Une autre explication des bulles et de volatilité des
taux de change a été avancée. Elle fait appel aux
différentes stratégies des acteurs du marché d'une part,
et à des comportements d'anticipation plus conformes à la logique
du marché des changes d'autre part (Cartapanis, 1996). Il existe, en
effet, deux catégories d'acteurs sur le marché des changes :
d'une part les opérateurs qui prennent leurs décisions sur la
base des fondamentaux, comme par exemple les commerciaux, et d'autre part les
gestionnaires financiers (traders) qui ont un horizon très court et qui
cherchent les moindres occasions de profit. Le poids de ces derniers n'a
cessé de grandir. Il peut alors s'avérer rationnel d'ignorer les
fondamentaux dans le très court terme si les parités sont
effectivement déterminées par les stratégies
décidées heure par heure par ces
9 Krugman P.R « Currency and crises
», Cambridge (Mass), MIT press, 1995.
traders.
Ces professionnels forment un milieu très
hermétique où « tout le monde pense la même chose au
même moment », les moindres informations ou « news »
prennent alors une dimension considérable du fait de la « myopie
» des opérateurs. Dans un tel cadre, les anticipations se forment
selon un mécanisme mimétique. Chaque agent forme ses
prévisions, non pas sur la base de la valeur « économique
» du taux de change, mais sur la base de ce que sera l'opinion dominante
du marché.
Keynes avait déjà défini la
spéculation comme étant « l'activité qui consiste
à prévoir la psychologie du marché ». Dans le
contexte d'incertitude totale dans lequel il se plaçait, le
mimétisme était un comportement rationnel dans la mesure
où il permettait de tirer avantage de l'information détenue par
des opérateurs informés. L'analyse récente des bulles
spéculatives reprend cette idée keynésienne. Comme l'a
indiqué Orléan (1989) « les bulles spéculatives
peuvent être analysées en partant du processus de contagion
mimétique des anticipations ». Lorsque les opérateurs
ont le choix, pour former leurs anticipations, entre acquérir une
information payante ou obtenir celle-ci gratuitement, en se basant sur le prix
du marché, c'est généralement la seconde solution qui sera
choisie.
Si on se trouve dans une situation, dans laquelle un
opérateur copie l'autre en croyant qu'il détient l'information,
alors qu'aucun agent n'est informé, le prix qui se forme n'est que le
reflet de la « psychologie du marché » et ne contient aucune
information. On est alors en présence d'un processus d'anticipations
autoréalisatrices dans lequel un prix va s'auto-confirmer, même
s'il s'écarte de plus en plus de son niveau d'équilibre
fondamental. C'est de la sorte que se développent les bulles de change,
entretenues par des comportements mimétique.
Ainsi, il existe deux paradigmes concurrents du marché
des changes (Plasma, 1999). D'un côté, une approche d'inspiration
walrasienne, basée sur trois postulats :
l'homogénéité des comportements, l'équilibre
général et l'anticipation rationnelle. A cette école se
rattachent les théories de l'efficience et des bulles rationnelles. D'un
autre côté, on trouve une approche théorique
inspirée de Keynes, qui introduit les comportements mimétiques et
met en avant, l'hétérogénéité des
opérateurs et leurs interactions. Cette seconde approche apparaît
plus conforme à la réalité, car elle fournit un fondement
microéconomique mieux adapté au fonctionnement observé des
marchés, et semble mieux adaptée pour expliquer
l'instabilité des
changes. Plusieurs travaux empiriques, notamment ceux
réalisés par De Grauwe et al (1993)10 ont
montré que l'interaction entre opérateurs « fondamentalistes
» et « chartistes » entraîne une dynamique de
marché instable, de type « chaotique » dont les
spécificités sont très voisines de celles observées
empiriquement. A court terme, le marché ne converge pas de
manière spontanée vers un équilibre général
: il y a plusieurs situations d'équilibre possibles en fonction du
marché et des anticipations des opérateurs.