5 COMPOSANTE RELATIONNELLE
« Petite chère et grand accueil peuvent faire un
joyeux festin » Shakespeare
Manger répond à un double besoin : se maintenir en
vie, en bonne santé, mais aussi prendre un plaisir et le partager dans
la convivialité. L'alimentation relève du don, de
l'échange, le partage de la nourriture étant depuis les origines
de l'humanité un des éléments centraux de l'organisation
sociale. Quelle que soit la prestation alimentaire, la convivialité
reste une dimension particulièrement importante : le repas est communion
; communion avec Dieu, communion entre les convives, mais aussi, à
travers la nourriture, communion avec ceux qui l'ont préparée.
Moment de partage, référence à la cène, cadre dans
lequel la famille célèbre son entente et prend les
décisions capitales, le repas ne peut se concevoir seul. Le rôle
social du restaurant est particulièrement important en
collectivité. Or la restauration collective souffre du handicap de la
dépendance entre l'institution et les bénéficiaires d'une
prestation « octroyée », consommateurs
obligés encore appelés « rationnaires » selon
l'expression consacrée héritée du vocabulaire militaire. A
l'école comme en entreprise, le restaurant ou la cantine vont traduire
et exacerber les tensions préexistantes : les griefs à l'encontre
de l'institution vont se cristalliser autour de la nourriture, à la
faveur de déficits vécus, de stress, de critiques
justifiées ou non qu'il sera facile d'exprimer, plutôt que de
verbaliser les véritables problèmes. La qualité
relationnelle concerne en premier lieu l'accueil et ce qu'il est convenu de
nommer « le service », élément central de la
« qualité perçue » et de la
« qualité vécue » de la prestation
alimentaire. Le convive d'un restaurant, qu'il soit commercial ou collectif,
remet sa confiance entre les mains du prestataire et attend en retour une prise
en charge matérielle mais également psychologique ; la
réponse à cette attente est un élément fondamental
du jugement qualitatif de la prestation : le client entend être
considéré, écouté, servi sans flatterie
ostentatoire ; en retour et dans certaines limites, il se montre alors capable
de passer outre quelques imperfections techniques, tant est prédominante
la composante psychologique et relationnelle de son appréciation. Le
service exemplaire est un service personnalisé, adapté, où
les dimensions humaines et techniques sont équilibrées : il
s'agit d'un problème d'organisation et de personnel. Dans les
civilisations occidentales, la connotation du service est volontiers
péjorative, faisant référence en cela à l'origine
latine du mot (servitium, esclavage). Les tâches de service ne
sont pas considérées comme valorisantes et restent très
souvent l'apanage d'une main d'oeuvre sous qualifiée dont la formation
professionnelle est négligée.
La problématique de la qualité des services
diffère sensiblement de celle de la qualité des produits :
à la différence des produits tangibles, fabrication et
consommation du service sont en général simultanées, ce
qui exclut tout mécanisme de filtrage en termes de contrôle. La
qualité de service n'est qu'une qualité « de
résultat » : l'évaluation a posteriori
constitue le seul contrôle. La qualité de service est globale
et relative, donc particulièrement délicate à analyser
finement et de façon totalement objective ; elle devra, autant que faire
se peut, se mesurer par des indicateurs quantitatifs permettant de recueillir
des éléments significatifs et reproductibles afin de comparer le
résultat obtenu au niveau de qualité défini au
préalable : enquêtes systématiques, check-lists et tests
sont des méthodes largement utilisées dans ce but.
La qualité relationnelle s'exerce également
à travers l'encadrement du temps du repas : la restauration hors foyer
est un endroit privilégié pour développer
concrètement un « message nutritionnel ». Elle
occupe une place déterminante dans l'approche pédagogique de
l'équilibre alimentaire, facteur de prévention des maladies dites
d'abondance, par les possibilités multiples de mise en pratique des
recommandations nutritionnelles qu'elle offre. Bien que les comportements
alimentaires ne correspondent pas toujours aux niveaux des connaissances des
convives concernant les relations entre leur santé et leur alimentation,
l'information nutritionnelle doit cependant être encouragée et
développée systématiquement dans les lieux où ces
comportements se manifestent concrètement. Cette information est
particulièrement pertinente à l'école, d'autant plus qu'en
matière d'alimentation, les enfants développent très
tôt une personnalité propre sur laquelle il est ensuite difficile
d'influer. Les recherches actuelles tendraient à prouver qu'il existe
une communauté de goûts entre enfants du même âge, un
véritable « goût enfantin spécifique »,
plus petit dénominateur commun entre les groupes sociaux et culturels
d'une population. Ces préférences ne sont pas fixées et
évoluent ensuite vers une plus grande différenciation sociale au
seuil de l'âge adulte. En restauration scolaire, le temps du repas doit
être le relais du temps éducatif en complétant les bases
théoriques de l'éducation nutritionnelle, et un modèle en
jouant autant que faire se peut sur la loi du groupe (« j'en mange
parce que les autres en mangent ») la suggestion, la
curiosité, les facteurs ludiques et le plaisir. Cet aspect
pédagogique prend toute son importance si l'on considère que
l'acquisition de la culture alimentaire s'effectue aujourd'hui sur le mode
horizontal, le classique schéma « mère-fille»
n'étant plus aussi pertinent que par le passé.
Au-delà de l'aspect éducatif, l'animation du temps
du repas a également un véritable rôle de réconfort
familial. A l'école maternelle, les enfants sont encore en
période de familiarisation selon la trilogie de FISCHLER, et restent
susceptibles de se familiariser avec un grand nombre de saveurs appartenant
à des registres inconnus, de faire l'expérience d'un nouveau
répertoire ; dans ces conditions la différence entre consommation
et refus dépend beaucoup plus de l'encadrement rassurant et l'aide de
l'animateur (couper la viande par exemple) que du contenu de l'assiette. Du
reste, il est courant d'entendre qu' « à la maternelle, les
enfants ne sont pas difficiles et mangent de tout... mais après !
« Après intervient la période dite néo-phobique
pendant laquelle les jeunes structurent leurs propres choix alimentaires et
affirment leur autonomie en exprimant des rejets qui peuvent apparaître
comme autant de caprices ou de lubies par des adultes désemparés
devant ces revirements soudains. Il s'agit en fait de refuser ce qui ne fait
pas directement partie du répertoire familier élaboré
durant la période précédente. La troisième
période correspond ensuite à la transmission sociale des
goûts : elle se manifeste surtout à travers l'observation des
pairs. Grâce à la sociabilité enfantine puis
juvénile, à travers des conduites d'imitation et de distinction,
la néophobie est progressivement contournée. Mais la
«qualité éducative» de la prestation alimentaire est
encore trop souvent négligée : à travers l'éveil au
goût et à la nutrition, les enfants comprennent mieux leur corps,
recherchent l'origine géographique des produits et trouvent les mots
pour exprimer ce qu'ils ressentent, enrichissant de ce fait leur vocabulaire.
Sachant qu'en France, un enfant sur deux environ déjeune à
l'école (jusqu'à plus de 90 p. cent dans certains secteurs,
notamment parisiens), l'environnement familial sera à terme fortement
imprégné des comportements alimentaires engendrés en
milieu scolaire, ce qui constitue une voie d'approche intéressante qui a
été largement utilisée dans des opérations de type
humanitaire à vocation pédagogique à travers
l'éducation sanitaire des enfants, moteurs du changement de comportement
des adultes dans les villages. Les objectifs d'éducation nutritionnelle,
au-delà de leur importance immédiate pour le bien-être de
l'enfant, auront à moyen terme des conséquences notables sur les
dépenses de santé du pays
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