La forte appréciation enregistrée par le dollar
entre 1980 et 1985, et le krach boursier d'octobre 1987, ont suscité
d'autres analyses théoriques de l'instabilité. L'idée de
départ est qu'il peut exister des écarts durables entre le taux
de change (ou les prix des actifs financiers) observé sur le
marché et sa valeur d'équilibre correspondant aux fondamentaux
économiques (balance des paiements, inflation, taux
d'intérêt...). Cet écart est appelé bulle
spéculative car il tend à se gonfler, pour se résorber
ensuite brutalement. Formellement, on peut écrire :
S= Seq + B
où S est le taux de change du marché,
Seq, le taux de change d'équilibre, et B la
bulle spéculative. Blanchard et Watson (1984)8 ont
montré que les bulles pouvaient être compatibles avec
l'hypothèse d'efficience des marchés, et en particulier
l'hypothèse d'anticipations rationnelles. Cette théorie des
bulles rationnelles a permis d'établir trois résultats qui
semblent correspondre au fonctionnement récent des marchés des
changes :
8 Blanchard.O et Watson.M , « Bulles,
anticipations rationnelles, et marchés financiers », Annales d
l'INSEE, n°54, 1984, Paris.
- A court terme, le marché peut connaître une
multiplicité de situations d'équilibre ;
- L'écart entre le taux de change du marché et sa
valeur « fondamentale » peut être croissant ;
- Le taux de change dépend de sa propre valeur
anticipée, les anticipations sont alors « autoréalisatrices
».
Le mécanisme de la bulle de change est le suivant la
plupart des agents prévoient l'appréciation d'une devise sans
intégrer les fondamentaux ; il en résulte un excès de
demande en faveur de cette monnaie, dont le taux de change s'apprécie et
s'écarte de sa valeur économique fondamentale. Les anticipations
s'autoréalisent et le marché est efficient au sens où il
prévoit correctement l'évolution du change. Cependant, comme les
rumeurs versatiles l'emportent sur les calculs rationnels, on enregistre un
retournement des anticipations et la bulle finit par éclater.
Cette notion de « bulle rationnelle » est en fait
fortement antinomique, car les notions de bulle et de rationalité sont
incompatibles. L'étude des phénomènes de bulles de change
suggère en effet que les opérateurs ne semblent pas
intégrer toute l'information disponible dans de telles situations. Le
cas de la bulle constatée sur le dollar au début des
années 80 est édifiant : comme l'a précisé Krugman
(1986), « le marché n'a pas bien Fait ses
comptes9 », les agents qui misaient sur un dollar haussier
n'ont pas utilisé les informations disponibles sur le caractère
insoutenable de l'appréciation durable du dollar, en particulier avec
l'augmentation des déficits « jumeaux », (budgétaire et
extérieur) des État Unis.