2.2- Perversion dans la gestion des véhicules
administratifs dans les années 1990
La mauvaise gestion du parc automobile de l'Etat à
partir de 1990, sous entend sa bonne organisation dans la période
antérieure. A en croire Y. S. Balakindé, M. Assimiou et A.
Awoussa, tout allait pour le mieux dans la gestion des véhicules
administratifs avant 1990230. Les procédures et
formalités étaient globalement respectées. Dans son
mémoire, Balakindé (2000) laissait lire qu'avant
l'avènement de la démocratie, les automobiles des pouvoirs
publics obéissaient d'une façon générale à
un régime de gestion rigoureuse tant au niveau de leur acquisition
qu'à celui de leur utilisation, même s'il laissait
apparaître que des insuffisances et dérapages isolés
étaient constatés.
Ainsi, le Garage central était associé aux
opérations d'achat des véhicules sur les budgets des services
publics. A l'entrée comme à la sortie, les engins de cette
structure destinés aux missions, étaient soumis à un
contrôle technique sérieux. Il en était ainsi pour ceux de
l'intérieur, dans les préfectures. Il poursuit en martelant que
les voitures administratives ne circulaient qu'aux heures de services (7 h 00
à 12 h et 14 h 30 a 17 h 30, exceptionnellement au plus à 12 h 30
et 18 h231. Seules les automobiles de certains services
spécialisés comme la santé, la régie pouvaient
circuler en dehors de ces horaires, mais avec une autorisation de
circuler.
Les exhortations du RPT, parti unique d'alors, à la bonne
utilisation des matériels du domaine public, ont aussi contribué
à leur bonne gestion en ces périodes.
En effet, en 1978, le troisième Conseil national du RPT
disait :
230 Y. S. Balakindé, M. Assimiou et A. Aklesso; entretiens
respectifs des 06/ 01; 07/ 05 et 02/ 06/ 2010 dans leurs bureaux au Garage
central administratif.
231 Ces propos sont à nuancer car, avant 1990, même
si la situation était meilleure, l'utilisation des véhicules de
l'Etat connaissait aussi des dérapages. Cela transparaît dans un
communiqué daté du 9 novembre 1970 sorti par le ministre de
l'économie et du plan dans lequel il « rappelle une
dernière fois les prescriptions relatives à l'utilisation des
véhicules administratifs » suite au constat fait de leur
mauvais usage, circulation « en dehors des heures de service
».
ANT-Lomé, 2 APA Atakpamé-add., parc automobile,
retrait de permis de conduire, immatriculation des véhicules
administratifs,...,1947-1964.
« Le bon militant doit gérer, en bon
père de famille, le matériel mis à sa disposition.
L'utilisation des véhicules administratifs devrait être faite avec
beaucoup de précaution. Ces véhicules doivent être
utilisés à des fins de l'Etat. Aucun véhicule ne doit
être utilisé à des fins personnelles ou familiales. Chaque
militant doit veiller à la bonne gestion de tout engin (véhicule
ou moto) qui lui a été remis. »232.
Les dispositions prises par les différentes
institutions impliquées directement ou non dans la gestion du patrimoine
automobile administratif ont été globalement respectées
(à cause de sanctions appliquées plus ou moins rigoureusement par
les autorités compétentes) même s'il existait des
dérapages comme souligné précédemment.
Cependant, l'ordre idyllique fut renversé avec le vent
de l'Est et la crise sociopolitique à partir de 1990.
C'est une ère de gabegie qui s'ouvrit au parc
automobile de l'Etat togolais. Le système de gestion devient
désormais défaillant. On assiste à des acquisitions
unilatérales des véhicules par des services administratifs sans
impliquer le Garage central, seule structure possédant les
compétences administratives et techniques de choix et d'immatriculation
des véhicules des pouvoirs publics. Ce phénomène prenait
de l'ampleur au point qu'une lettre datée du 24 octobre 1992 condamnait
l'achat ou la réception des véhicules par des chefs de services
publics ou parapublics sans l'aval ou l'association du Garage
central233. Par ricochet, cette acquisition
irrégulière ouvre la voie à l'immatriculation de ces
engins en série ordinaire qui échappent donc à tout
contrôle administratif. Sans doute, cette stratégie de
banalisation doit son explication dans la volonté d'utiliser les
matériels d'intérêt général à des fins
privées ou simplement de les détrôner. Or, les
numéros banalisés (temporaires) sont exceptionnellement
réservés aux services de renseignement pour leurs missions
d'urgence et de discrétion. La réglementation en vigueur
précisant «...aux agents de l'Etat de se rendre de leur
domicile à leurs lieux de travail (et vis versa) par leurs propres
moyens ...234» est tombée en
désuétude à bien des égards à partir du
début des années 1990. Faisant l'objet d'utilisation
malhonnête, les véhicules étaient souvent garés aux
domiciles de leurs utilisateurs. Les responsables de service conduisent eux
mêmes leurs voitures de services au mépris des textes en vigueur
qui prévoyaient leur conduite par un chauffeur professionnel du Garage
central.
232 Troisième Conseil national du RPT, 1978, p. 4.
233 Il s'agit de la lettre n° 050/ CAB/ MEF/ DGCA du 24
octobre 1992, in Lettre du 3 décembre 1996 du ministre de l'Economie et
des Finances, et de la Direction du garage central administratif.
234Cette réglementation est rappelée aux
agents du secteur public par le ministre de l'Economie et des Finances, in
Balakindé (2000 : 41).
Leur réparation dans les garages privés sans
autorisation, le pillage de leurs pièces et des lubrifiants
étaient fréquents.
La gestion des matériels roulants routiers des pouvoirs
publics était telle que, le ministre de l'Economie et des Finances
d'alors, Barry Moussa Barké, dans sa lettre datée du 3
décembre 1996235 regrettait que les mesures de la lettre
n° 050/ CAB/ MEF/ DGC du 24 octobre 1992 ne soient pas respectées.
Il rappelait à la même occasion que seul le Garage central avait
la compétence en matière d'acquisition, d'immatriculation, de
gestion technique et comptable du matériel roulant de l'Etat et de ses
démembrements.
Peine presque perdue pour les autorités car, cette
perversion n'a jamais cessé.
L'impact du PAS sur l'Etat et la société togolaise
est indéniable.
Ainsi, la politique de réduction des dépenses
qu'il implique a entraîné des licenciements et le gel de
recrutement d'agents du secteur public pendant un bon moment.
L'élévation du niveau de chômage dans un contexte
économique critique a poussé les gens dans la rue au moment
où les tenants du multipartisme avaient reçu un bouffé
d'oxygène avec la chute du mûr de la honte (mûr de
Berlin). Tous les ingrédients étaient au rendez-vous
pour les inévitables troubles sociopolitiques entre 1990 et 1993. Ils
ont enfoncé le parc automobile de l'Etat, déjà malade du
PAS, dans l'abîme. Les véhicules étaient mal
gérés et étaient la cible de malhonnêtes citoyens
qui en faisaient leurs choses au détriment de l'intérêt
général.
Au cours du troisième plan quinquennal et pendant les
années 1980, le réseau routier togolais s'était beaucoup
amélioré avec le désenclavement effectif de plusieurs
régions. Au début des années 1990, il était de 4
700 km. Il s'en était suivi, un essor du parc automobile togolais aussi
bien privé (surtout) qu'administratif. Ce dernier, géré
par le Garage central, s'était vu freiner dans son élan par les
exigences du Programme d'ajustement structurel entrepris par l'Etat sous la
pression des bailleurs de Fonds (FMI et BM).
Ainsi, la politique de réduction des dépenses
publiques pour corriger les déséquilibres
macro-économiques a eu pour corollaire, le rétrécissement
de la ligne budgétaire d'achat de véhicules administratifs. Par
ricochet, le patrimoine automobile étatique s'était
rétréci (4 000 véhicules toutes qualités confondues
en 1990). Il s'était détérioré avec les crises
235 On nous a fait lire cette lettre au Garage central
administratif, section Reforme.
sociopolitiques qui ont eu cours au Togo dans les années
1990 avec désormais une perversion dans sa gestion.
Dans les années 1980 et surtout 1990, la situation du
parc automobile n'a pas été rose. Les services étaient
alors limités en moyen de transport automobile. Toutefois, il n'a pas
joué un rôle effacé. Ainsi, immatriculés en 1976,
les véhicules automobiles, meilleur moyen de transport dont disposent
les pouvoirs publics, ont participé au fonctionnement de l'appareil
administratif en assurant la mobilité géographique des agents et
la circulation des biens de l'Etat. La Présidence d'Eyadema
Gnassingbé s'en était servie pour faire tourner sa structure. Ils
ont permis aux départements ministériels de satisfaire leurs
besoins de déplacement interne et de joindre leurs services
extérieurs techniques qui s'en étaient aussi servis pour
accomplir les missions qui leur étaient dévolues. Le
Ministère de l'Intérieur a aussi fait des automobiles, un moyen
de déplacement important pour assurer l'administration territoriale du
Togo à travers les tournées et visites de travail qu'il
effectuait dans les collectivités secondaires (Régions,
circonscriptions et postes administratifs puis préfectures et sous
préfectures, et communes) qui en disposaient également pour leur
fonctionnement. Ces moyens de transport n'ont jamais été
suffisants.
Au terme de cette partie, il s'avère nécessaire
de faire le point sur le transport automobile administratif au Togo de la
veille de l'indépendance aux débuts des années 1990
marquées par des crises multiformes.
Après une léthargie entre 1958 et 1966, le
transport routier en général, connut une relance à partir
de 1966 avec les plans quinquennaux. Il a bénéficié de
l'amélioration de ses équipements de base. Ainsi, le
réseau routier s'est étendu et comptait 7 170 km de routes
carrossables en 1976 avec plus de zones désenclavées et ouvertes
à la circulation automobile. Il était arrivé à un
niveau assez satisfaisant à la veille des années 1990. Cet essor
a eu pour corollaire, l'augmentation sensible des véhicules
opérant sur le territoire. Contrairement à celui privé, le
patrimoine automobile de l'Etat a reçu du plomb dans l'aile à
partir des années 1980 dans un contexte économiquement difficile
dans le cadre du PAS. Sa situation se compliqua à partir des
années 1990 avec les crises sociopolitiques qui ont eu cours au Togo. En
1990, il comprenait seulement 4 000 automobiles toutes qualités
confondues. Or, il était en pleine croissance depuis le début des
plans quinquennaux.
Gérés par le Garage central, les
véhicules de l'Etat ont contribué à tout moment au
fonctionnement du système administratif au Togo indépendant.
Ainsi, ils avaient favorisé la mobilité des agents et le convoi
des matériels aussi bien de l'administration centrale (Primature,
Présidence et Ministère) que celle territoriale. Ils avaient
beaucoup apporté au transport d'utilité publique dans les
différentes unités territoriales (circonscriptions, postes
administratifs puis préfectures et sous préfectures à
partir de 1981, et communes) et dans les services qui s'y trouvaient. C'est en
partie grâce aux véhicules que des liaisons étaient
établies entre les pouvoirs publics d'une part et avec les
administrés d'autre part, à travers des tournées et
visites. Pendant au moins une décennie après
l'indépendance, la SGGG a assuré en partie le transport
administratif dans les cercles du Nord-Togo.
Toutefois, il faut signaler que la circulation automobile a
connu des limites diverses selon les périodes. Ainsi, de la veille de
l'indépendance jusqu'à la lisière des années 1980,
c'est l'enclavement de certaines zones par faute de réseaux routiers
automobilisables qui constituaient un frein à cette circulation. A cela
s'ajoute l'insuffisance des véhicules pour satisfaire tous les besoins
de transport des services. A partir des années 1980, si la desserte du
territoire togolais était assez avancée, c'est plutôt la
restriction du parc automobile étatique qui posait plus problème.
Elle était due à la politique de réduction des
dépenses dans le cadre du PAS et à partir des années 1990,
à la mauvaise gestion des véhicules étatiques. Les
services ont par ricochet assez souffert de l'insuffisance de moyens de
transport. Ces différentes contraintes ont limité la couverture
administrative sur le territoire.
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