PARAGRAPHE 2 : Des limites aux sanctions intelligentes
Les sanctions intelligentes constituent sans conteste
un remarquable effort de légitimation des sanctions politiques. L'on ne
pourrait pas les dénier toute fin utile. Néanmoins, cet effort de
légitimation des sanctions politiques, soit n'est pas encore
achevé, soit est, de fagon congénitale, imparfait. En effet, les
sanctions intelligentes ont d'importantes limites liées d'une part a la
persistance de l'incompatibilité avec les droits de l'homme (A), d'autre
part a leur consistance me-me (B).
A- Des limites relatives a la persistance de
l'incompatibilite avec les droits de l'homme
En vertu de l'article 2 in limine de la DUDH,
g Chacun peut se prévaloir de tous les droits
et de toutes les libertés proclamés dans la Déclaration,
sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou
sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation (...)
D251.
251 Voir annexe 3, p.161.
En d'autres termes, l'homme detient des droits
inalienables, intouchables, inviolables en toute situation. Or les sanctions
intelligentes ne tiennent pas compte des droits de la première (1) et de
la deuxième (2) generation des personnes responsables de violations des
droits de l'homme.
1- La persistance de l*incom patibilite avec certains
droits civils et politiques
L'incompatibilite se manifeste en l'occurrence par la
meconnaissance de certains droits civils et politiques des individus
responsables des violations des droits de l'homme. Autrement dit, les sanctions
intelligentes sont mises en oeuvre en irrespect de ces droits. Il s'agit
d'abord du droit a un procès equitable. En effet, ce droit est prevu a
l'article 10 de la DUDH en ces termes :
g Toute personne a droit, en pleine egalite, a ce que
sa cause soit entendue equitablement et publiquement par un tribunal
independant et impartial, qui decidera, soit de ses droits et obligations, soit
du bien-fonde de toute accusation en matière penale dirigee contre elle
D252.
Or, l'application des sanctions intelligentes est
operee hors du cadre d'un procès equitable. Ces sanctions sont mises en
oeuvre en meconnaissance totale de ce droit.
Ensuite, les sanctions intelligentes sont appliquees
en irrespect de la presomption d'innocence dont beneficie tout individu accuse
de violation des droits de l'homme. Cela dit, l'article 11, paragraphe 1, de la
DUDH dispose :
g Toute personne accusee d'un acte delictueux est
presumee innocente jusqu'a ce que sa culpabilite ait ete legalement etablie au
cours d'un procès
252 Voir annexe 3,
p.163.
public ou toutes les garanties nécessaires a sa
défense lui auront été assurées
*253.
Enfin, les sanctions intelligentes, notamment les
interdictions de voyage et restrictions de déplacement, portent atteinte
a la liberté d'aller et de venir. Prévue dans la DUDH, cette
liberté est garantie par l'article 13, paragraphe 2, en ces termes
:
K Toute personne a le droit de quitter tout pays, y
compris le sien, et de revenir dans son pays254 *.
Me-me si cette liberté de
circulation peut e-tre l'objet de restrictions dans le but de protéger
la sécurité nationale, l'ordre public, la santé ou la
moralité publiques, il n'en demeure pas moins que ces restrictions
doivent e-tre édictées par le biais d'une procédure
légale. Les sanctions intelligentes bafouent cette procédure dans
leur application. Elles sont alors incompatibles avec la liberté de
circulation, tout comme avec les droits de la deuxiéme
génération.
2- La persistance de l'incompatibilite avec les droits
economiques, sociaux et culturels
Les sanctions intelligentes sont appliquées
sans égard aux droits économiques, sociaux et culturels. En
effet, les sanctions tels que le gel des avoirs a l'étranger, le blocus
effectué sur les produits alimentaires ou vestimentaires destinés
aux personnes cibles des sanctions intelligentes, peuvent plonger celles-ci
dans un état de dénuement réel. Cette situation est alors
constitutive d'une violation des droits économiques et sociaux de ces
personnes.
253 Voir ibid ; l'article 14, paragraphe, 2 du PIDCP
reconnait aussi le bénéfice de présomption d'innocence aux
individus accusés d'un fait illicite. Il dispose en effet
que
K toute personne accusée d'une infraction
pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa
culpabilité ait été légalement établie
*.
254 Voir annexe ; l'article
12, paragraphe, 2 du PIDCP dispose : K Toute personne est libre de quitter
n'importe quel pays, y compris le sien *.
L'article 22 de la DUDH stipule :
g Toute personne, en tant que membre de la societe, a
droit a la securite sociale : elle est fondee a obtenir la satisfaction des
droits economiques, sociaux et culturels indispensables a sa dignite et au
libre developpement de sa personnalite, grace a l'effort national et a la
cooperation internationale, compte tenu de l'organisation et des ressources de
chaque
pays
D255.
Cette disposition de l'article 22 est completee et
renforcee par celle de l'article 25, paragraphe 1, en ces termes :
g Toute personne a droit a un niveau de vie suffisant
pour assurer sa sante, son bien-être et ceux de sa famille, notamment
pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins medicaux ainsi que
pour les services sociaux necessaires ; (...) D256.
Ainsi, les sanctions intelligentes constituent des
atteintes portees aux droits economiques et sociaux. Elles ne permettent a tout
le moins pas une amelioration des conditions de vie des personnes cibles. L'on
pourrait objecter a ces limites de la sanction intelligente leur
legérete par rapport a l'objectif bien plus important de maintien de la
paix et de la securite internationales. La meconnaissance de quelques droit
reconnus aux individus responsables de violations des droits de l'homme est en
tout cas preferable aux victimes par ricochet des sanctions politiques
globales. Toutefois, même si les sanctions intelligentes constituent une
avancee dans le cadre du maintien de la paix et securite internationales, elles
ne peuvent recevoir la même appreciation dans le domaine des droits de
l'homme. Cette limite des sanctions intelligentes ne peut pas être
ignoree, d'autant plus qu'une autre limite est portee sur leur
consistance.
255 Voir annexe 3, p.165.
256 Voir ibid. Allant dans le
même sens, l'article 11, paragraphe 1, in limine du PIDESC dispose : *Les
Etats Parties au present Pacte reconnaissent le droit de toute personne a un
niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une
nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'a une
amelioration constante de ses conditions d'existence (...) *.
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