Une entreprise se trouve exposée au risque de change
à plusieurs titres : du fait de son activité commerciale
(particulièrement - mais non exclusivement - lorsqu'elle est
libellée en devises étrangères), du fait également
des investissements qu'elle a effectués à l'étranger et en
raison enfin des opérations financières qu'elle a
réalisées en devises. Il n'existe pas de définition
uniforme de la position de change et l'exposition au risque de change peut
être mesurée de plusieurs façons. Les entreprises disposant
de filiales à l'étranger doivent convertir les états
financiers (et notamment les bilans) de ces filiales dans la monnaie de la
maison mère pour qu'ils soient intégrés dans les comptes
consolidés du groupe ; cette conversion (ou consolidation) s'effectue en
général au taux de change qui prévaut lors de la
clôture des comptes. Les modifications de taux d'un exercice à
l'autre induisent un risque de consolidation (1.1.4.1.1). Le risque de change
économique (1.1.4.1.2) se définit plus largement comme celui que
font subir des variations de cours à la valeur de la firme (telle qu'on
la mesure par la valeur actualisée de ses cash flows) : ainsi, des
modifications imprévues de taux de change peuvent relever le coût
des approvisionnements, compromettre des débouchés et, plus
généralement, affecter l'activité future voire la
pérennité d'une entreprise. Enfin, le risque de transaction, le
plus simple à évaluer, résulte du changement de la valeur
de créances et de dettes dû aux variations de taux de change
(1.1.4.1.3) ; ce risque nait tout particulièrement des opérations
d'import-export. Les modalités de calcul de la position de change de la
firme seront également exposées (1.1.4.1.4).
1.1.4.1.1. le risque de change de consolidation
:
Bien qu'il existe plusieurs méthodes comptables de
consolidation des comptes de filiales
étrangères, leur caractéristique commune
est de convertir dans la monnaie de la maison mère les
éléments du bilan des filiales susceptibles d'être
affectés par des variations de taux de change, puis à calculer
les gains ou pertes enregistrés au cours de l'exercice. Il y a perte de
change en cas de diminution de la valeur, dans la monnaie de la maison
mère, d'un poste d'actif (lorsque le cours de change a baissé
entre les dates d'entrée et de sortie du bilan) ou augmentation de la
valeur d'un poste de passif (si le cours de change est plus élevé
à la date de sortie de bilan qu'à la date d'entrée). Des
profits de change seront enregistrés dans des situations
symétriques.
Deux méthodes principales de conversion sont
utilisées qui se différencient sur les postes de bilan
exposés et sur les gains ou pertes que l'on peut retenir et faire
figurer dans le compte de résultat :
- Selon la méthode du cours de clôture, la plupart
des postes du bilan des filiales libellés
en devises sont évalués en monnaie nationale au
taux de change qui prévaut en fin d'exercice. Ainsi, la valeur des
immobilisations, des stocks, des créances et des dettes... est convertie
en monnaie de la maison mère au cours de clôture. La seule
exception concerne le capital converti au cours historique (celui qui
prévalait lorsque le capital de l'entreprise a été
constitué). Dans la mesure où les conversions des
différents postes du bilan ne s'effectuent pas au même taux, la
création d'un poste spécifique « écart de conversion
», créditeur ou débiteur, est nécessaire au
rééquilibrage de l'actif et du passif ;
- Selon la méthode du cours historique, ces
mêmes éléments sont convertis au taux de change qui
était en vigueur lors de leur entrée dans le patrimoine de
l'entreprise. Une exception là encore pour les actifs monétaires
ainsi que les créances et les dettes qui sont convertis au cours de
clôture. L'écart de conversion n'apparaît pas dans le
résultat mais constitue, en fonction des vicissitudes monétaires,
une charge ou un produit intégré au compte de
résultat12. On ne s'étonnera pas de la divergence des
résultats en fonction de la méthode utilisée13
: pour une même structure bilancielle, une variation de taux de change
(par exemple, la dévaluation ou la dépréciation de la
monnaie d'un pays dans lequel on possède une filiale) pourra se
traduire, selon le cas, par une perte pour la firme ou par un gain. Il reste
que ces
12 Le nouveau référentiel comptable
international IFRS (International Financial Reporting Standards)
applicable en Europe depuis le 1 janvier 2005 contraint désormais
les entreprises cotées sur un marché organisé à
faire figurer leurs actifs financiers et corporels (sauf exceptions) en
fair value (ou juste valeur), l'objectif étant de donner au
marché une information financière pertinente, fidèle
à la réalité économique. La méthode du cours
historique sera en conséquence abandonnée. CL P. Amis et E.
Rospars (2005).
13 Eiteman, Stonehill et Moffett (2004),
gains ou pertes comptables n'ont pas toujours de
réalité économique ;
- D'une part parce qu'ils restent virtuels tant que les
participations sur lesquelles ils
portent ne sont pas vendues ;
- Et, d'autre part, parce qu'ils sont transitoires et peuvent
être compensés par une
modification de la valeur nominale, en monnaie locale, des
actifs considérés.
A titre d'exemple, on peut imaginer, pour une firme
marocaine, qu'une baisse de l'euro (et donc une perte de change comptable sur
la contre-valeur en dirham marocain des actifs réels détenus par
cette firme en Europe) sera suivie à moyen terme dans ce pays (comme
l'enseigne d'ailleurs la PPA) d'un mouvement de hausse des prix dont
bénéficieront les actifs réels. Au total, pour la maison
mère, la baisse de l'euro sera neutralisée par la hausse de la
valeur (en dirham) de ses actifs européens. Enfin, toutes les
méthodes comptables ne sanctionnent que l'incidence de la variation de
change sur des valeurs passées d'actif et de passif, enregistrées
dans le bilan. Or, les effets principaux concernent les cash flows futurs que
seule permet d'appréhender la méthode économique de mesure
de l'exposition au risque de change.
1.1.4.1.2. Le risque de change économique
:
Il existe une grande divergence entre les pratiques
comptables et les réalités économiques en matière
d'évaluation de l'exposition au risque de change. Fondamentalement, le
risque économique subi par une firme doit s'évaluer par
l'ensemble des conséquences, à court et long terme, que des
variations imprévues de taux de change peuvent exercer sur la valeur de
cette entreprise dont la compétitivité peut être
érodée ou stimulée par ces variations. La valeur d'une
firme étant traditionnellement calculée par la somme
actualisée de ses cash flows futurs, on peut donc mesurer les
gains ou pertes de change économiques par la différence entre les
valeurs avant et après les fluctuations de taux de change.
Le risque économique est ainsi défini beaucoup
plus largement que le simple risque de consolidation ou le risque de
transaction examiné supra. Ainsi, une entreprise qui ne produit
et ne vend que sur son marché national, à partir d'inputs
également acquis sur le marché local, des marchandises
facturées et payées en monnaie nationale, peut souffrir des
effets d'une concurrence plus vive (non anticipée) des fournisseurs
étrangers dont la monnaie s'est
dépréciée14. Bien que
n'étant concernée par aucun flux de devises, elle est
néanmoins soumise à un risque qui pèsera sur sa valeur.
Plusieurs études empiriques établissent qu'il existe une
proportion beaucoup plus importante de firmes soumises au risque
économique qu'au simple risque de transaction15.
La difficulté est toutefois d'appréhender
l'ensemble des éléments qui, suite à des variations de
cours de change, sont susceptibles d'affecter la valeur de l'entreprise. Les
effets des fluctuations de change peuvent être vastes, indirects et
retardés ; ils sont non seulement difficiles à discerner mais
leur mesure est très aléatoire car on ignore, a priori, toutes
les conséquences que pourra avoir une variation de taux de change sur
les coûts de production et sur le produit des ventes (à la fois
sur le territoire national et à l'étranger). Il n'est pas certain
que des calculs effectués ex post, sur l'impact de
précédentes variations de change, puissent être reconduits
dans l'avenir et servir de base pour définir le montant du risque
économique. En conséquence, on en est réduit à
formuler des hypothèses dont le contenu influencera grandement
l'évaluation de la position de change.
Les entreprises peuvent gérer et couvrir le risque
économique par des méthodes semblables au risque de transaction.
Elles peuvent aussi chercher a réduire en amont leur exposition, soit en
diversifiant leurs marchés, leurs lieux de production et
d'approvisionnement, soit encore en se spécialisant dans des productions
peu sensibles aux variations de prix et donc de taux de change (productions
<< haut de gamme » pour lesquelles le coût ne constitue pas un
argument de vente décisif).
1.1.4.1.3. le risque de change de transaction
:
Face aux difficultés, tant conceptuelles que
pratiques, que pose l'évaluation exhaustive du risque économique,
on limite très souvent la couverture de change au risque de transaction,
inhérent aux flux de devises à recevoir ou à verser pour
des raisons commerciales (importations et exportations facturées en
devises) et financières (engagements et prêts). Le calcul de la
position de change de transaction peut être partiellement effectué
à partir de la lecture de certains postes de bilan, en particulier, en
ce qui concerne la position d'origine commerciale, des postes << Clients
» et << Fournisseurs » libellés en devises
étrangères. Le
14 On considère que seules les variations
imprévues de taux de change peuvent dégrader la valeur d'une
firme puisque les variations prévues de taux, tout comme celles de
l'ensemble des variables économiques auxquelles l'entreprise est
soumise, sont déjà incluses dans la valeur courante de
l'entreprise.
15 Cf. sur ce point Fontaine et Gresse, <<
Risque économique », chapitre 6.
poste « Clients » (à l'actif) est
générateur d'une position créditrice (ou longue), le poste
« Fournisseurs » (au passif) d'une position débitrice (ou
courte). Il est aisé, également, de calculer le montant des
emprunts et des prêts dont le remboursement doit s'effectuer en devises
étrangères. Toutefois, certaines opérations commerciales
effectuées par la firme et non encore facturées (commandes prises
et passées) peuvent ne pas être inscrites dans le bilan et, de la
même manière, les opérations à terme (devises
à recevoir ou à livrer) ne figurent que dans le hors-bilan. Il
est donc nécessaire d'intégrer l'ensemble de ces
éléments à la position précédente pour
calculer une position de transaction globale.
Des difficultés supplémentaires peuvent
naître de créances ou d'engagements dont on ne connaît pas
le montant ni même, dans certains cas, s'ils sont effectifs ou simplement
potentiels. Il en va ainsi des ventes sur catalogues à prix ferme en
devises dont on ne sait pas, a priori, à quel volume de commandes elles
vont donner lieu. Le problème le plus délicat concerne cependant
la réponse aux appels d'offres internationaux ; la firme ayant
soumissionné se trouve en position de change virtuelle en raison de
l'engagement pris vis-à-vis du client Mais une fois le choix
effectué au terme de l'adjudication, soit la firme se trouve
effectivement en position de transaction (si sa proposition a été
retenue), soit son engagement disparaît brutalement.
1.1.4.1.4. le calcul de la position de change
:
L'exposition au risque est mesurée, devise par devise,
par la position nette après compensation des créances et dettes
de même montant et de même échéance. Comme nous
l'avons déjà précisé, la position de la firme est
ouverte et longue lorsqu'elle détient des créances nettes en
devises, courte dans le cas contraire16 ; la position est
fermée lorsque les créances équilibrent les dettes : il
n'y pas, dans ce cas, de risque de change.
Naturellement, les créances et dettes en devises
différentes ne se compensent pas. Une créance en yens dont la
contre-valeur est de 100 000 euros n'est pas compensée par une dette en
dollars de même montant ; il est aisé d'imaginer qu'un
opérateur malchanceux pourrait voir se dégrader
simultanément ses deux positions, à la suite d'une
dépréciation du yen et d'une hausse (en euro) du dollar. De la
même façon, il n'est pas possible de compenser, pour chaque
devise, des créances ou des dettes d'échéances
différentes : une créance de 100 000 CHF à 6 mois n'est
pas neutralisée par une dette de même montant à 3 mois, car
lorsque la dette sera remboursée, il subsistera une position longue pour
3 mois. Il faut donc que le responsable
16 Cf. chapitre 1, section 1.1.2.
financier dispose, devise par devise, d'un
échéancier de trésorerie régulièrement mis
à jour qui établit les encaissements et sorties de fonds
prévus afin de prendre les mesures de couverture adéquates. Mais
bien souvent en pratique, il est assez difficile à la firme de
connaître précisément les dates auxquelles ses paiements
seront reçus ; il est alors prudent d'adapter en conséquence la
stratégie de couverture.
Les pertes ou gains de change réels, constatés
à l'échéance de chaque transaction, seront passés
au compte de résultat. Toutefois, le calcul des pertes ou gains latents,
inhérents à des transactions non dénouées, pose
davantage de difficultés ; les pertes estimées de conversion
donnent lieu à la constitution d'une provision pour risque de change,
alors que les gains demeurent sans incidence sur le résultat.