroun vers la
fin des années 1990, avec une évolution constante du nombre
d'abonnés. Le tableau ci-dessous, qui reprend l'évolution du
chiffre d'affaires des deux principales entreprises de téléphonie
mobile sur la période 2007-2010, illustre cette expansion.
131 LAURE (M.), Traité de politique fiscale, op.
cit. p. 322.
Tableau 1 : EVOLUTION DU CHIFFRE D'AFFAIRES DES
ENTREPRISES DU SECTEUR DES TIC132 Données en milliards de
franc CFA
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2007
|
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|
2008
|
|
|
|
2009
|
|
|
|
2010 (au 30 octobre)
|
MTN
|
141
|
732
|
061
|
604
|
164
|
787
|
163
|
921
|
171
|
119
|
891
|
635
|
140
|
448
|
539
|
235
|
ORANGE
|
123
|
843
|
072
|
153
|
122
|
754
|
992
|
260
|
124
|
700
|
857
|
929
|
123
|
568
|
133
|
884
|
A l'argument de l'autofinancement de l'expansion, il faut
ajouter celui de l'absence d'impact de cette incitation fiscale sur le
coût des communications au Cameroun. Ce dernier reste en effet
anormalement élevé, comparativement à ceux observés
dans les pays à niveau de développement comparable comme le
Sénégal133. La dépense consentie est donc
superflue et doit s'analyser en perte sèche pour l'Etat.
3) Une dépense fiscale croissante depuis
2008
Au cours des exercices 2007 et 2008, vingt et sept (27) et
vingt et deux (22) entreprises134 ont respectivement
bénéficié de la réduction d'impôts par suite
de réinvestissements. La dépense consentie à cet effet par
l'Etat s'est chiffrée à dix (10) milliards de FCFA en
2008135. Elle a ensuite connue une légère inflexion en
2009, passant à un peu moins de sept (7) milliards ; une inflexion
essentiellement justifiée par la baisse du taux de réduction
appliqué aux entreprises du secteur des NTIC. La dépense est
néanmoins remontée en 2010 à un peu plus de 9 milliards en
2010. Il est à noter que près de 50% de cette dépense
bénéficie aux deux principales entreprises de
téléphonie mobile. Un réaménagement du
régime pourrait du reste donner à la fois du sens et de
l'utilité à cette dépense.
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