PREMIERE PARTIE
LE PATRIMOINE AUTOMOBILE : UN OUTIL INDISPENSABLE AU
FONCTIONNEMENT ADMINISTRATIF AU TOGO SOUS COLONISATION FRANÇAISE
(1937-1959)
Après trente ans de colonisation allemande (1884-1914),
le Togo changea de maître à partir de 1914 lors de la
Première Guerre mondiale. Les Allemands furent contraints de laisser le
Togo dans les mains des vainqueurs franco-britanniques qui se
partagèrent et cogérèrent sa dépouille durant six
ans (1914-1920). Après cet intermède, le Togo français fut
placé juridiquement sous mandat de la Société des nations
(SDN) et confié à la France en juillet 1920 qui doit rendre
compte de la gestion du territoire à cette instance internationale. Si
le pouvoir colonial français a hérité de certains moyens
matériels de gestion du territoire, il devait en créer d'autres
irremplaçables pour la bonne marche de son système
administratif.
Ainsi, il créa, dans la première moitié
des années 1920, son parc automobile qu'il fit évoluer dans un
maillage législatif et structurel. En 1924, furent créés
le cadre et l'école des conducteurs d'automobile pour alimenter le
transport administratif au Togo. Ceux-ci devaient faire carrière au sein
du Garage central, créé en 1926 et chargé de la gestion du
patrimoine automobile de l'Etat à bien des égards. Il fut
organisé en 1937. Dans la foulée, le transport automobile
administratif fut aussi réglementé en vue de sa redynamisation.
Après le Second Conflit mondial, une avalanche de règles fut
éditée dans ce sens. Les véhicules des pouvoirs publics
devaient servir de moyen de mobilité pour aussi bien des agents que des
biens administratifs à travers le territoire dont la gestion rentable
était le souci primordial du pouvoir colonial français. Il
convient alors de poser la question : Quel rôle les automobiles de l'Etat
avaient joué dans le fonctionnement des structures, institutions et
services administratifs de gestion du territoire togolais de 1937 à la
veille de sa souveraineté internationale?
Répondre à cette question revient à
prendre en compte ses différents aspects historiques. Il convient
d'abord d'analyser dans cette partie, la contribution des véhicules au
fonctionnement administratif pendant la période mandataire avant de
montrer leur apport au déploiement administratif sous la tutelle.
PREMIER CHAPITRE
DES DISPOSITIONS OFFICIELLES DE GESTION ET
DE REDYNAMISATION DU SECTEUR DU TRANSPORT AUTOMOBILE ADMINISTRATIF AU
TOGO SOUS MANDAT FRANÇAIS (1924-1945)
Le territoire togolais perdu par l'Allemagne fut
cogéré par les Franco-britanniques entre 1914 et 1920. La partie
française issue du partage franco-britannique de 1919, fut juridiquement
placée, en 1920, sous le mandat de la SDN confiée à la
puissance qui la gérait. Dès lors, la France eu un droit de
gestion du territoire, bien évidemment sous un regard international.
L'organisation du territoire nécessite alors des
structures et équipements conséquents dont ceux de transport
terrestre. Si le transport routier fut presque dans un état embryonnaire
avant le mandat français, le transport administratif à partir des
automobiles appartenant à l'Etat fut inexistant. Il fut désormais
impératif pour le bon fonctionnement de l'Administration coloniale
française qui se voulait efficace pour répondre à la
logique coloniale sur un territoire mal desservi par les infrastructures
ferroviaires. C'est ainsi que durant cette période, elle avait mis sur
pied des mesures pour gérer le transport automobile administratif.
Après la création en 1924, du cadre et de l'école des
conducteurs automobile qui alimentaient ce trafic, il fut institué le
Garage central administratif en 1926, pour gérer à bien des
égards le parc automobile de l'Etat. Quelle situation prévalait
au niveau du transport routier togolais jusqu'à l'organisation du Garage
central et à la réglementation du service des automobiles
administratives en 1937? Quel impact cette nouvelle donne et autres mesures ont
eu sur le transport automobile administratif jusqu'à la fin du mandat?
Comment le parc automobile de l'Etat a-t-il contribué au fonctionnement
du système de l'Administration coloniale française pendant la
période mandataire?
Les réponses à toutes ces questions permettront
de saisir l'impact de la gestion des véhicules automobiles de
l'autorité coloniale française sur le fonctionnement
administratif au Togo sous mandat.
I- Le transport routier togolais en progression sous
mandat français (1924-1937)
Pendant le mandat français, au Togo, à la faveur
de la politique d'équipements dans le cadre de sa «mise en
valeur », une nouvelle ère s'amorça pour le trafic
routier tant sur le plan des infrastructures que sur celui des moyens et
structures de transport. Le trafic automobile se
développe dans un système de gestion
institutionnelle susceptible d'assurer au mieux l'essor du transport
administratif plus d'une fois renforcé par les véhicules
privés.
1- La réorganisation des équipements de
transport automobile
L'amélioration et l'édification des voies de
communication routière au Togo pendant la période mandataire a
pour corollaire l'essor du parc automobile.
1.1-Aménagement et construction des
infrastructures routières pour le fonctionnement de l'Administration
Le transport automobile n'est possible sans les voies de
communication routière. Elles rythment la circulation automobile (et
permettent d'apprécier son niveau sur un territoire), et par ricochet,
influencent dans une certaine mesure, la couverture administrative sur le pays.
Elles sont indispensables pour la mise en valeur d'un territoire. Les routes,
par leur souplesse, leur flexibilité et leur rapidité, assurent
sa bonne gestion par la circulation automobile. Elles sont indispensables pour
le fonctionnement administratif. Pour Gayibor (1997 : 140), les routes sont
à la fois « un instrument de développement, de
domination en permettant le contrôle des populations et
d'exploitation économique en rendant possible l'écoulement
des ressources agricoles.»
C'est ce que souligne aussi le ministre français des
colonies Albert Sarraut13 aux Gouverneurs généraux et
Commissaires de la République française déjà en
1932 en ses termes:
« Les routes constituent un des principaux facteurs
de l'expansion coloniale. Des liaisons sûres et rapides sont
indispensables pour une bonne administration... Un réseau routier bien
tracé et bien construit constitue un instrument économique de
premier ordre. Un tel réseau est seul capable d'assurer un
développement du trafic automobile, signe de l'activité
économique d'un pays »14.
Le principal réalisateur de cette politique au Togo fut
A. F. Bonnecarrère, Commissaire de la République française
au Togo de 1922 à 1931. Il aménagea et renforça les
infrastructures routières durant tout son gouvernorat de 10 ans
(1922-1931). De gros efforts furent fournis pour l'élargissement des
voies de 3 à 6 m, et leur aménagement. Ces routes furent
soutenues
13 Albert Sarraut est un éminent homme
politique français, gouverneur d'Indochine de 1911 à 1919. Il fut
ministre des colonies de 1920 à 1924 et de 1932 à 1933. Il
élabora un programme de mise en valeur des colonies en 1920 pour
permettre de relever son économie affaiblie par la guerre.
14ANT-Lomé, 1 G Travaux publics, dossier 23,
note du ministre des colonies aux Commissaires de la République et
Gouverneurs (février 1932) cité par Tsigbé (2005 : 40).
par des ponts solides en béton renforcés par des
barres métalliques15 pour supporter le poids des camions en
remplacement des ponts construits en bois pendant la période allemande
et facilement endommageables dénommés « ouvrages d'art
provisoire».
En 1930, le réseau routier togolais automobilisable au
Sud était estimé à près de 2 000 km (Tebie 2002 :
52). Au Nord, la priorité fut accordée au prolongement de la
route SokodéSansané-Mango passant par Alédjo, Bafilo et
Kara avec la construction d'un pont métallique sur la Kara au premier
semestre 192316. La construction de la route reliant Sokodé
à Kara (route de la main d'oeuvre) s'était imposée comme
une nécessité pour acheminer, par automobile, la main d'oeuvre du
pays Kabiyè-Losso vers le Sud pour la construction des routes et la mise
en valeur des plantations administratives. Le réseau routier des cercles
de Sokodé et de Mango comprenait 1 306 km (Tebié 2002 : 62).
En général, le territoire togolais était,
en 1930, sillonné par 3 239 km de routes carrossables en 1930 contre 1
745 en 1921 (Tebie 2002 : 62). Beaucoup de régions du territoire jadis
enclavées, furent dessertes. Il était alors moins difficile
à l'Administration d'y accéder par le transport automobile. Elle
dispose à cet effet dans chaque cercle un parc automobile. La carte
routière n°117 illustre à bien des égards
le niveau de désenclavement des régions du Togo et de circulation
des véhicules en 1933, et la répartition des parcs automobiles
administratifs dans le pays.
15 Parmi les ponts construits, on peut citer ceux de
Zébé (90 m) et d'Alounou (45 m).
16 Le pont métallique sur la Kara
remplaça celui construit par les Allemands en 1907 emporté par de
fort courant d'eau en 1917 (Kakou 2007 : 166).
17 Voir page 22.
Carte n° 1 : Reseau routier du Togo en 1933
Source : Gbamehossou à partir de Barandao (1987 : 644)
et ANT-Lomé, 9 C Garage central, dossier 7, correspondance avec le
Commissaire de la République sur les autorisations de circulation
demandées par quelques maisons de commerce, 1929-1931.
Cette carte montre que l'essentiel du réseau routier
togolais en 1930 était reparti entre la région située
entre Atakpamé-Lomé et celle comprise entre Sokodé
-Dapaong. La région s'étendant d'Atakpamé à
Sokodé traversée seulement par la route principale reliant ces
deux localités, était mal desservie par les infrastructures
routières. La circulation automobile y demeure encore assez
limitée même après la desserte de certaines zones telles
que le plateau de Danyi par le projet de tracé Kpalimé-Badou en
1934 et le pays Adelé. Les régions frontalières à
l'Est et à l'Ouest restèrent enclavées, une
conséquence de la crise économique des années 1930 (et
plus tard la Seconde Guerre mondiale18) qui bloqua, sinon, ralentit
les projets. Par ricochet, les automobiles ne pouvaient pas y accéder.
L'Administration avait donc recouru aux moyens de transports à deux
roues et au portage pour s'y déployer. Seulement entre 1921 et 1926, on
comptait 918 porteurs à son service dans les cercles d'Atakpamé
et de Sokodé (Assima-Kpatcha 2004 : 2004) mal restructurés par
des routes carrossables.
Au Togo sous mandat français, l'essor des
infrastructures de transport routier s'était accompagné d'une
évolution flagrante du parc automobile.
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