En matière de couverture, on établit
traditionnellement une distinction entre techniques de couverture externes et
techniques internes. Dans la première catégorie, le risque est
transféré au marché, à une banque ou une autre
institution spécialisée en contrepartie d'une
rémunération. Les techniques internes regroupent toutes les
autres mesures qu'une firme peut prendre pour éviter la formation d'une
position de change ouverte ou en réduire le montant et elles
présentent l'avantage de réduire les coûts de transaction.
Depuis la suppression des contrôles des changes, le trésorier
dispose d'une vaste panoplie de moyens, dont certains ménagent à
la firme la possibilité de conserver pour elle les gains de change
possibles. Il lui appartient d'évaluer les coûts et les avantages
de chacun de ces moyens et de comparer le taux de change garanti aux
prévisions de cours dont il peut disposer17. Les techniques
étudiées dans cette section sont qualifiées d'internes
parce qu'elles sont mises en ~uvre par l'entreprise elle-même pour
réduire l'assiette du risque susceptible d'être
généré par son activité commerciale. Leur objectif
est donc de prévenir l'exposition au risque de change en recherchant un
équilibre, devise par devise, des éléments d'actif et des
éléments de passif exposés ou en jouant sur les
délais de règlement.
1.1.4.2.1. Les modifications de la monnaie de
facturation et des clauses d'indexation :
Les facturations en monnaie nationale apparaissent
naturellement comme un moyen simple et
efficace d'éradiquer le risque
de change de transaction : les variations des cours de change ne
17 A titre d'exemple (bien entendu caricatural) un
exportateur s'abstiendra de couvrir à terme sa position
créditrice si la devise considérée cote un déport
important alors que tout le monde s'attend à sa
réévaluation.
peuvent avoir de conséquence sur les recettes futures
de l'entreprise. Il est certain néanmoins que cette procédure
dépend de la bonne volonté du partenaire (qui prend le risque
à sa charge) ou du rapport commercial entre les protagonistes. Certaines
transactions sont coutumièrement libellées en dollars (comme,
très souvent, les achats de matières premières) et tout
changement de monnaie de facturation est alors impossible.
Une telle façon de procéder n'est d'ailleurs
pas toujours souhaitable dans la mesure où elle risque d'être
monnayée par le partenaire qui tentera de répercuter son
coût de couverture sur les conditions commerciales (en exigeant un rabais
par exemple). Dans ces conditions, le caractère de gratuité
souvent attaché à ce procédé se
révèle assez factice ; en fait, la facturation en monnaie
nationale peut entraîner des coûts d'opportunité ce qui
montre que toute activité de commerce international, même
libellée en monnaie nationale, est génératrice d'un risque
de change. Ajoutons encore que, pour un exportateur, faire une proposition de
prix dans la monnaie de l'acheteur pourra se révéler un atout
concurrentiel propre à faire pencher de son côté la
balance. Il est également possible de facturer la transaction dans une
monnaie tierce, qui ne soit ni celle de l'acheteur ni celle du vendeur. Dans ce
cas, chaque partenaire encourt un risque de change d'où
l'intérêt des monnaies composites ou panier qui, comme jadis
l'écu européen ou aujourd'hui le DTS, sont dotés d'une
relative stabilité (Encadré :1 ).
Enfin, parmi les solutions proches, on peut imaginer
l'insertion dans le contrat d'une clause de change. Dans ce cas, un codicille
prévoit un ajustement de prix lorsque survient une variation d'un
certain montant de la monnaie de facturation par rapport à une devise
donnée ou par rapporta une monnaie-panier (comme le DTS). Naturellement,
les formules contractuelles envisageables en matière de clause de change
sont en nombre quasiment illimité : certaines fixent un taux fixe entre
la monnaie de facturation et la monnaie de référence de
l'exportateur (onde l'importateur) alors que d'autres ne prévoient une
adaptation de prix que lorsque la dépréciation (ou
l'appréciation) de la monnaie de facturation dépasse un certain
seuil. L'indexation des prix peut elle-même être totale
(c'est-a-dire du même niveau que la modification du cours de change) ou
partielle...
1.1.4.2.2. Le termaillage.
1.1.4.2.2.1.Définition et origine du termaillage
:
Le termaillage peut être défini comme tout
changement dans le rythme des règlements internationaux et, plus
généralement selon la définition de la Banque de France,
comme «
l'ensemble des opérations qui se traduisent par une
modification des modalités selon lesquelles sont réglées
les transactions avec l'extérieur ».Il est la traduction officielle
de l'expression anglaise leads and lags (avances et retards)
qui provient elle-même de la réaction des commerçants aux
perspectives de modifications de taux de change. Dans le cas (le plus
fréquent) où la monnaie de facturation d'une transaction est
celle de l'un des deux cocontractants, un termaillage judicieux permet à
l'un des partenaires de réduire son risque de change (voire de
bénéficier d'une variation des cours) sans modifier la position
cambiaire de l'autre.
Ainsi, les importateurs engagés en devises
étrangères et prévoyant une dépréciation de
la
valeur de la monnaie nationale par rapport à la
monnaie de facturation auront tendance à accélérer le
règlement de leurs achats, c'est-à-dire à en avancer le
paiement, pour éviter d'avoir à débourser davantage si la
dépréciation escomptée se produit. A l'inverse, les
exportateurs placés dans la même situation (risque de
dépréciation de la monnaie nationale par rapporta la monnaie de
facturation) pourront retarder la perception de leurs créances pour
bénéficier d'un gain de change. Des comportements
symétriques se produiront si la monnaie nationale est susceptible de
s'apprécier par rapport aux devises de facturation des flux
commerciaux18.
Dans cette acception, le termaillage se ramène
à une modification des clauses contractuelles de règlement : on
le qualifiera de termaillage stricto sensu. Toutefois, on peut avoir une
conception plus large du phénomène en intégrant :
- La modification du calendrier des transactions commerciales
en fonction des perspectives cambiaires (situation de l'entreprise qui
accélérerait ses achats de fournitures à l'étranger
avant la dépréciation de la monnaie nationale)
- Les changements de monnaie de facturation (par exemple, en
libellant le contrat en monnaie nationale lorsqu'on veut s'affranchir du risque
de change)
- Le termaillage cambiaire, qui consiste à modifier le
calendrier des achats ou des cessions de devises sur le marché des
changes (par exemple, un importateur achète à l'avance la devise
de facturation et la place en attendant le paiement ou un exportateur retarde
la conversion en monnaie nationale du produit en devises de sa vente).
1.1.4.2.2.2. Les conséquences du termaillage
:
Sur le marché des changes, les effets du termaillage
sont analogues à ceux de la spéculation, se traduisant par un
affaiblissement des monnaies discutées et par le renforcement des
monnaies dont la hausse est attendue. Le fait (mentionné plus haut)
qu'ils soient réversibles ne change rien au fait que, lorsque le
termaillage se produit, la banque centrale émettrice de la monnaie
attaquée se trouve dans l'alternative d'en laisser fléchir le
cours ou d'engager ses réserves de change.
L'évaluation du termaillage est assez difficile
à réaliser, car son repérage dans la balance
des
paiements ne peut être qu'indirect. Mais si imparfaites que soient
les estimations du
18 D'ol la traduction initial du décalage
chronologique.
phénomène, son rôle dans plusieurs crises
monétaires (dévaluation du sterling en 1967, sortie du franc du
« serpent » monétaire en mars 1976) a été
déterminant, car une modification de quelques jours des délais de
règlement peut conduire à une accélération des
achats de devises de la part des importateurs et à un retard des ventes
des exportateurs et déséquilibrer fortement le marché des
changes. On notera donc, une nouvelle fois, l'importance des
phénomènes psychologiques : la crainte d'une baisse des cours
incite les entreprises à se protéger (dans le souci
légitime de défendre leurs intérêts) en modifiant
l'échéancier des transactions de change afférentes
à leurs échanges commerciaux, ce qui rend la baisse encore plus
inexorable.
1.1.4.2.3. La centralisation de la trésorerie
et la compensation des positions de change :
Comme on peut l'imaginer, il se produit quotidiennement au
sein des groupes multinationaux des transferts de fonds dont l'origine est
à la fois commerciale (règlements entre filiales) et
financière (octrois de prêts, remboursements d'emprunts, paiements
d'intérêts et de dividendes...)
1.1.4.2.3.1. Le netting ou compensation
multilatérale :
Le netting, ou compensation multilatérale des
règlements, a pour objet de réduire les paiements à
l'intérieur du groupe. Ainsi, si une flotte A détient une
créance sur la société B qui appartient au même
groupe, elle pourra utiliser cette créance pour honorer sa dette
à l'égard d'une troisième firme (du même groupe) C.
Ainsi, à la place de deux paiements (de B à A de A à C),
une seule transaction financière aura lieu, puisque qu'il suffira
à B de payer C pour apurer l'ensemble des créances et dettes. La
généralisation de la procédure pour les groupes de taille
importante aura pour effet de réduire considérablement les
coûts de transaction en minimisant les flux financiers. Elle n'est
toutefois possible que si tous les paiements sont dus aux mêmes dates.
Pour mener à bien une telle procédure, il peut
être créé un centre de clearing19, qui
évalue périodiquement les positions nettes (créances ou
dettes) de chaque composante du groupe dans les différentes devises et
qui procède (par exemple, une fois par mois) aux appels de fonds pour
que les règlements soient effectués entre les filiales.
Une telle façon de procéder permet de
rationaliser les règlements à l'intérieur du groupe
en
réduisant le nombre et/ou le montant des transferts,
d'économiser le coût d'opérations de
19 Une entité existante ou une structure ad
hoc, par exemple une banque de groupe.
change et d'éviter des couvertures redondantes.
1.1.4.2.1. la centralisation de la position de change
(pooling) :
L'exercice par chaque composante d'un groupe d'une
activité commerciale avec des firmes extérieures au groupe
conduit à l'émergence, pour chacune de ces unités, d'une
position de change spécifique. Ces positions de change peuvent
également être centralisées dans une structure
financière spécifique (le pool), plus ou moins
complètement en fonction de l'autonomie financière laissée
à chaque unité. On peut limiter la centralisation en maintenant
l'autonomie de chaque unité (qui choisit librement sa stratégie
de couverture) en attribuant à un centre unique la charge d'intervenir
sur le marché des changes, afin d'augmenter le montant de chaque ordre
et de réduire ainsi le coût des couvertures. Mais une forme plus
radicale de centralisation consiste à créer un centre de
refacturation qui s'interposera entre chaque composante du groupe et la
clientèle.
Ainsi, la filiale japonaise d'un groupe américain
cherchera à établir les factures inhérentes à ses
ventes à des entreprises tierces en yens ; en cas de refusée la
part des clients, la filiale facture alors en yens le centre de facturation, ce
dernier refacturant les clients dans la monnaie qu'ils ont choisie.
Symétriquement, les fournisseurs suisses
(extérieurs au groupe) de la même filiale vont facturer le centre
dans leur propre monnaie (ou en une autre devise), celui-ci refacturant la
filiale en yens. De cette façon, chaque filiale paie ou encaisse dans sa
monnaie et le centre de refacturation (le plus souvent une
société financière) assume l'intégralité de
la position de change induite par l'activité des entreprises du groupe.
L'intérêt de cette centralisation est d'optimiser la couverture et
de délocaliser une part du profit du groupe vers un centre de
trésorerie situé (généralement) dans un pays
à fiscalité favorable.
En règle générale, les entreprises
s'efforceront de réduire leur position de change en utilisant les
méthodes de couverture interne. Toutefois, lorsque ces dernières
sont inutilisables ou ne permettent pas de neutraliser totalement le risque de
change, les firmes recourront aux techniques de couverture externes, fournies
par des institutions spécialisées et donnant lieu, naturellement,
à une rémunération spécifique.